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Décisions

Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.180

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Joly

Avocat général :

M. Desportes

Avocat :

SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix

Cass. crim. n° 23-83.180

21 mai 2024

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 30 juin 2021, le tribunal correctionnel a condamné les sociétés [15], [11] et [13] et M. [I] [A], gérant de celles-ci, pour plusieurs infractions au droit de l'urbanisme, en lien avec l'exploitation d'un camping sur la commune de [Localité 16].

3. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

4. Le 30 septembre 2022, la société [11], devenue la société [10], a absorbé la société [13].

Exposé du litige

Examen des moyens

Sur les deuxième, quatrième, cinquième et septième moyens

Moyens

Motivation

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [10] coupable d'installation d'une résidence mobile de loisirs en dehors des emplacements autorisés, sur la parcelle BW[Cadastre 7], d'infraction, par personne morale, aux dispositions du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols, sur la parcelle BW[Cadastre 5], et de construction ou aménagement de terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, sur la parcelle BW[Cadastre 6], et, en cet état, l'a condamnée au paiement d'une amende de 30 000 euros, alors :

« 1°/ que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, il n'existe que deux hypothèses dans lesquelles la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant l'opération ; que la première hypothèse est celle dans laquelle l'opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, concerne des sociétés anonymes et entre, à ce titre, dans le champ d'application de la troisième directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978, concernant les fusions des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés ; que la seconde hypothèse est celle dans laquelle l'opération, quelles que soient sa date et la forme des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et constitue ainsi une fraude à la loi ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué (p. 8, § 4, p. 9, § 9, p. 14, §§ 9 et 10) que la société [13] a été absorbée par la société [10], anciennement dénommée [11], à la suite d'une fusion-absorption intervenue le 30 septembre 2022 ; que la cour d'appel a déclaré la société absorbante [10], anciennement dénommée [11], coupable, notamment, d'installation d'une résidence mobile de loisirs en dehors des emplacements autorisés, sur la parcelle BW[Cadastre 7] (arrêt attaqué, p. 20, §§ 4 à 14, p. 28, dernier §), d'infraction, par personne morale, aux dispositions du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols, sur la parcelle BW[Cadastre 5], pour avoir aménagé une aire de sport dans la bande littorale des 100 mètres (ibid., p. 21, §§ 2 à 11, p. 28, pénult. §), et de construction ou aménagement de terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, sur la parcelle BW[Cadastre 6], pour avoir déposé au sol des matériaux susceptibles de gêner l'écoulement des eaux, en zone rouge du PPRI (ibid., p. 22, §§ 2 à 11, p. 29, § 1) ; que, selon les motifs de l'arrêt attaqué (pp. 20 à 22), ces faits auraient été commis le 13 octobre 2015 par la société absorbée [13], avant la fusion-absorption du 30 septembre 2022 ; que la cour d'appel, pour imputer la responsabilité pénale de ces faits à la société absorbante [10], anciennement dénommée [11], a énoncé « qu'en cas de fusion absorption d'une société par une autre société entrant dans le champ de » la troisième directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017, « la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération » (arrêt attaqué, p. 14, § 11) ; qu'en prononçant ainsi, quand il ressortait de ses propres constatations que les sociétés [11], renommée [10], et [13] étaient des sociétés à responsabilité limitée, et non des sociétés anonymes (arrêt attaqué, p. 1, qualités, p. 6, §§ 12 et 19, p. 7, §§ 17 à 20, p. 8, §§ 3 et 4, p. 9, §§ 7 et 9), de sorte que l'opération de fusion-absorption intervenue le 30 septembre 2022 n'entrait pas dans le champ de la directive susdite, la cour d'appel s'est contredite, en violation des articles 121-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en déclarant la société absorbante [10], anciennement dénommée [11], coupable de faits prétendument commis le 13 octobre 2015 par la société absorbée [13], avant l'opération de fusion-absorption intervenue le 30 septembre 2022, sans constater que cette opération, qui ne concernait pas des sociétés anonymes et qui n'entrait donc pas dans le champ de la troisième directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017, avait eu pour seul objectif de faire échapper la société absorbée [13] à sa responsabilité pénale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation des articles 121-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 121-1 du code pénal, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait.

