CA Versailles, ch. com. 3-1, 16 mai 2024, n° 22/04151
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Anpa (SCI)
Défendeur :
Picard Surgelés (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meurant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, M. Dusausoy
Avocats :
Me Lenotre, Me Gamichon, Me Hongre-Boyeldieu, Me Riglet
EXPOSÉ DES FAITS
Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 23 mai 2008, la SCI ANPA a donné à bail à la SAS Picard Surgelés un local à usage commercial dépendant d'un ensemble immobilier situé [Adresse 2] et [Adresse 3] à [Localité 9], pour une durée de 9 ans à compter du 15 octobre 2008, date de réalisation de conditions suspensives, moyennant un loyer annuel de 80.000 € HC et HT. Le loyer s'élevait en dernier lieu à 83.021,77 € HC et HT par an.
Le 18 décembre 2017, la société Picard Surgelés a sollicité le renouvellement de son bail pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2018 « moyennant un loyer annuel fixé dans la double limite du loyer plafond et de la valeur locative ».
Le 17 septembre 2019, elle a notifié à la SCI ANPA, par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 18 septembre 2019, un mémoire préalable en fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 43.000 €, avant de l'assigner, aux mêmes fins, par acte du 1er juillet 2020, devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles.
Par jugement du 20 novembre 2020, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise pour évaluer la valeur locative des locaux et commis pour y procéder M. [F] [D], qui a déposé son rapport le 9 juillet 2021.
Par jugement contradictoire du 24 mai 2022, le juge des loyers du tribunal judiciaire de Versailles a :
- Fixé, à compter du 1er janvier 2018, le montant du loyer du bail renouvelé liant les parties à la somme de 51.639,76 €, hors charges et hors taxes ;
- Dit que les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer provisionnel courent à compter de la notification du premier mémoire en défense ;
- Rejeté les demandes d'indemnisation au titre des frais irrépétibles exposés ;
- Condamné la SCI ANPA et la société Picard Surgelés à acquitter, à concurrence de 50% chacune, les dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;
- Rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.
Par déclaration du 23 juin 2022, la SCI ANPA a interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 septembre 2022, la société ANPA demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles du 24 mai 2022 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Fixer le loyer en renouvellement à la somme de 83.133 € par an hors taxes et hors charges, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail demeurant inchangées ;
- Débouter la société Picard Surgelés en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Picard Surgelés à payer à la société ANPA la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Picard Surgelés aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2022, la société Picard Surgelés demande à la cour de :
- Débouter la société ANPA de l'ensemble de ses demandes ;
- Confirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles le 24 mai 2022 en ce qu'il a retenu que les sommes dues au titre des loyers trop perçus porteront intérêts au taux légal à compter de la notification du premier mémoire en réponse ;
- Infirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles le 24 mai 2022 en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 51.639,76 € par an et en principal à compter du 1er janvier 2018 ;
Et statuant à nouveau,
- Fixer, à compter du 1er janvier 2018, le montant du loyer du bail renouvelé à la somme de 38.762 € par an hors charges et hors taxes, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;
- Condamner la société ANPA au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la fixation du loyer du bail renouvelé
La SCI ANPA demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme de 51.639,76 € HC et HT par an à compter du 1er janvier 2018 et de le fixer à la somme de 83.133 € HC et HT par an.
S'agissant de la surface des locaux loués, elle se réfère aux mesures réalisées par l'expert sollicité par la société Picard Surgelés, M. [J] [H], qui a retenu une surface utile de 255 m². Elle critique la surface pondérée des locaux retenue par le premier juge et considère qu'il convient d'appliquer le même coefficient de pondération de 1 à l'ensemble des surfaces de vente afin de tenir compte de l'homogénéité de l'espace de vente et de l'agencement propre aux magasins Picard Surgelés. Elle approuve en revanche le juge des loyers d'avoir appliqué un coefficient de pondération de 0,4 aux locaux annexes qui se situent au même niveau que la surface de vente. Elle demande en conséquence à la cour de fixer la surface pondérée à 217,20 m²p ([192 m² x 1] + [63 m² x 0,4]) et non à 169,60 m²p.
