Décisions
Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-85.888
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
N° H 23-85.888 F-B
N° 00644
RB5
23 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024
La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de contrefaçon aggravée, blanchiment et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 28 décembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [2], les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [1], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société [1], spécialisée dans la conception, le développement, la fabrication et la distribution de casques de motocyclette, a déposé plainte le 30 avril 2018 auprès du procureur de la République contre plusieurs sociétés, dont la société de droit espagnol [2], en dénonçant différents faits de contrefaçon de ses casques intégraux Evoline et Evo One.
3. Au cours de l'enquête préliminaire, les enquêteurs ont procédé aux auditions en qualité de témoins de M. [X] [L], conseil en propriété industrielle de la société [1] et de M. [E] [D], dirigeant de ladite société, en présence d'un avocat de celle-ci.
4. Une information des chefs d'atteinte en bande organisée aux droits du propriétaire d'un brevet, blanchiment, association de malfaiteurs et pratiques commerciales trompeuses a été ouverte et la société [1] s'est constituée partie civile.
5. Mise en examen des chefs de contrefaçon en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs, la société [2] a régulièrement présenté à la chambre de l'instruction une requête en annulation des auditions de témoin précitées.
6. Par ordonnance du 7 février 2024, le premier président de la Cour de cassation a rejeté la requête formée par la société [2] tendant à se voir autoriser à s'inscrire en faux contre une mention de l'arrêt attaqué, faisant état de ce que le mémoire déposé par la partie civile aurait été reçu et visé deux fois par le greffier, le 14 mars 2023 à 16h55 et le 15 mars 2023 à 15h01.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté son moyen de nullité tiré de la présence de l'avocat de la partie civile lors de différentes auditions de témoins dans le cadre de l'enquête préliminaire, alors « que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition en enquête préliminaire constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, qui fait nécessairement grief ; que l'assistance d'un témoin par l'avocat du plaignant porte en outre atteinte au droit au procès équitable ; qu'en refusant d'annuler les auditions de monsieur [L] et de monsieur [D], témoins, qui s'étaient déroulées lors de l'enquête préliminaire, lorsqu'elle constatait que ces derniers avaient été assistés par l'avocat de la société [1], la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire et 78 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 62 et 78 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit de ces textes que les témoins ne peuvent être assistés au cours de leur audition dans le cadre d'une enquête préliminaire par un avocat, dont l'intervention vise à garantir l'exercice des droits de la défense et ne peut bénéficier à une personne contre laquelle n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle ait commis ou tenté de commettre une infraction.
10. L'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, ce dont il résulte que toute partie qui a intérêt à obtenir l'annulation de l'acte peut s'en prévaloir.
11. Cette irrégularité ayant par ailleurs irrévocablement affecté les droits de la personne mise en examen, elle lui fait nécessairement grief.
12. En revanche, aux termes de l'article 10-4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015, applicable aux faits de la cause, à tous les stades de l'enquête, la victime peut, à sa demande, être accompagnée par son représentant légal et par la personne majeure de son choix.
13. Il en résulte que l'assistance de la victime par un avocat lors de son audition au cours d'une enquête préliminaire constitue l'exercice d'un droit.
14. Pour rejeter la requête en annulation, l'arrêt attaqué relève, après avoir rappelé que les deux auditions se sont effectivement déroulées en présence de l'avocat de la société plaignante, l'avis favorable du procureur de la République ayant été recueilli, qu'aucune règle ne proscrit la présence d'un avocat lors d'une audition de témoin durant l'enquête préliminaire, ni ne prévoit que cette pratique devrait être sanctionnée par une nullité de l'audition.
15. Les juges soulignent que l'avocat présent à ces auditions n'y a pris aucune part, sa présence muette n'ayant eu aucune incidence sur le déroulement de l'audition, ni aucun effet tangible sur l'équité de la procédure.
16. Ils retiennent que la demanderesse n'établit pas en quoi ces auditions ont porté une atteinte substantielle à ses intérêts.
17. Ils ajoutent qu'en application de l'article 82-2, alinéa 1er, du code de procédure pénale, elle peut saisir le juge d'instruction d'une demande d'audition d'un témoin ou d'une partie civile en présence de son propre avocat, et qu'elle pourrait ainsi bénéficier durant l'instruction de la même faculté que celle offerte au conseil de la société plaignante en enquête préliminaire, pour entendre les témoins en présence de son propre conseil.
18. En statuant ainsi, et dès lors que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition en enquête préliminaire constitue une irrégularité dont il est nécessairement résulté un grief pour la personne mise en examen, la chambre de l'instruction a méconnu le principe susvisé et les textes ci-dessus rappelés.
19. Cependant, l'arrêt n'encourt la censure qu'en ce qu'il rejette l'exception de nullité de l'audition du conseil en propriété intellectuelle, dès lors qu'est régulière l'audition du dirigeant de la société [1], en ce qu'elle s'analyse comme celle de la victime assistée d'un avocat.
20. Ainsi, la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 avril 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté l'exception de nullité de l'audition de M. [L], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.