8. Selon l'article L. 236-3 du code de commerce, applicable aux sociétés à responsabilité limitée, la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n'entraîne pas sa liquidation, de même que le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les associés de la première deviennent associés de la seconde.

9. En application de l'article L. 1224-1 du code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l'opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l'entreprise.

10. Il en résulte que l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération et qu'ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la seconde avant l'opération de fusion-absorption.

11. Dans une telle éventualité, la société absorbante peut en effet être condamnée pénalement à une peine d'amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération.

12. La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.

13. C'est à tort que la cour d'appel a retenu que la société à responsabilité limitée [10] entrait dans le champ de la directive 78/855/CE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, puisque ce texte ne concerne pas les sociétés à responsabilité limitée.

14. Cependant, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure, dès lors qu'ayant constaté qu'il a été procédé, le 30 septembre 2022, à une opération de fusion-absorption entraînant la dissolution de la société mise en cause et que les faits objet des poursuites sont caractérisés, il pouvait déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d'amende ou de confiscation.

15. Si la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur les conséquences quant à l'action publique d'une fusion-absorption lorsqu'elle concerne une société à responsabilité limitée, sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis l'arrêt ayant appliqué pour la première fois aux sociétés anonymes les principes rappelés aux points 10 et 11 (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-86.955, publié au Bulletin).

16. Cette solution est donc applicable aux fusions-absorptions conclues postérieurement au 25 novembre 2020.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Motivation

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [A] et la société [10] coupables d'installation d'une résidence mobile de loisirs en dehors des emplacements autorisés, sur la parcelle BW[Cadastre 7], et, en cet état, a prononcé sur les peines et ordonné in solidum à l'égard de M. [A], des sociétés [10] et [15], sous astreinte, la mise en conformité de l'implantation des résidences mobiles de loisirs, sur cette parcelle, avec le permis d'aménager relatif au camping [14] accordé par arrêté du 18 février 2021, alors « que la prescription de l'action publique ôte aux faits poursuivis tout caractère délictueux ; que la cour d'appel a elle-même constaté la prescription de l'action publique concernant les faits d'extension non autorisée du camping [14] sur la parcelle BW[Cadastre 7] (arrêt attaqué, p. 20, antépénult. §, à p. 21, in limine, p. 27, antépénult. et pénult. §§, p. 28, §§ 11 et 12) ; qu'il en résultait l'absence de caractère délictueux de cette extension, de sorte que les résidences mobiles de loisirs présentes sur la parcelle BW[Cadastre 7] ne pouvaient pas être regardées comme irrégulièrement installées en dehors d'un terrain de camping autorisé ; qu'en retenant cependant la culpabilité des prévenus pour avoir installé des résidences mobiles de loisirs sur la parcelle BW[Cadastre 7] hors des limites du terrain de camping autorisé (arrêt attaqué, p. 20, p. 28, §§ 1, 3, 14 et 17), la cour d'appel s'est contredite, en violation des articles L. 111-1, L. 160-1 et R. 1111-34 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction applicable à la date des faits visés par la prévention, ensemble les articles 8 et 593 du code de procédure pénale. »

Moyens

Réponse de la Cour

19. Pour déclarer M. [A] et la société [10] coupables d'installation de résidences mobiles de loisirs en dehors des emplacements autorisés, sur la parcelle BW[Cadastre 7], l'arrêt attaqué énonce que, si le délit d'extension du camping à cette parcelle est instantané et était prescrit, l'installation de telles résidences constitue en revanche un délit continu lorsque elles ont conservé leurs moyens de mobilité, de telle sorte que la prescription de l'action publique n'a pas commencé à courir de ce chef.

20. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

21. En effet, si l'infraction d'extension du camping sur la parcelle BW[Cadastre 7] était prescrite, cette circonstance n'est pas de nature à entraîner la prescription de l'infraction d'installation de résidences mobiles de loisirs en dehors des emplacements autorisés, dès lors que la prescription de la première infraction, qui fait uniquement obstacle aux poursuites la concernant, n'a pas eu pour effet d'ôter à cette installation son caractère délictueux.

22. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Motivation

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

Moyens

23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'égard de la société [15], in solidum avec M. [A] et la société [10], la mise en conformité de l'implantation des résidences mobiles de loisirs, sur la parcelle BW[Cadastre 7], avec le permis d'aménager relatif au camping [14] accordé par arrêté du 18 février 2021, et le retrait des matériaux, équipements, véhicules, installations, constructions et tous autres objets constatés, sur la parcelle BW[Cadastre 6], par procès-verbal de la DDTM le 13 octobre 2015, dans le délai de deux mois à compter du jour où l'arrêt serait passé en force de chose jugée, sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard passé ce délai, alors « que seul le bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol peut être condamné à des mesures de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué (p. 9) que la SCI [15] est uniquement propriétaire des parcelles BW[Cadastre 9], BW[Cadastre 1] à BW[Cadastre 3], BW[Cadastre 4] et BW[Cadastre 8], sur lesquelles est implanté le camping [12], que les campings [12] et [14] ne sont pas exploités par elle-même mais par la société [10], que le propriétaire de la parcelle BW[Cadastre 6] est M. [L] [H] et que les propriétaires de la parcelle BW[Cadastre 7] sont Mmes [N] [V] et [P] [Y] ; que ce n'est qu'au seul titre de l'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme résultant de la présence de résidences mobiles de loisirs dans la bande littorale des 100 mètres, sur les parcelles BW[Cadastre 2] et BW[Cadastre 3], que la cour d'appel a reconnu positivement à la SCI [15], en s'en expliquant, la qualité de bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol (arrêt attaqué, p. 19, § 7) ; que la SCI [15] n'a, du reste, été déclarée coupable que de cette seule infraction relative aux parcelles BW[Cadastre 2] et BW[Cadastre 3], à l'exclusion des faits de construction ou aménagement de terrain dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, sur la parcelle BW[Cadastre 6], et des faits d'installation d'une résidence mobile de loisirs en dehors des emplacements autorisés, sur la parcelle BW[Cadastre 7] (arrêt attaqué, p. 29) ; qu'en condamnant sous astreinte la SCI [15], in solidum avec M. [A] et la société [10], à la remise en état des parcelles BW[Cadastre 6] et BW[Cadastre 7], sans préciser en quoi la SCI [15] pourrait avoir la qualité de bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'occupation irrégulière du sol constatés sur ces parcelles, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation des articles L. 480-5 et L. 480-7 du code de l'urbanisme, ainsi que de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

24. Pour ordonner à l'encontre de la société [15], in solidum avec les autres prévenus, la mesure de remise en état des parcelles BW[Cadastre 6] et BW[Cadastre 7], l'arrêt attaqué énonce en substance que cette société est propriétaire de la moitié des terrains du camping exploité par la société [10], dont le gérant, prévenu, est également le sien.

25. Les juges ajoutent que sur les parcelles litigieuses, mitoyennes du camping, les autres prévenus réalisent des opérations de location de résidences mobiles de loisirs, de stockage de matériaux, de maintenance et de réparation propres à l'activité du camping.

26. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la société [15] est bénéficiaire de l'occupation du sol et des travaux irréguliers constatés sur ces parcelles, a justifié sa décision.

27. Dès lors, le moyen, qui se borne à contester l'insuffisante caractérisation de sa qualité de bénéficiaire, doit être écarté.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

Motivation

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.