Livv
Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 2, 17 mai 2024, n° 23/01020

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 23/01020

17 mai 2024

17/05/2024

ARRÊT N°2024/179

N° RG 23/01020 - N° Portalis DBVI-V-B7H-PKMM

CB/AR

Décision déférée du 23 Février 2023 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( 21/01077)

Section encadrement - DAUD P.

S.A. ETIENNE LACROIX TOUS ARTIFICES

C/

[N] [T]

infirmation partielle

Grosse délivrée

le 17 05 2024

à Me Michel JOLLY

Me Guillaume AFFRI

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE

***

APPELANTE

S.A. ETIENNE LACROIX TOUS ARTIFICES

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, [Adresse 2]

Représentée par Me Michel JOLLY de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIME

Monsieur [N] [T]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Guillaume AFFRI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. BRISSET, présidente et F.CROISILLE-CABROL, conseillère, chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

F. CROISILLE-CABROL, conseillère

E. BILLOT, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [N] [T] a été embauché selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er mars 2008 par la SA Etienne Lacroix Tous Artifices en qualité de responsable commercial Moyen Orient.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, M. [T], qui avait fait l'objet d'un détachement dans le cadre d'une expatriation, exerçait les fonctions de directeur général (Managing Director) de la filiale Seagull Fireworks LLC située à Abu Dhabi, aux Emirats Arabes Unis. Il a été informé par courrier du 11 février 2021 que son expatriation prendrait fin le 4 juillet 2021 et qu'il serait réaffecté sur le poste de directeur du développement international à [Localité 4] (31).

La convention collective applicable est celle des industries chimiques.

La société Etienne Lacroix Tous Artifices emploie au moins 11 salariés.

Selon lettre du 4 mars 2021 contenant mise à pied à titre conservatoire, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 11 mars 2021.

Il a été licencié pour faute grave selon lettre du 20 mars 2021.

Le 22 juillet 2021, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse aux fins de contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 23 février 2023, le conseil a :

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SA Etienne Lacroix Tous Artifices prise en la personne de son représentant légal ès-qualités à payer à M. [N] [T] les sommes de :

- 4 232,64 euros brut au titre de rappel de salaire sur la mise à pied du 4 au 20 mars 2021, outre 423,26 euros au titre des congés payés afférents,

- 27 918 euros brut au titre de l'indemnité de préavis, outre 2 791,80 euros au titre des congés payés afférents,

- 64 912,02 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- condamné la société Etienne Lacroix Tous Artifices prise en la personne de son représentant légal ès-qualités à payer à M. [T] la somme de 65 000 euros net de toutes cotisations salariales, à titre de dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Etienne Lacroix Tous Artifices prise en la personne de son représentant légal ès-qualités à payer à M. [T] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [T] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Etienne Lacroix Tous Artifices du surplus de ses demandes,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,

- condamné la société Etienne Lacroix Tous Artifices aux dépens.

Le 20 mars 2023, la société Etienne Lacroix Tous Artifices a interjeté appel du jugement, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués de la décision.

Dans ses dernières écritures en date du 5 décembre 2023, auxquelles il est fait expressément référence, la société Etienne Lacroix Tous Artifices demande à la cour de :

- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse condamné la société à verser à M. [T] les sommes suivantes :

- 4 232 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied du 06 au 20 mars 2021,

- 423 euros de congés payés afférents,

- 27 918 euros d'indemnité de préavis,

- 2 791 euros de congés payés afférents,

- 64 912 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 65 000 euros nets de toute cotisation salariale à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- ainsi qu'aux dépens,

- le confirmer pour le surplus,

- dire et juger irrecevables et en tout état de cause injustifiées les demandes présentées par M. [T],

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner M. [T] à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que la faute est établie et invoque un caractère de gravité découlant du niveau hiérarchique qui était celui du salarié. Sur l'appel incident, elle fait valoir qu'elle a pris en charge les frais exposés pour le retour par le salarié et sa famille. Elle précise qu'elle avait demandé expressément au salarié de prendre ses jours de repos.

Dans ses dernières écritures en date du 6 septembre 2023, auxquelles il est fait expressément référence, M. [T] demande à la cour de :

- recevoir M. [N] [T] en son appel incident et l'y dire bien fondé.

Y faisant droit :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Etienne Lacroix à lui payer les sommes de :

- 4 232,64 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied du 6 au 20 mars 2021 et 423,26 euros de congés payés y afférents,

- 27 918 euros à titre d'indemnité de préavis et 2 791,80 euros à titre de congés payés y afférents,

- 64 912,02 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- infirmer les dispositions du jugement déféré pour le surplus.

Et, statuant à nouveau :

- condamner la société Etienne Lacroix Tous Artifices à payer à M. [T] les sommes de :

- 10 031,35 euros bruts à titre de rappel de salaire sur ses RTT,

- 107 019 euros, nette de toutes cotisations salariales, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 30 000 euros de dommages-intérêts au titre des circonstances brutales et vexatoires de son licenciement et de l'exécution déloyale de son contrat de travail,

- assortir ces condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la date d'introduction de la demande,

- condamner la société Etienne Lacroix Tous Artifices à payer à M. [T] une somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Etienne Lacroix Tous Artifices aux entiers dépens de l'instance.

