TUE, 8e ch. élargie, 15 mai 2024, n° T-508/14
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Naturgy Energy Group
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kornezov
Juges :
M. De Baere, M. Petrlík, M. Kecsmár, Mme Kingston (rapporteure)
Avocats :
Me García Gómez de Zamora, Me Troncoso Ferrer, Me Segura Catalán
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Naturgy Energy Group, SA, anciennement Gas Natural SDG, SA, demande l’annulation de la décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal » (JO 2014, L 114, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
Sur la décision attaquée
2 À la suite de plaintes dénonçant le fait que le régime espagnol de leasing fiscal tel qu’il était appliqué à certains accords de location-financement pour l’acquisition de navires (ci-après le « RELF ») permettait aux compagnies maritimes d’acquérir des navires construits par des chantiers navals espagnols en bénéficiant de prix réduits de 20 à 30 %, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, par la décision C(2011) 4494 final, du 29 juin 2011 (JO 2011, C 276, p. 5, ci-après la « décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen »).
3 Au cours de la procédure formelle d’examen, la Commission a constaté que le RELF avait été utilisé, jusqu’à la date d’adoption de sa décision mentionnée au point 2 ci-dessus, pour des transactions consistant dans la construction de navires par les chantiers navals et leur acquisition par des compagnies maritimes ainsi que dans le financement de ces transactions par l’intermédiaire d’une structure juridique et financière ad hoc montée par une banque. Le RELF impliquait, pour chaque commande de navire, une compagnie maritime, un chantier naval, une banque, une société de location-vente et un groupement d’intérêt économique (GIE) constitué par cette banque et des investisseurs acquérant des participations dans ce GIE. Ce dernier prenait à bail le navire d’une société de location-vente dès le début de sa construction, puis louait celui-ci à une compagnie maritime sous couvert d’un contrat d’affrètement coque nue. Ledit GIE s’engageait à acheter ledit navire à la fin du contrat de location-vente, tandis que la compagnie maritime s’engageait à l’acheter à la fin du contrat d’affrètement coque nue. Selon la décision attaquée, il s’agissait d’un montage fiscal destiné à générer des avantages fiscaux en faveur d’investisseurs regroupés au sein d’un GIE « fiscalement transparent » en ce sens que les bénéfices et les pertes enregistrés par le GIE étaient transférés automatiquement aux investisseurs résidant en Espagne au prorata de leur participation dans le GIE, et à transférer une partie de ces avantages à une compagnie maritime sous la forme d’un rabais sur le prix du même navire.
4 La Commission a constaté que les opérations réalisées au titre du RELF combinaient cinq mesures prévues dans plusieurs dispositions du Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret royal législatif 4/2004, par lequel est approuvé le texte refondu de la loi sur les impôts sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951, ci après la « loi sur l’impôt des sociétés »), et du Real Decreto 1777/2004, por el que se aprueba el Reglamento del Impuesto sobre Sociedades (décret royal 1777/2004, par lequel est approuvé le règlement de l’impôt sur les sociétés), du 30 juillet 2004 (BOE no 189, du 6 août 2004, p. 28377, ci-après le « règlement sur l’impôt des sociétés »). Ces cinq mesures étaient l’amortissement accéléré des actifs pris à bail prévu à l’article 115, paragraphe 6, de ladite loi, l’application discrétionnaire de l’amortissement anticipé résultant de l’article 48, paragraphe 4, de l’article 115, paragraphe 11, de cette loi ainsi que de l’article 49 dudit règlement, les dispositions relatives aux GIE, le régime de la taxation au tonnage prévu aux articles 124 à 128 de la même loi et les dispositions de l’article 50, paragraphe 3, de ce règlement.
5 Conformément à l’article 115, paragraphe 6, de la loi sur l’impôt des sociétés, l’amortissement accéléré commençait à la date à laquelle l’actif pris à bail était en état de fonctionner, c’est-à-dire pas avant que cet actif ne fût remis au preneur et que celui-ci commençât à l’utiliser. Néanmoins, l’article 115, paragraphe 11, de ladite loi prévoyait que le ministère de l’Économie et des Finances espagnol pouvait, sur demande formelle du preneur, fixer une date antérieure pour le début de l’amortissement concerné. Cet article imposait deux conditions générales pour l’amortissement anticipé. Les conditions spécifiques applicables aux GIE figuraient à l’article 48, paragraphe 4, de la même loi. La procédure d’autorisation prévue à l’article 115, paragraphe 11, de cette loi était détaillée à l’article 49 du règlement sur l’impôt des sociétés.
6 Le régime de la taxation au tonnage a été autorisé en tant qu’aide d’État compatible avec le marché intérieur en vertu des orientations communautaires sur les aides d’État au transport maritime du 5 juillet 1997 (JO 1997, C 205, p. 5), telles que modifiées par la communication C(2004) 43 de la Commission (JO 2004, C 13, p. 3) (ci-après les « orientations maritimes »), par la décision C(2002) 582 final de la Commission, du 27 février 2002, concernant l’aide d’État N 736/2001 mise à exécution par l’Espagne – Régime pour la taxation des sociétés de transport maritime en fonction du tonnage (JO 2004, C 38, p. 4), modifiée par la décision C(2004) 1931 final de la Commission, du 2 juin 2004, concernant l’aide d’État N 528/2003 mise à exécution par l’Espagne – Modification du régime pour la taxation des sociétés de transport maritime en fonction du tonnage (JO 2005, C 77, p. 29). Dans le cadre de ce régime, les entreprises inscrites à l’un des registres des compagnies maritimes et qui ont obtenu une autorisation de l’administration fiscale à cette fin sont imposées non pas en fonction de leurs gains et de leurs pertes, mais sur la base de leur tonnage. La législation espagnole permet aux GIE de s’inscrire à l’un de ces registres, bien qu’ils ne soient pas des compagnies maritimes.
7 L’article 125, paragraphe 2, de la loi sur l’impôt des sociétés prévoyait une procédure spéciale pour les navires déjà acquis au moment du passage au régime de la taxation au tonnage et pour les navires usagés acquis lorsque l’entreprise bénéficiait déjà de ce régime. En appliquant normalement ledit régime, les plus-values éventuelles étaient imposées en passant sous le même régime et il était supposé que la taxation des plus-values, quoique retardée, avait lieu lorsque le navire était vendu ou démoli. Toutefois, par dérogation à cette disposition, l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés disposait que, lorsque les navires étaient achetés par l’intermédiaire d’une option d’achat dans le cadre d’un contrat de location-vente préalablement approuvé par les autorités fiscales, ils étaient considérés comme étant des navires neufs et non usagés, au sens de l’article 125, paragraphe 2, de ladite loi, sans tenir compte du fait qu’ils étaient déjà amortis, de telle sorte que les plus-values éventuelles n’étaient pas taxées. Cette dérogation, qui n’avait pas été notifiée à la Commission, n’a été appliquée qu’aux contrats de location-vente spécifiques approuvés par les autorités fiscales dans le cadre de demandes d’application de l’amortissement anticipé en vertu de l’article 115, paragraphe 11, de cette loi, c’est-à-dire pour des navires récemment construits et donnés à bail, achetés au moyen d’opérations relevant du RELF et, à une seule exception près, sortis de chantiers navals espagnols.