La société bailleresse fait ensuite valoir que le premier juge a réduit la valeur locative à 370 €/m²p/an, sans motivation pertinente, et soutient que celle-ci doit être fixée à 400 €/m²p/an, en se prévalant de l'étude réalisée auprès des agents immobiliers locaux ainsi que des références des loyers en renouvellement déplafonnés relevés par l'expert judiciaire. Elle ajoute qu'il n'y a pas lieu de pratiquer d'abattement, comme l'a fait le premier juge, au titre des travaux de mise en conformité effectués par la société preneuse, ni au titre de la clause d'accession en fin de jouissance, dans la mesure où les aménagements réalisés par la société Picard Surgelés sont spécifiques et ne peuvent bénéficier au bailleur en fin de bail.
Dans le cadre d'un appel incident, la société Picard Surgelés sollicite quant à elle de voir fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 38.762 € HC et HT par an, après avoir rappelé que le loyer plafond s'établit à 87.573,12 € au 1er janvier 2018, en application de l'article L.145-34 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014.
Elle invite la cour à revoir à la baisse la surface pondérée de 169,60 m²p retenue par le juge des loyers et à prendre en compte celle de 154 m²p proposée par l'expert judiciaire dans son pré-rapport. Elle fait valoir que, comme justement préconisé par la Charte de l'expertise, les juges appliquent constamment des coefficients de pondération différents selon les zones du magasin et que la décision dont fait état la bailleresse pour le contredire est isolée. Elle oppose à l'appelante que l'emplacement choisi par la société locataire pour le rayonnage de ses marchandises ne saurait avoir un impact sur la pondération des locaux, que seule compte la configuration de ceux-ci. Elle souligne que les locaux disposent d'une petite vitrine et sont disposés en longueur, sur une grande profondeur, de sorte que les différentes zones de la surface de vente ne sont pas comparables.
L'intimée soutient ensuite que la valeur locative ne peut être fixée à un montant supérieur à 320 €/m²p/an, en observant que celle de 370 € retenue par le juge des loyers est supérieure à la quasi-totalité des prix des renouvellements amiables constatés alors même que ces références ne portent pas sur des commerces alimentaires mais sur des activités de services et qu'ils concernent en majorité des locaux d'une surface plus petite. Elle rappelle que pour déterminer la valeur locative, il y a lieu de tenir compte tant de la surface des locaux que de la destination du bail ou de sa localisation précise ; qu'en outre et contrairement à ce que prétend l'appelante, la recherche de loyers de comparaison doit porter à la fois sur des nouveaux baux, des renouvellements amiables et des renouvellements judiciaires, l'ensemble constituant les prix du voisinage au sens de l'article R.145-7 du code de commerce. Elle ajoute que la valeur locative doit être corrigée pour tenir compte de l'existence de clauses exorbitantes du droit commun, à savoir la répercussion de l'impôt foncier sur la société locataire et la prise en charge par celle-ci des travaux de mise en conformité. Elle précise que, s'agissant d'un renouvellement au 1er janvier 2018, le montant de la taxe foncière à prendre en compte est celui de 2017, soit 3.747 €, et non celui de 2018 comme l'a retenu à tort le premier juge ; qu'il convient par ailleurs d'appliquer un abattement de 5 % sur la valeur locative pour tenir compte du transfert au preneur, sans contrepartie, des travaux de mise en conformité de l'immeuble. Elle approuve le juge des loyers d'avoir retenu en outre un abattement de 10 % sur la valeur locative pour tenir compte de la nature et du montant (345.069,20 €) des travaux réalisés par la société Picard Surgelés, en faisant observer d'une part, que la majorité des travaux sont des travaux de second oeuvre courants qui profitent aux locaux indépendamment de l'activité qui y est exercée, et d'autre part que les travaux n'appartiennent pas au bailleur et ne doivent donc pas être pris en compte dans la valeur locative.
