CJUE, 4e ch., 16 mai 2024, n° C-222/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
« Toplofikatsia Sofia » EAD
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Lycourgos
Juges :
Mme Spineanu-Matei (rapporteure), M. Bonichot, M. Rodin, Mme Rossi
Avocat général :
M. Richard de la Tour
LA COUR (quatrième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, premier alinéa, et de l’article 21 TFUE, de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 62, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), ainsi que de l’article 7 et de l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2020, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes) (JO 2020, L 405, p. 40).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure de délivrance d’une injonction de payer, engagée par « Toplofikatsia Sofia » EAD, un fournisseur d’énergie thermique, contre V.Z.A., un client débiteur, pour une somme d’argent d’un montant représentant la valeur du chauffage fourni pour l’appartement de celui-ci, situé à Sofia (Bulgarie).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 1215/2012
3 Les considérants 13 et 15 du règlement no 1215/2012 énoncent :
« (13) Il doit y avoir un lien entre les procédures relevant du présent règlement et le territoire des États membres. Des règles communes en matière de compétence devraient donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un État membre.
[...]
(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence. »
4 Aux termes de l’article 4 de ce règlement :
« 1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.
2. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre. »
5 L’article 5, paragraphe 1, dudit règlement dispose :
« Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre. »
6 L’article 7, point 1, du même règlement prévoit :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ».
7 Conformément à l’article 62 du règlement no 1215/2012 :
« 1. Pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de l’État membre dont les juridictions sont saisies, le juge applique sa loi interne.
2. Lorsqu’une partie n’a pas de domicile dans l’État membre dont les juridictions sont saisies, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre. »
Le règlement 2020/1784
8 L’article 1er du règlement 2020/1784, intitulé « Champ d’application », dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique à la signification et à la notification transfrontières des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. [...]
2. À l’exception de l’article 7, le présent règlement ne s’applique pas lorsque l’adresse du destinataire d’un acte à signifier ou à notifier n’est pas connue.
[...] »
9 Conformément à l’article 7 de ce règlement, intitulé « Assistance à la recherche d’adresses » :
« 1. Lorsque l’adresse de la personne à laquelle l’acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être signifié ou notifié dans un autre État membre n’est pas connue, ledit État membre fournit une assistance pour trouver cette adresse selon au moins l’une des manières suivantes :
a) en prévoyant des autorités désignées auxquelles les entités d’origine peuvent soumettre les demandes concernant la détermination de l’adresse du destinataire de l’acte à signifier ou à notifier ;
b) en autorisant des personnes d’autres États membres à soumettre directement, y compris par voie électronique, dans des registres de la population ou d’autres bases de données accessibles au public, des demandes d’informations concernant les adresses de destinataires de l’acte à signifier ou à notifier, au moyen d’un formulaire type disponible sur le portail européen e-justice ; ou
c) en fournissant des informations détaillées, par l’intermédiaire du portail européen e-justice, sur la manière de trouver l’adresse de destinataires de l’acte à signifier ou à notifier.
2. Chaque État membre fournit à la Commission [européenne] les informations ci-après en vue de les mettre à disposition sur le portail européen e-justice :
a) les modes d’assistance que l’État membre fournira sur son territoire conformément au paragraphe 1 ;
b) s’il y a lieu, les noms et coordonnées des autorités visées au paragraphe 1, points a) et b) ;
c) l’indication, le cas échéant, selon laquelle les autorités de l’État membre requis soumettent, de leur propre initiative, dans les registres du domicile ou d’autres bases de données, des demandes d’informations concernant les adresses dans les cas où l’adresse indiquée dans la demande de signification ou de notification n’est pas correcte.
Les États membres notifient à la Commission tout changement ultérieur apporté aux informations visées au premier alinéa. »
10 L’article 22 dudit règlement, intitulé « Défendeur non comparant », prévoit :
« 1. Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification dans le cadre du présent règlement, et que le défendeur ne comparaît pas, le juge est tenu de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que, soit la signification ou la notification de l’acte, soit la remise de l’acte a eu lieu dans un délai suffisant pour permettre au défendeur de se défendre et que :
a) l’acte a été signifié ou notifié selon un mode prescrit par le droit de l’État membre requis pour la signification ou la notification d’actes dans le cadre d’actions nationales à des personnes se trouvant sur son territoire ; ou
b) l’acte a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le présent règlement.
2. Chaque État membre peut informer la Commission du fait qu’une juridiction, nonobstant le paragraphe 1, peut statuer même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise de l’acte introductif d’instance ou d’un acte équivalent, n’a été reçue, pour autant que l’ensemble des conditions ci-après soient remplies :
a) l’acte a été transmis selon l’un des modes prévus par le présent règlement ;
b) un délai, que le juge estimera être approprié dans chaque cas particulier et qui ne peut être inférieur à six mois, s’est écoulé depuis la date de transmission de l’acte ;
c) aucune attestation n’a pu être obtenue, malgré tous les efforts raisonnables déployés auprès des autorités ou organismes compétents de l’État membre requis.