8 Selon la décision attaquée, en appliquant l’ensemble de ces mesures, le GIE recueillait les avantages fiscaux en deux temps. Dans un premier temps, un amortissement anticipé et accéléré du coût du navire pris en location-vente était appliqué au titre du régime normal de l’impôt sur les sociétés, qui se traduisait par des pertes importantes pour ce GIE, lesquelles, en raison de la transparence fiscale des GIE, pouvaient être déduites des recettes propres des investisseurs au prorata de leur participation dans ledit GIE. Alors que cet amortissement anticipé et accéléré était normalement compensé, par la suite, par l’augmentation des impôts à acquitter lorsque ce navire était entièrement amorti ou lorsque ce dernier était vendu en générant une plus-value, l’économie fiscale résultant du transfert des pertes initiales aux investisseurs était conservée, dans un second temps, grâce au fait que le même GIE passait sous le régime de la taxation au tonnage, qui permettait l’exonération totale des bénéfices résultant de la vente dudit navire à la compagnie maritime.
9 Tout en considérant que le RELF devait être décrit comme un « système », la Commission a analysé également chacune des mesures en cause individuellement. Par la décision attaquée, elle a décidé que, parmi ces mesures, celles résultant de l’article 115, paragraphe 11, de la loi sur l’impôt des sociétés relatives à l’amortissement anticipé, de l’application du régime de la taxation au tonnage à des entreprises, à des navires ou à des activités non éligibles et de l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés constituaient une aide d’État aux GIE et à leurs investisseurs mise illégalement à exécution par le Royaume d’Espagne depuis le 1er janvier 2002, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Elle a déclaré que les mesures fiscales en cause étaient incompatibles avec le marché intérieur, hormis dans la mesure où l’aide correspondait à une rémunération conforme au marché pour l’intervention d’investisseurs financiers et où elle était transférée à des entreprises de transport maritime pouvant bénéficier des dispositions des orientations maritimes. Elle a décidé que le Royaume d’Espagne devait mettre un terme à l’application de ce régime d’aide dans la mesure où il était incompatible avec le marché intérieur et devait récupérer l’aide incompatible auprès des investisseurs des GIE qui en avaient bénéficié, sans que ces bénéficiaires puissent transférer la charge de la récupération de cette aide à d’autres personnes.
10 Néanmoins, la Commission a décidé qu’il ne serait pas procédé à la récupération de l’aide octroyée dans le cadre d’opérations de financement pour lesquelles les autorités nationales compétentes s’étaient engagées à concéder le bénéfice des mesures par un acte juridiquement contraignant adopté avant le 30 avril 2007, date de publication au Journal officiel de l’Union européenne de sa décision 2007/256/CE, du 20 décembre 2006, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France au titre de l’article 39 CA du code général des impôts – Aide d’État C 46/04 (ex NN 65/04) (JO 2007, L 112, p. 41).
Sur les autres recours introduits contre la décision attaquée
11 Par l’arrêt du 17 décembre 2015, Espagne e.a./Commission (T 515/13 et T 719/13, EU:T:2015:1004), le Tribunal a accueilli deux autres recours introduits, contre la décision attaquée, par le Royaume d’Espagne et par Lico Leasing, SA et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA (ci-après « PYMAR »), sur le fondement du moyen tiré de la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et de l’article 296 TFUE, et il a annulé la décision attaquée.
12 Par l’arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C 128/16 P, EU:C:2018:591), la Cour a annulé l’arrêt du 17 décembre 2015, Espagne e.a./Commission (T 515/13 et T 719/13, EU:T:2015:1004), et renvoyé les affaires T 515/13 et T 719/13 devant le Tribunal.
13 Par l’arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T 515/13 RENV et T 719/13 RENV, EU:T:2020:434), le Tribunal a rejeté les recours.
14 Par l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la Cour a partiellement annulé l’arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T 515/13 RENV et T 719/13 RENV, EU:T:2020:434), et, statuant de manière définitive dans les deux recours concernés, elle a partiellement annulé la décision attaquée.
15 Dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la Cour a, d’abord, rejeté les pourvois s’agissant de l’argumentation des parties requérantes concernant la prétendue absence de sélectivité du RELF. Elle a également rejeté les pourvois s’agissant des moyens portant sur l’application des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, tout en relevant une erreur de droit commise par le Tribunal, mais demeurant sans incidence sur son appréciation. Enfin, elle a accueilli le moyen du Royaume d’Espagne tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T 515/13 RENV et T 719/13 RENV, EU:T:2020:434), en ce qui concerne la récupération de l’aide en cause. Elle a considéré que, en se limitant à constater que les parties requérantes n’avaient pas contesté la désignation des bénéficiaires effectuée dans la décision attaquée et en se référant à la logique ainsi qu’au contenu de cette décision, alors qu’il se déduisait du moyen soulevé que ces parties faisaient valoir, implicitement, mais nécessairement, qu’elles n’avaient pas été les seules bénéficiaires de l’aide en cause, une grande partie de cette dernière ayant été transférée aux compagnies maritimes, le Tribunal n’avait pas répondu à ce moyen. Elle a conclu que le Tribunal avait commis une violation de l’obligation de motivation et elle a annulé ledit arrêt du Tribunal à cet égard.
16 Statuant définitivement sur le litige, la Cour a accueilli le moyen soulevé par Lico Leasing et PYMAR par lequel ces parties faisaient valoir que les investisseurs des GIE n’avaient pas été les seuls bénéficiaires de l’aide en cause, une grande partie de cette dernière ayant été transférée aux compagnies maritimes. Elle a, partant, annulé l’article 1er de la décision attaquée en ce qu’il désignait les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée dans cette décision ainsi que l’article 4, paragraphe 1, de la même décision en ce qu’il enjoignait au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide en cause auprès des investisseurs des GIE qui avaient bénéficié de celle-ci.
Conclusions des parties
17 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler ladite décision en ce qu’elle ordonne la récupération de l’aide ;
– condamner la Commission aux dépens.
18 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– à titre principal, condamner la requérante aux dépens et, à titre subsidiaire, déclarer qu’elle supportera, outre l’ensemble de ses propres dépens, les trois quarts des dépens exposés par la Commission.
En droit
19 Au soutien de son recours, la requérante avance, en substance, quatre moyens :
– le premier, tiré de la violation des articles 107 et 108 TFUE, en ce que la décision attaquée constate l’existence d’une aide d’État, ainsi que d’un défaut de motivation de ladite décision à cet égard ;
– le deuxième, tiré d’une erreur dans l’identification des bénéficiaires de l’aide, ainsi que d’un défaut de motivation de ladite décision à cet égard ;
– le troisième, à titre subsidiaire, tiré de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement ainsi que de l’article 14 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), en ce que cette décision ordonne la récupération de l’aide ;
– le quatrième, tiré de la violation des articles 107 et 108 TFUE et d’un détournement de pouvoir, en ce que l’article 4, paragraphe 1, de la décision en question dispose que les investisseurs des GIE ne peuvent « transférer la charge de la récupération à d’autres personnes ».
