Décisions
CA Douai, 3e ch., 16 mai 2024, n° 23/01118
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 16/05/2024
****
N° de MINUTE : 24/151
N° RG 23/01118 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UZKN
Jugement (N° 20/06134) rendu le 08 Décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
Madame [R] [I]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 7]
de nationalité Marocaine
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Faten Chafi - Shalak, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
Agent Judiciaire de L'Etat, pris en la personne de son agent judiciaire domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Dimitri Deregnaucourt, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 14 février 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 janvier 2024
****
EXPOSE DU LITIGE
Les faits et la procédure antérieure :
Le 23 octobre 2012, Mme [R] [I] a déposé plainte contre x pour des faits de vol avec effraction commis la veille à son domicile sis [Adresse 6] à [Localité 8] (Nord).
Le 22 février 2013, il a été établi que le sang prélevé sur les lieux le 23 octobre 2012 dans le cadre du relevé des traces et indices appartenait à une dénommée [O] [D], résidant à Barcelone (Espagne).
Suivant procès-verbal du 27 mars 2013, Mme [I] a été informée de l'identification de Mme [D].
Par soit-transmis du 4 octobre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille a été informé de ce que, malgré une inscription au fichier des personnes recherchées, Mme [D] demeurait introuvable sur le territoire national.
Par décision du 7 octobre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille a classé sans suite la plainte de Mme [I] au motif de « recherches infructueuses ».
Le 18 novembre 2014, Mme [I] a été informée de cette décision de classement sans suite.
Par courrier du 19 février 2015, Mme [I] a contesté cette décision de classement sans suite auprès du procureur général près la cour d'appel de Douai.
Par courrier du 27 juillet 2015, le procureur général a informé l'ancien conseil de Mme [I] de sa décision d'engager des poursuites à l'encontre de Mme [D].
Le 7 octobre 2015, un avis de convocation à l'audience de jugement du 15 janvier 2016 devant le tribunal correctionnel de Lille a été adressé à Mme [I]. Cet avis est revenu au tribunal de grande instance de Lille sans avoir été délivré.
Par acte du 19 octobre 2015, Mme [D] a été citée à parquet pour comparaître à l'audience du 15 janvier 2016 devant le tribunal correctionnel de Lille.
Par jugement du 15 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Lille a déclaré Mme [D], non comparante et non représentée, coupable des faits de vol avec effraction commis le 22 octobre 2012 à [Localité 8] au préjudice de Mme [I] et l'a condamnée à un emprisonnement délictuel de trois mois intégralement assorti d'un sursis.
Par acte du 17 septembre 2020, Mme [I] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Le jugement dont appel :
Par jugement contradictoire rendu le 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat ;
condamné Mme [I] aux entiers dépens de l'instance ;
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 6 mars 2023, Mme [I] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
4. Les prétentions et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 octobre 2023, Mme [I], appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement querellé et, statuant à nouveau, au visa de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme, 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, 40-2, 391, 393-1, 498, 550 et 552 du code de procédure pénale, 132-10 et 132-23-1 du code pénal, et de la loi Perben II du 9 mars 2004, de :
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 51 135 euros à titre de dommages et intérêts, en ce compris la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral, le reste étant destiné à réparer son préjudice matériel ;
débouter l'agent judiciaire de l'Etat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, en tous les frais et dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme [I] fait valoir que :
le délai s'étant écoulé entre le dépôt de sa plainte, le 23 octobre 2012, la décision de classement sans suite, rendue le 1er octobre 2014, et l'audience correctionnelle, intervenue le 15 janvier 2016, est déraisonnable et confine à un déni de justice ;
aucun avis de classement sans suite ne lui a été adressé, ce qui constitue une faute lourde ;
la citation de Mme [D] devant le tribunal correctionnel est irrégulière et constitue une faute lourde ;
faute d'avoir été avisée de la date de l'audience correctionnelle, elle n'a pas pu se constituer partie civile et obtenir réparation de ses préjudices ;
le jugement rendu le 15 janvier 2016 par le tribunal correctionnel de Lille ne lui a pas été notifié, ce qui l'a empêchée d'exercer un recours ;
outre un préjudice matériel, évalué à la somme de 26 300 euros, elle a subi un préjudice moral causé par la longueur de la procédure et l'impossibilité de se constituer partie civile.
