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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 14 mai 2024, n° 22/00926

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

DESPAGNET (S.A.R.L.)

Défendeur :

BG TRUCKS (S.A.R.L.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GREVIN

Conseillers :

Mme LEROY-RICHARD, Mme DUBALE

Avocats :

SCP PHILIPPE VIGNON-MARC STALIN, Me MALTERRE, Me DEHASPE, SCP ANTONINI ET ASSOCIES

TC SAINT-QUENTIN, du 28 janv. 2022

28 janvier 2022

Le 23 mai 2019 la SARL Despagnet a fait l'acquisition auprès de la SARL Bg.trucks d'un véhicule d'occasion de marque Iveco type Trakker 410 6 x 4 mis en circulation le 22 octobre 2007, comprenant un équipement d'aspiration MTS dino 3, enregistrant 113 104 kms incluant équipement et outils pneumatiques au prix de 245 000 € ht soit 294 000 € ttc, prix totalement payé avant la livraison intervenue le 13 juin 2019.

Le système d'aspiration dysfonctionnant des travaux sont réalisés en Allemagne puis une expertise amiable est réalisée au mois de décembre 2019 à la demande de la SARL Despagnet compte tenu de leur persistance.

C'est dans ce contexte que par acte d'huissier en date du 1er avril 2021 la SARL Despagnet a assigné la SARL Bg.trucks devant le tribunal de commerce de Saint-Quentin au visa de l'article 1641 du code civil aux fins d'être indemnisée du préjudice subi consécutif aux vices cachés affectant l'engin.

Par jugement du 28 janvier 2022 le tribunal de commerce de Saint-Quentin a :

- débouté la société Bg.trucks de ses demandes ;

- dit que la société Bg.trucks doit sa garantie à la société Despagnet ;

- condamné la société Bg.trucks à payer à la SARL Despagnet la somme de 9 326,50 € au titre des factures de remises en état, 734,30 € et 1 648,50 € au titre des frais de personnel et de la direction, 257,67 € au titre des frais d'huissier ;

- rejeté les demandes de la SARL Despagnet au titre des factures de location et de perte d'exploitation et dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société Bg.trucks à payer à la société Despagnet la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par déclaration en date du 1er mars 2022 la SARL Despagnet a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions remises par voie électronique le 12 octobre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la SARL Despagnet demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité les condamnations devant être mises à la charge de la société Bg.trucks au titre des frais de trajets et de personnel, rejeté la demande d'indemnisation au titre des frais de commissaire aux comptes, des factures de location et de perte d'exploitation et dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts.

Statuant à nouveau elle demande à la cour de condamner la société Bg.trucks à lui payer :

- 734,39 € pour le coût des trajets et 1 707,85 € au titre des frais de déplacement ;

- 960,40 € au titre des frais de personnel ;

- 4 000 € au titre des frais de commissaire aux comptes ;

- 79 140 € au titre des factures de location et de perte d'exploitation ;

- 10 000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel ;

Elle demande de confirmer la décision pour le surplus.

Par conclusions remises par voie électronique le 1er août 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés la société Bg.trucks demande à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel, de débouter la société Despagnet de toutes ses demandes et subsidiairement de limiter la garantie aux seuls frais de réparation et de convoyage soit la somme de 9 326,50 € ;

- de condamner la société Despagnet à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

SUR CE :

L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

En outre, il résulte des articles 1643 à 1646 du même code que le vendeur qui ne connaissait pas les vices de la chose vendue doit uniquement restituer le prix de vente, en tout ou partie selon la gravité des vices et le choix de l'acquéreur de conserver ou non la chose, et rembourser les frais occasionnés par la vente en cas de résolution, tandis que celui qui en avait connaissance, ou le vendeur professionnel qui est réputé les connaître, s'expose également au paiement de dommages et intérêts en réparation de l'entier préjudice causé à l'acquéreur.

La preuve de l'existence d'un vice caché préexistant à la vente incombe à l'acquéreur qui s'en prévaut.