20 Lors de l’audience, la requérante a indiqué que, à la suite de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), elle renonçait, d’une part, aux griefs, formulés dans le cadre du premier moyen, tirés de l’absence de sélectivité des mesures composant le RELF et de l’absence d’affectation de la concurrence et des échanges entre les États membres ainsi que d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard et, d’autre part, au troisième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement ainsi que de l’article 14 du règlement no 659/1999.
Sur la disparition partielle de l’objet du litige
21 Selon une jurisprudence constante, l’objet du litige, tel qu’il a été déterminé par la requête introductive d’instance, doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C 362/05 P, EU:C:2007:322, point 42 et jurisprudence citée, et ordonnance du 14 janvier 2014, Miettinen/Conseil, T 303/13, non publiée, EU:T:2014:48, point 16 et jurisprudence citée).
22 Ainsi, dans le cadre d’un recours introduit en vertu de l’article 263 TFUE, il a été jugé que l’annulation de la décision attaquée en cours d’instance privait de son objet le recours en ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de ladite décision (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Italie/Commission, C 372/97, EU:C:2004:234, point 37, et du 19 octobre 2005, CDA Datenträger Albrechts/Commission, T 324/00, EU:T:2005:364, points 116 et 117).
23 En effet, par l’annulation de l’acte attaqué, la partie requérante obtient le seul résultat que son recours peut lui procurer et il n’y a, dès lors, plus matière à décision du juge de l’Union européenne (voir, en ce sens, ordonnance du 8 mars 1993, Lezzi Pietro/Commission, C 123/92, EU:C:1993:87, point 10).
24 Il en va de même lorsque l’annulation partielle de l’acte attaqué a donné à la partie requérante le résultat qu’elle visait par une partie de son recours, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur cette partie (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, C 372/97, EU:C:2004:234, points 37 et 38).
25 Par ailleurs, l’autorité absolue dont jouit un arrêt d’annulation d’une juridiction de l’Union s’attache tant au dispositif de l’arrêt qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire (voir arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission, C 372/97, EU:C:2004:234, point 36 et jurisprudence citée).
26 En l’espèce, il convient de constater que, dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la Cour n’a annulé la décision attaquée que partiellement. Comme il a été relevé au point 16 ci-dessus, elle a annulé l’article 1er de la décision attaquée, en ce qu’il désignait les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée dans cette décision ainsi que l’article 4, paragraphe 1, en ce qu’il enjoignait au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide en cause auprès des investisseurs des GIE qui avaient bénéficié de celle ci.
27 Aux points 138 et 139 de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la Cour a précisé que la Commission avait commis une erreur de droit en ce qui concerne l’identification des bénéficiaires de l’aide en cause, dès lors que les GIE étaient tenus, en vertu de contrats juridiquement contraignants conclus avec les compagnies maritimes et soumis à l’administration fiscale, de transférer aux compagnies maritimes une partie de l’avantage fiscal obtenu.
28 Dans le cadre de son recours, la requérante, qui a succédé à une entreprise ayant effectué des investissements dans des GIE dans le cadre du RELF, soutient, dans le cadre du deuxième moyen, que la Commission a commis une erreur en ce qu’elle a qualifié, dans la décision attaquée, les GIE et les investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide, bien que d’autres entreprises ayant participé aux opérations au titre du RELF, telles que les compagnies maritimes, étaient également des bénéficiaires de ce régime, ainsi que d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard.
29 Ainsi, par ce grief du deuxième moyen, la requérante demande, en substance, que le Tribunal annule l’article 1er ainsi que l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, en ce qu’ils désignent les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires du RELF et en ce qu’ils enjoignent au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide en cause auprès desdits investisseurs.
30 Or, comme il a été relevé aux points 16 et 27 ci-dessus, l’article 1er ainsi que l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée ont été annulés partiellement, dans cette mesure, par la Cour.
31 Il s’ensuit que l’annulation partielle de la décision attaquée prononcée par la Cour a donné à la requérante le résultat qu’elle recherchait par une partie de son recours, à savoir la disparition de cet aspect de la décision de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 16 septembre 2014, Justice & Environment/Commission, T 405/10, non publiée, EU:T:2014:821, point 20 et jurisprudence citée).
32 Dès lors, il convient de considérer que le présent recours est devenu sans objet dans cette mesure.
33 En revanche, il y a toujours lieu de statuer sur les chefs de conclusions de la requérante en ce qu’ils tendent à l’annulation de parties de la décision attaquée n’ayant pas été annulées par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60).
34 En effet, certains chefs de conclusions présentés par la requérante visent une annulation de la décision attaquée allant au-delà de celle prononcée par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60). Ainsi, la requérante a demandé au Tribunal, en particulier, dans le cadre du premier chef de conclusions de son recours, d’annuler la décision attaquée dans son entièreté et, dans le cadre du deuxième chef de conclusions de son recours, d’annuler ladite décision en ce qu’elle ordonne la récupération de l’aide.
35 Quant aux moyens soulevés à l’appui des chefs de conclusions mentionnés au point 34 ci-dessus, il convient de rappeler d’emblée, comme cela a été indiqué au point 20 ci-dessus, que la requérante a renoncé, d’une part, aux griefs, formulés dans le cadre du premier moyen, tirés de l’absence de sélectivité des mesures composant le RELF et de l’absence d’affectation de la concurrence et des échanges entre les États membres ainsi que d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard et, d’autre part, au troisième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et d’égalité de traitement ainsi que de l’article 14 du règlement no 659/1999.
36 Il en résulte qu’il y a lieu de statuer sur la partie du recours par laquelle la requérante invoque, dans le cadre du premier moyen, d’une part, une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission a erronément considéré que le RELF conférait un avantage aux GIE et à leurs investisseurs qui est imputable au Royaume d’Espagne ainsi que d’un défaut de motivation à cet égard et, d’autre part, une violation des articles 107 et 108 TFUE, en ce que la Commission a considéré que certaines mesures fiscales composant le RELF constituaient des aides d’État nouvelles, dans le cadre du deuxième moyen, une erreur et un défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’identification des GIE et des investisseurs comme bénéficiaires du RELF et, dans le cadre du quatrième moyen, une violation des articles 107 et 108 TFUE et un détournement de pouvoir, en ce que l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision dispose que les investisseurs des GIE ne peuvent « transférer la charge de la récupération à d’autres personnes ».
37 En effet, si ces griefs des premier et deuxième moyens et si le quatrième moyen étaient accueillis, ils seraient susceptibles d’entraîner l’annulation de parties de la décision attaquée qui n’ont pas été annulées par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60).