4.2 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 août
2023, l'agent judiciaire de l'Etat, intimé, demande à la cour, au visa des articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, 700 du code de procédure civile, de :
confirmer le jugement dont appel ;
débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner Mme [I] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, l'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que :
le délai d'un an écoulé entre le dépôt de la plainte de Mme [I] et le classement sans suite est raisonnable et ne constitue pas une faute lourde ni un déni de justice ;
le procureur général a décidé d'engager les poursuites le 27 juillet 2015, Mme [D] a été citée à parquet le 19 octobre 2015 pour comparaître à l'audience du 15 janvier 2016 de sorte que le délai d'audiencement a été raisonnable et les délais prévus à l'article 552 du code de procédure pénale ont été respectés ;
il n'existe pas de lien de causalité entre l'absence d'avis de classement sans suite et l'impossibilité dans laquelle Mme [I] se serait trouvée de se constituer partie civile ;
l'Etat français ne dispose d'aucune autorité judiciaire lui permettant de procéder à une arrestation sur le sol espagnol ;
le fait que Mme [D] soit connue de la justice en France et en Espagne pour des faits similaires ne saurait caractériser un élément constitutif d'une faute lourde ;
l'existence de deux identités différentes dans les fichiers de police peut s'expliquer par une déclaration frauduleuse d'identité ; ce fait n'est donc pas imputable au service public de la justice ;
un avis d'audience avait été adressé à l'adresse déclarée par Mme [I] le 7 octobre 2015 mais est revenu au tribunal sans être délivré ;
l'absence d'avis d'audience n'empêchait pas Mme [I] de déposer plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction ;
le jugement du 15 janvier 2016 n'avait pas à être signifié à Mme [I] dès lors qu'elle n'était pas partie au procès ;
Mme [I] pouvait exercer une action en réparation devant le juge civil ou saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ;
Mme [I] ne justifie ni de la réalité ni du quantum des préjudices qu'elle invoque.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 8 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur la responsabilité de l'Etat
Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, ['] il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées. [. . .]
Le déni de justice s'entend plus largement de tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable, conformément à l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Civ. 1re 18 mars 2020, 19-10.453).
Par ailleurs, la faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi (Ass. plén. 23 févr. 2001, bull. A.P. n° 5).
Enfin, le requérant doit démontrer l'existence d'un préjudice direct, certain et personnel, en lien de causalité avec le déni de justice ou la faute lourde.
Il en résulte que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à condition que soit établie l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice imputable au fonctionnement défectueux du service public de la justice, ayant causé à l'usager un préjudice direct, certain et personnel.
En l'espèce, Mme [I] invoque plusieurs dysfonctionnements du service public de la justice l'ayant privée du droit de voir sa cause entendue et de défendre ses intérêts.
Sur le grief tiré de l'absence de respect d'un délai raisonnable
Aux termes de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement dans un délai raisonnable.
Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'organisation judiciaire, les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable. L'article préliminaire du code de procédure pénale dispose qu'il doit être définitivement statué sur l'accusation dont toute personne fait l'objet dans un délai raisonnable.
L'appréciation du délai d'une procédure se fait notamment au regard des éléments intrinsèques de la procédure, tels que la complexité de l'affaire, l'ensemble des diligences et des investigations réalisées par les autorités compétentes, le comportement des parties et le nombre de protagonistes.
En l'espèce, Mme [I] fait grief au service public de la justice d'avoir laissé s'écouler un délai déraisonnable, confinant au déni de justice, d'une part entre le dépôt de sa plainte et le classement sans suite, d'autre part entre le dépôt de sa plainte et l'audience correctionnelle de jugement.
* Sur le délai écoulé entre le dépôt de plainte et le classement sans suite
Le 23 octobre 2012, Mme [I] a déposé plainte contre x pour des faits de vol avec effraction commis la veille à son domicile à [Localité 8].
Mme [I] affirme que la décision de classement sans suite serait intervenue le 1er octobre 2014, de sorte qu'un délai de 28 mois se serait écoulé entre le dépôt de plainte et la décision de classement sans suite.
Néanmoins, la lecture de la décision de classement sans suite pour « recherches infructueuses », produite par l'agent judiciaire de l'Etat, enseigne que celle-ci porte la date du 7 octobre 2013, laquelle est corroborée par la lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 19 février 2015 par l'ancien conseil de Mme [I] au procureur général près la cour d'appel de Douai.
Un délai inférieur à un an s'est donc écoulé entre le dépôt de plainte et la décision de classement sans suite.
Il convient de prendre en compte les circonstances de l'affaire et les diligences accomplies pour apprécier le caractère raisonnable dudit délai.
En l'espèce, ainsi que l'a relevé le tribunal judiciaire de Lille, les relevés effectués sur les lieux de commission de l'infraction ont permis le prélèvement d'un échantillon de sang et l'obtention d'un ADN inconnu. Ce n'est que le 22 février 2013 qu'un recoupement a pu être fait avec le profil génétique d'une dénommée [O] [D], de nationalité espagnole. Mme [I] a été informée le 27 mars 2013 de cette identification. Mme [D] a été inscrite au fichier des personnes recherchées à compter du 25 mars 2013. Par ailleurs, Mme [I] a déposé cinq plaintes complémentaires le 26 octobre, 6 novembre, 23 novembre, 4 décembre et 11 décembre 2012, aux termes desquelles elle a notamment indiqué suspecter deux autres individus. Ces autres plaintes ont nécessairement accru le travail des enquêteurs qui ont dû procéder à des vérifications supplémentaires.
