CA Versailles, ch. civ. 1-5, 16 mai 2024, n° 23/06481
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Issy 3 Moulins (SCI)
Défendeur :
Jean Lucas Opticien (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vasseur
Conseillers :
Mme De Rocquigny Du Fayel, Mme Igelman
Avocats :
Me Dupuis, Me Zerhat, Me Cohen-Trumer, Me Brigas
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 24 novembre 2003, la société Les 3 Moulins, aux droits de laquelle vient la SCI UII Issy 3 Moulins, a renouvelé, pour une durée de dix années à compter du 13 décembre 2003, un bail commercial consenti à la SARL Jean Lucas Opticien et portant sur les locaux n° 19 et 20 dépendant du centre commercial Les 3 Moulins situé à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
Par acte du 30 janvier 2013, le bail a été renouvelé à compter du 1er janvier 2013 et pour la même durée.
Des loyers sont demeurés impayés.
Par exploit en date du 21 décembre 2018, la société UII Issy 3 Moulins a fait assigner en référé la société Jean Lucas Opticien afin d'obtenir le paiement de la somme de 97 383,10 euros TTC au 25 octobre 2018.
Une ordonnance a été rendue le 4 novembre 2019, dont la société UII Issy 3 Moulins a interjeté appel.
Par arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 19 novembre 2020, la société Jean Lucas Opticien a été condamnée à payer la somme de 149 741,90 euros. Un échéancier a été mis en place amiablement afin de procéder au règlement.
Par acte délivré le 21 novembre 2022, la société UII Issy 3 Moulins a fait assigner en référé la société Jean Lucas Opticien aux fins d'obtenir principalement sa condamnation à titre provisionnel au paiement de la somme de 106 030,92 euros arrêtée au 26 octobre 2022.
Par ordonnance contradictoire rendue le 10 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
par provision, tous moyens des parties étant réservés,
- rejeté le moyen tiré de l'incompétence du juge des référés,
- rejeté la demande de désigner un médiateur,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société UII Issy 3 Moulins,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de constater le jeu de la clause résolutoire et d'ordonner en conséquence l'expulsion de la société Jean Lucas Opticien du local commercial qu'elle exploite au sein du centre commercial [Adresse 6]),
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'enlèvement et de déménagement des mobiliers garnissant les lieux,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamner la société Jean Lucas Opticien au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dire que le dépôt de garantie restera acquis à la société UII Issy 3 Moulins,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Jean Lucas Opticien,
- condamné la société UII Issy 3 Moulins aux dépens,
- condamné la société UII Issy 3 Moulins à payer à la société Jean Lucas Opticien la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 15 septembre 2023, la société UII Issy 3 Moulins a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a rejeté le moyen tiré de l'incompétence du juge des référés, rejeté la demande de désigner un médiateur et dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Jean Lucas Opticien.
Dans ses dernières conclusions déposées le 13 février 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société UII Issy 3 Moulins demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1134 ancien et 1728 du code civil, de :
'- déclarer la société UII Issy 3 Moulins sci, recevable et bien fondée en son appel ;
y faisant droit
- confirmer l'ordonnance en ce que celle-ci:
- rejette le moyen tiré de l'incompétence du juge des référés ;
- rejette la demande de désigner un médiateur
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Jean Lucas Opticien
- infirmer l'ordonnance du 10 juillet 2023 en ce qu'elle a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société UII Issy 3 Moulins
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de constater le jeu de la clause résolutoire et d'ordonner en conséquence l'expulsion de la société Jean Lucas Opticien du local commercial qu'elle exploite au sein du centre commercial les 3 Issy-lesMoulineaux (92130)
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'enlèvement et de déménagement des mobiliers garnissant les lieux
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamner la société Jean Lucas Opticien au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dire que le dépôt de garantie restera acquis à la société UII Issy 3 Moulins
- condamne la société UII Issy 3 Moulins aux dépens
- condamne la société UII Issy 3 Moulins à payer à la société Jean Lucas Opticien la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- rejette la demande formulée par la société UII Issy 3 Moulins au titre de I 'article 700 du code de procédure civile
- disons n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande de la société la société UII Issy 3 Moulins
et statuant à nouveau,