Ces informations sont mises à disposition sur le portail européen e justice.
3. Nonobstant les paragraphes 1 et 2, en cas d’urgence justifiée, le juge peut ordonner toute mesure provisoire ou conservatoire.
4. Lorsqu’un acte introductif d’instance ou un acte équivalent a dû être transmis à un autre État membre aux fins de signification ou de notification conformément au présent règlement, et qu’une décision a été rendue contre un défendeur qui n’a pas comparu, le juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l’expiration des délais de recours, lorsque les deux conditions ci-après sont remplies :
a) le défendeur, sans qu’il y ait eu faute de sa part, n’a pas eu connaissance dudit acte en temps utile pour se défendre, ou n’a pas eu connaissance de la décision en temps utile pour exercer un recours ; et
b) les moyens du défendeur n’apparaissent pas prima facie dénués de tout fondement.
La demande tendant au relevé de la forclusion ne peut être formée que dans un délai raisonnable après que le défendeur a eu connaissance de la décision.
Chaque État membre peut communiquer à la Commission le fait qu’une demande tendant au relevé de la forclusion sera irrecevable si elle est formée après l’expiration d’un délai que l’État membre indiquera dans sa communication. Ce délai ne peut en aucun cas être inférieur à un an suivant la date de la décision. Ces informations sont mises à disposition sur le portail européen e-justice.
5. Le paragraphe 4 ne s’applique pas aux décisions concernant l’état ou la capacité des personnes. »
Le droit bulgare
Le ZGR
11 Le Zakon za grazhdanskata registratsia (loi relative au registre de l’état civil, DV no 67, du 27 juillet 1999), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZGR »), dispose, à son article 90, paragraphe 1 :
« Toute personne soumise à l’enregistrement civil en vertu de la présente loi est tenue de déclarer par écrit son adresse permanente et actuelle [...] »
12 L’article 93 du ZGR prévoit :
« 1. Par “adresse permanente”, on entend l’adresse dans la localité que la personne choisit pour être inscrite au registre de la population.
2. L’adresse permanente est toujours sur le territoire de la République de Bulgarie.
3. Nul ne peut avoir plus d’une adresse permanente.
4. Les ressortissants bulgares vivant à l’étranger, qui ne sont pas inscrits au registre de la population et ne peuvent indiquer d’adresse permanente en Bulgarie, sont inscrits d’office au registre de la population de l’arrondissement “Sredets” de la ville de Sofia.
5. L’adresse permanente des ressortissants est une adresse de correspondance avec les autorités de l’État et les collectivités locales.
6. L’adresse permanente des ressortissants est utilisée pour exercer ou utiliser des droits ou des services dans les cas déterminés par la loi ou par tout autre acte normatif.
7. L’adresse permanente peut être la même que l’adresse actuelle. »
13 Conformément à l’article 94 du ZGR :
« 1. L’adresse actuelle est l’adresse à laquelle la personne réside.
2. Nul ne possède plus d’une adresse actuelle.
3. L’adresse actuelle des ressortissants bulgares dont le lieu de domicile est à l’étranger ne figure au registre de la population qu’avec le nom de l’État dans lequel ils résident. »
14 Aux termes de l’article 96, paragraphe 1, du ZGR :
« L’adresse actuelle est déclarée par une déclaration d’adresse effectuée par la personne auprès des autorités visées à l’article 92, paragraphe 1. Un ressortissant bulgare qui réside à l’étranger déclare son adresse actuelle, à savoir l’État dans lequel il réside, auprès des autorités visées à l’article 92, paragraphe 1, de son adresse permanente. »
Le KMChP
15 Le Kodeks na mezhdunarodnoto chastno pravo (code de droit international privé, DV n° 42, du 17 mai 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci après le « KMChP »), dispose, à son article 4 :
« (1) La compétence internationale des tribunaux et d’autres organes bulgares existe lorsque :
1. le défendeur a sa résidence habituelle, son siège statutaire conformément à ses statuts ou le lieu de sa gestion effective en Bulgarie ;
[...] »
16 Conformément à l’article 48, paragraphe 7, du KMChP :
« Au sens du présent code, on entend par “résidence habituelle” d’une personne physique, le lieu de vie principal de cette dernière sans que ce lieu soit nécessairement lié à un enregistrement ou à un permis de séjour ou d’établissement. Pour déterminer ledit lieu, il convient de tenir compte en particulier des circonstances de nature personnelle ou professionnelle de cette personne résultant de ses liens durables avec le même lieu ou de son intention de constituer de tels liens. »
Le GPK
17 Le Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile, DV no 59, du 20 juillet 2007), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « GPK »), prévoit, à son article 38, intitulé « Adresse de signification » :
« La signification est effectuée à l’adresse indiquée au dossier de l’affaire. Lorsque le destinataire n’est pas trouvé à l’adresse indiquée, la signification est effectuée à son adresse actuelle et, en l’absence de celle-ci, à son adresse permanente. »
18 L’article 40 du GPK, intitulé « Destinataire d’actes judiciaires », dispose :
« (1) La partie qui séjourne ou se déplace pendant plus d’un mois à l’étranger est tenue d’indiquer une personne auprès du siège de la juridiction aux fins de signification, à savoir un destinataire d’actes judiciaires, si elle n’a pas de représentant dans la procédure en Bulgarie. La même obligation pèse sur le représentant légal, le curateur et le mandataire.