Il résulte de l'ensemble de ces énonciations que le tribunal judiciaire de Lille a justement retenu que le délai de moins d'un an, écoulé entre le dépôt de plainte du 23 octobre 2012 et la décision de classement sans suite du 7 octobre 2013, n'est pas un délai déraisonnable confinant à un déni de justice.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce que le tribunal judiciaire de Lille a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le délai écoulé entre le dépôt de plainte et l'audience de jugement
Il est constant qu'entre le dépôt de plainte effectué le 23 octobre 2012 et l'audience de jugement correctionnel tenue le 15 janvier 2016 s'est écoulé un délai de plus de trois ans.
Ce délai résulte notamment de la décision initiale de classement sans suite du procureur de la République rendue le 7 octobre 2013, au terme d'une appréciation de l'opportunité des poursuites, qui est une prérogative qu'il tient de l'article 40 du code de procédure pénale. Ainsi, comme l'a exactement énoncé le tribunal judiciaire de Lille, aucun manquement ne saurait être déduit de l'exercice régulier de cette prérogative, sauf à remettre en cause la liberté d'appréciation du procureur de la République.
Mme [I] a formé un recours le 19 février 2015, contre cette décision de classement sans suite devant le procureur général près la cour d'appel de Douai. Celui-ci a décidé, le 27 juillet 2015, d'enjoindre au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille d'engager des poursuites à l'encontre de Mme [D]. L'audience correctionnelle a été fixée au 15 janvier 2016. Il en résulte qu'un délai de moins de six mois s'est écoulé entre l'ordre d'engager les poursuites et l'audience correctionnelle, ce qui n'est pas un délai déraisonnable.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence d'avis de classement sans suite
Aux termes de l'article 40-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement.
Aux termes de l'article 40-3 du même code, toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République peut former un recours auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite prise à la suite de cette dénonciation. Le procureur général peut, dans les conditions prévues à l'article 36, enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites. S'il estime le recours infondé, il en informe l'intéressé.
En l'espèce, par décision du 7 octobre 2013, le procureur de la République a décidé de classer sans suite la plainte de Mme [I]. Mme [I] affirme n'avoir reçu aucun avis de classement sans suite, ce que l'agent judiciaire de l'Etat ne conteste pas.
Toutefois, Mme [I] ne démontre pas en quoi l'absence d'avis de classement sans suite lui aurait préjudicié, dès lors qu'elle a pu former un recours devant le procureur général qui y a donné une suite favorable. Par ailleurs, il n'existe aucun lien de causalité entre l'absence d'avis de classement sans suite et le préjudice qu'elle invoque, à savoir le fait de ne pas avoir pu se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel de Lille et ainsi obtenir des dommages et intérêts.
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'irrégularité de la citation de la prévenue
Aux termes de l'article 559 du code de procédure pénale, si la personne visée par l'exploit est sans domicile ou résidence connus, l'huissier remet une copie de l'exploit au parquet du procureur de la République du tribunal saisi. Les dispositions qui précèdent sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale dont le siège est inconnu. Lorsque le procureur de la République constate par procès-verbal qu'une personne qu'il veut citer à comparaître est sans domicile ou résidence connus ou, s'il s'agit d'une personne morale, que son siège est inconnu, ce procès-verbal, qui comporte les mentions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article 551, vaut citation à parquet. Il permet de juger la personne par défaut selon les modalités prévues à l'article 412.
Aux termes de l'article 552 du code de procédure pénale, le délai entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le tribunal correctionnel ou de police est d'au moins dix jours, si la partie citée réside dans un département de la France métropolitaine ou si, résidant dans un département d'outre-mer, elle est citée devant un tribunal de ce département. Ce délai est augmenté d'un mois si la partie citée devant le tribunal d'un département d'outre-mer réside dans un autre département d'outre-mer, dans un territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte ou en France métropolitaine, ou si, cité devant un tribunal d'un département de la France métropolitaine, elle réside dans un département ou territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte. Si la partie citée réside à l'étranger, ce délai est augmenté d'un mois si elle demeure dans un Etat membre de l'Union européenne et de deux mois dans les autres cas.
Aux termes de l'article 565 du code de procédure pénale, la nullité d'un exploit ne peut être prononcée que lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'il concerne, sous réserve, pour les délais de citation, des dispositions de l'article 553, 2°.
En l'espèce, Mme [D] a fait l'objet d'une citation à parquet le 19 octobre 2015 aux fins de comparution à l'audience du tribunal correctionnel de Lille du 15 janvier 2016.
Seule la prévenue, Mme [D], pouvait se prévaloir de l'éventuelle irrégularité de la citation à parquet et de sa nullité, alors que son adresse en Espagne était prétendument connue.
