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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 16 mai 2024, n° 22/05743

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Keystone Invest (SARL)

Défendeur :

Manufacture (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Conseillers :

Mme Gautron-audic, M. Dusausoy

Avocats :

Me Buquet-roussel, Me Jacquin, Me Lafon, Me Attias

TJ Nanterre, du 13 juin 2022, n° 21/0371…

13 juin 2022

EXPOSÉ DES FAITS

Par acte sous seing privé du 31 octobre 2007, la société Office Français Inter Entreprises (ci-après « OFIE »), aux droits de laquelle vient la société Keystone Invest (ci-après la société Keystone ou le bailleur), a donné à bail commercial (le Bail) à la société La Manufacture (la société La Manufacture ou le preneur) des locaux dans un immeuble sis [Adresse 5]) pour une durée de 9 années à compter du 1er novembre 2007, moyennant un loyer de 21.612 €.

Les locaux sont ainsi désignés au Bail:

'Désignation :

LOT N°1 et 2 :

- au rez-de-chaussée à droite en entrant dans l'immeuble : une boutique et arrière boutique représentant les lots 1 et 2 du règlement de copropriété.

Et les 105 millièmes des parties communes générales de l'immeuble.

- au sous-sol : deux caves dont l'une sous le local de la conciergerie. Il n'existe qu'un seul conduit de fumée situé à droite de l'entrée de la boutique.

- une portion de la cour de 3 mètres de long environ, depuis la fenêtre de la cuisine sur la largeur entre la conciergerie, que le preneur pourra clore s'il le juge utile.'

La destination des lieux est la suivante : 'Exploitation d'un salon de coiffure ' manucure ' soins esthétiques ' vente de produits cosmétiques à l'exclusion de tous autres.'

Aux termes d'un protocole d'accord signé le 8 février 2010, les parties sont convenues d'autoriser la société La Manufacture à effectuer des travaux à ses frais exclusifs et de fixer le loyer à la somme de 25.798,64 € rétroactivement à compter du 1er novembre 2009.

Par acte extrajudiciaire du 17 mars 2016, la société Keystone Invest a fait signifier à la société La Manufacture congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er novembre 2016 moyennant un loyer de 36.000 € HT HC.

Faisant suite à son mémoire préalable notifié par courrier recommandé dont l'accusé de réception a été signé le 19 mars 2019, la société Keystone Invest a, par acte du 19 juillet 2019, fait assigner la société La Manufacture pour :

- dire que le loyer du bail en renouvellement au 1er novembre 2016 doit être fixé à la somme annuelle en principal de 35.505 € HT HC,

- dire que les loyers arriérés produiront intérêt au taux légal à compter de chacune de leur date d'échéance et ordonner la capitalisation des intérêts,

- à titre subsidiaire pour le cas où une expertise judiciaire serait ordonnée fixer le loyer provisionnel au loyer actuel,

- condamner la société La Manufacture à lui verser la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision.

Dans son mémoire notifié à la société Keystone Invest, la société La Manufacture a demandé au juge de :

- débouter la société Keystone Invest de ses demandes,

- fixer le montant du loyer en principal à la somme de 24.199 €,

- condamner aux dépens.

Par jugement avant dire droit du 25 novembre 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Constaté le renouvellement au 1er novembre 2016 du bail entre la société Keystone Invest et la société La Manufacture portant sur les locaux à usage commercial sis [Adresse 5]),

- Avant dire droit sur le montant du loyer du bail renouvelé, ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [G] [N].

L'expert a déposé son rapport le 29 juillet 2020.

Par mémoire après expertise notifié par lettre recommandée avec AR du 11 mars 2022, la société La Manufacture a demandé de :

- Fixer le loyer du bail en renouvellement à 24.040,43 € ;

- Subsidiairement fixer le loyer à la somme de 25.038,90 € ;

- Condamner la société Keystone au paiement de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par mémoire après expertise N°4, la société Keystone a demandé de :

- Fixer le montant du loyer en renouvellement à 37.530 € HT/HC ;

- Condamner la société locataire aux rappels de loyer avec intérêts capitalisés à compter de chaque échéance ;

- Ordonner le partage des dépens par moitié.