(2) Lorsque les personnes visées au paragraphe 1 n’indiquent pas un tel destinataire, tous les actes sont versés au dossier et sont considérés comme ayant été signifiés. La juridiction informe ces personnes de ces conséquences lors de la signification du premier acte. »
19 L’article 41 du GPK, intitulé « Obligation d’information », prévoit :
« (1) La partie qui s’absente plus d’un mois de l’adresse qu’elle a communiquée dans l’affaire ou à laquelle une notification lui a été signifiée, est tenue d’informer la juridiction de sa nouvelle adresse. La même obligation pèse sur le représentant légal, le curateur et le mandataire.
(2) En cas de non-respect de l’obligation visée au paragraphe 1, toutes les notifications sont versées au dossier de l’affaire et sont considérées comme ayant été signifiées. La juridiction informe la partie de ces conséquences lors de la signification de la première notification. »
20 Aux termes de l’article 53 du GPK, intitulé « Signification aux étrangers résidant dans le pays » :
« La signification aux étrangers résidant dans le pays est effectuée à l’adresse indiquée aux services administratifs compétents. »
21 L’article 410 du GPK, intitulé « Demande de délivrance d’une injonction de faire », dispose :
« (1) Le demandeur peut demander une injonction :
1. portant sur une créance pécuniaire ou sur des biens fongibles, lorsque la demande relève de la compétence d’un Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) ;
[...] »
22 Conformément à l’article 411 du GPK, intitulé « Délivrance d’une injonction de faire » :
« (1) La demande est introduite devant le Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) du ressort de l’adresse permanente ou du siège social du débiteur ; cette juridiction procède d’office, dans un délai de trois jours, au contrôle de sa compétence territoriale. Une demande contre un consommateur doit être introduite devant la juridiction du ressort dans lequel se situe son adresse actuelle et, en l’absence d’une adresse actuelle, son adresse permanente. Si la juridiction estime que l’affaire ne relève pas de sa compétence, elle la transmet immédiatement à la juridiction compétente.
(2) La juridiction examine la demande lors d’une audience concernant des aspects de procédure et rend une injonction de faire dans le délai prévu au paragraphe 1, sauf dans les cas où :
[...]
4. le débiteur n’a pas d’adresse permanente ni de siège social sur le territoire de la République de Bulgarie ;
5. le débiteur n’a pas sa résidence habituelle ou son lieu d’activité sur le territoire de la République de Bulgarie.
(3) Si elle fait droit à la demande, la juridiction rend une injonction de faire dont une copie est signifiée au débiteur. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
23 Toplofikatsia Sofia est une société de droit bulgare de distribution d’énergie thermique. Le 6 mars 2023, elle a saisi le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, d’une demande d’injonction de payer contre V.Z.A., un ressortissant bulgare.
24 Cette société réclame à l’intéressé le paiement d’une somme d’argent d’un montant de 700,61 leva bulgares (BGN) (environ 358 euros), au motif que celui-ci, propriétaire d’un appartement situé à Sofia dans un immeuble en copropriété, n’a pas acquitté la facture correspondant à sa consommation d’énergie thermique pendant la période allant du 15 septembre 2020 au 22 février 2023 pour cet appartement.
25 La juridiction de renvoi précise que V.Z.A. n’est pas encore partie à la procédure au principal et qu’il le sera seulement après que l’injonction de payer demandée aura été délivrée, à condition que cette juridiction soit compétente pour connaître de cette demande.
26 Ladite juridiction relève qu’il résulte des recherches effectuées d’office au cours de la procédure au principal, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du droit bulgare, que V.Z.A. est enregistré, depuis l’année 2000, au registre national de la population comme ayant son adresse permanente à Sofia. Toutefois, le 6 mars 2010, V.Z.A. a déclaré son adresse actuelle dans un État membre autre que la République de Bulgarie. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que le droit bulgare ne permet pas de déclarer une adresse actuelle complète à l’étranger.
27 La juridiction de renvoi fait état également d’une décision interprétative, à valeur contraignante, rendue par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie) le 18 juin 2014 (ci-après la « décision du 18 juin 2014 »), portant sur les cas de refus de délivrance d’une injonction, prévus à l’article 411, paragraphe 2, points 4 et 5, du GPK.
28 Selon la décision du 18 juin 2014, en ce qui concerne une demande de délivrance d’une injonction en application de l’article 411 du GPK, l’existence d’une adresse permanente ou d’une résidence habituelle sur le territoire de la République de Bulgarie doit être vérifiée à la date de la signification de l’injonction une fois émise, nonobstant le fait que, conformément aux points 4 et 5 du paragraphe 2 de cet article, en l’absence d’adresse permanente ou de résidence habituelle sur ce territoire, la délivrance d’une telle injonction devrait être refusée.