- débouter la société sarl Jean Lucas Opticien de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce compris celles formées au titre de son appel incident ;
- condamner la société sarl Jean Lucas Opticien à payer, à titre provisionnel, à la société UII Issy 3 Moulins sci, la somme totale de 173 010,64 euros au titre de ses arriérés de loyers, charges, accessoires arrêtée au 18 octobre 2023 ;
- débouter la société sarl Jean Lucas Opticien de sa demande de délais ;
- dire, subsidiairement et dans l'hypothèse où des délais étaient néanmoins accordés, qu'à défaut de règlement à bonne date d'une seule échéance de la dette et/ou du règlement à leur date d'exigibilité des loyers, charges et accessoires courants pendant la durée de l'échéancier ainsi fixé, l'intégralité des sommes restant dues sera immédiatement exigible ;
en tout état de cause
- débouter la sarl Jean Lucas Opticien de toutes demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ;
- condamner la société sarl Jean Lucas Opticien à payer à la société UII Issy 3 Moulins sci la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société sarl Jean Lucas Opticien en tous les dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 4 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Jean Lucas Opticien demande à la cour, au visa des articles 1218, 1219, 1722, ancien 1134, 1343-5 du code civil, L. 145-41 du code de commerce et L. 131-1 du code de procédure civile, de :
'- recevoir la société JLO en son action et la juger bien fondée,
- constater que deux procédures au fond sont actuellement pendantes devant le juge du fond du TJ de Nanterre.
- constater l'existence que les prétentions de la sci se heurtent à des contestations sérieuses
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a
« dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société UII Issy 3 Moulins,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de constater le jeu de la clause résolutoire et d'ordonner en conséquence l'expulsion de la société Jean Lucas Opticien du local commercial qu'elle exploite au sein du centre commercial [Adresse 6]),
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'enlèvement et de déménagement des mobiliers garnissant les lieux,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamner la société Jean Lucas Opticien au paiement d'une indemnité d'occupation provisionnelle,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dire que le dépôt de garantie restera acquis à la société UII Issy 3 Moulins,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Jean Lucas Opticien,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande » mais ce exclusivement de celles de la société UII Issy 3 Moulins
- l'infirmer en ce qu'elle a :
« - rejeté le moyen tiré de l'incompétence du juge des référés,
- rejeté la demande de désigner un médiateur,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision formulée par la société Jean Lucas Opticien,
- dit n'y avoir lieu à référé sur toute autre demande » mais ce exclusivement de celles de la société JLO
et en conséquence
- déclarer la sci UII Issy 3 Moulins irrecevable en ses demandes.
le cas échéant :
- désigner un médiateur judiciaire dans les conditions de l'article L.131-1 et suivants du code de procédure civile
à titre principal
- débouter la société sci UII Issy Trois Moulins de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions à l'égard de la société JLO
- renvoyer la société sci UII Issy Trois Moulins à mieux se pourvoir devant le juge du fond
à titre subsidiaire
- accorder à la société JLO des délais de paiement,
- autoriser en conséquence la société JLO à se libérer de la somme due en 24 échéances mensuelles à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification due la décision à intervenir,
- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire,
en tout état de cause :
- condamner la SCI UII Issy Trois Moulins par provision à payer à la société JLO la somme 160 000 euros en réparation du préjudice subi par la concluante.
- condamner la société sci UII Issy Trois Moulins. à payer à la société JLO une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la compétence du juge des référés :
La société Jean Lucas Opticien sollicite l'infirmation de la décision de première instance qui a rejeté l'exception d'incompétence qu'elle avait soulevée, tirée de l'existence d'un procès au fond antérieur à la saisine du juge des référés.
Elle expose que l'assignation introductive d'instance que lui a délivrée la société UII Issy 3 Moulins le 22 novembre 2022 ne visait qu'une demande de condamnation provisionnelle ; que la demande tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire n'a été formulée que lors de l'audience du 7 juin 2023, soit postérieurement à la saisine du juge du fond par assignation du 27 janvier 2023 délivrée par ses soins en opposition au commandement de payer visant la clause résolutoire qui lui a été délivré le 19 décembre 2022.