Mme [I] ne démontre pas en quoi l'irrégularité de la citation, à la supposer avérée, lui aurait été préjudiciable.
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence d'avis à victime de la date d'audience
Aux termes de l'article 391 du code de procédure pénale, toute personne ayant porté plainte est avisée par le parquet de la date de l'audience. Lorsque la victime ne comprend pas la langue française, elle a droit, à sa demande, à une traduction de l'avis d'audience. A titre exceptionnel, il peut en être effectué une traduction orale ou un résumé oral. Lorsque l'avis d'audience a été adressé à la victime mais qu'il n'est pas établi qu'il a été reçu par celle-ci, le tribunal qui statue sur l'action publique parce qu'il estime que la présence de la victime n'est pas indispensable aux débats peut renvoyer le jugement de l'affaire sur l'action civile à une audience ultérieure, composée conformément au troisième alinéa de l'article 464 ; le tribunal doit alors fixer la date de cette audience et la victime doit en être avisée.
En l'espèce, Mme [I] soutient que ni elle, ni son conseil n'ont été avisés de l'audience du 15 janvier 2016 tenue devant le tribunal correctionnel de Lille. Si un avis d'audience a bien été adressé à Mme [I] le 7 octobre 2015, il est exact qu'il ne lui est jamais parvenu car la lettre recommandée avec accusé de réception a été retournée avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée » (NPAI), étant observé que le numéro d'appartement ne figurait pas dans l'adresse à laquelle l'avis a été envoyé, pourtant indiqué plusieurs fois par Mme [I] dans son dépôt de plainte et ses courriers postérieurs.
Ainsi, comme l'a retenu le tribunal judiciaire de Lille, une erreur a bien été commise dans l'enregistrement incomplet de l'adresse de Mme [I] ayant eu pour conséquence que l'avis d'audience ne lui est jamais parvenu.
Néanmoins, la faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
En l'espèce, Mme [I] ne démontre pas en quoi l'erreur d'adressage pourrait être assimilée à une déficience caractérisée par un fait traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, alors qu'elle pouvait déposer plainte avec constitution de partie civile devant un juge d'instruction, ou encore diligenter une action civile en réparation de son préjudice devant la juridiction civile de droit commun ou la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI).
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence de notification du jugement de condamnation
Aux termes de l'article 498 du code de procédure pénale, sans préjudice de l'article 505, l'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire. Toutefois, le délai d'appel ne court qu'à compter de la signification du jugement quel qu'en soit le mode : 1° Pour la partie qui, après débat contradictoire, n'était pas présente ou représentée à l'audience où le jugement a été prononcé, mais seulement dans le cas où elle-même ou son représentant n'auraient pas été informés du jour où le jugement serait prononcé.
Il résulte de cette disposition que le jugement n'a pas à être signifié à une personne qui n'est pas partie au procès.
En l'espèce, Mme [I] n'ayant pas pu se constituer partie civile, celle-ci n'avait pas la qualité de partie requise par la disposition susvisée, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir d'un défaut de signification pour l'assimiler à un dysfonctionnement du service public de la justice.
Par ailleurs, aux termes de l'article 706-5 du code de procédure pénale, à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive. Toutefois, la commission relève le requérant de la forclusion lorsque l'information prévue à l'article 706-15 n'a pas été donnée, lorsque le requérant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.
Il résulte de cette disposition que lorsque le requérant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis, il peut saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins de se voir relever de la forclusion et ainsi pouvoir présenter une demande d'indemnisation. De plus, la saisine de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions n'est pas subordonnée à l'existence de poursuites mais à l'existence du caractère matériel d'une infraction.
En conséquence, l'absence de signification du jugement n'a pas privé Mme [I] de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins d'indemnisation en demandant un relevé de forclusion.
Il convient donc de confirmer le jugement dont appel en qu'il a jugé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur l'existence et le quantum des préjudices
Seul le préjudice certain, direct et personnel, causé par une faute lourde ou un déni de justice imputable au fonctionnement défectueux du service public de la justice, est susceptible d'être réparé par l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
En l'espèce, Mme [I] ayant échoué à démontrer l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice imputable à un dysfonctionnement du service public de la justice, les préjudices qu'elle invoque, à les supposer démontrés tant dans leur existence que leur quantum, ne sont pas réparables.
Sur les dispositions annexes
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.
Mme [I] qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel.
Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent à débouter l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 8 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette les plus amples prétentions des parties ;
Condamne Mme [R] [I] aux entiers dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Fabienne DUFOSSÉ
Le président
Guillaume SALOMON
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 16/05/2024
****
N° de MINUTE : 24/151
N° RG 23/01118 - N° Portalis DBVT-V-B7H-UZKN
Jugement (N° 20/06134) rendu le 08 Décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANTE
Madame [R] [I]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 7]
de nationalité Marocaine
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Faten Chafi - Shalak, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
Agent Judiciaire de L'Etat, pris en la personne de son agent judiciaire domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Dimitri Deregnaucourt, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 14 février 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Yasmina Belkaid, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 janvier 2024
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EXPOSE DU LITIGE
Les faits et la procédure antérieure :
Le 23 octobre 2012, Mme [R] [I] a déposé plainte contre x pour des faits de vol avec effraction commis la veille à son domicile sis [Adresse 6] à [Localité 8] (Nord).
Le 22 février 2013, il a été établi que le sang prélevé sur les lieux le 23 octobre 2012 dans le cadre du relevé des traces et indices appartenait à une dénommée [O] [D], résidant à Barcelone (Espagne).
Suivant procès-verbal du 27 mars 2013, Mme [I] a été informée de l'identification de Mme [D].
Par soit-transmis du 4 octobre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille a été informé de ce que, malgré une inscription au fichier des personnes recherchées, Mme [D] demeurait introuvable sur le territoire national.
Par décision du 7 octobre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille a classé sans suite la plainte de Mme [I] au motif de « recherches infructueuses ».
Le 18 novembre 2014, Mme [I] a été informée de cette décision de classement sans suite.
Par courrier du 19 février 2015, Mme [I] a contesté cette décision de classement sans suite auprès du procureur général près la cour d'appel de Douai.
Par courrier du 27 juillet 2015, le procureur général a informé l'ancien conseil de Mme [I] de sa décision d'engager des poursuites à l'encontre de Mme [D].
Le 7 octobre 2015, un avis de convocation à l'audience de jugement du 15 janvier 2016 devant le tribunal correctionnel de Lille a été adressé à Mme [I]. Cet avis est revenu au tribunal de grande instance de Lille sans avoir été délivré.
Par acte du 19 octobre 2015, Mme [D] a été citée à parquet pour comparaître à l'audience du 15 janvier 2016 devant le tribunal correctionnel de Lille.
Par jugement du 15 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Lille a déclaré Mme [D], non comparante et non représentée, coupable des faits de vol avec effraction commis le 22 octobre 2012 à [Localité 8] au préjudice de Mme [I] et l'a condamnée à un emprisonnement délictuel de trois mois intégralement assorti d'un sursis.
Par acte du 17 septembre 2020, Mme [I] a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal judiciaire de Lille aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Le jugement dont appel :
Par jugement contradictoire rendu le 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Lille a :
débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat ;
condamné Mme [I] aux entiers dépens de l'instance ;
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 6 mars 2023, Mme [I] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
4. Les prétentions et moyens des parties :
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 octobre 2023, Mme [I], appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement querellé et, statuant à nouveau, au visa de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme, 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, 40-2, 391, 393-1, 498, 550 et 552 du code de procédure pénale, 132-10 et 132-23-1 du code pénal, et de la loi Perben II du 9 mars 2004, de :
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 51 135 euros à titre de dommages et intérêts, en ce compris la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral, le reste étant destiné à réparer son préjudice matériel ;
débouter l'agent judiciaire de l'Etat de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, en tous les frais et dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme [I] fait valoir que :
le délai s'étant écoulé entre le dépôt de sa plainte, le 23 octobre 2012, la décision de classement sans suite, rendue le 1er octobre 2014, et l'audience correctionnelle, intervenue le 15 janvier 2016, est déraisonnable et confine à un déni de justice ;
aucun avis de classement sans suite ne lui a été adressé, ce qui constitue une faute lourde ;
la citation de Mme [D] devant le tribunal correctionnel est irrégulière et constitue une faute lourde ;
faute d'avoir été avisée de la date de l'audience correctionnelle, elle n'a pas pu se constituer partie civile et obtenir réparation de ses préjudices ;
le jugement rendu le 15 janvier 2016 par le tribunal correctionnel de Lille ne lui a pas été notifié, ce qui l'a empêchée d'exercer un recours ;
outre un préjudice matériel, évalué à la somme de 26 300 euros, elle a subi un préjudice moral causé par la longueur de la procédure et l'impossibilité de se constituer partie civile.