29 Conformément à la décision du 18 juin 2014, lorsqu’il est constaté qu’une injonction a été délivrée par une juridiction contre un débiteur qui n’a pas d’adresse permanente sur le territoire de la République de Bulgarie, cette injonction est invalidée d’office par cette juridiction. En revanche, lorsqu’il est constaté que ce débiteur n’a pas de résidence habituelle sur le territoire de la République de Bulgarie, l’injonction émise ne peut être invalidée par la juridiction qui l’a délivrée. Dans ce dernier cas de figure, lors de la signification de cette injonction, cette juridiction doit vérifier si ledit débiteur a une adresse permanente en Bulgarie et, si tel est le cas, ladite injonction est considérée comme étant régulièrement signifiée soit par la communication à une personne du foyer du même débiteur, soit par l’affichage d’un avis. Par conséquent, il n’est possible d’invoquer l’application de l’article 411, paragraphe 2, point 5, du GPK que par voie d’opposition en appel.
30 La juridiction de renvoi indique que la décision du 18 juin 2014 est intervenue avant que l’article 411, paragraphe 1, du GPK ne soit modifié en ce sens que la juridiction saisie a désormais l’obligation de vérifier d’office sa compétence territoriale en fonction, notamment, de l’adresse permanente du débiteur.
31 Selon cette juridiction, il résulte de l’article 411 du GPK, tel qu’interprété par le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation), qu’une injonction de payer sera toujours délivrée contre un débiteur, ressortissant bulgare, dont l’adresse permanente demeure enregistrée en Bulgarie, même si ce débiteur dispose d’une adresse à l’étranger également mentionnée au registre de la population. Or, une telle interprétation pourrait nuire à la règle posée à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, selon laquelle un débiteur domicilié dans un État membre ne peut, en principe, être attrait que devant les juridictions de cet État membre.
32 La juridiction de renvoi relève également que, conformément à l’article 93 du ZGR, l’adresse permanente des ressortissants bulgares demeure sur le territoire bulgare et ne peut être modifiée en cas de déménagement vers un autre État membre. Cela constituerait une entrave à l’exercice du droit à la libre circulation et au choix du lieu de résidence des ressortissants bulgares, garanti à l’article 21 TFUE.
33 De surcroît, les ressortissants bulgares ayant exercé leur droit à la libre circulation se trouveraient potentiellement dans une situation de discrimination à rebours, fondée sur la nationalité, en violation de l’article 18 TFUE. En effet, conformément à l’article 53 du GPK, les ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne qui résident de manière permanente en Bulgarie reçoivent les significations à l’adresse déclarée aux services de l’immigration. Lorsqu’ils cessent de résider sur le territoire bulgare, les juridictions bulgares ne sont plus compétentes à leur égard, en application du critère de compétence lié au domicile. En revanche, les ressortissants bulgares ne peuvent annuler l’enregistrement de leur adresse permanente et restent toujours tenus d’avoir un destinataire prêt à recevoir des significations ou des notifications en leur nom en Bulgarie.
34 Par ailleurs, selon la juridiction de renvoi, il résulte de l’article 94, paragraphe 3, du ZGR, lu en combinaison avec l’article 93, paragraphe 2, de celui-ci, qu’un ressortissant bulgare ne peut enregistrer une adresse exacte en dehors de la Bulgarie, la seule mention opérée par l’administration à ce sujet étant celle de l’État vers lequel ce ressortissant a déménagé. C’est la raison pour laquelle l’article 4 du KMChP établit comme étant un critère de compétence, dans les relations de droit international privé pour lesquelles le droit de l’Union ne s’applique pas, la résidence habituelle du défendeur.
35 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande, tout d’abord, si l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 s’oppose à ce que la compétence internationale d’une juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer soit établie en tenant compte de la notion de « domicile », telle qu’elle résulte des réglementations nationales pertinentes dans l’affaire au principal. Cette juridiction précise que, même s’il ne saurait être exclu qu’elle puisse fonder sa compétence internationale sur l’article 7, point 1, sous b), deuxième tiret, du règlement no 1215/2012, le contrat duquel résulte la créance réclamée portant sur la fourniture d’énergie thermique pour un bien immobilier situé à Sofia, la question de la détermination du domicile demeure pertinente.
36 La juridiction de renvoi s’interroge, ensuite, sur la question de savoir si l’interdiction faite à une juridiction, par la décision du 18 juin 2014, de se fonder sur l’adresse actuelle du débiteur pour établir que ce dernier n’a pas sa résidence habituelle sur le territoire de la République de Bulgarie est conforme à l’article 18 TFUE, dans la mesure où cette interdiction serait constitutive d’une discrimination à rebours.