38 À cet égard, contrairement à ce qu’a fait valoir la requérante, l’identification des GIE et de leurs investisseurs en tant que bénéficiaires du RELF ainsi que l’ordre de récupération des aides auprès de ces derniers, contenu dans la décision attaquée, n’ont pas été entièrement annulés par la Cour avec pour conséquence que le recours aurait perdu son objet dans son intégralité.
39 En effet, l’affirmation de la requérante procède d’une interprétation erronée de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60).
40 Par l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), comme cela a été relevé au point 16 ci-dessus, la Cour n’a annulé que partiellement la décision attaquée, à savoir uniquement son article 1er « en ce qu’il désigne les [GIE] et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée dans cette décision » (point 3 du dispositif de cet arrêt) et son article 4, paragraphe 1, « en ce qu’il enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide visé dans cette décision auprès des investisseurs des [GIE] qui en ont bénéficié » (point 4 du même dispositif).
41 En revanche, l’identification des GIE et des investisseurs en tant que bénéficiaires du RELF et l’obligation à charge du Royaume d’Espagne de récupérer l’aide, ou une partie de celle-ci, au moins auprès de ces derniers n’ont pas été annulées par la Cour et ne sont pas non plus privés d’effets.
42 En effet, la conséquence logique de la constatation de l’illégalité d’une aide est sa suppression par voie de récupération afin de rétablir la situation antérieure (voir arrêt du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C 275/10, EU:C:2011:814, point 33 et jurisprudence citée).
43 Or, dans l’arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a. (C 128/16 P, EU:C:2018:591, point 46), la Cour a jugé que la Commission avait considéré à bon droit que les GIE avaient la qualité de bénéficiaires du RELF. En outre, dans les recours ayant donné lieu à l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), les arguments des parties requérantes dans ces affaires visant à démontrer que le RELF ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE au bénéfice des GIE et de leurs investisseurs ont été rejetés. Par ailleurs, les arguments de ces parties visant à démontrer que la récupération auprès des investisseurs des GIE était contraire aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique n’ont pas non plus été accueillis par la Cour.
44 Ainsi, à la suite de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la décision attaquée demeure valide en ce qu’elle déclare illégale et incompatible avec le marché intérieur l’aide qui bénéficie à tout le moins aux GIE et à leurs investisseurs, et oblige le Royaume d’Espagne à récupérer ladite aide, ou une partie de celle-ci, auprès de ces derniers. À cet égard, il convient de relever que la circonstance que, pour le calcul des montants à récupérer, la méthode décrite aux considérants 263 à 269 de la décision attaquée doive être modifiée à la lumière dudit arrêt ne modifie en rien le fait que cette obligation de récupération persiste en tant que telle.
45 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours pour autant qu’il tend à l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée en ce qu’il désigne les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée dans cette décision et de l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision en ce qu’il enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide visée dans cette décision auprès des investisseurs des GIE qui en ont bénéficié.
Sur le fond
Sur les griefs, au sein du premier moyen, tirés de l’absence d’avantage imputable à l’État et d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard, ainsi que de la qualification erronée des mesures composant le RELF en tant qu’aides nouvelles
46 Dans le cadre du présent moyen, la requérante soulève deux griefs sur lesquels il convient de statuer (voir point 36 ci-dessus).
47 En premier lieu, concernant l’absence d’avantage imputable à l’État, la requérante soutient, d’une part, que la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation en ce que la Commission n’a pas expliqué à suffisance de droit les raisons justifiant sa conclusion selon laquelle le RELF confère un avantage économique aux investisseurs des GIE qui serait par ailleurs imputable au Royaume d’Espagne. D’autre part, selon elle, la nature purement financière de la participation des investisseurs au GIE, à savoir le fait que les investissements sont effectués afin d’obtenir un retour sur investissement positif qui est lui-même soumis à l’impôt sur les sociétés des investisseurs, exclut que l’éventuel avantage financier que ces derniers sont susceptibles d’obtenir dans ce cadre soit imputable au Royaume d’Espagne ou qu’il puisse être considéré que les investisseurs ont tiré un avantage provenant de fonds publics.
48 La Commission conteste les arguments de la requérante.
49 À cet égard, il convient de relever que la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 4 juin 2020, Hongrie/Commission, C 456/18 P, EU:C:2020:421, point 57).
50 S’il est vrai que la Commission n’est pas obligée de prendre position sur tous les éléments et arguments invoqués devant elle, y compris ceux clairement secondaires pour l’appréciation à livrer, il n’en demeure pas moins qu’elle doit exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision. En outre, la motivation doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C 413/06 P, EU:C:2008:392, point 169).
51 S’agissant de la motivation de la décision attaquée relative à l’existence d’un avantage découlant du RELF, la Commission a décrit les avantages octroyés aux GIE et aux investisseurs qui en étaient membres comme consistant en :
– le fait que l’amortissement accéléré pouvait commencer avant le début de l’exploitation de l’actif, conformément à l’article 115, paragraphe 11, de la loi sur l’impôt des sociétés (considérant 132 de la décision attaquée) ;
– l’application du régime de la taxation au tonnage au GIE (considérant 142 de la décision attaquée) ;
– la dérogation à l’application ordinaire de l’article 125, paragraphe 2, de la loi sur l’impôt des sociétés, en vertu de laquelle certains navires de mer qui seraient normalement considérés comme étant usagés ou d’occasion, sont considérés comme étant neufs au moment de leur transfert au régime de la taxation au tonnage, avec pour conséquence que le paiement des obligations fiscales implicites est définitivement annulé (considérant 145 de la décision attaquée).
52 Au considérant 155 de la décision attaquée, la Commission a précisé le montant de l’avantage économique résultant du RELF dans son ensemble comme correspondant à l’avantage que le GIE n’aurait pas obtenu de la même opération financière s’il avait uniquement appliqué des mesures générales et indiqué que, en pratique, cet avantage correspondait à la somme des avantages suivants :
– les intérêts épargnés sur les montants des paiements d’impôts reportés grâce à l’amortissement anticipé (article 115, paragraphe 11, et article 48, paragraphe 4, de la loi sur l’impôt des sociétés et article 49 du règlement sur l’impôt des sociétés) ;
– le montant des impôts évités ou des intérêts épargnés sur les impôts reportés en vertu du régime de la taxation au tonnage (article 128 de la loi sur l’impôt des sociétés), étant donné que le GIE ne pouvait pas bénéficier du régime de la taxation au tonnage ;
– le montant des impôts évités sur la plus-value réalisée au moment de la vente du navire en vertu de l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés.
53 Au considérant 161 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l’avantage résultant du RELF profitait aux GIE au nom desquels les demandes d’application de l’amortissement anticipé ou de la taxation au tonnage ont été présentées et, par transparence, à leurs investisseurs car, sur le plan fiscal, les GIE sont des entités fiscalement transparentes et leurs revenus imposables ou leurs frais déductibles sont automatiquement transférés aux investisseurs.
