Livv
Décisions

Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-82.330

COUR DE CASSATION

Autre

Rejet

Cass. crim. n° 23-82.330

23 mai 2024

N° Q 23-82.330 F-B

N° 00649

RB5
23 MAI 2024

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024

La société [3] (Suisse), partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 4 avril 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [F] [B] et Mme [Z] [I] des chefs d'abus de biens sociaux, blanchiment et banqueroute, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SARL Gury & Maitre, avocat de la société [3] (Suisse), et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le commissaire aux comptes de la société [4] exerçant une activité de bijouterie, joaillerie, vente d'or et d'argent, dont M. [F] [B] et Mme [Z] [I] étaient co-gérants, a porté à la connaissance du procureur de la République en juillet 2013 diverses anomalies comptables l'empêchant de certifier les comptes.

3. En octobre 2013, TRACFIN a signalé au procureur de la République l'existence de mouvements financiers suspects, dont un virement de la somme de 3 700 000 euros du compte de cette société vers celui de ses gérants, ensuite transférée sur leur compte joint ouvert à la banque [3] qui, le 15 mars 2012, a consenti un prêt de 9 000 000 euros à la société [Adresse 1], dont ils étaient co-gérants, aux fins d'acquisition d'un bien immobilier situé à [Localité 5] (83).

4. A l'issue de l'enquête, M. [B] et Mme [I] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, qui, par jugement en date du 29 octobre 2020, sur l'action publique, les a notamment déclarés coupables d'abus de biens sociaux, blanchiment et banqueroute et condamnés à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, quinze ans d'interdiction de gérer, et à la confiscation de la somme de 3 721 708,99 euros bloquée sur le compte n° [XXXXXXXXXX02] dont ils étaient titulaires dans les livres de la banque [3] (Monaco), rejeté la requête en restitution de cette somme, et, sur l'action civile, a notamment déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société [3] (Suisse) venant aux droits de la société [3] (Monaco).

5. La société [3] (Suisse) a relevé appel des disposition civiles du jugement.

6. M. [B] et Mme [I] ont relevé appel des dispositions pénales du jugement sauf sur la relaxe partielle.

7. Le ministère public a relevé appel incident.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution de la banque de la somme de 3 721 708,99 euros, initialement bloquée sur le compte n° [XXXXXXXXXX02] ouvert dans ses livres, alors :

« 1°/ que toute personne qui prétend « avoir droit » sur des objets placés sous la main de la justice, peut en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite; qu'il ne s'agit pas d'une action en revendication et que la demande de restitution n'est pas réservée au propriétaire des objets placés sous la main de la justice ; que la banque justifiait d'une convention de gage emportant dépossession de la somme déposée sur le compte [XXXXXXXXXX02] ouvert dans ses livres et dès lors de droits sur la chose ; qu'en rejetant la demande de restitution pour cela que la banque n'était pas propriétaire des sommes confisquées, la Cour a violé l'article 479 du Code de procédure pénale ;

2°/ que toute personne qui prétend avoir droit sur des objets placés sous la main de la justice, peut en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite; que si la demande de restitution doit être examinée sur le fondement de l'article 481 du Code de procédure pénale lorsque les biens placés sous main de justice n'ont pas été confisqués, il doit être statué sur cette demande en faisant application des dispositions de l'article 131-21 du Code pénal lorsque les biens ont été confisqués (Crim. 7 novembre 2018, n°17-87.424, Publié au bulletin) ; que ce texte ne prévoit de condition de bonne foi que pour le propriétaire du bien confisqué, seule comptant la licéité du droit réel constitué au profit de tiers ; qu'en se fondant sur l'absence de bonne foi de la banque, quand elle n'était pas propriétaire de la chose confisquée, la Cour a violé l'article 479 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 131-21 du Code pénal ;

3°/ en tous cas, que tout jugement doit être motivé ; qu'en ne précisant pas de quelle(s) circonstance(s) exacte(s) elle tirait l'absence de bonne foi de la banque, la Cour a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

4°/ enfin, que la bonne foi est présumée et à supposer que la Cour ait considéré que la banque, titulaire d'une sûreté réelle sur la somme de 3 721 708,99 €, n'était pas de bonne foi pour cela qu'elle savait que les deux emprunteurs n'avaient pas de revenus réguliers et que leurs revenus excédaient les résultats de leur entreprise déficitaire, quand de telles considérations sont impropres à caractériser la connaissance par la banque, qui n'était pas poursuivie pénalement à raison d'un recel, de ce que les sommes versées par les emprunteurs provenaient d'une infraction pénale, la Cour aurait alors derechef violé l'article 593 du Code de procédure pénale. »

9. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation de la somme de 3 721 708,99 euros, initialement bloquée sur le compte n° [XXXXXXXXXX02] ouvert dans ses livres et ordonné la saisie, aux frais avancés du Trésor, de ladite somme, alors :

« 1°/ que la chose confisquée est, sauf disposition particulière prévoyant sa destruction ou son attribution, dévolue à l'Etat, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers ; que tel est le cas du gage avec dépossession, sûreté réelle, dès lors qu'il est licitement constitué au profit d'un tiers ; qu'en ordonnant la confiscation et la saisie de la somme de 3 721 708,99 €, sans déduire la valeur de la sûreté réelle dont elle ne constatait pas l'illicéité, constituée sur cette somme au profit de la banque, la Cour a violé le dixième alinéa de l'article 131-21 du Code pénal ;

2°/ que l'article 131-21 du Code pénal réserve les droits du propriétaire de bonne foi et les droits réels licitement constitués au profit de tiers ; que la considération prise de l'absence de bonne foi de la banque, qui n'était pas propriétaire de la chose confisquée, ne saurait légalement justifier la décision attaquée qui aurait sinon alors été rendue en violation de l'article 131-21 du Code pénal ;

3°/ en tous cas, que tout jugement doit être motivé ; qu'en ne précisant pas de quelle(s) circonstance(s) exacte(s) elle tirait l'absence de bonne foi de la banque, la Cour a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

4°/ enfin, qu'à supposer que la Cour ait considéré que la banque, titulaire d'une sûreté réelle sur la somme de 3 721 708,99 €, n'était pas de bonne foi pour cela qu'elle ne pouvait ignorer que les deux emprunteurs n'avaient pas de revenus réguliers et que leurs revenus excédaient les résultats de leur entreprise déficitaire, quand de telles considérations sont impropres à caractériser la connaissance par la banque de ce que les sommes gagées avaient une origine illicite, et donc à exclure sa bonne foi, qui était présumée, la Cour aurait alors derechef violé l'article 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour confirmer le jugement sur la saisie et la confiscation de la somme de 3 721 708,99 euros bloquée sur le compte n° [XXXXXXXXXX02] ouvert dans les livres de la banque, dont sont titulaires M. [B] et Mme [I], prononcée à leur égard à titre de peine complémentaire et pour débouter la banque de sa requête en restitution de cette somme, l'arrêt attaqué énonce que si la confiscation du produit de l'infraction n'obère pas le droit à restitution du propriétaire de bonne foi, la banque n'est ni propriétaire de cette somme, l'existence d'un nantissement en sa faveur n'opérant pas transfert de propriété, ni de bonne foi.

12. Les juges ajoutent que la banque a octroyé un crédit de 9 000 000 euros en contrepartie d'une hypothèque inscrite sur l'immeuble financé et du gage de la somme de 3 700 000 euros saisie sur le compte des prévenus, destinée à garantir la caution solidaire de l'emprunt consenti à la société, alors qu'ils ne disposaient pas de revenus stables et que la somme constituée en gage n'avait pas de cohérence économique.

13. Ils en déduisent que le gage ainsi consenti par les prévenus à la banque pour garantir le prêt ne peut ni interdire la confiscation de cette somme ni justifier sa restitution.

14. En se déterminant ainsi, et dès lors que le grief portant sur la bonne ou la mauvaise foi de la banque est inopérant, celle-ci n'ayant pas la qualité de propriétaire des fonds saisis, la cour d'appel n'encourt pas les griefs des moyens.

15. En effet, d'une part, la circonstance que le solde créditeur d'un compte bancaire a été donné en gage à un créancier par l'effet d'un nantissement contenu dans un contrat de prêt ne rend pas celui-ci propriétaire de cette somme et n'est pas de nature à en interdire la confiscation.

16. D'autre part, une telle garantie contractuelle s'analyse en une sûreté qui, en cas de confiscation, est opposable à l'Etat jusqu'à la complète exécution de l'obligation du débiteur, en application de l'antépénultième alinéa de l'article 131-21 du code pénal.

17. Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.