37 Dans la mesure où le droit national ne lui permettrait pas de déterminer l’adresse du débiteur en dehors de la Bulgarie, la juridiction de renvoi se demande, enfin, si elle peut se fonder à cet égard sur la possibilité, offerte à l’article 7 du règlement 2020/1784, de recourir à l’assistance de l’État membre concerné.
38 C’est dans ces conditions que le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 62, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012], lu en combinaison avec l’article 18, [premier alinéa], et l’article 21 TFUE, doit-il être interprété en ce sens qu’il ne permet pas que la notion de “domicile” d’une personne physique soit dérivée d’une disposition du droit national qui prévoit que l’adresse permanente enregistrée des ressortissants de l’État de la juridiction saisie se trouve toujours dans cet État et ne peut être transférée en un autre lieu dans l’Union européenne ?
2) L’article 5, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012], lu en combinaison avec l’article 18, [premier alinéa], et l’article 21 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il permet une législation et une jurisprudence nationales selon lesquelles une juridiction d’un État ne peut refuser de délivrer une injonction de payer contre un débiteur ressortissant de cet État, concernant lequel il existe des raisons plausibles de supposer que la juridiction nationale ne dispose pas d’une compétence internationale parce que ce débiteur a probablement son domicile dans un autre État de l’Union, ce qui est établi par sa déclaration auprès de l’autorité compétente de l’État, indiquant qu’il a une adresse enregistrée dans cet autre État membre ? Dans ce cas, la date de cette déclaration importe-t-elle ?
3) Dans le cas où la compétence internationale de la juridiction saisie est dérivée d’une disposition autre que l’article 5, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012], l’article 18, [premier alinéa], TFUE, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’il ne permet pas une législation et une jurisprudence nationales selon lesquelles, bien qu’une injonction de payer ne puisse être délivrée que contre une personne physique ayant sa résidence habituelle dans l’État de la juridiction saisie, il n’est pas possible d’établir que cette personne a sa résidence dans un autre État sur la seule base du fait que le débiteur visé par l’injonction, ressortissant de l’État de la juridiction nationale saisie, a enregistré auprès de cet État l’adresse à laquelle il réside (son adresse “actuelle”) dans un autre État de l’Union européenne, s’il est impossible pour le débiteur de déclarer qu’il a complètement déménagé dans cet autre État et qu’il n’a pas d’adresse sur le territoire de l’État de la juridiction saisie. Dans ce cas, la date de la déclaration de l’adresse actuelle importe-t-elle ?
4) Si la réponse à la première sous-question de la troisième question est qu’il est permis de délivrer une injonction de payer, l’article 4, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012], lu en combinaison avec l’interprétation de l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement [2020/1784], donnée dans l’[arrêt du 19 décembre 2012, Alder (C 325/11, EU:C:2012:824)], [ainsi qu’]avec le principe de l’application effective du droit de l’Union dans le cadre de l’application de l’autonomie procédurale nationale, permet-il à une juridiction nationale d’un État, dont les ressortissants ne peuvent pas renoncer à l’enregistrement de leur adresse sur le territoire de cet État et transférer cette adresse dans un autre État, saisie d’une demande de délivrance d’une injonction de payer dans une procédure à laquelle le débiteur ne participe pas, de demander aux autorités de l’État de l’adresse enregistrée du débiteur, conformément à l’article 7 du règlement [2020/1784], des informations sur l’adresse de ce débiteur dans ce dernier État et la date de l’enregistrement, afin de déterminer la résidence habituelle effective de celui-ci avant de rendre la décision finale dans l’affaire ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
39 Il est de jurisprudence constante que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C 181/21 et C 269/21, EU:C:2024:1, point 62 ainsi que jurisprudence citée].
40 Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C 181/21 et C 269/21, EU:C:2024:1, point 63 ainsi que jurisprudence citée].
41 La Cour a ainsi rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C 181/21 et C 269/21, EU:C:2024:1, point 64 ainsi que jurisprudence citée].
42 En l’occurrence, la juridiction de renvoi est tenue de vérifier d’office sa compétence pour délivrer une injonction de payer, conformément à l’article 411, paragraphe 1, du GPK. À cette fin, cette juridiction a saisi la Cour de quatre questions préjudicielles qui portent sur l’interprétation des règlements no 1215/2012 et 2020/1784 ainsi que sur l’interprétation de l’article 18, premier alinéa, TFUE, de l’article 21 TFUE et de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.
43 En ce qui concerne, en premier lieu, l’interprétation sollicitée de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, il ne ressort nullement de la demande de décision préjudicielle que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi devrait prendre [voir, en ce sens, arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C 181/21 et C 269/21, EU:C:2024:1, point 65 ainsi que jurisprudence citée]. En effet, la juridiction de renvoi n’indique pas le lien qu’elle établit entre cette disposition et le litige en cause au principal, ni les raisons pour lesquelles, selon elle, une interprétation de ladite disposition serait nécessaire aux fins de la solution de ce litige.