4.2 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 août
2023, l'agent judiciaire de l'Etat, intimé, demande à la cour, au visa des articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, 700 du code de procédure civile, de :
confirmer le jugement dont appel ;
débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
condamner Mme [I] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, l'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que :
le délai d'un an écoulé entre le dépôt de la plainte de Mme [I] et le classement sans suite est raisonnable et ne constitue pas une faute lourde ni un déni de justice ;
le procureur général a décidé d'engager les poursuites le 27 juillet 2015, Mme [D] a été citée à parquet le 19 octobre 2015 pour comparaître à l'audience du 15 janvier 2016 de sorte que le délai d'audiencement a été raisonnable et les délais prévus à l'article 552 du code de procédure pénale ont été respectés ;
il n'existe pas de lien de causalité entre l'absence d'avis de classement sans suite et l'impossibilité dans laquelle Mme [I] se serait trouvée de se constituer partie civile ;
l'Etat français ne dispose d'aucune autorité judiciaire lui permettant de procéder à une arrestation sur le sol espagnol ;
le fait que Mme [D] soit connue de la justice en France et en Espagne pour des faits similaires ne saurait caractériser un élément constitutif d'une faute lourde ;
l'existence de deux identités différentes dans les fichiers de police peut s'expliquer par une déclaration frauduleuse d'identité ; ce fait n'est donc pas imputable au service public de la justice ;
un avis d'audience avait été adressé à l'adresse déclarée par Mme [I] le 7 octobre 2015 mais est revenu au tribunal sans être délivré ;
l'absence d'avis d'audience n'empêchait pas Mme [I] de déposer plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction ;
le jugement du 15 janvier 2016 n'avait pas à être signifié à Mme [I] dès lors qu'elle n'était pas partie au procès ;
Mme [I] pouvait exercer une action en réparation devant le juge civil ou saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ;
Mme [I] ne justifie ni de la réalité ni du quantum des préjudices qu'elle invoque.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 8 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur la responsabilité de l'Etat
Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, ['] il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées. [. . .]
Le déni de justice s'entend plus largement de tout manquement de l'Etat à son devoir de permettre à toute personne d'accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable, conformément à l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Civ. 1re 18 mars 2020, 19-10.453).
Par ailleurs, la faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi (Ass. plén. 23 févr. 2001, bull. A.P. n° 5).
Enfin, le requérant doit démontrer l'existence d'un préjudice direct, certain et personnel, en lien de causalité avec le déni de justice ou la faute lourde.
Il en résulte que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'à condition que soit établie l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice imputable au fonctionnement défectueux du service public de la justice, ayant causé à l'usager un préjudice direct, certain et personnel.
En l'espèce, Mme [I] invoque plusieurs dysfonctionnements du service public de la justice l'ayant privée du droit de voir sa cause entendue et de défendre ses intérêts.
Sur le grief tiré de l'absence de respect d'un délai raisonnable
Aux termes de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement dans un délai raisonnable.
Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'organisation judiciaire, les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable. L'article préliminaire du code de procédure pénale dispose qu'il doit être définitivement statué sur l'accusation dont toute personne fait l'objet dans un délai raisonnable.
L'appréciation du délai d'une procédure se fait notamment au regard des éléments intrinsèques de la procédure, tels que la complexité de l'affaire, l'ensemble des diligences et des investigations réalisées par les autorités compétentes, le comportement des parties et le nombre de protagonistes.
En l'espèce, Mme [I] fait grief au service public de la justice d'avoir laissé s'écouler un délai déraisonnable, confinant au déni de justice, d'une part entre le dépôt de sa plainte et le classement sans suite, d'autre part entre le dépôt de sa plainte et l'audience correctionnelle de jugement.
* Sur le délai écoulé entre le dépôt de plainte et le classement sans suite
Le 23 octobre 2012, Mme [I] a déposé plainte contre x pour des faits de vol avec effraction commis la veille à son domicile à [Localité 8].
Mme [I] affirme que la décision de classement sans suite serait intervenue le 1er octobre 2014, de sorte qu'un délai de 28 mois se serait écoulé entre le dépôt de plainte et la décision de classement sans suite.
Néanmoins, la lecture de la décision de classement sans suite pour « recherches infructueuses », produite par l'agent judiciaire de l'Etat, enseigne que celle-ci porte la date du 7 octobre 2013, laquelle est corroborée par la lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 19 février 2015 par l'ancien conseil de Mme [I] au procureur général près la cour d'appel de Douai.
Un délai inférieur à un an s'est donc écoulé entre le dépôt de plainte et la décision de classement sans suite.
Il convient de prendre en compte les circonstances de l'affaire et les diligences accomplies pour apprécier le caractère raisonnable dudit délai.
En l'espèce, ainsi que l'a relevé le tribunal judiciaire de Lille, les relevés effectués sur les lieux de commission de l'infraction ont permis le prélèvement d'un échantillon de sang et l'obtention d'un ADN inconnu. Ce n'est que le 22 février 2013 qu'un recoupement a pu être fait avec le profil génétique d'une dénommée [O] [D], de nationalité espagnole. Mme [I] a été informée le 27 mars 2013 de cette identification. Mme [D] a été inscrite au fichier des personnes recherchées à compter du 25 mars 2013. Par ailleurs, Mme [I] a déposé cinq plaintes complémentaires le 26 octobre, 6 novembre, 23 novembre, 4 décembre et 11 décembre 2012, aux termes desquelles elle a notamment indiqué suspecter deux autres individus. Ces autres plaintes ont nécessairement accru le travail des enquêteurs qui ont dû procéder à des vérifications supplémentaires.
