CA Toulouse, 2e ch., 23 janvier 2024, n° 23/01738
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arthur et Aston (Sasu)
Défendeur :
Albingia (SA), Tannerie du Loubat (SARL), Mégisserie Joqueviel & Cathala (SAS), MS Amlin Insurance (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, Mme Norguet
Avocats :
Me Gringore, Me Sorel, Me Benoit-Daief, Me Crepin, Me Alran, Me Cucullières, Me Sobol, Me Cantaloube-Ferrieu
Exposé des faits et procédure :
La Sasu Arthur et Aston crée et commercialise des produits de maroquinerie.
La SAS Tannerie du Loubat exerce une activité de mégisserie. Elle a été assurée auprès de la SA Albingia suivant contrat du 22 mai 2003 jusqu'au 31 décembre 2017, puis par la MS Amlin Insurance à compter de cette date.
Elle sous traite le blanchiment des peaux à la SAS Mégisserie Joqueviel et Cathala également assurée par la SA Albingia du 1er janvier 2015 au 30 juin 2018, puis par la MS Amlin Insurance à compter du 1er juillet 2018.
En 2017, la SAS Tannerie du Loubat a livré des peaux à la SASU Arthur et Aston dont certaines ont blanchi après fabrication d'articles de maroquinerie déjà été livrés à ses clients.
Malgré plusieurs interventions et traitements, les défauts n'ont pas disparu.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 mai 2019, la SASU Arthur et Aston a demandé l'indemnisation de son préjudice auprès de la SAS Tannerie du Loubat.
La SAS Tannerie du Loubat et la SAS Mégisserie Joqueviel et Cathala ont déclaré le sinistre auprès des deux compagnies Albingia et Amlin qui ont dénié toutes les deux leur garantie.
La SAS Tannerie du Loubat a fait assigner la SAS Mégisserie Joqueviel et Cathala et les SA Albingia et MS Amlin Insurance devant le tribunal de commerce de Castres.
Par jugement du 28 mars 2022, le tribunal a dit que la SA Albingia devait sa garantie au contraire de la MS Amlin Insurance et avant dire droit, il a désigné un expert aux fins de déterminer le préjudice de la SAS Tannerie du Loubat « tant pour ses dommages propres que pour ceux subis par la SASU Arthur et Aston ».
La SA Albingia a relevé appel de ce jugement par déclaration du 23 mai 2022.
Suivant acte en date du 28 octobre 2022, la SASU Arthur et Aston est intervenue volontairement au débat.
Par conclusions du 20 janvier 2022, la SA Albingia a saisi le conseiller de la mise en état pour solliciter que soit prononcée l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la SASU Arthur et Aston.
Par ordonnance du 16 mai 2023, le conseiller de la mise en état de la troisième chambre a
- Déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la SASU Arthur et Aston dans l'instance ouverte entre la SA Albingia et la SAS Tannerie du Loubat, la SAS Mégisserie Joqueviel et Cathala et la MS Amlin Insurance.
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, débouté les parties de leur demande.
- Condamné la SASU Arthur et Aston aux dépens de l'intervention volontaire;
- Autorisé conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.
Par requête en date du 30 mai 2023, la société Arthur Aston a déféré cette ordonnance à la cour.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions notifiées le 12 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SASU Arthur et Aston demandant, au visa des articles 325, 329, et 554 du Code de procédure civile, 1101 et suivants, 1604 et suivants,1640 et suivants, 2232 et suivants du Code civil, de :
- Infirmer l'ordonnance du 16 mai 2023 rendue par le Conseiller de la mise en état de la 3 e chambre de la Cour d'appel de Toulouse, excepté en ce qu'elle a débouté les parties adverses de leurs demandes reconventionnelles, notamment au titre de l'art. 700 du CPC.
- Déclarer recevable et non prescrite son intervention volontaire dans l'instance ouverte entre la SA Albingia et la SAS Tannerie du Loubat, la SAS Mégisserie Joqueviel et Cathala et la MS Amlin Insurance ;
- Débouter les sociétés Albingia, Tanneries du Loubat, Joqueviel et Cathala de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre ou contraires aux présentes ;
Vu les conclusions notifiées le 9 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la
MS Amlin Insurance SE, demandant de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les mérites du déféré et de statuer ce que de droit sur les dépens.
Vu les conclusions notifiées le 4 octobre 2023 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Albingia demandant au visa des articles 122, 325, 329, 554 et 907 du Code de procédure civile, 1604 et suivants, 1641 et suivants, 2233 et suivants du Code civil, de :
A titre principal,
- Déclarer irrecevable l'intervention volontaire de la société Arthur & Aston à la présente procédure d'appel ;
- Confirmer l'ordonnance rendue le 16 mai 2023 par le Conseiller de la mise en état de la 3 ème chambre de la Cour d'appel de Toulouse en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Arthur & Aston à la présente procédure d'appel ;
A titre subsidiaire,
- Déclarer irrecevable pour prescription l'action en indemnisation de la société Arthur & Aston ;
- Confirmer l'ordonnance rendue le 16 mai 2023 par le Conseiller de la mise en état de la 3 ème chambre de la Cour d'appel de Toulouse en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Arthur & Aston à la présente procédure d'appel ;
En tout état de cause,
- Débouter les sociétés Arthur & Aston, Tannerie du Loubat, Joqueviel & Cathala et Amlin de leurs demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;
- Condamner la société Arthur & Aston à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
- Condamner la société Arthur & Aston aux dépens de la présente instance.
Motivation
Motifs
Pour s'opposer à l'intervention volontaire de la société Arthur et Aston, la société Albingia soutient à titre principal que les conditions de l'article 554 du code de procédure civile ne sont pas réunies et à titre subsidiaire que l'action de la société intervenante est prescrite à défaut d'avoir été intentée dans le délai de deux ans prévu à l'article 1648 du code civil.