44 S’agissant, en second lieu, de l’interprétation demandée de l’article 22 du règlement 2020/1784, il y a lieu d’observer que cet article régit, ainsi qu’il ressort de son intitulé, les obligations du juge national en cas d’absence de comparution du défendeur. Ledit article s’applique lorsque l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent a été déjà transmis dans un autre État membre aux fins de signification ou de notification et vise une procédure contradictoire, ultérieure à celle concernée par l’affaire au principal dans laquelle le débiteur ne s’est pas encore constitué partie. L’article 22 du règlement 2020/1784 part ainsi d’une prémisse qui n’est qu’hypothétique en l’occurrence, à savoir l’absence de comparution du défendeur.
45 Il s’ensuit que, dans la mesure où la demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte et de l’article 22, paragraphes 1 et 2, du règlement 2020/1784, elle n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal et, partant, elle est irrecevable.
Sur les questions préjudicielles
Sur les première à troisième questions
Observations liminaires
46 S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation des dispositions pertinentes du règlement no 1215/2012, à titre liminaire, se pose la question de savoir si le litige au principal relève de ce règlement, car l’application de celui-ci requiert l’existence d’un élément d’extranéité. Or, en l’occurrence, même si le débiteur concerné n’est pas encore partie à la procédure au principal, il n’en reste pas moins que la demande d’injonction de payer est introduite contre ce débiteur dont la résidence se trouve dans un autre État membre, ce qui constitue un élément d’extranéité suffisant pour entraîner l’application de ce règlement.
47 S’agissant, en second lieu, de l’interprétation de l’article 18 TFUE, il y a lieu de rappeler que cet article n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles des règles spécifiques de non-discrimination n’existent pas (voir, en ce sens, arrêts du 10 février 2011, Missionswerk Werner Heukelbach, C 25/10, EU:C:2011:65, point 18, ainsi que du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 321/21 P, EU:C:2023:713, point 98 et jurisprudence citée).
48 Or, en l’occurrence, pour ce qui est de la problématique que soulèvent, en substance, les questions posées, à savoir celle de la différence des modalités de détermination du domicile selon que sont concernés des ressortissants bulgares ou des ressortissants étrangers résidant en Bulgarie, l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 établit une interdiction de discrimination, dans la mesure où cette disposition interdit toute différence de traitement en raison de la nationalité en ce qui concerne l’application des règles de compétence instaurées par ce règlement. Dès lors, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 18 TFUE de manière autonome, ni par conséquent d’en faire une interprétation distincte.
49 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), qui a lui-même remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces deux derniers instruments juridiques vaut également pour l’interprétation du règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » à celles de ce dernier règlement (arrêt du 9 juillet 2020, Verein für Konsumenteninformation, C 343/19, EU:C:2020:534, point 22 et jurisprudence citée).
Sur la première question
50 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ressortissants d’un État membre qui résident dans un autre État membre sont réputés être domiciliés à une adresse qui demeure toujours enregistrée dans le premier État membre.
51 À cet égard, il convient d’observer d’emblée que la notion de « domicile » est essentielle dans l’économie du règlement no 1215/2012, car elle constitue le critère général de rattachement permettant d’établir la compétence internationale conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, qui fait référence au domicile du défendeur quelle que soit la nationalité de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C 9/12, EU:C:2013:860, points 22 et 23).
52 Ainsi qu’il ressort du rapport de M. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1), dont les commentaires sur la justification du choix du critère du domicile valent également pour l’interprétation du règlement no 1215/2012, le choix du législateur de l’Union de privilégier ce critère par rapport à celui de la nationalité a été dicté par la nécessité de faciliter l’application uniforme des règles de compétence afin d’éviter des règles de compétence distinctes, selon que les litiges opposent des ressortissants d’un État contractant ou un ressortissant d’un État contractant et un ressortissant étranger, ou deux ressortissants étrangers.
53 À l’instar de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et du règlement no 44/2001, le règlement no 1215/2012 ne donne pas une définition à la notion de « domicile ». Ainsi, l’article 62, paragraphe 1, de ce dernier règlement renvoie à la loi interne de l’État membre dont les juridictions ont été saisies pour déterminer si une partie a un domicile sur le territoire de cet État membre. Aux termes de l’article 62, paragraphe 2, dudit dernier règlement, lorsqu’une partie n’a pas de domicile dans l’État membre dont les juridictions ont été saisies, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, le juge applique la loi de cet État membre.
54 Les États membres sont dès lors, en principe, compétents pour déterminer le domicile d’une personne physique selon leur propre droit.
55 Cependant, il est de jurisprudence constante que l’application des règles nationales ne doit pas porter atteinte à l’effet utile d’un acte de l’Union. En effet, ainsi que la Cour l’a, en substance, jugé en ce qui concerne le règlement no 44/2001, jurisprudence transposable à l’interprétation du règlement no 1215/2012, l’application des règles de procédure d’un État membre ne peut porter atteinte à l’effet utile du système prévu par ce dernier règlement en faisant échec aux principes posés par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2009, Apostolides, C 420/07, EU:C:2009:271, point 69 et jurisprudence citée).