54 Par ailleurs, en ce qui concerne la motivation du fait que cet avantage était imputable au Royaume d’Espagne de sorte que la condition visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE relative à une intervention de l’État ou au moyen de ressources de l’État était satisfaite, la Commission a relevé, au considérant 166 de la décision attaquée, que, dans le cadre des opérations au titre du RELF, l’État transférait initialement ses ressources aux GIE en finançant les avantages sélectifs et que, ensuite, par le biais de la transparence fiscale, les GIE transféraient les ressources de l’État à ses leurs investisseurs. Ainsi, elle a conclu, au considérant 170 de ladite décision, que les avantages sélectifs en cause avaient été conférés par des ressources d’État et qu’ils étaient clairement imputables à l’État espagnol dans la mesure où ils profitaient aux GIE et à leurs investisseurs.
55 Il s’ensuit que la requérante était en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que les mesures composant le RELF conféraient un avantage aux GIE et à leurs investisseurs, lequel pouvait être imputé au Royaume d’Espagne.
56 Comme il a été indiqué au point 47 ci-dessus, la requérante conteste également le bien-fondé de l’appréciation de la Commission selon laquelle, en substance, le RELF procurait un avantage économique aux GIE et à leurs investisseurs, lequel était imputable au Royaume d’Espagne.
57 À cet égard, il convient tout d’abord de relever que, contrairement à ce que la requérante fait valoir, la Commission était en droit d’apprécier le RELF comme constituant un régime d’aides imputable au Royaume d’Espagne bien que celui-ci combine plusieurs mesures différentes.
58 En effet, la Commission ne saurait être privée de la possibilité de se fonder sur un ensemble de circonstances de nature à déceler l’existence, en fait, d’un régime d’aide. En effet, dans le cadre de l’examen d’un régime d’aide et, en l’absence d’une base légale instituant un tel régime d’aide, la Commission peut se fonder sur une série d’éléments de nature normative, administrative, financière ou économique (voir, en ce sens, arrêts du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C 324/90 et C 342/90, EU:C:1994:129, points 15 et 23, et du 16 septembre 2021, Commission/Belgique, et Magnetrol International, C 337/19 P, EU:C:2021:741, point 80).
59 Dès lors qu’il n’est pas exigé qu’un régime d’aide soit prévu dans un seul acte juridique, même s’il s’agit de l’hypothèse la plus habituelle, rien ne s’oppose à ce qu’un régime puisse découler d’une série de mesures liées entre elles par des circonstances juridiques et factuelles.
60 En l’espèce, la Commission soutient à juste titre que les mesures constituant le RELF sont liées en droit et en fait. Comme elle l’a indiqué au considérant 116 de la décision attaquée, lesdites mesures sont liées en droit, en substance, parce que l’amortissement anticipé était soumis à l’obtention d’une autorisation par les autorités fiscales, dont dépendait par ailleurs l’application de l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés établissant une exception au régime ordinaire de la taxation au tonnage. Elles étaient, par ailleurs, liées en fait, parce que l’autorisation administrative pour l’amortissement anticipé était accordée uniquement dans le contexte de contrats de location-vente de navires éligibles au régime de la taxation au tonnage, qui ont pu dès lors bénéficier de la règle prévue à l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés.
61 C’est en raison de l’existence d’un tel lien entre lesdites mesures que le Tribunal a jugé, au point 101 de l’arrêt du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T 515/13 RENV et T 719/13 RENV, EU:T:2020:434), que, étant donné qu’une des mesures permettant de bénéficier du RELF dans son ensemble était sélective, à savoir l’autorisation de l’amortissement anticipé, c’était sans commettre d’erreur que la Commission avait considéré, dans la décision attaquée, que le système était sélectif dans son ensemble, cette conclusion ayant été confirmée par la Cour aux points 71 et 72 de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60).
62 Bien que ces considérations suffisent pour conclure que le RELF constitue un régime d’aide imputable au Royaume d’Espagne qui pouvait être apprécié par la Commission dans son ensemble, il peut être relevé que la nécessité d’apprécier le RELF dans son ensemble comme un régime d’aide imputable au Royaume d’Espagne a été implicitement confirmée par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60). En effet, au point 137 de cet arrêt, la Cour, pour conclure que la Commission avait commis une erreur de droit quant à la désignation des bénéficiaires de l’aide en cause et, par voie de conséquence, quant à la récupération de celle-ci, s’est notamment appuyée sur le fait que la Commission avait considéré que le RELF constituait, dans son ensemble, un régime d’aide découlant de l’application de la législation fiscale espagnole et des autorisations accordées par l’administration fiscale espagnole, et destiné, peu important les procédés juridiques utilisés, à générer un avantage au profit des GIE et des compagnies maritimes.
63 Ensuite, la Commission a considéré à juste titre que le RELF conférait un avantage aux GIE et à leurs investisseurs devant être imputé au Royaume d’Espagne.
64 Comme il a été indiqué au point 51 ci-dessus, les avantages octroyés aux GIE et à leurs investisseurs consistaient en ce que l’amortissement accéléré pouvait commencer avant le début de l’exploitation de l’actif, conformément à l’article 115, paragraphe 11, de la loi sur l’impôt des sociétés, l’application du régime de la taxation au tonnage au GIE et la dérogation à l’application ordinaire de l’article 125, paragraphe 2, de la loi sur l’impôt des sociétés, en vertu de laquelle certains navires de mer qui seraient normalement considérés comme étant usagés ou d’occasion, ont été considérés comme étant neufs au moment de leur transfert au régime de la taxation au tonnage, avec pour conséquence que le paiement des obligations fiscales implicites était définitivement annulé.
65 L’argumentation avancée par la requérante n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion.
66 La requérante invoque, premièrement, la nature financière de l’opération qu’elle a réalisée, qui consiste pour les investisseurs des GIE à fournir des apports à ces derniers dans le but de les réintégrer par la suite, par le biais de l’imputation des bases imposables négatives obtenues par les GIE, pour un montant censé dépasser celui de l’apport en capitaux. Elle indique, deuxièmement, que la rémunération obtenue par le biais des investissements en cause est un produit financier inscrit au bilan des investisseurs et soumis à l’impôt sur les sociétés. Elle souligne, troisièmement, le facteur de risque auquel les investissements effectués dans le cadre du RELF sont soumis pour ce qui concerne leur rendement final. Il découle de ces circonstances, selon elle, que les avantages financiers que les investisseurs des GIE sont susceptibles d’obtenir ne sont pas imputables à une intervention de l’État.
67 Cependant, comme la Commission l’a relevé, l’objectif poursuivi par les investisseurs des GIE, à savoir la rentabilité financière de leur investissement, ne saurait modifier l’appréciation du RELF en tant qu’aide en faveur des GIE et des investisseurs consistant, en substance, en la perte de recettes fiscales pour le Royaume d’Espagne, et découlant de l’application de la législation fiscale espagnole et des autorisations accordées par l’administration fiscale espagnole.