Par jugement du 13 juin 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Fixé à 24.040,43 € par an HT/HC le montant du loyer du bail entre les parties renouvelé à compter du 1er novembre 2016, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

- Condamné la société Keystone Invest à payer à la société La Manufacture la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 14 septembre 2022, la société Keystone a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 décembre 2022, la société Keystone demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 13 juin 2022 (N° RG 21/03711) en ce qu'il a débouté la société Keystone Invest de ses demandes en ce qu'il a :

- Fixé à 24.040,43 € par an HT/HC le montant du loyer du bail entre les parties renouvelé à compter du 1er novembre 2016, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

- Condamné la société Keystone Invest à payer à la société La Manufacture la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

En statuant à nouveau,

- Dire et juger recevable et bien fondée la société Keystone de ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

- Fixer le loyer annuel, hors taxes et hors charges à compter du 1er novembre 2016 à la somme de 37.530 €, toutes les autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées et subsidiairement fixer le loyer annuel, hors taxes et hors charges à compter du 1er novembre 2016 à la somme de 28.000 € HT/HC ;

- Dire et juger que la société La Manufacture devra régler les intérêts de plein droit au taux légal en vertu de l'article 1231-6 du code civil à compter du 1er novembre 2016 ;

- Dire qu'à compter de cette même date, les intérêts porteront eux-mêmes intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- Condamner la société La Manufacture au paiement de la somme de 7.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de procédure de première instance et d'appel ;

- Condamner la société La Manufacture aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise que la société Keystone Invest a été contrainte d'exposer en première instance ;

- Ordonner l'exécution provisoire concernant le loyer provisionnel.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 mars 2023, la société La Manufacture demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- Débouter la société Keystone de ses demandes ;

Subsidiairement,

- Fixer le loyer du bail en renouvellement pour une durée de neuf années à compter du 1er novembre 2016 des lieux qu'elle occupe à la somme de 25.038,90 € par an hors taxes et hors charges en incorporant le pas de porte versé par le locataire lors du bail expiré ;

En toute hypothèse,

- Condamner la société Keystone à payer à la société La Manufacture la somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- La condamner aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Franck Lafon, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fixation du loyer

La société Keystone rappelle qu'elle sollicitait en première instance le déplafonnement du loyer au motif, d'une part, de la modification notable des facteurs locaux de commercialité en raison de l'évolution de la [Adresse 8], d'autre part, de la modification du loyer en cours de bail. Elle critique la motivation laconique des premiers juges qui ont rejeté ses demandes. Elle expose que le bailleur doit démontrer qu'il y a eu, au cours de la période échue du bail, un ou plusieurs motifs de déplafonnement pour échapper au principe du plafonnement de celui-ci.Elle fait valoir au visa de l'article L.145-33 du code de commerce, qu'en l'espèce, il existe plusieurs motifs de déplafonnement tenant d'une part à la modification des obligations respectives des parties en raison (i) de la modification des obligations des parties conséquence, d'une part, de la modification conventionnelle du loyer en cours de bail, d'autre part, de l'application de la loi Pinel en ce qu'elle a modifié la répartition des charges empêchant désormais le bailleur de refacturer au preneur les travaux dits 'article 606 du code civil' au bailleur perturbant l'économie générale du bail et (ii) de la modification notable et favorable des facteurs locaux de commercialité pour l'activité de salon de coiffure telle que prévue au bail .Elle sollicite la fixation d'une valeur locative, en renouvellement du bail au 1er novembre 2016, à la somme annuelle de 37.530 € hors taxes et hors charges, retenant une surface pondérée de 55,60 m² et un prix unitaire au mètre carré de 675 €, les autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées.

À titre subsidiaire, elle sollicite l'application du loyer proposé par l'expert soit la somme de 28.000 €.

La société La Manufacture sollicite la confirmation du jugement entrepris et s'oppose au déplafonnement sollicité par le bailleur. Au visa de l'article L.145-34 du code de commerce, elle rappelle qu'il appartient au bailleur de justifier d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité en l'espèce applicables à l'activité de salon de coiffure. Elle fait valoir l'absence de modification des facteurs locaux de commercialité s'appuyant notamment sur le rapport d'expertise judiciaire. Elle expose que le volume des nouvelles constructions a été qualifié de banal par l'expert et que la population a diminué de sorte que cela n'a entraîné aucun flux complémentaire de chalandise.Elle soutient que les quelques mouvements et remplacement d'enseignes ne sont pas considérés comme notables par l'expert. Elle rappelle que les travaux de voirie ont été entrepris postérieurement à la date de renouvellement du bail. Elle soutient que la modification conventionnelle du loyer ne peut faire échec au principe du plafonnement qu'à la condition qu'elle soit notable ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque l'augmentation convenue n'a été que de 10 % et sur une durée courte de trois ans.Elle rappelle enfin, au visa de l'article R.145-8 alinéa 2 du code de commerce, qu'une obligation découlant de la loi ne peut être invoquée comme motif de déplafonnement qu'à la double condition d'être (i) notablement génératrice de charges pour la partie qui est tenue de l'assumer et (ii) d'être intervenue depuis la dernière fixation du loyer. En l'espèce elle affirme qu'aucune de ces deux conditions n'est remplie.