La société Arthur et Aston soutient que ses prétentions se rattachent à celles de la société Tannerie du Loubat par un lien suffisant et qu'elle a intérêt à participer aux opérations d'expertise puisque l'expert s'est vu confier la mission d'évaluer son préjudice pour l'indemnisation duquel elle sollicite d'ores et déjà devant la cour des demandes de condamnation in solidum de la sociétéTannerie du Loubat et de sa sous-traitante.
L'article 325 du code de procédure civile dispose que l'intervention volontaire est recevable si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant.
Selon les articles 328 et 329, l'intervention volontaire est principale ou accessoire. L'intervention volontaire est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.
En l'espèce, la société Arthur et Aston intervient volontairement à titre principal puisqu'elle sollicite l'indemnisation de son préjudice..
C'est à juste titre par des motifs pertinents que la cour fait siens que le magistrat chargé de la mise en état a retenu que dès lors que la société Tannerie du Loubat a elle même lié son préjudice à la réclamation formée par la société Arthur et Aston et que l'expert désigné par le premier juge a pour mission d'évaluer le préjudice de cette dernière qui ne peut donc être écartée de l'organisation de la mission d'expertise, la démonstration d'un lien suffisant au sens des dispositions de l'article 325 du code de procédure civile est pleinement rapportée.
Il appartient néanmoins à la société intervenante, d'établir également que son action qui tend à l'indemnisation de son préjudice n'est pas prescrite.
A cette fin, la société Arthur et Aston fait valoir que, fondée non sur l'existence d'un vice caché mais sur celle d'une non-conformité, son action n'est pas soumise à une prescription biennale mais à la prescription quinquennale, et qu'elle n'a commencé à courir qu'au jour du dépôt du rapport d'expertise.
Selon l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
L'article 1648 du code civil prévoit, en son premier alinéa, que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
En l'espèce, la société Arthur et Aston reproche à la société Tannerie de Loubat un phénomène anormal de blanchiment des peaux qui s'est révélé postérieurement à la vente et qui rend la chose impropre à son usage normal.
Il s'agit donc bien d'un vice caché et non d'un défaut conformité, les peaux livrées étant conformes aux spécifications contractuelles.
C'est donc à juste titre que le conseiller de la mise en état a retenu que l'action était soumise au délai de prescription de l'article 1648 du code civil.
Par courrier recommandé adressé à la société Albingia le 31mai 2019, le conseil de la société Arthur et Aston a sollicité le versement de la somme de 265 000 € en indemnisation de l'entier préjudice subi en raison du blanchiment des peaux, soit 40.000 € au titre des investissements consacrés à la gestion du dossier, 100 000 € au titre du préjudice d'image ' du fait de ce grave défaut de qualité ' ainsi que le manque à gagner sur les 3361 pièces non vendues, en rappelant les nombreux échanges intervenus entre les parties et les tentatives de traitement engagées sans succès, les marchandises ayant à nouveau blanchi. Il indiquait qu'à défaut de réponse positive, il avait pour mission de saisir le tribunal compétent.
A cette date, par conséquent, le vice invoqué était connu dans toute son ampleur et le délai pour agir a commencé à courir.
Le conseiller de la mise en état a en outre relevé à juste titre que contrairement à ce que soutient la société Arthur et Aston, aucune expertise amiable n'avait été réalisée, l'expert pressenti ayant indiqué par courriel du 11 mars 2020 qu'il avait été mis fin à sa mission et que l'expertise comptable ordonnée par le premier juge, avait pour finalité d'évaluer les préjudices mais non de caractériser le vice, de déterminer ses causes. C'est donc vainement que la société Arthur et Aston entend voir reporter le point de départ du délai de prescription à la date du dépôt du rapport d'expertise.
Sans contester que le délai de 2 ans prévu pour intenter une action en garantie à raison des vices cachés d'un bien vendu est un délai de prescription qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu'une mesure d'expertise a été ordonnée, il y a lieu de constater qu'à la date à laquelle l'expertise a été ordonnée, soit le 28 mars 2022, dans une instance à laquelle la société Arthur et Aston n'était pas partie, le délai biennal qui a commencé à courir le 19 mai 2019 était expiré, si bien qu'il n'a pu être ni suspendu, ni interrompu.
Enfin, c'est vainement que la société Arthur et Aston soutient que la société Tannerie du Loubat qui a reconnu sa responsabilité n'est pas fondée à invoquer la prescription de l'action.
En effet, ni le courrier du 20 mai 2020,ni celui du 2 juin 202 dans lesquels, la société Tannerie du Loubat indique à la société Arthur et Aston qu'il existe un désaccord entre ses deux assureurs mais qu'elle ' fait son tout son possible pour résoudre le dossier ' ni ceux des 18 août 2020 et du 11 mars 2021 faisant état d'une réunion avec son avocat, puis du report de cette réunion, ne constituent une reconnaissance univoque de responsabilité et du droit à indemnisation de la société Arthur et Aston de nature à interrompre la prescription biennale.
C'est donc à juste titre que le conseiller de la mise en état, constatant la prescription de son action a déclaré la société Arthur et Aston irrecevable en son intervention volontaire à l'instance.
L'ordonnance déférée sera intégralement confirmée.
Partie perdante, la société Arthur et Aston supportera les dépens de l'incident.
Les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dispositif
Par ces motifs
- Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- Condamne la société Arthur et Aston aux dépens de l'incident,
- Renvoi le dossier à la 3eme chambre pour la poursuite de l'instance entre les sociétés Albingia, Tannerie du Loubat, Mégisserie Jocqueviel & Cathala et la société MS Amlin.