68 En particulier, la requérante ne conteste pas que les GIE dans lesquels l’entreprise à laquelle elle a succédé a investi ont été autorisés par les autorités fiscales espagnoles à bénéficier des mesures constituant le RELF et que ceux-ci ont fait application du RELF, ce qui s’est traduit, selon le mécanisme décrit au considérant 16 de la décision attaquée, par des pertes fiscales pouvant être déduites des recettes propres des requérantes au prorata de leur participation dans les GIE.
69 De même, il n’est pas contesté par la requérante que les GIE dans lesquels l’entreprise à laquelle elle a succédé a investi ont bénéficié du passage sous le régime de la taxation au tonnage et de l’exonération totale des bénéfices du capital résultant de la vente du navire à la compagnie maritime, selon le mécanisme expliqué au considérant 18 de la décision attaquée.
70 Par ailleurs, en ce qui concerne l’affirmation de la requérante selon laquelle le retour sur investissement obtenu par les investisseurs dans le cadre du RELF est soumis à l’impôt des sociétés, il convient de relever que, s’agissant d’une mesure fiscale, l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (voir arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C 885/19 P et C 898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 et jurisprudence citée).
71 En l’espèce, il ressort du considérant 155 de la décision attaquée, mentionné au point 52 ci-dessus, que l’avantage est identifié de façon claire et non équivoque comme correspondant à l’avantage que le GIE n’aurait pas obtenu de la même opération financière s’il avait uniquement appliqué des mesures générales, à savoir, en l’espèce, la somme des avantages obtenus par le GIE en appliquant les trois mesures sélectives énumérées audit considérant.
72 C’est donc par rapport à cette hypothèse qu’il convient de déterminer l’avantage découlant du RELF qui est conféré au GIE et qui, comme cela est relevé au point 54 ci-dessus, est transféré à ses investisseurs par le biais de la transparence fiscale.
73 Or, rien dans l’argumentation de la requérante ne remet en cause cette analyse de l’avantage obtenu par les investisseurs par rapport à l’hypothèse de l’imposition normale telle qu’identifiée dans la décision attaquée.
74 Enfin, l’affirmation de la requérante selon laquelle l’investissement en cause n’apporte pas toujours la rentabilité attendue ne conduit pas non plus à constater l’illégalité de la décision attaquée.
75 Selon la jurisprudence, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C 71/09 P, C 73/09 P et C 76/09 P, EU:C:2011:368, point 63).
76 En tout état de cause, il convient de relever que les considérants 263 à 269 de la décision attaquée précisent, à cet égard, la méthode en quatre étapes que la Commission estime devoir appliquer afin de déterminer, dans chaque cas, quels sont les bénéficiaires de l’aide et le montant de l’aide incompatible à récupérer auprès de ceux-ci. Or, indépendamment du fait que cette méthode doit être adaptée pour tirer les conséquences de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), il convient de relever que, dans le cadre de la vérification de la situation individuelle de chaque bénéficiaire aux fins de la récupération, il ressort de la première étape de la méthodologie de récupération décrite au considérant 264 de la décision attaquée, que le calcul de la VAN des avantages fiscaux retirés par un bénéficiaire tient compte des avantages fiscaux dont celui-ci a concrètement bénéficié. En outre, au considérant 263 de la décision attaquée, la Commission a précisé que la méthode exposée dans cette section pouvait faire l’objet d’un ajustement important avec les autorités espagnoles, notamment en vue de déterminer le montant réel de l’avantage fiscal dont ont bénéficié les investisseurs, compte tenu de leur situation fiscale individuelle.
77 Il s’ensuit que le grief relatif à l’absence d’avantage imputable à l’État et d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard doit être rejeté.
78 En second lieu, concernant la qualification des mesures composant le RELF en tant qu’aides nouvelles, la requérante conteste que certaines de ces mesures fiscales, en particulier, le régime d’amortissement anticipé, l’application du régime de la taxation au tonnage aux GIE et l’article 50, paragraphe 3, du règlement sur l’impôt des sociétés, constituaient des aides d’État nouvelles. Selon elle, si lesdites mesures devaient être considérées comme étant des aides d’État, elles constitueraient des aides d’État existantes.
79 La Commission conteste les arguments de la requérante.
80 À cet égard, il convient de relever que l’argumentation de la requérante, contestant la qualification de certaines mesures fiscales composant le RELF en tant qu’aides nouvelles, est fondée, en réalité, sur la prémisse selon laquelle lesdites mesures devraient être appréciées séparément, au regard de l’article 107 TFUE, et non en tenant compte du RELF dans son ensemble.
81 Or, cette prémisse est erronée, comme cela ressort des considérations énoncées aux points 60 à 62 ci-dessus.
82 Il en découle que, en ce que l’argumentation de la requérante repose sur la prémisse erronée selon laquelle chacune des trois mesures fiscales composant le RELF mentionnées au point 78 ci-dessus doit être analysée individuellement au regard de l’article 107 TFUE, et non en appréciant le RELF dans son ensemble, elle doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.
83 Ainsi, pour répondre plus particulièrement au grief soulevé par la requérante, il convient de relever que, si la Commission a établi, au considérant 238 de la décision attaquée, que, « prises isolément, les mesures constitu[ai]ent une aide d’État (à l’exception de l’amortissement accéléré d’actifs achetés à bail) », il n’en demeure pas moins que, comme cela est relevé au point 81 ci-dessus, le RELF a été analysé conjointement avec le régime de la taxation au tonnage et que c’est l’opération du RELF dans son ensemble qui a été considérée comme étant une aide d’État illégale et partiellement incompatible avec le marché intérieur, et que cette approche a été validée par la Cour, comme il a été rappelé au point 62 ci-dessus.
84 En effet, comme la requérante l’a confirmé à l’audience, elle ne conteste pas que le RELF en tant que système n’a pas été notifié à la Commission, ni autorisé par cette institution dans une décision antérieure et que ledit régime, apprécié dans son ensemble, ne saurait, par conséquent, être qualifié d’aide existante. En outre, il est constant qu’au moins une des mesures fiscales composant le RELF, notamment l’amortissement anticipé, prise individuellement, n’a pas été notifiée à la Commission et que cette dernière ne l’a pas approuvée dans une décision antérieure.
85 Il en résulte que la Commission ne devait pas recourir à la procédure applicable aux régimes d’aides existants lorsqu’elle a examiné le RELF dans la décision attaquée.
86 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le grief relatif à la qualification des mesures composant le RELF en tant qu’aides nouvelles comme étant non fondé, sans qu’il soit nécessaire de répondre à l’argumentation de la requérante portant sur la qualification en tant qu’aide nouvelle des mesures fiscales en cause, prises individuellement.
87 Le premier moyen doit, partant, être rejeté.
Sur le deuxième moyen, en ce qu’il porte sur une erreur quant à l’identification des GIE et de leurs investisseurs en tant que bénéficiaires de l’aide en cause et d’un défaut de motivation de la décision attaquée à cet égard
88 La requérante fait valoir que les GIE et leurs investisseurs n’auraient pas dû être identifiés comme étant des bénéficiaires du RELF. Selon elle, il serait contradictoire de les désigner à la fois comme bénéficiaires du RELF et comme intermédiaires qui répercutent l’avantage vers d’autres opérateurs, à savoir les compagnies maritimes.