Elle sollicite, à titre subsidiaire, la fixation du loyer renouvelé à 25.038,90 € par an HT HC.

* L'article L.145-33 du code de commerce dispose que :

« Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1° Les caractéristiques du local considéré ;

2° La destination des lieux ;

3° Les obligations respectives des parties ;

4° Les facteurs locaux de commercialité ;

5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments.

L'article L.145-34 du code de commerce prévoit que :

'A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L.112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.

NOTA :

Conformément au 21 II de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, les présentes dispositions sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.'.

* Sur le déplafonnement

Des textes précités, il résulte qu'il ne peut être fait droit au déplafonnement qu'à la condition que soit démontrée une modification notable de l'un et/ou l'autre des éléments suivants : les caractéristiques du local considéré ; la destination des lieux ; les obligations respectives des parties ; les facteurs locaux de commercialité.

La modification doit être intervenue au cours du bail échu.

En l'espèce, le bailleur se fonde sur les deux derniers critères pour obtenir le déplafonnement.

Il appartient à la société Keystone d'en justifier.

Sur le déplafonnement en raison de la modification des obligations des parties

L'article R. 145-8 du code de commerce prévoit :

'Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.

Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.'.

* Selon le bailleur, les obligations respectives des parties justifiant le déplafonnement résulteraient, d'une part, d'un accord passé le 8 février 2010, d'autre part, de l'application de la loi Pinel.

- Au titre du protocole du 8 février 2010

Aux termes du protocole transactionnel du 8 février 2010, le bailleur a accordé au preneur une autorisation, expirant le 31 décembre 2012, d'effectuer des travaux aux frais de ce dernier. En contrepartie de cette autorisation, les parties sont convenues de porter le loyer de 23.453,31 € HT HC, compte tenu des indexations déjà intervenues, à 25.798,64 € HT HC à compter rétroactivement du 1er novembre 2009, le bailleur consentant une franchise annuelle de loyer après indexation et révision ainsi :

- 2.345,33 € du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2010,

- 1.563,35 € du 1er novembre 2010 au 1er octobre 2011,

- 781,77 € du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2012.

Ainsi, le nouveau loyer principal (25.798,64 €) n'a été effectivement appliqué qu'à partir du 1er novembre 2012 augmenté des indexations et révisions successives.

La modification conventionnelle du loyer avec application d'une franchise, ayant pour effet de reporter au 1er novembre 2012 le loyer initialement convenu, sans renonciation aux clauses d'indexation et de révision, en vue de permettre au preneur d'effectuer des travaux, ne constitue pas une modification notable, c'est à dire suffisamment importante, susceptible d'affecter la valeur locative en ce qu'elle est limitée dans le temps, constitue une contrepartie à l'exécution de travaux ponctuels de modernisation supportés par le preneur et n'opère pas de bouleversement dans l'économie du Bail.

Au surplus, la cour relève que ce protocole est rédigé au visa des dispositions des articles 2044 et suivants du code civil ('le présent accord règle entre les parties tous différends révélés à ce jour entre elles') de sorte qu'accorder le déplafonnement dont le mécanisme ne pouvait être ignoré à la date du protocole, en conséquence de ce protocole transactionnel, serait ajouter un effet non voulu par les parties à la transaction.

- Au titre de la loi Pinel

L'article R.145-35 du code de commerce dispose que :

'Ne peuvent être imputés au locataire :

1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l'article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l'immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu'ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l'alinéa précédent ;

3° Les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l'immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou de l'immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ;

4° Les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l'immeuble faisant l'objet du bail ;

5° Dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d'autres locataires.

La répartition entre les locataires des charges, des impôts, taxes et redevances et du coût des travaux relatifs à l'ensemble immobilier peut être conventionnellement pondérée. Ces pondérations sont portées à la connaissance des locataires.

Ne sont pas comprises dans les dépenses mentionnées aux 1° et 2° celles se rapportant à des travaux d'embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l'identique.

Ces dispositions sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014.'.