La société UII Issy 3 Moulins conclut à la confirmation de l'ordonnance sur ce point en avançant qu'en la matière, c'est la date de saisine du juge des référés qui importe pour déterminer sa compétence au regard du tribunal du fond.
Elle ajoute qu'en tout état de cause l'incompétence soulevée par la société Jean Lucas Opticien n'a plus d'objet dès lors qu'elle a renoncé à solliciter dans le cadre de la présente action en référé l'acquisition de la clause résolutoire.
Sur ce,
L'article 789 du code de procédure civile dispose que :
« Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2° Allouer une provision pour le procès ;
3° Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;
4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5° Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.
(...) »
Au cas présent, il ressort des dernières conclusions déposées aux présents débats par la société UII Issy 3 Moulins que celle-ci ne sollicite plus que la condamnation de la société Jean Lucas Opticien à lui payer une provision au titre des arriérés de loyers, charges et accessoires, arrêtés au 18 octobre 2023.
Le juge des référés ayant été saisi de cette demande selon l'assignation délivrée le 15 novembre 2022, antérieurement à la saisine du juge du fond en contestation de la somme réclamée selon assignation du 27 janvier 2023, le premier juge, et la cour à sa suite statuant en référé, demeurent compétents pour statuer sur la demande de provision.
L'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle rejeté cette exception d'incompétence.
Sur la médiation :
La société Jean Lucas Opticien sollicite l'infirmation de l'ordonnance et la désignation d'un médiateur judiciaire dans les conditions des articles L. 131-1 et suivants du code de procédure civile.
La société UII Issy 3 Moulins fait valoir qu'une médiation ne saurait avoir lieu au regard des manoeuvres dilatoires de la société Jean Lucas Opticien qui ne respecte pas ses engagements contractuels.
Sur ce,
Le premier alinéa de l'article 131-1 du code de procédure civile prévoit que le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, ordonner une médiation.
En l'absence d'accord de l'appelante sur ce recours à une médiation judiciaire, il ne peut être fait droit à cette demande et l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a ainsi jugé.
Sur les demandes de provision :
La société UII Issy 3 Moulins, bailleresse appelante, sollicite l'infirmation de l'ordonnance attaquée et la condamnation de la locataire à lui verser une provision sur les loyers, charges et accessoires impayés.
Elle relate le contexte, faisant valoir que suite à la condamnation de la société Jean Lucas Opticien à lui payer la somme de 149 741,90 euros en vertu de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 19 novembre 2020, elle a accordé à la preneuse un échéancier sur cette dette locative, et que malgré ses efforts, la société Jean Lucas Opticien restait lui devoir la somme de 106 030,92 euros au 26 octobre 2022.
Elle indique que la dette s'élève désormais à la somme de 173 010,64 euros, selon décompte arrêté au 18 octobre 2023.
Elle entend démontrer l'absence de contestation sérieuse pouvant faire obstacle à sa demande de provision.
S'agissant du droit de préférence qu'a exercé la société Jean Lucas Opticien sur le local qu'elle a souhaité loué à la société Générale d'Optique, elle indique qu'elle a été contrainte d'assigner le preneur afin de faire juger que cet exercice est abusif et qu'elle l'a légitimement interrogé sur sa capacité, en plus des loyers des 2 boutiques déjà louées, à assumer ceux d'une troisième boutique dans le même centre commercial.
Elle soutient qu'en tout état de cause, la question de la légitimité du droit de préférence de la société Jean Lucas Opticien ne change rien au fait qu'elle doit continuer à payer ses loyers pour le local qu'elle exploite déjà et pour lequel la présente condamnation est sollicitée.
Sur les conditions locatives, elle rappelle que les sommes sont facturées en vertu du bail, de sorte qu'il n'existe aucune contestation sérieuse à cet égard.
Elle conteste par ailleurs être de mauvaise foi, indiquant que si elle a refusé d'accorder une baisse de loyers, elle a consenti à la preneuse des délais pour apurer la dette issue de la condamnation de 2020, tandis que c'est la locataire qui n'a pas respecté l'échéancier ainsi convenu.