*****
Les parties s'accordent sur le fait que le loyer n'est pas soumis à la règle du plafonnement édictée par l'article L.145-34 du code de commerce.
Selon l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
- Sur la surface pondérée
Selon le bail commercial signé le 23 mai 2008, les locaux loués sont ainsi désignés :
- un local commercial en rez-de-chaussée d'une superficie d'environ 258 m², dont une surface de vente et des locaux techniques.
Aux termes de son rapport d'expertise judiciaire, M. [B] [X] a retenu une surface utile totale de 253 m² (surface de vente de 192 m² et locaux annexes de 61 m²) qui ne fait l'objet d'aucun réel débat, contrairement à la surface pondérée de 185 m²p calculée par l'expert et à celle de 169,60 m²p arrêtée par le juge des loyers.
Les parties ne discutent pas la surface pondérée retenue pour les locaux annexes, soit 24,40 m²p, après application d'un coefficient de pondération de 0,4.
En revanche, le bailleur critique la division de la surface de vente en deux zones faisant l'objet d'une pondération différenciée. Il considère qu'un seul coefficient de pondération de 1 doit être retenu pour la totalité de la surface de vente tandis que la locataire réclame l'application d'un coefficient de 0,6 à la deuxième zone de vente, tel que retenu par l'expert judiciaire dans son pré-rapport, avant de revoir ce coefficient à la hausse (0,8) pour tenir compte des observations de la SCI ANPA.
Toutefois, l'expert judiciaire a justifié son choix de ne pas appliquer un unique coefficient de pondération à la surface de vente au regard de la configuration des lieux qui, quoiqu'homogène, se distingue par une première zone étroite de 3 mètres de large sur 12 mètres de longueur à l'entrée du magasin puis par une seconde zone plus vaste de 156 m² à laquelle on accède par la première zone, comme l'a pertinemment souligné le premier juge, qui a également relevé que le magasin Picard Surgelés de [Localité 9], objet du bail, présentait la particularité de disposer d'un linéaire de façade limité de 3,50 mètres.
Le bailleur n'apporte pas d'élément pertinent permettant de remettre en cause au cas présent l'application à la surface de vente de deux coefficients de pondération différents. Aussi, le premier juge mérite d'être suivi en ce qu'il a retenu un coefficient 1 pour la première zone de vente et un coefficient 0,7 pour la seconde zone de vente, aboutissant ainsi à une surface pondérée totale de 169,60 m²p ([36 x 1] + [156 x 0,7] + [61 x 0,4]).
Le jugement sera confirmé sur ce point.
- Sur la valeur locative
L'expert judiciaire a retenu une valeur locative de 380 €/m²p, après avoir relevé que les locaux étaient situés en centre ville dans la rue commerçante de [Localité 9] ([Adresse 6]), qui est une rue à double sens de circulation avec stationnement de part et d'autre de la chaussée, qu'en outre le magasin était accessible en transports en commun par le RER A via la gare de [8] à 1,5 km et par les lignes de bus n°12, 17 et 54 via l'arrêt 'Patte d'Oie'. Il a aussi noté qu'un marché se tenait deux fois par semaine sur le [Adresse 6].
Il a appliqué la méthode par comparaison et recherché des références de locaux commerciaux situés soit dans la commune de [Localité 9], soit dans des communes limitrophes. Ces éléments de comparaison font ressortir :
- pour des loyers de baux en première location (2011/2018), des montants compris entre 338,60 €/m²p et 486 €/m²p, outre une référence à 531 €/m²p à une date de prise d'effet non connue ;
- pour des loyers de baux en renouvellement amiable (2009/2015), des montants compris entre 250 €/m²p et 469 €/m²p,
- pour des loyers de baux en renouvellement judiciaire (2006/2013), des montants compris entre 200 €/m²p et 300 €/m²p.