89 La Commission conteste les arguments de la requérante.
90 À cet égard, il suffit de relever que, aux points 137 à 140 de l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60), la Cour a définitivement jugé que les GIE et leurs investisseurs avaient été les bénéficiaires de l’aide en cause.
91 En outre, s’agissant de la motivation de la décision attaquée à cet égard, il convient de relever que la Commission a expliqué, au considérant 19 de la décision attaquée, que l’« avantage fiscal, d’environ 30 % du prix brut initial du navire […] – initialement obtenu par le GIE et ses investisseurs – rest[ait] en partie (de l’ordre de 10 % à 15 %) aux mains des investisseurs et la partie restante (85 % à 90 %) [était] transférée à la compagnie maritime, qui dev[enai]t finalement propriétaire du navire en bénéficiant d’un rabais de 20 % à 30 % sur le prix brut initial de celui-ci ».
92 S’il est vrai que la Commission a ainsi indiqué qu’une partie de l’avantage fiscal obtenu par les GIE était transférée aux compagnies maritimes par le biais d’une ristourne sur le prix et que les avantages fiscaux résultant de l’opération étaient de la sorte répartis entre les GIE ou leurs investisseurs et d’autres entreprises participant aux opérations dans le cadre du RELF, sans en tirer les conséquences de manière adéquate quant à l’inclusion de ces entreprises parmi les bénéficiaires du RELF comme cela a été constaté par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60, points 137 et 138), il n’en demeure pas moins que les requérantes sont en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles les GIE et leurs investisseurs ont été, en ce qui les concerne, considérés comme des bénéficiaires du RELF dans la décision attaquée.
93 Compte tenu des considérations qui précèdent, le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur le quatrième moyen, relatif aux clauses contractuelles protégeant les bénéficiaires contre la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible
94 Selon la requérante, la Commission n’a pas la compétence, dans les procédures de contrôle d’aides d’État, pour se prononcer, comme elle l’a fait à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, sur la légalité de clauses d’indemnisation conclues entre particuliers. Elle estime donc que la Commission a violé les articles 107 et 108 TFUE et commis un détournement de pouvoir.
95 La Commission conteste les arguments de la requérante.
96 Tout d’abord, il convient de rappeler, que, conformément à l’article 5, paragraphe 2, TUE, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, TUE et de l’article 5, paragraphe 2, TUE toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.
97 S’agissant des principes régissant les rôles de la Commission et des autorités nationales en matière d’aides d’État, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 108 TFUE et à l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, applicable ratione temporis aux faits de l’espèce, la Commission est compétente non seulement pour apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, mais aussi pour ordonner la récupération d’une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur. En particulier, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de ce règlement, la Commission peut, en cas de décision négative concernant une aide illégale, décider que l’État membre concerné « prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire ». Si l’ordre de récupération doit être exécuté par les autorités nationales, conformément aux procédures prévues par le droit national, il convient de rappeler que l’autonomie procédurale des États membres est limitée notamment par le principe d’effectivité du droit de l’Union, ainsi qu’il ressort, en substance, de l’article 14, paragraphe 3, du même règlement.
98 Ainsi, un État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288 TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision. Il doit parvenir à un recouvrement effectif des sommes dues aux fins d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale (voir arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C 529/09, EU:C:2013:31, point 91 et jurisprudence citée).
99 L’obligation pour l’État membre concerné de supprimer, par voie de récupération, une aide considérée par la Commission comme étant incompatible avec le marché intérieur vise, selon une jurisprudence constante de la Cour, au rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide. Cet objectif est atteint dès que les aides en cause, augmentées le cas échéant des intérêts de retard, ont été restituées par le bénéficiaire ou, en d’autres termes, par les entreprises qui en ont eu la jouissance effective. Par cette restitution, le bénéficiaire perd, en effet, l’avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie (voir arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission, C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60, point 130 et jurisprudence citée).
100 En outre, l’application des règles de l’Union en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et les juridictions de l’Union, dans le cadre de laquelle chacun agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité FUE. Dans le cadre de cette coopération, les juridictions nationales doivent prendre toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union et s’abstenir de celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, ainsi qu’il découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE (voir arrêt du 13 février 2014, Mediaset, C 69/13, EU:C:2014:71, point 29 et jurisprudence citée).
101 Ainsi, dans le cadre du contrôle du respect par les États membres des obligations mises à leur charge par les articles 107 et 108 du traité FUE, les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires et distincts. Tandis que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle du juge de l’Union, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde des droits des justiciables en cas de violation de l’obligation de notification préalable des aides d’État à la Commission prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (voir arrêt du 21 octobre 2003, van Calster e.a., C 261/01 et C 262/01, EU:C:2003:571, points 74 et 75 et jurisprudence citée).
102 C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner le quatrième moyen.
103 À titre liminaire, il convient de relever que la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, selon laquelle le Royaume d’Espagne doit récupérer l’aide auprès des bénéficiaires « sans que [ceux-ci] puissent transférer la charge de la récupération à d’autres personnes », est rédigée en termes larges et ne se limite pas expressément, dans son libellé, aux clauses d’indemnisation analysées par la Commission aux considérants 270 à 276 de ladite décision.
104 Toutefois, selon une jurisprudence constante, le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation, de sorte qu’il doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (voir arrêts du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C 496/18 et C 497/18, EU:C:2020:240, point 69 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289, point 1258 et jurisprudence citée).
105 En outre, selon un principe général d’interprétation, un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire (voir arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh, C 12/11, EU:C:2013:43, point 44 et jurisprudence citée).
106 Il s’ensuit que, en l’espèce, il convient de lire l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée à la lumière des considérants 270 à 276 de cette décision.
107 À cet égard, il est vrai que, au considérant 270 de la décision attaquée, la Commission fait référence, de façon générale, à « l’existence de certaines clauses dans des contrats conclus entre les investisseurs, les compagnies maritimes et les chantiers navals », selon lesquelles « les chantiers navals seraient dans l’obligation d’indemniser les autres parties si elles ne peuvent pas obtenir les avantages fiscaux prévus ». Or, il convient de relever que, dans ladite décision, la Commission n’a pas concrètement identifié ces clauses et n’a pas cité leur libellé. En outre, comme elle l’a, en substance, admis lors de l’audience, il convient de relever que lesdites clauses ne visent pas spécifiquement l’hypothèse de la récupération d’une aide d’État illégale ou incompatible avec le marché intérieur, mais, de façon plus générale, les conséquences de la possibilité que les autorités compétentes n’approuvent pas les avantages fiscaux découlant du RELF, ou que, à la suite de leur approbation, leur validité soit remise en cause.