56 Or, ainsi qu’il ressort du point 51 du présent arrêt, le système instauré par le règlement no 1215/2012 repose sur le choix du législateur de l’Union de fonder les règles uniformes de compétence sur le critère du domicile et non sur celui de la nationalité du défendeur. Par conséquent, ainsi que la Commission le fait également valoir dans ses observations écrites, un État membre ne saurait modifier ce choix fondamental en appliquant des règles nationales selon lesquelles ses ressortissants sont obligatoirement domiciliés sur son territoire.
57 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le droit bulgare opère une distinction, en ce qui concerne ses ressortissants, entre l’adresse permanente et l’adresse actuelle de ceux-ci.
58 Tout ressortissant bulgare dispose d’une seule adresse permanente sur le territoire de la République de Bulgarie qui correspond à l’adresse inscrite au registre de la population et qui demeure toujours sur ce territoire. Les ressortissants bulgares qui résident à l’étranger et qui ne peuvent justifier d’une adresse permanente en Bulgarie sont inscrits d’office au registre de la population de l’arrondissement Sredets de la ville de Sofia. En revanche, l’adresse actuelle correspond à l’adresse à laquelle la personne concernée réside. Pour les ressortissants bulgares établis à l’étranger, cette adresse se résume à la mention, au registre de la population, du nom de l’État dans lequel ils vivent sans qu’il y ait, selon la juridiction de renvoi, aucun moyen pour de tels ressortissants d’enregistrer une adresse exacte située en dehors de la Bulgarie. Ainsi que cette juridiction le précise, les ressortissants bulgares sont, dès lors, obligés de disposer d’une adresse permanente en Bulgarie, indépendamment du lieu où ces ressortissants résident effectivement.
59 Sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, la législation bulgare, telle que décrite par cette juridiction, assimile le domicile des ressortissants bulgares à leur adresse permanente qui se trouve toujours en Bulgarie, indépendamment du fait qu’ils résident en Bulgarie ou à l’étranger, et ne permet pas à ces ressortissants d’enregistrer une adresse complète dans un autre État membre même s’ils y résident de manière permanente et sont ainsi susceptibles d’être considérés comme étant domiciliés sur le territoire de ce dernier État membre en vertu de la législation dudit dernier État membre applicable conformément à l’article 62, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012.
60 Il convient également de préciser qu’il appartiendra uniquement à la juridiction de renvoi de déterminer la portée de la notion de « domicile » dans le droit national. Toutefois, dans la mesure où une réglementation nationale rattache, de manière automatique, cette notion à une adresse pérenne, obligatoire et parfois fictive, enregistrée pour tout ressortissant de l’État membre concerné, une telle réglementation porte atteinte à l’effet utile du règlement no 1215/2012, car elle revient à remplacer le critère du domicile, sur lequel reposent les règles de compétences instaurées par ce règlement, par le critère de la nationalité.
61 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si l’article 21 TFUE s’oppose également à une réglementation nationale telle que celle décrite au point précédent.
62 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 62, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ressortissants d’un État membre qui résident dans un autre État membre sont réputés être domiciliés à une adresse qui demeure toujours enregistrée dans le premier État membre.
Sur les deuxième et troisième questions
63 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 30 janvier 2024, Direktor na Glavna direktsia « Natsionalna politsia » pri MVR – Sofia, C 118/22, EU:C:2024:97, point 31 et jurisprudence citée).
64 En l’occurrence, les deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, ont pour origine le fait que, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi affirme être tenue, conformément à l’article 411 du GPK, tel qu’interprété dans la décision du 18 juin 2014, de délivrer une injonction de payer contre un débiteur, ressortissant bulgare, dont l’adresse permanente est située en Bulgarie, alors même qu’il existe des raisons plausibles de croire que ce débiteur était domicilié, à la date de l’introduction de cette demande d’injonction de payer, sur le territoire d’un autre État membre et que, par conséquent, cette juridiction ne serait pas internationalement compétente pour connaître d’une telle demande, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.
65 Selon la juridiction de renvoi il ne saurait être exclu qu’elle puisse fonder sa compétence sur une autre disposition, à savoir l’article 7, point 1, sous b), deuxième tiret, de ce règlement, figurant à la section 2 du chapitre II de celui-ci. Toutefois, elle se demande si l’article 5, paragraphe 1, dudit règlement s’oppose à ce qu’elle soit obligée de délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont l’adresse actuelle se trouve dans un autre État membre. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge également sur la pertinence de la date à laquelle une adresse actuelle a été enregistrée par le débiteur concerné.
66 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, par les deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, confère à une juridiction d’un État membre la compétence pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il est domicilié sur le territoire d’un autre État membre.
67 Ainsi qu’il est rappelé au point 51 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 établit la règle générale de compétence sur laquelle repose ce règlement qui est celle du domicile du défendeur, quelle que soit la nationalité de ce dernier.
68 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre II de ce règlement. Ces sections comportent des règles de compétence spéciale, des règles de compétence en matière de contrats d’assurance, de contrats conclus par les consommateurs, de contrats individuels de travail, ainsi que des règles de compétence exclusive et des règles portant sur la prorogation de compétence.