Le bailleur estime que seules peuvent être retenues les références des loyers en renouvellement déplafonnées, il observe que les prix relevés par l'expert judiciaire dans le voisinage tendent vers une valeur locative supérieure à 400 €/m²p et il reproche au premier juge d'avoir réduit de façon infondée cette valeur.
Cependant, comme l'a justement rappelé le juge des loyers dans sa décision au visa de l'article R.145-7 du code de commerce, la détermination de la valeur locative suppose de prendre en considération, au titre des prix couramment pratiqués dans le voisinage, les prix de marché correspondant aux nouvelles locations, les loyers ayant fait l'objet d'un renouvellement amiable à la valeur locative et les loyers ayant été fixés par décision judiciaire.
Le premier juge a également observé, à raison, que certaines des références visées dans le rapport de M. [D] étaient anciennes, que la surface des locaux était souvent inférieure à celle objet du bail en renouvellement et qu'une seule portait sur un magasin d'alimentation (Naturalia, [Adresse 10] à [Localité 7], surface de 163 m²p, loyer de 368 €/m²p). Il en a justement déduit que cette dernière référence était la plus pertinente, quand bien même le bail avait pris effet en mars 2015, et ce après avoir écarté les références proposées par l'expert [J] [H] dans son rapport établi le 20 février 2019 à la demande de la société Picard Surgelés aux motifs, que la cour approuve, que ces références ne pouvaient être utilement exploitées compte tenu de la surface importante des locaux (très supérieure à 200 m²) et du fait que nombre d'elles avaient pour activité des supermarchés.
Au soutien de sa demande de voir fixer la valeur locative à 320 €/m²p, la société Picard Surgelés ne communique pas d'autre pièce que le rapport de M. [J] [H], qui a estimé la valeur locative à 325 €/m²p en procédant à une analyse comparative avec des références locatives qui n'apparaissent pas pertinentes, pour les raisons évoquées supra.
Au vu de ces éléments, de la commercialité favorable dont bénéfice l'emplacement des locaux et de la destination des lieux, la valeur unitaire de 370 €/m²p au 1er janvier 2018 retenue par le juge des loyers apparait tout à fait justifiée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
- Sur les correctifs à apporter à la valeur locative
L'article R.145-8 du code de commerce dispose que « Du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ».
* La taxe foncière
L'appelante ne remet pas en cause l'abattement à opérer sur la valeur locative au titre de la taxe foncière qui, selon le bail, incombe au preneur, ce qui constitue une clause exorbitante du droit commun.
La société Picard Surgelés sollicite néanmoins de la cour qu'elle infirme le jugement dont appel en ce qu'il a retenu le montant de la taxe foncière de 2018 et non celui de 2017. La SCI ANPA ne s'y oppose pas et reprend même dans ses calculs le montant de 3.747 € correspondant à la taxe foncière 2017.
En l'absence de discussion sur ce point, c'est ce montant qui sera déduit de la valeur locative, et non celui de 3.582 €, par infirmation du jugement entrepris.
* Les travaux de mise en conformité
L'article V.3.2 'Travaux de mise en conformité' du bail consenti à la société Picard Surgelés prévoit que « La charge de tous les travaux qui seraient rendus nécessaires pour mettre l'immeubIe loué en conformité avec la règlementation existante applicable du fait de son activité spécifique est exclusivement supportée par le preneur. ll en est de même en cours de bail, si cette règlementation vient à être modifiée rendant l'immeuble loué non conforme aux normes réglementaires applicables du fait de son activité spécifique ».
La SCI ANPA s'oppose à un quelconque abattement à ce titre tandis que la société Picard Surgelés estime que la valeur locative doit être minorée pour tenir compte de la répercussion sur le locataire des travaux de mise en conformité des locaux, qui sont en principe à la charge du bailleur. L'intimée reproche au premier juge d'avoir limité l'abattement à 2 %, au lieu du taux de 5 % appliqué par l'expert judiciaire.
C'est toutefois à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que le juge des loyers a retenu à cet égard une minoration de 2 % de la valeur locative.