Elle rappelle par ailleurs que conformément à ce qu'a jugé la cour d'appel de Versailles en 2020, l'expertise amiable visant à établir une valeur locative du bien loué ne peut remettre en cause les termes du contrat, d'autant que si une telle révision peut être envisagée, elle n'aurait vocation qu'à s'appliquer pour l'avenir.
Sur l'absence d'aides perçues dans le cadre de la crise sanitaire, elle souligne la jurisprudence de la Cour de cassation ayant écarté toute contestation sérieuse s'agissant des loyers dus.
Quant au quantum de la créance, elle indique qu'il suffit de comparer le grand livre produit par la preneuse et le décompte pour constater que l'intégralité des paiements effectués ont été comptabilisés ; que la société Jean Lucas Opticien allègue, sans le prouver, avoir procédé à des paiements non comptabilisés.
Elle ajoute que le premier juge en reprenant cet argument avancé par l'intimée n'a pas vérifié le caractère sérieux de cette contestation.
A titre surabondant, sur les autres arguments du locataire et notamment sur les charges, elle précise produire le document concernant leur reddition et rétorque en outre que la taxe sur le parking est bien due conformément au bail.
Sur l'exception d'inexécution invoquée par la preneuse, la bailleresse relève que cette dernière ne détermine pas les obligations contractuelles auxquelles elle aurait manqué ; que l'argument tiré de l'expertise amiable sur la valeur locative n'est pas sérieux ; qu'il ne peut justifier le non-respect du bail par la société Jean Lucas Opticien, laquelle a exercé abusivement son droit de préférence, une procédure étant en cours sur ce point, tandis que dans l'attente d'une décision de justice, elle ne peut louer le local à la société Générale d'Optique ; qu'en tout état de cause, l'exercice de ce droit de préférence n'a pas pour effet de modifier les conditions financières du bail litigieux.
Enfin, elle indique s'opposer à la demande de délais de paiement, en l'absence de bonne foi de la locataire.
La société Jean Lucas Opticien exposant le contexte de l'affaire, relate que lors du renouvellement de 2013, le bailleur a conditionné ce renouvellement à l'abandon de la clause d'exclusivité et à la prise à bail d'un second local ; qu'afin de répondre aux exigences du bailleur, les dirigeants de JLO ont dû créer la société JC Vision afin de prendre à bail ce second local, et ont donc supporté une augmentation drastique de leurs charges locatives, sans augmentation corrélative de leur chiffre d'affaires ; que , de même, dans le dessein d'éviter l'application des dispositions de la loi Pinel, le bailleur a entendu renouveler par anticipation le bail ; qu'à cette même occasion, le bailleur a substitué la clause d'exclusivité dont bénéficiait le preneur par un droit de préférence.
Elle entend préciser que depuis la prise à bail, elle s'était toujours acquittée régulièrement des loyers relatifs à l'exploitation de ces locaux mais que la dégradation de la situation économique du centre commercial a entraîné de graves difficultés financières pour bon nombre de locataires, tout comme elle; que dans la mesure où le centre commercial connaît des difficultés conjuguées à un manque d'attractivité, durant plusieurs années près de la moitié des locaux sont restés vides, ce qui explique les difficultés rencontrées par le bailleur pour commercialiser ses locaux vides ; qu'elle a ainsi subi une baisse drastique de son chiffre d'affaires ces dernières années ; qu'elle s'en est émue auprès du bailleur dès 2017, afin d'obtenir une révision de son loyer dont le montant est trop important et excède la valeur locative réelle des lieux ; qu'au vu de ce contexte, après diverses discussions, le bailleur a consenti une réduction de loyer temporaire de 15% à la société JC Vision, mais ne lui en a consenti aucune diminution du montant pérenne ; qu'elle a alors demandé une expertise, par un expert connaissant le centre commercial pour avoir réalisé une expertise concernant un autre locataire ; que dans son rapport, l'expert conclut que la valeur locative du local n'est en réalité que de 40% du montant du loyer qu'acquitte effectivement le locataire ; qu'elle a donc formulé plusieurs demandes de révision du loyer, refusées par la société UII Issy 3 Moulins.
Elle précise avoir réglé l'intégralité de la provision à laquelle elle a été condamnée par l'arrêt de 2020, selon l'échéancier fixé avec le bailleur.