* Le bailleur est ainsi désormais empêché de refacturer au preneur les travaux dits 'article 606 du code civil' conséquence de l'application du texte précité (loi Pinel).

Cette disposition s'applique à compter du 5 novembre 2014 au bail nouvellement conclu ou renouvelé.

En application de l'article R.145-8 alinéa 2 du code de commerce précité, une obligation découlant de la loi peut être invoquée comme motif de déplafonnement à la double condition d'être génératrice de charges pour la partie qui est tenue de l'assumer et d'être intervenue depuis la dernière fixation du loyer.

La prise en charge potentielle de travaux par le bailleur alors que cette obligation était assumée jusqu'alors par le preneur modifie l'obligation des parties susceptible d'affecter la valeur locative.

La dernière fixation du prix est intervenue le 8 février 2010 dans le cadre du protocole transactionnel.

La seule affirmation par le bailleur de l'intervention de la loi au cours du bail expiré ne suffit cependant pas à obtenir le déplafonnement du loyer. Il lui appartient de démontrer que celle-ci présente un caractère notable. Or, il n'en justifie pas en démontrant, par exemple, qu'au cours du bail expiré, des travaux relevant de l'article 606 ont été effectivement pris en charge par le preneur ou que de tels travaux ont été planifiés en supposant que leurs coûts devaient être supportés par le preneur ce que désormais la loi interdit.

Au surplus, le bailleur ne démontre pas que le loyer initialement fixé tenait compte de la prise en charge par le preneur des travaux dits 'article 606" sans laquelle le loyer aurait été fixé à un montant supérieur qu'il ne détermine pas alors que ces travaux devaient selon la loi être originellement à la charge du bailleur. La seule affirmation par le bailleur de l'existence d'un transfert de charges à son désavantage n'est pas suffisante à justifier du bouleversement de l'économie générale du Bail considéré sur sa durée alors que ces travaux participent de l'entretien et du maintien du bon état général d'un actif immobilier appartenant au bailleur.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas retenu la modification des obligations des parties comme élément susceptible de justifier un déplafonnement.

- Sur le déplafonnement en raison de la modification notable et favorable des facteurs locaux de commercialité

L'article R.145-6 du code de commerce stipule que : 'Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.'

* Selon le bailleur les modifications notables et favorables des facteurs locaux de commercialité résulteraient des éléments suivants :

- l'augmentation du nombre de constructions en cours de bail (immeuble nouvellement construit au n°[Adresse 2] faisant partie d'un ensemble d'immeubles où se sont installées au rez-de-chaussée plusieurs enseignes (la banque LCL, l'opticien Lissac, l'institut de beauté Bulles de soins, une pharmacie, Naturalia, Le Crédit Mutuel, Clope City et Promotion 7, ainsi que la création d'un parking public accessible au [Adresse 3] disposant de 1.196 places, à 98 mètres du local considéré),

- de nombreuses mutations commerciales par changement d'enseignes ou d'activités,

- le doublement du nombre d'enseignes ou franchises entre 2008 et 2016,

- la rénovation de devantures de certains commerces,

- la réalisation de travaux de voirie entre 2008 et 2016 contribuant à l'attractivité de la [Adresse 8] permettant notamment une meilleure accessibilité des piétons,

- la restructuration de l'immeuble du [Adresse 1] (à 600 m) avec création de 467 logements,

- l'augmentation du pouvoir d'achat de la population.

Il est admis que les facteurs locaux de commercialité s'apprécient au regard du commerce effectivement exploité par le preneur, en l'espèce un salon de coiffure.

Ainsi que les premiers juges l'ont relevé, il ressort du rapport de M. [N] que les locaux sont situés dans l'artère la plus commerçante de la commune de [Localité 7] dans la partie de la [Adresse 8] proche de la gare SNCF, offrant une présence dense de commerces traditionnels et d'enseignes connues. Il s'agit selon l'expert d'un très bon emplacement pour le commerce exploité (salon de coiffure).

Les locaux dépendent d'un immeuble ancien mais présentent une devanture moderne en très bon état avec un linéaire d'environ 4,50 mètres.

Le rapport met en évidence une partie boutique comprenant trois zones bien distinctes, une partie arrière boutique avec réserve et sanitaire, un extérieur cour et un sous-sol non relié.

Les coefficients de pondération retenus sont conformes à la Charte de l'expertise et à la disposition des locaux de sorte que la surface pondérée retenue par l'expert de 50,84 mètres carrés sera retenue.