En cas de vente entre professionnels de la même spécialité, l'insertion d'une clause de non-garantie des vices cachés peut valablement décharger le vendeur de la garantie légale dont il est tenu à cet égard, sauf à démontrer que l'acquéreur ne disposait pas des compétences techniques nécessaires pour déceler les vices de la chose vendue.

La société Bg.trucks soutient que la SARL Despagnet ne peut rechercher sa garantie sur le fondement de l'article 1641 du code civil dans le cadre de la vente du camion litigieux équipé d'un système d'hydro-curage au motif qu'elles sont professionnelles de la même spécialité de sorte qu'elle est bien fondée à lui opposer la clause de non garantie se trouvant dans les conditions générales de vente.

La société Despagnet s'oppose à ce moyen au motif qu'elle n'a pas la même spécialité, qu'elle réalise des travaux de terrassement et n'est pas une spécialiste de l'hydro-curage.

Le code Ape de la société Bg.trucks est le 4519 Z relatif au commerce d'autres véhicules automobiles, le commerce de gros de véhicules neufs ou usagés, camions, remorques, semi-remorques alors que la SARL Despagnet est enregistré sous le code Ape 4222 Z à savoir la construction de réseaux électriques et de télécommunications.

Si pour réaliser son activité de terrassement et de débouchage notamment de réseaux la SARL Despagnet fait usage d'engins équipés de systèmes d'hydro-curage, cette circonstance ne permet pas de considérer qu'elle est un professionnel de même spécialité que la société Bg.trucks de sorte que la société Despagnet ne disposait pas des compétences techniques lui permettant d'identifier le défaut de fonctionnement du système d'hydro-curage et qu'elle peut en cas de vice caché établi se prévaloir de l'article 1641 du code civil sans que la société Bg.trucks puisse se prévaloir de la clause de non garantie.

Il ressort de la chronologie des relations contractuelles que l'acheteur a pris possession de l'engin le 17 juin 2019 et que voulant l'utiliser le 21 juin 2019 la société Despagnet a constaté que le système d'aspiration ne fonctionnait pas, que conduit chez AST (Aquitaine service technique) cette dernière a constaté que le système d'aspiration n'était pas fonctionnel comme atteint de nombreux défauts identifiables par diagnostic.

Il est donc établi que lors de l'achat et de la prise de possession de l'engin et malgré la remise de différents documents laissant penser que l'engin avait été correctement entretenu malgré son ancienneté, la société Despagnet ne pouvait identifier visuellement le vice portant sur le dysfonctionnement du système d'hydro-curage avant de l'utiliser de sorte qu'elle est bien fondée à se prévaloir de l'article 1641 du code civil.

Une expertise amiable à laquelle les parties ont participé a été mise en oeuvre au mois de décembre 2019.

Le rapport d'expertise, même s'il n'est pas réalisé par un expert judiciaire, l'a été de façon contradictoire et peut servir d'analyse technique indispensable à la solution du litige opposant les parties.

Du rapport d'expertise contradictoire de M. [O] [E] qui n'est pas sérieusement contesté à défaut pour les parties de prétendre à une contre mesure (à l'exception de l'expert de l'assureur de Bg.trucks : Allianz) il ressort que lors de la mesure toutes les personnes présentes sont convenues que le grippage du moteur hydraulique du système d'aspiration était consécutif à un très mauvais entretien du système d'aspiration non effectué depuis 2015. L'expert dans ces circonstances a préconisé la résolution de la vente.

Dans ce contexte si la société Despagnet en achetant un véhicule d'occasion ne pouvait prétendre à un équipement d'hydro-curage comprenant un système d'aspiration neuf elle pouvait néanmoins prétendre à un système qui fonctionne et qui a été entretenu, comme le laissait présumer le document de vente mentionnant l'existence d'un carnet d'entretien, que la société Bg.trucks, professionnelle dans la vente de ces engins équipés comme tel, est donc présumée avoir eu connaissance de ce dysfonctionnement total, rendant l'engin impropre au moins à cet usage et doit donc garantie à l'acheteur comme l'ont décidé les premiers juges.