69 Il résulte desdites sections qu’il est uniquement possible de considérer qu’une juridiction d’un État membre dispose de la compétence internationale pour connaître d’une affaire contre un défendeur qui est domicilié sur le territoire d’un autre État membre dans les situations régies par les mêmes sections.
70 En l’occurrence, la juridiction de renvoi devrait pouvoir délivrer une injonction de payer contre un débiteur, à l’égard duquel il existe des raisons plausibles de croire qu’il était domicilié, à la date de l’introduction de la demande d’injonction de payer, dans un État membre, autre que la République de Bulgarie, si elle peut fonder sa compétence pour connaître d’une telle demande sur l’une des règles de compétence énoncées aux sections 2 à 7 du règlement no 1215/2012.
71 Les circonstances à prendre en considération aux fins de la détermination de la compétence sont donc celles existantes à la date de l’introduction de la demande d’injonction de payer concernée.
72 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, confère à une juridiction d’un État membre la compétence pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il était domicilié, à la date de l’introduction de la demande d’injonction de payer, sur le territoire d’un autre État membre, dans des situations autres que celles prévues aux sections 2 à 7 du chapitre II de ce règlement.
Sur la quatrième question
73 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 du règlement 2020/1784 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction d’un État membre, compétente pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il est domicilié sur le territoire d’un autre État membre, s’adresse aux autorités compétentes et utilise les moyens mis à disposition par cet autre État membre afin d’identifier l’adresse de ce débiteur aux fins de la signification ou de la notification de cette injonction de payer.
74 À titre liminaire, il y a lieu d’observer que, si la juridiction de renvoi arrive à la conclusion qu’elle est compétente pour connaître de l’affaire au principal sur le fondement de l’une des règles de compétence énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre II du règlement no 1215/2012 et, par conséquent, qu’elle est en droit de délivrer l’injonction de payer demandée contre le débiteur concerné, même si ce dernier est domicilié sur le territoire d’un autre État membre, elle est tenue de signifier ou de notifier cette injonction de payer à ce débiteur.
75 À cet égard, conformément à la jurisprudence de la Cour, lorsque le destinataire d’un acte judiciaire réside à l’étranger, la signification ou la notification de cet acte relèvent, en principe, du champ d’application du règlement 2020/1784 et doivent être réalisées par des moyens mis en place par ce règlement, à l’exception, notamment, de la situation dans laquelle le domicile ou le lieu de séjour habituel de ce destinataire est inconnu (voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2012, Alder, C 325/11, EU:C:2012:824, points 24 et 25).
76 Dans cette dernière situation, il existe toutefois, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement qui renvoie à l’article 7 de celui-ci, une obligation d’assistance à la recherche de l’adresse du destinataire de l’acte à signifier ou à notifier.
77 En vertu de l’article 7 du règlement 2020/1784, lorsque l’adresse de la personne à laquelle l’acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être signifié ou notifié dans un autre État membre n’est pas connue, cet autre État membre fournit une assistance pour trouver cette adresse, soit en désignant des autorités auxquelles les entités d’origine peuvent soumettre des demandes à cette fin, soit en autorisant la saisie directe, dans des registres de la population ou d’autres bases de données, des demandes d’information concernant ladite adresse au moyen d’un formulaire type disponible sur le « portail européen e-justice » ou en fournissant des informations par l’intermédiaire de ce portail sur la manière de trouver la même adresse.
78 Par conséquent, une juridiction d’un État membre qui doit signifier ou notifier dans un autre État membre un acte judiciaire ou extrajudiciaire peut utiliser tous les moyens mis à disposition en vertu de l’article 7 du règlement 2020/1784 afin de déterminer l’adresse du destinataire de l’acte à signifier ou à notifier.
79 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 7 du règlement 2020/1784 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre, compétente pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il est domicilié sur le territoire d’un autre État membre, s’adresse aux autorités compétentes et utilise les moyens mis à disposition par cet autre État membre afin d’identifier l’adresse de ce débiteur aux fins de la signification ou de la notification de cette injonction de payer.
Sur les dépens
80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 62, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les ressortissants d’un État membre qui résident dans un autre État membre sont réputés être domiciliés à une adresse qui demeure toujours enregistrée dans le premier État membre.
2) L’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, confère à une juridiction d’un État membre la compétence pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il était domicilié, à la date de l’introduction de la demande d’injonction de payer, sur le territoire d’un autre État membre, dans des situations autres que celles prévues aux sections 2 à 7 du chapitre II de ce règlement.
3) L’article 7 du règlement (UE) 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2020, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes),
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre, compétente pour délivrer une injonction de payer contre un débiteur dont il existe des raisons plausibles de croire qu’il est domicilié sur le territoire d’un autre État membre, s’adresse aux autorités compétentes et utilise les moyens mis à disposition par cet autre État membre afin d’identifier l’adresse de ce débiteur aux fins de la signification ou de la notification de cette injonction de payer.