L'expert judiciaire analyse l'évolution des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré, mis en avant par le bailleur, à travers les éléments suivants : les nouvelles constructions, l'évolution de la population, le nouveau parking, les travaux de voirie et les mouvements d'enseignes.

L'expert judiciaire après analyse des nouvelles constructions offrant 467 logements ne retient que 391 logements pertinents se décomposant en 161 logements, à 240 mètres du local considéré, et 230 logements (à 500 mètres) avec la précision que ces derniers résultent d'une restructuration aux termes de laquelle des immeubles de bureaux ont été remplacés par des immeubles résidentiels ce qui ne conduit pas nécessairement à un apport d'une nouvelle clientèle, les résidents remplaçant les employés de bureau. Il ajoute que la clientèle potentielle générée par les 161 logements se dilue dans l'environnement immédiat du local concerné du fait de la présence de 4 concurrents proches. Il s'en déduit que les constructions nouvelles relevant d'un 'quota banal' selon l'expert, ne constituent pas un élément modifiant les facteurs de commercialité.

L'expert note une baisse de 3,95 % de la population lors du bail expiré selon l'Insee (recensements 2007 et 2017). Ce critère participe à la dégradation des facteurs de commercialité.

La création d'un parking souterrain en 2015 à proximité du salon de coiffure, d'une capacité supérieure aux parkings aériens qu'il a remplacés constitue un élément positif.

L'expert observe que les travaux de voirie sur la partie de la rue où se situent les locaux, ont été effectués postérieurement (photographies à l'appui) à la date de renouvellement et ne peuvent donc être pris en compte.

Le bailleur soutient que la [Adresse 8] a subi de nombreuses mutations commerciales notamment du fait de changements d'enseignes ou d'activités. En 2016, le nombre d'enseignes ou franchises situées [Adresse 8] aurait doublé (de 15 en 2008 à 30 en 2016). La [Adresse 8] aurait ainsi bénéficié d'une forte attractivité entre 2008 et 2016 de sorte qu'il n'y aurait plus de locaux vacants.

Cependant, l'expert, après analyse sur la période 2008 à 2016 des enseignes encadrant le local concerné (37 enseignes côté impair et 30 côté pair de la [Adresse 8]), activité par activité, parvient à la conclusion que les mouvements d'enseigne ne sont pas notables. Ainsi :

'Sur 67 cellules, on dénombre :

- en 2008: 22 enseignes

- en 2016: 25 enseignes

Les commerces indépendants demeurent donc toujours dominants.

Par ailleurs, la très grande majorité des enseignes se maintient (16 au total).

Les quelques mouvements d'enseignes visent l'arrivée :

- de 2 banques (LCL, Crédit Mutuel),

- d'une alimentation bio (Naturalia),

- d'un club de sport ([9]) au lieu et place de SFR,

- d'un opticien (Alain Afflelou) au lieu et place de Manpower,

- d'un commerce de prêt à porter (Camaïeu) au lieu et place d'un institut de beauté,

- d'un caviste ([S]) au lieu et place de [Z],

- d'un commerce de restauration rapide (Sushi Shop) au lieu et place d'un pap [ prêt à porter].

Ces quelques mouvements et remplacements d'enseignes n'apparaissent donc pas notables.'

Enfin, le bailleur ne justifie pas d'une augmentation du pouvoir d'achat propre à la commune concernée.

De ce qui précède, il se déduit que les seuls éléments favorables mis en avant par le bailleur et retenus par l'expert ne sont pas suffisants à justifier une 'modification notable et favorable' des facteurs locaux de commercialité susceptible de justifier un déplafonnement. En effet, l'augmentation de places de parking sans établir que la clientèle du salon de coiffure, généralement de proximité, utilise sa voiture pour s'y rendre, ne permet pas de constater cette modification notable et favorable ce dans un contexte de concurrence vive (4 salons de coiffures à proximité immédiate) et de diminution de population.

Il s'ensuit que c'est à raison que le loyer renouvelé a été fixé à la somme de 24.040,43 € par an HT/HC par les premiers juges en ce qu'elle correspond au loyer plafonné de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande principale et subsidiaire du bailleur.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens, comprenant les frais d'expertise, et aux frais irrépétibles.

La société Keystone sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à une indemnité de procédure de 2.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 13 juin 2022,

y ajoutant,

Condamne la SARL Keystone Invest 'KSI' aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Keystone Invest 'KSI' à payer à la SARL Manufacture la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.