Elle fait des développements sur les conditions de location proposées par la société UII Issy 3 Moulins à la société Générale d'Optique et précise qu'il résulte d'un courrier de juin 2019 puis d'un autre d'avril 2021 que l'appelante proposait de mettre en location le local situé juste devant le sien, moyennant un loyer inférieur de près de 45 % au sien, pour une surface analogue, tandis que la bailleresse proposait aussi à ce concurrent de prendre en charge une somme de 75 000 euros au titre de l'aménagement du local et de lui octroyer une exclusivité interdisant l'installation de tout autre opticien dans le centre.
Elle indique avoir à nouveau demandé à bénéficier des mêmes conditions locatives, vainement, ce qui l'a contrainte à exercer son droit de préférence.
Elle cite un compte rendu de réunion à laquelle elle a été conviée, aux termes duquel l'adjointe au maire d'[Localité 4] écrit :
Le centre commercial « souffre non seulement d'une position enclavée, d'une faible visibilité, mais aussi d'une intégration urbaine devenue peu satisfaisante à l'échelle du quartier.
Cette situation nuit tant à la dynamique économique, qu'à la qualité paysagère et à la sécurité du site, ainsi que ses abords.
C'est la raison pour laquelle la Ville a souhaité mener une réflexion, en concertation avec les habitants, quant à l'avenir de ce quartier. »,
et que dans ce contexte :
« Le projet d'implantation d'un opticien supplémentaire, proposant une offre d'entrée de gamme, est contraire à cette ligne directrice, ainsi qu'aux attentes exprimées par les habitants et défendues par la Ville. De plus, un troisième opticien accentuerait l'impression d'un déséquilibre de l'offre globale au sein du centre commercial.
Afin d'éviter un risque d'accélération de la paupérisation du centre, la Ville ne peut pas encourager un tel projet.
En outre, lors de nos échanges, il est apparu que la concurrence, qui peut parfois s'avérer utile, semble en l'espèce déloyale.
Comme cela a été évoqué lors de la réunion, les conditions d'installation dont bénéficierait la Générale d'Optique seraient bien plus avantageuses que celles de Jean Lucas Opticien.
En effet, si l'on s'en réfère au montant du loyer annuel qui leur est proposé, celui dont s'acquitte M. Lucas est, en comparaison, substantiellement supérieur, ce qui risque d'entraîner un effet pervers sur leur activité. »
L'intimée soutient que l'équité et la loyauté contractuelle imposent que le loyer soit fixé sur les mêmes bases que celles consenties par le bailleur à d'autres locataires ou candidats, afin d'assurer une égalité entre eux et une saine concurrence, et que dans ce contexte, elle a été contrainte de saisir le juge du fond afin de voir déclarer nul et de nuls effets le commandement de payer qui lui a été délivré le 19 décembre 2022 et de faire le compte entre les parties.
Elle sollicite la confirmation de l'ordonnance attaquée qui a retenu que les prétentions de la société UII Issy 3 Moulins se heurtaient à de multiples contestations sérieuses, tant dans leur principe que dans leur quantum.
Elle conclut tout d'abord à l'absence de bonne foi de la bailleresse, à qui elle a fait part depuis plusieurs années de ses difficultés résultant de celles du centre commercial, alors qu'elle a en plus subi les conséquences de la crise sanitaire liée à la Covid-19, et qui refuse de lui consentir la moindre révision et/ou réduction de loyer, alors qu'elle octroie des conditions locatives très avantageuses à un concurrent.
Elle conclut ensuite à l'absence de créance fondée en son principe au regard en premier lieu de la perte du local loué durant la période de crise sanitaire, alors que le centre commercial a été fermé du 1er février au 18 mai 2020 et du 9 mars au 18 mai 2021.
Elle critique en deuxième lieu le décompte de la bailleresse, la somme réclamée ne correspondant pas à celle résultant dudit décompte, lequel est en tout état de cause erroné au regard :
- des règlements qu'elle a effectués et qui n'ont pas été pris en compte,
- de l'intégration de taxes de parking alors que le bail ne comprend aucune location de parking,
- de l'absence de justificatifs idoines concernant les charges et leur reddition.