Il résulte de l'ensemble de ces énonciations que le tribunal judiciaire de Lille a justement retenu que le délai de moins d'un an, écoulé entre le dépôt de plainte du 23 octobre 2012 et la décision de classement sans suite du 7 octobre 2013, n'est pas un délai déraisonnable confinant à un déni de justice.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce que le tribunal judiciaire de Lille a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le délai écoulé entre le dépôt de plainte et l'audience de jugement
Il est constant qu'entre le dépôt de plainte effectué le 23 octobre 2012 et l'audience de jugement correctionnel tenue le 15 janvier 2016 s'est écoulé un délai de plus de trois ans.
Ce délai résulte notamment de la décision initiale de classement sans suite du procureur de la République rendue le 7 octobre 2013, au terme d'une appréciation de l'opportunité des poursuites, qui est une prérogative qu'il tient de l'article 40 du code de procédure pénale. Ainsi, comme l'a exactement énoncé le tribunal judiciaire de Lille, aucun manquement ne saurait être déduit de l'exercice régulier de cette prérogative, sauf à remettre en cause la liberté d'appréciation du procureur de la République.
Mme [I] a formé un recours le 19 février 2015, contre cette décision de classement sans suite devant le procureur général près la cour d'appel de Douai. Celui-ci a décidé, le 27 juillet 2015, d'enjoindre au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille d'engager des poursuites à l'encontre de Mme [D]. L'audience correctionnelle a été fixée au 15 janvier 2016. Il en résulte qu'un délai de moins de six mois s'est écoulé entre l'ordre d'engager les poursuites et l'audience correctionnelle, ce qui n'est pas un délai déraisonnable.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence d'avis de classement sans suite
Aux termes de l'article 40-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement.
Aux termes de l'article 40-3 du même code, toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République peut former un recours auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite prise à la suite de cette dénonciation. Le procureur général peut, dans les conditions prévues à l'article 36, enjoindre au procureur de la République d'engager des poursuites. S'il estime le recours infondé, il en informe l'intéressé.
En l'espèce, par décision du 7 octobre 2013, le procureur de la République a décidé de classer sans suite la plainte de Mme [I]. Mme [I] affirme n'avoir reçu aucun avis de classement sans suite, ce que l'agent judiciaire de l'Etat ne conteste pas.
Toutefois, Mme [I] ne démontre pas en quoi l'absence d'avis de classement sans suite lui aurait préjudicié, dès lors qu'elle a pu former un recours devant le procureur général qui y a donné une suite favorable. Par ailleurs, il n'existe aucun lien de causalité entre l'absence d'avis de classement sans suite et le préjudice qu'elle invoque, à savoir le fait de ne pas avoir pu se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel de Lille et ainsi obtenir des dommages et intérêts.
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'irrégularité de la citation de la prévenue
Aux termes de l'article 559 du code de procédure pénale, si la personne visée par l'exploit est sans domicile ou résidence connus, l'huissier remet une copie de l'exploit au parquet du procureur de la République du tribunal saisi. Les dispositions qui précèdent sont applicables à la signification d'un acte concernant une personne morale dont le siège est inconnu. Lorsque le procureur de la République constate par procès-verbal qu'une personne qu'il veut citer à comparaître est sans domicile ou résidence connus ou, s'il s'agit d'une personne morale, que son siège est inconnu, ce procès-verbal, qui comporte les mentions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article 551, vaut citation à parquet. Il permet de juger la personne par défaut selon les modalités prévues à l'article 412.
Aux termes de l'article 552 du code de procédure pénale, le délai entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le tribunal correctionnel ou de police est d'au moins dix jours, si la partie citée réside dans un département de la France métropolitaine ou si, résidant dans un département d'outre-mer, elle est citée devant un tribunal de ce département. Ce délai est augmenté d'un mois si la partie citée devant le tribunal d'un département d'outre-mer réside dans un autre département d'outre-mer, dans un territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte ou en France métropolitaine, ou si, cité devant un tribunal d'un département de la France métropolitaine, elle réside dans un département ou territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte. Si la partie citée réside à l'étranger, ce délai est augmenté d'un mois si elle demeure dans un Etat membre de l'Union européenne et de deux mois dans les autres cas.
Aux termes de l'article 565 du code de procédure pénale, la nullité d'un exploit ne peut être prononcée que lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'il concerne, sous réserve, pour les délais de citation, des dispositions de l'article 553, 2°.
En l'espèce, Mme [D] a fait l'objet d'une citation à parquet le 19 octobre 2015 aux fins de comparution à l'audience du tribunal correctionnel de Lille du 15 janvier 2016.
Seule la prévenue, Mme [D], pouvait se prévaloir de l'éventuelle irrégularité de la citation à parquet et de sa nullité, alors que son adresse en Espagne était prétendument connue.