* La clause d'accession en fin de jouissance
L'article V.3.1 'Aménagements - améliorations' du bail stipule que « Tous les embellissements ou améliorations apportés par le preneur pendant le cours du bail, y compris les cloisons fixes, mobiles ou amovibles et y compris les aménagements qui pourraient être imposés par des dispositions législatives ou règlementaires, deviendront la propriété du bailleur en fin de jouissance sans qu'il soit dû par ce dernier aucune indemnité au profit du preneur.
Le bailleur renonce d'ores et déjà à exiger que les lieux loués soient remis dans l'état primitif. Toutefois, le preneur s'oblige à procéder au retrait de ses aménagements spécifiques, à savoir climatisation, enseigne et chambre froide ».
La SCI ANPA critique le premier juge, qui a estimé que l'importance des travaux diligentés par la locataire justifiait de réévaluer l'abattement visé par l'expert judiciaire de 5 à 10 % de la valeur locative. Elle estime que la société Picard Surgelés n'est pas fondée à revendiquer un tel abattement au motif que les travaux réalisés ne pourront pas bénéficier au bailleur en fin de bail.
La société Picard Surgelés justifie avoir procédé à des travaux d'aménagement des locaux donnés à bail, « livrés brut de béton, clos et couvert, fluides en attente », pour un montant total de 345.069,20 €.
Si ces travaux apparaissent d'importance, la cour relève sur le décompte des travaux réalisés depuis l'entrée dans les lieux, produit par l'intimée, que les aménagements spécifiques relatifs à la climatisation et à la chambre froide, qui représentent un montant de près de 100.000 € HT, doivent être retirés par le preneur en fin de bail selon l'article V.3.1 susvisé. Il n'en demeure pas moins, comme l'a justement souligné le premier juge que les autres travaux (menuiserie, faux plafonds, cloisons, plomberie, carrelage, peinture, électricité, etc), de nature courante, sont susceptibles de bénéficier à d'autres activités que celle de la société Picard Surgelés, ce qui vient contredire l'argumentation de l'appelante selon laquelle les aménagements réalisés correspondraient aux propres critères commerciaux de la société preneuse et ne pourraient être conservés à l'issue du bail. En outre, l'accession étant stipulée en fin de jouissance, cela revient à estimer les locaux dans leur état lors de la prise à bail, soit brut de béton et fluides en attente, sans tenir compte des aménagements, agencements et installations techniques nécessaires à l'activité et effectués par le preneur à compter de la prise de possession et/ ou en cours de bail.
L'expert judiciaire a appliqué un abattement de 5 % qu'il qualifie d'usuel et qui apparait en effet approprié.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le loyer du bail renouvelé doit être fixé de la manière suivante : 169,60 m²p x 370 € = 62.752 €, valeur sur laquelle il convient d'appliquer les abattements suivants :
- 3.747 € au titre de la taxe foncière,
- 1.255,04 € (62.752 x 2 %) au titre des travaux de mise en conformité,
- 3.137,60 € (62.752 x 5 %) au titre de la clause d'accession en fin de jouissance,
soit une valeur locative nette de 54.612,36 €, arrondie à la somme de 54.612 €.
Le jugement sera infirmé de ce chef, le loyer du bail renouvelé étant fixé à la somme de 54.612 € HT et HC par an à compter du 1er janvier 2018, les autres clauses et conditions du bail restant inchangées. Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux intérêts qui ont couru à compter de la notification du premier mémoire en défense de la SCI ANPA.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles et de ses propres dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 24 mai 2022 par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Versailles sauf en ce qu'il a fixé le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2018 à la somme annuelle de 51.639,76 €, hors charges et hors taxes, des locaux situés [Adresse 2] et [Adresse 3] à [Localité 9] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
FIXE à la somme annuelle de 54.612 € hors taxes et hors charges le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2018 des locaux situés au [Adresse 2] et [Adresse 3] à [Localité 9] ;
LAISSE à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.