Elle invoque en troisième lieu l'exception d'inexécution aux motifs que la bailleresse a refusé de lui octroyer les mêmes conditions locatives que celles octroyées à d'autres, se rapportant au rapport d'expertise de Mme [R] qui a démontré que la valeur locative réelle du local occupé est bien inférieure au loyer qui lui est facturé depuis plusieurs années.
Elle formule une demande reconventionnelle et demande l'infirmation de la décision dont appel sur ce point.
Elle estime que si la bailleresse avait satisfait à ses obligations et avait régularisé le bail objet de son droit de préférence, elle aurait bénéficié d'une économie de loyer que son expert-comptable a chiffré en avril 2023 à la somme de 242 677,46 euros si le nouveau bail avait pris effet en août 2018 ou de 167 078,18 euros s'il avait pris effet en mai 2021.
Elle considère que le manquement de la bailleresse qui a refusé de conclure le nouveau bail résultant de l'exercice de ce droit de préférence justifie que lui soit octroyée la somme de 160 000 euros en réparation de son préjudice subi, éventuellement à compenser avec les sommes dont elle serait redevable vis-à-vis de la société UII Issy 3 Moulins.
A titre subsidiaire, au vu des difficultés auxquelles elle fait face, elle sollicite l'octroi de 24 mois de délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire.
Sur ce,
A titre liminaire il convient d'observer que l'appelante ne soutient plus à hauteur d'appel sa demande de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, de sorte que la cour n'est pas saisie d'une telle demande et qu'il n'y a pas lieu de répondre aux arguments avancés par l'intimée pour s'y opposer.
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Au cas présent, la société Jean Lucas Opticien a saisi le juge du fond par assignation du 27 janvier 2023 aux termes de laquelle elle reprend les mêmes arguments et moyens que ceux soulevés dans le présent litige, pour s'opposer à la demande de provision de l'appelante.
En application des dispositions de l'article 1104 du code civil, d'ordre public, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Or, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres contestations élevées par l'intimée, il ressort tant les éléments contextuels que la société Jean Lucas Opticien relate sans être contredite par l'appelante, que de la lettre émanant de l'adjointe au maire de la ville d'[Localité 4] en date d'avril 2021, que le centre commercial dans lequel est implanté le local loué par l'intimée est en grande difficulté, voire moribond (comme en témoigne notamment l'important taux de vacances des locaux commerciaux selon l'adjointe au maire).
Dans un tel contexte, le fait que la bailleresse ait retenu comme candidat locataire, en avril 2021, d'un local situé en face de celui de la société Jean Lucas Opticien, une enseigne exerçant la même activité que cette dernière, et l'ait proposé à la location moyennant un loyer inférieur de près de 45 % à celui réglé par l'intimée pour une surface analogue, alors qu'en outre, l'appelante ne contredit pas l'intimée quand elle indique avoir dû prendre à bail un second local afin de pouvoir obtenir le renouvellement du présent bail en 2013, et que hormis un échéancier accordé sur une précédente dette locative, la société UII Issy 3 Moulins refuse tout aménagement du loyer acquitté par la société Jean Lucas Opticien, est susceptible de caractériser l'existence d'une mauvaise foi de l'appelante dans l'exécution du contrat de bail litigieux.
Cette contestation étant suffisamment sérieuse, c'est à juste titre que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de la société UII Issy 3 Moulins, et l'ordonnance sera confirmée de ce chef.
La provision réclamée par l'intimée à titre reconventionnel est elle aussi sujette à contestations sérieuses, l'économie de loyers invoquée si la société Jean Lucas Opticien avait pu exercer son droit de préférence ne se vérifiant pas, avec l'évidence requise, avec le fait que c'est en réalité un troisième local qu'elle aurait dû alors prendre à bail.
Dans ces conditions l'ordonnance querellée sera également confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle de la société Jean Lucas Opticien.
Sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société UII Issy 3 Moulins ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la société Jean Lucas Opticien la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance du 10 juillet 2023,
Y ajoutant,
Condamne la société UII Issy 3 Moulins aux dépens d'appel,
Condamne la société UII Issy 3 Moulins à verser à la société Jean Lucas Opticien la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monsieur Thomas VASSEUR, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.