Mme [I] ne démontre pas en quoi l'irrégularité de la citation, à la supposer avérée, lui aurait été préjudiciable.
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a décidé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence d'avis à victime de la date d'audience
Aux termes de l'article 391 du code de procédure pénale, toute personne ayant porté plainte est avisée par le parquet de la date de l'audience. Lorsque la victime ne comprend pas la langue française, elle a droit, à sa demande, à une traduction de l'avis d'audience. A titre exceptionnel, il peut en être effectué une traduction orale ou un résumé oral. Lorsque l'avis d'audience a été adressé à la victime mais qu'il n'est pas établi qu'il a été reçu par celle-ci, le tribunal qui statue sur l'action publique parce qu'il estime que la présence de la victime n'est pas indispensable aux débats peut renvoyer le jugement de l'affaire sur l'action civile à une audience ultérieure, composée conformément au troisième alinéa de l'article 464 ; le tribunal doit alors fixer la date de cette audience et la victime doit en être avisée.
En l'espèce, Mme [I] soutient que ni elle, ni son conseil n'ont été avisés de l'audience du 15 janvier 2016 tenue devant le tribunal correctionnel de Lille. Si un avis d'audience a bien été adressé à Mme [I] le 7 octobre 2015, il est exact qu'il ne lui est jamais parvenu car la lettre recommandée avec accusé de réception a été retournée avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée » (NPAI), étant observé que le numéro d'appartement ne figurait pas dans l'adresse à laquelle l'avis a été envoyé, pourtant indiqué plusieurs fois par Mme [I] dans son dépôt de plainte et ses courriers postérieurs.
Ainsi, comme l'a retenu le tribunal judiciaire de Lille, une erreur a bien été commise dans l'enregistrement incomplet de l'adresse de Mme [I] ayant eu pour conséquence que l'avis d'audience ne lui est jamais parvenu.
Néanmoins, la faute lourde est définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
En l'espèce, Mme [I] ne démontre pas en quoi l'erreur d'adressage pourrait être assimilée à une déficience caractérisée par un fait traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, alors qu'elle pouvait déposer plainte avec constitution de partie civile devant un juge d'instruction, ou encore diligenter une action civile en réparation de son préjudice devant la juridiction civile de droit commun ou la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI).
Il convient donc de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a retenu que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur le grief tiré de l'absence de notification du jugement de condamnation
Aux termes de l'article 498 du code de procédure pénale, sans préjudice de l'article 505, l'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire. Toutefois, le délai d'appel ne court qu'à compter de la signification du jugement quel qu'en soit le mode : 1° Pour la partie qui, après débat contradictoire, n'était pas présente ou représentée à l'audience où le jugement a été prononcé, mais seulement dans le cas où elle-même ou son représentant n'auraient pas été informés du jour où le jugement serait prononcé.
Il résulte de cette disposition que le jugement n'a pas à être signifié à une personne qui n'est pas partie au procès.
En l'espèce, Mme [I] n'ayant pas pu se constituer partie civile, celle-ci n'avait pas la qualité de partie requise par la disposition susvisée, de sorte qu'elle ne peut se prévaloir d'un défaut de signification pour l'assimiler à un dysfonctionnement du service public de la justice.
Par ailleurs, aux termes de l'article 706-5 du code de procédure pénale, à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive. Toutefois, la commission relève le requérant de la forclusion lorsque l'information prévue à l'article 706-15 n'a pas été donnée, lorsque le requérant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.
Il résulte de cette disposition que lorsque le requérant n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis, il peut saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins de se voir relever de la forclusion et ainsi pouvoir présenter une demande d'indemnisation. De plus, la saisine de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions n'est pas subordonnée à l'existence de poursuites mais à l'existence du caractère matériel d'une infraction.
En conséquence, l'absence de signification du jugement n'a pas privé Mme [I] de la possibilité de saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins d'indemnisation en demandant un relevé de forclusion.
Il convient donc de confirmer le jugement dont appel en qu'il a jugé que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée pour ce motif.
Sur l'existence et le quantum des préjudices
Seul le préjudice certain, direct et personnel, causé par une faute lourde ou un déni de justice imputable au fonctionnement défectueux du service public de la justice, est susceptible d'être réparé par l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
En l'espèce, Mme [I] ayant échoué à démontrer l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice imputable à un dysfonctionnement du service public de la justice, les préjudices qu'elle invoque, à les supposer démontrés tant dans leur existence que leur quantum, ne sont pas réparables.
Sur les dispositions annexes
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.
Mme [I] qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel.
Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent à débouter l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 8 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette les plus amples prétentions des parties ;
Condamne Mme [R] [I] aux entiers dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Fabienne DUFOSSÉ
Le président
Guillaume SALOMON