La société Despagnet conteste les sommes allouées par les premiers juges hormis le montant des réparations et les frais d'huissier exposés, considérant que son préjudice est bien supérieur pour atteindre tous postes confondus la somme de 96 126,31 €. Elle soutient que les sommes allouées au titre des frais de déplacement et de personnel mis à disposition sont insuffisants et que c'est à tort qu'elle a été déboutée de ses demandes au titre des frais de commissaire aux comptes, de location et de perte d'exploitation.

La société Bg.trucks considère qu'à supposer que sa responsabilité sur le fondement de l'article 1641 du code civil puisse être mise en oeuvre, il ne peut être mis à sa charge que le coût des réparations réalisées par la société AST à hauteur de 9 326,50 € et qu'aucun poste de préjudice postérieur au 3 décembre 2019 ne peut être mis à sa charge au motif que compte tenu des réparations réalisées à cette date, le système d'aspiration était fonctionnel au plus tard à compter du 21 janvier 2020 (date de récupération) et qu'elle n'est pas responsable de tous les postes dont la société Despagnet prétend être créancière. Elle rappelle avoir déjà pris en charge des réparations à hauteur de 6 300,66 € et qu'elle avait offert de procéder à d'autres réparations dans ses ateliers.

Le coût de réparation de la machine n'est pas contesté, le jugement est confirmé sur ce point.

Cette dernière a été immobilisée chez AST.

Il est établi que compte tenu de la distance existante entre le siège de la société Despagnet et la société AST (260 kms), chez qui l'engin a été pris en charge, immobilisé et expertisé il convient de mettre à la charge du vendeur :

- le coût de transport de la machine : 734,39 € au lieu des 734,30 € alloués

- le coût des aller retour du personnel : 1 707,85 € au lieu des 1 638,50 € alloués.

Il n'y a pas lieu d'y intégrer le coût de mobilisation du personnel salarié à hauteur de 960,40 €, dans la mesure où ce dernier est rémunéré indépendamment du fonctionnement de la machine.

Le coût supposé exposé auprès du commissaire aux comptes pour établir une attestation dans le cadre du contentieux, à hauteur de 4 000 € n'est pas établi. La consultation de facture n'est pas conditionnée à une analyse de ce professionnel. En conséquence ce poste ne peut être inclus dans le préjudice que l'appelante prétend avoir subi.

Il est établi que la SARL Despagnet a loué un véhicule comprenant la fonction hydro-curage pour faire face à l'indisponibilité de celui acheté. Cependant il ne sera retenu que les factures de location pour la période entre le 21 juin 2019 et le 20 janvier 2020, sans tenir compte de la mise à disposition d'un salarié dans la mesure où la société Despagnet dispose de salariés utilisant ce type de machine que l'engin fonctionne ou dysfonctionne.

Après retraitement des factures produites il sera alloué la somme de 20 000 €.

La société Despagnet qui a loué du matériel pour faire face aux chantiers en raison de l'immobilisation de l'engin litigieux ne peut prétendre à une perte d'exploitation en lien avec le litige.

En conséquence il convient de réformer le jugement sur les postes de préjudices comme suit :

- le coût de transport de la machine : 734,39 €

- le coût des aller retour du personnel : 1 707,85 €

- le coût de location d'une machine : 20 000 €

Les parties se sont opposées sur les montants dans de telles proportions qu'il ne peut être reproché une résistance abusive de la société Bg.trucks.

La société Bg.trucks qui succombe en majorité supporte les dépens et est condamnée à payer à la société Despagnet la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement sauf sur 3 postes de préjudice et leurs montants.

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la SARL Bg.trucks à payer à la SARL Despagnet :

- 734,39 € au titre du transport de la machine ;

- 1 707,85 € au titre du coût aller retour du personnel ;

- 20 000 € au titre du coût de location d'une machine.

Déboute la SARL Despagnet de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne la SARL Bg.trucks aux dépens d'appel et à payer à la SARL Despagnet la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.