108 Cependant, dans les considérants 271 et suivants de la décision attaquée, la Commission procède, de façon plus concrète, à l’identification des aspects spécifiques des clauses d’indemnisation qui s’avèrent, selon elle, problématiques dans le contexte de la récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Ainsi, aux considérants 272 à 274 de ladite décision, elle précise que l’objectif de la récupération, qui vise au rétablissement de la situation antérieure, et notamment à l’élimination de la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur, serait irrémédiablement compromis si les acteurs du secteur privé pouvaient, grâce à des clauses contractuelles, altérer les effets des décisions de récupération arrêtées par la Commission. Elle considère, au considérant 275 de cette décision, que les clauses contractuelles qui protègent les bénéficiaires des aides contre la récupération d’une aide illégale et incompatible par le biais du transfert à d’autres personnes des risques juridiques et économiques de la récupération sont contraires à l’essence même du système de contrôle des aides d’État, qui constitue un ensemble de règles d’ordre public.
109 Partant, et nonobstant sa formulation large, la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée doit être comprise comme ne visant que les clauses d’indemnisation dans la mesure où elles peuvent être interprétées comme protégeant les bénéficiaires d’une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur contre la récupération de celle-ci.
110 Ensuite, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée n’implique pas que la Commission ait prononcé l’illégalité des clauses d’indemnisation, une telle compétence revenant, le cas échéant, aux juridictions nationales.
111 En effet, la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée doit être comprise comme ne visant qu’à clarifier la portée de l’obligation de récupération incombant, conformément à la jurisprudence précitée aux points 98 et 99 ci-dessus, au Royaume d’Espagne.
112 En particulier, les clauses d’indemnisation, dans la mesure où elles peuvent être interprétées dans le sens indiqué au point 109 ci-dessus, pourraient faire obstacle à ce que l’État membre en cause se conforme à son obligation de récupération des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur auprès des bénéficiaires qui en ont eu la jouissance effective. En effet, du fait de ces clauses, ces derniers éviteraient la charge de la récupération, ce qui ne permettrait pas le rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide. Ainsi que le fait valoir, à juste titre, la Commission, une telle situation serait susceptible de compromettre l’effet utile du système de contrôle des aides d’État instauré par le traité. Il incombe donc au Royaume d’Espagne, y compris aux juridictions nationales, de faire en sorte que l’obligation de récupération de l’aide auprès des bénéficiaires ou, en d’autres termes, des entreprises qui en ont eu la jouissance effective, conformément à la jurisprudence citée au point 99 ci-dessus, soit pleinement respectée.
113 Ainsi, la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée n’implique pas que la Commission ait outrepassé la compétence dont elle est investie au titre de l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. En effet, s’il est vrai que la récupération s’effectue conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du même règlement, il n’en reste pas moins que cette dernière disposition exige que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Partant, rien ne s’oppose à ce que la Commission précise, dans ladite décision, que le Royaume d’Espagne doit faire en sorte que les bénéficiaires remboursent les montants des aides dont ils ont eu la jouissance effective, sans pouvoir transférer la charge de la récupération de ces montants à une autre partie au contrat.
114 En l’espèce, cette conclusion est d’autant plus justifiée que, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience, les clauses d’indemnisation étaient prévues dans des contrats-cadres conclus entre les divers participants du RELF. Or, ces contrats-cadres faisaient partie de l’ensemble des contrats juridiquement contraignants qui, ainsi que la Cour l’a souligné dans son arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60, point 138), étaient soumis à l’administration fiscale et dont celle-ci tenait compte pour autoriser l’amortissement anticipé. Au point 137 de cet arrêt, la Cour a confirmé qu’il convenait d’apprécier le RELF dans son ensemble comprenant non seulement la législation fiscale espagnole pertinente, mais également les autorisations accordées par l’administration fiscale espagnole et, ainsi, lesdits contrats juridiquement contraignants.
115 Dans de telles circonstances, dès lors que, en appréciant la compatibilité du RELF avec les règles d’aide d’État, l’attention de la Commission a été attirée sur l’existence des clauses d’indemnisation prévues dans les contrats qui étaient soumis à l’administration fiscale et dont celle-ci tenait compte pour autoriser l’amortissement anticipé, elle n’a pas outrepassé ses compétences en rappelant, en substance, que le Royaume d’Espagne devait récupérer l’aide auprès des bénéficiaires de celle-ci, sans que ces derniers puissent, sur le fondement des clauses d’indemnisation, transférer la charge de la récupération à une autre partie au contrat, conformément à la jurisprudence citée au point 99 ci dessus.
116 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les arguments de la requérante selon lesquels la Commission a outrepassé ses compétences en apportant la précision à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée doivent être écartés.
117 De même, il convient d’écarter l’existence d’un détournement de pouvoir.
118 Selon la jurisprudence de la Cour, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C 132/19 P, EU:C:2020:1007, point 31 et jurisprudence citée).
119 Or, force est de constater que la requérante n’a pas fourni de tels indices, en l’espèce.
120 En particulier, rien dans le dossier ne permet d’affirmer que, lorsqu’elle a adopté la décision attaquée, la Commission a tenté d’atteindre des fins autres que celles de garantir le respect des règles de l’Union relatives au contrôle des aides d’État, ou qu’elle a tenté d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité.
121 En effet, comme cela a été relevé aux points 110 à 115 ci-dessus, d’une part, par la précision apportée à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, la Commission ne s’est pas prononcée sur la légalité des clauses d’indemnisation, en consacrant leur illégalité et, d’autre part, cette précision apportée dans cette disposition ne visait qu’à clarifier la portée de l’obligation de récupération des aides illégales incombant, conformément à la jurisprudence citée aux points 98 et 99 ci-dessus, au Royaume d’Espagne.
122 Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
123 Il convient de conclure que le recours a partiellement perdu son objet et qu’il doit être considéré comme étant, pour le surplus, non fondé, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la qualité pour agir de la requérante, qui a été contestée par la Commission.
Sur les dépens
124 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
125 Par ailleurs, aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.
126 En l’espèce, il a été constaté qu’une partie du litige avait perdu son objet. Or, la disparition partielle de l’objet du litige est la conséquence d’une erreur de droit commise par la Commission qui a également été soulevée par la requérante dans le cadre du présent recours, laquelle a entraîné l’annulation partielle de la décision attaquée prononcée par la Cour dans l’arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C 649/20 P, C 658/20 P et C 662/20 P, EU:C:2023:60).
127 En revanche, la requérante a succombé pour ce qui concerne la partie du litige pour laquelle il y a toujours lieu de statuer.
128 Dans ces circonstances, le Tribunal décide de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Il n’y a plus lieu de statuer sur le recours dans la mesure où il est dirigé contre l’article 1er de la décision 2014/200/UE de la Commission, du 17 juillet 2013, concernant l’aide d’État SA.21233 C/11 (ex NN/11, ex CP 137/06) mise à exécution par l’Espagne – Régime fiscal applicable à certains accords de location-financement, également appelé « régime espagnol de leasing fiscal », en ce qu’il désigne les groupements d’intérêt économique et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée dans cette décision, et l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision, en ce qu’il enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide visée dans cette décision auprès des investisseurs des groupements d’intérêt économique qui en ont bénéficié.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supportera ses propres dépens.