N° 00644
RB5
23 MAI 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024
La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de contrefaçon aggravée, blanchiment et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 28 décembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [2], les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [1], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société [1], spécialisée dans la conception, le développement, la fabrication et la distribution de casques de motocyclette, a déposé plainte le 30 avril 2018 auprès du procureur de la République contre plusieurs sociétés, dont la société de droit espagnol [2], en dénonçant différents faits de contrefaçon de ses casques intégraux Evoline et Evo One.
3. Au cours de l'enquête préliminaire, les enquêteurs ont procédé aux auditions en qualité de témoins de M. [X] [L], conseil en propriété industrielle de la société [1] et de M. [E] [D], dirigeant de ladite société, en présence d'un avocat de celle-ci.
4. Une information des chefs d'atteinte en bande organisée aux droits du propriétaire d'un brevet, blanchiment, association de malfaiteurs et pratiques commerciales trompeuses a été ouverte et la société [1] s'est constituée partie civile.
5. Mise en examen des chefs de contrefaçon en bande organisée, blanchiment et association de malfaiteurs, la société [2] a régulièrement présenté à la chambre de l'instruction une requête en annulation des auditions de témoin précitées.
6. Par ordonnance du 7 février 2024, le premier président de la Cour de cassation a rejeté la requête formée par la société [2] tendant à se voir autoriser à s'inscrire en faux contre une mention de l'arrêt attaqué, faisant état de ce que le mémoire déposé par la partie civile aurait été reçu et visé deux fois par le greffier, le 14 mars 2023 à 16h55 et le 15 mars 2023 à 15h01.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté son moyen de nullité tiré de la présence de l'avocat de la partie civile lors de différentes auditions de témoins dans le cadre de l'enquête préliminaire, alors « que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition en enquête préliminaire constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, qui fait nécessairement grief ; que l'assistance d'un témoin par l'avocat du plaignant porte en outre atteinte au droit au procès équitable ; qu'en refusant d'annuler les auditions de monsieur [L] et de monsieur [D], témoins, qui s'étaient déroulées lors de l'enquête préliminaire, lorsqu'elle constatait que ces derniers avaient été assistés par l'avocat de la société [1], la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire et 78 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 62 et 78 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit de ces textes que les témoins ne peuvent être assistés au cours de leur audition dans le cadre d'une enquête préliminaire par un avocat, dont l'intervention vise à garantir l'exercice des droits de la défense et ne peut bénéficier à une personne contre laquelle n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle ait commis ou tenté de commettre une infraction.
10. L'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition constitue une irrégularité touchant aux conditions d'administration de la preuve, ce dont il résulte que toute partie qui a intérêt à obtenir l'annulation de l'acte peut s'en prévaloir.
11. Cette irrégularité ayant par ailleurs irrévocablement affecté les droits de la personne mise en examen, elle lui fait nécessairement grief.
12. En revanche, aux termes de l'article 10-4 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015, applicable aux faits de la cause, à tous les stades de l'enquête, la victime peut, à sa demande, être accompagnée par son représentant légal et par la personne majeure de son choix.
13. Il en résulte que l'assistance de la victime par un avocat lors de son audition au cours d'une enquête préliminaire constitue l'exercice d'un droit.
14. Pour rejeter la requête en annulation, l'arrêt attaqué relève, après avoir rappelé que les deux auditions se sont effectivement déroulées en présence de l'avocat de la société plaignante, l'avis favorable du procureur de la République ayant été recueilli, qu'aucune règle ne proscrit la présence d'un avocat lors d'une audition de témoin durant l'enquête préliminaire, ni ne prévoit que cette pratique devrait être sanctionnée par une nullité de l'audition.
15. Les juges soulignent que l'avocat présent à ces auditions n'y a pris aucune part, sa présence muette n'ayant eu aucune incidence sur le déroulement de l'audition, ni aucun effet tangible sur l'équité de la procédure.
16. Ils retiennent que la demanderesse n'établit pas en quoi ces auditions ont porté une atteinte substantielle à ses intérêts.
17. Ils ajoutent qu'en application de l'article 82-2, alinéa 1er, du code de procédure pénale, elle peut saisir le juge d'instruction d'une demande d'audition d'un témoin ou d'une partie civile en présence de son propre avocat, et qu'elle pourrait ainsi bénéficier durant l'instruction de la même faculté que celle offerte au conseil de la société plaignante en enquête préliminaire, pour entendre les témoins en présence de son propre conseil.
18. En statuant ainsi, et dès lors que l'assistance d'un témoin par un avocat lors de son audition en enquête préliminaire constitue une irrégularité dont il est nécessairement résulté un grief pour la personne mise en examen, la chambre de l'instruction a méconnu le principe susvisé et les textes ci-dessus rappelés.
19. Cependant, l'arrêt n'encourt la censure qu'en ce qu'il rejette l'exception de nullité de l'audition du conseil en propriété intellectuelle, dès lors qu'est régulière l'audition du dirigeant de la société [1], en ce qu'elle s'analyse comme celle de la victime assistée d'un avocat.
20. Ainsi, la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 avril 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté l'exception de nullité de l'audition de M. [L], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.