Il soutient avoir été privé de ses jours de RTT. Il conteste toute faute grave ou cause réelle et sérieuse au licenciement et soutient que son licenciement s'inscrivait dans le contexte de la fin de son expatriation pour cause de réduction des coûts. Il s'explique sur les indemnités et invoque des circonstances brutales et vexatoires à son licenciement.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d'une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l'entreprise, d'une gravité telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise.

Lorsque l'employeur retient la qualification de faute grave, il lui incombe d'en rapporter la preuve et ce dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce l'employeur a énoncé les motifs dans les termes suivants :

Nous faisons suite à l'entretien du 11 mars dernier qui s'est tenu par visioconférence et au cours duquel vous étiez assisté de M. [V] [U], et vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave, sans indemnité ni préavis, pour les raisons évoquées lors de cet entretien, à savoir :

Vous avez été engagé au sein de notre société à compter du 1er mars 2008 par contrat à durée indéterminée et exercez vos fonctions, depuis le 1er avril 2009, auprès de nos filiales situées aux Emirats Arabes Unis.

Au dernier état de la relation contractuelle, vous exercez les fonctions de Managing Director (ou Directeur Général) de l'une de nos filiales situées aux Emirats Arabes Unis.

Dans ce cadre, vous êtes en charge du développement de nos activités sur place, lequel requiert que vous soyez régulièrement au contact des interlocuteurs privilégiés de notre filiale, et du Groupe Etienne Lacroix.

Votre statut de Managing Director et les responsabilités qui en découlent vous conduisent à représenter, au quotidien, non seulement notre filiale locale, mais également la société mère et le Groupe Etienne Lacroix dans son intégralité, notamment dans vos échanges et négociations avec nos interlocuteurs locaux, parmi lesquels figurent les familles les plus puissantes des Emirats Arabes Unis, dont la famille dirigeante (à savoir, celle du [E] [G] [M]).

Dans ce contexte, et au regard également de votre ancienneté et expérience sur place, nous attendions de votre part un comportement exemplaire, tant à l'égard du personnel de notre filiale locale qu'à l'égard de notre clientèle, des prospects, des collègues, et de l'ensemble de nos interlocuteurs et ce, en particulier au regard de la sensibilité de la zone politico-géographique que constituent les Emirats Arabes Unis.

Or, vous adoptez régulièrement un comportement inapproprié, tant à l'égard de vos collègues de travail que de vos interlocuteurs extérieurs à la société, et en particulier de nos partenaires, qui nous ont alerté sur votre attitude agressive.

Au cours du mois de février 2021, l'un de nos partenaires réguliers nous a alertés sur le fait que votre comportement posait de telles difficultés qu'il était nécessaire que nous nous déplacions sur place, aux Emirats Arabes Unis, pour évoquer le sujet avec lui de vive voix.

Au cours de notre rendez-vous du 22 février 2021, les sociétés RIC (Regional Investment Company) et Nirvana Travel & Tourism nous ont confirmé que votre attitude à leur égard était agressive depuis plusieurs semaines, que vous n'hésitiez pas à les menacer de stopper les feux d'artifices en cours ou à utiliser des formules s'apparentant à du chantage.

Ils nous ont également précisé que votre comportement posait difficulté sur le plan du développement des activités commerciales du Groupe Etienne Lacroix, dès lors vous n'hésitiez pas à refuser des marchés pour des clients finaux de manière brutale et sans aucune explication.

Ils ont également ajouté que vous les mettiez délibérément en porte à faux par rapport à nos clients finaux, et ce, alors même que vous avez parfaitement conscience que notre présence même dans ce pays est conditionnée au soutien de ces interlocuteurs locaux.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'il est capital pour l'ensemble du Groupe Etienne Lacroix, que nos relations avec ces interlocuteurs demeurent apaisées.

En effet, et comme vous le savez, nous nous sommes largement interrogés dans le courant de l'année 2020 sur la pérennité de nos activités au Moyen-Orient, raison pour laquelle nous avions envisagé de vous rapatrier en France en 2020.

Après discussions, nous étions alors convenus de maintenir notre présence dans cette zone géographique quelques mois de plus, nous donnant le temps d'identifier de nouveaux axes de développement pour notre Groupe.

Nos efforts commerciaux pendant cette période nous ont permis d'identifier une nouvelle opportunité, à savoir un projet s'élevant à une dizaine de millions d'euros aux Emirats Arabas Unis, lequel s'avère être à ce jour notre plus gros potentiel de développement au niveau du Groupe et s'il se réalisait devrait permettre à notre Groupe de faire face aux contraintes économiques actuelles et d'éviter des réductions d'emploi.

Or, dans ce contexte économique difficile, alors que nous avions échangé à multiples reprises, et malgré notre demande expresse de fournir un effort particulier pour maintenir des relations cordiales avec ces partenaires, vous n'avez cessé de rejeter sur ces interlocuteurs la responsabilité des tensions intervenues, sans vous remettre en question.

Pire, au cours d'un rendez-vous le 23 février 2021, vous avez persisté dans votre attitude agressive et hautaine, refusant catégoriquement de saluer certains de nos interlocuteurs, allant jusqu'à leur indiquer expressément « Tu sais pourquoi je ne te salue pas ! », considérant que si nos interlocuteurs avaient des critiques à émettre, ils auraient dû vous en faire part directement, sans nous en parler. Vous les avez ensuite ignorés pendant tout le rendez-vous, ne leur adressant pas la parole, ce qui nous a tous mis très mal à l'aise et a contribué à la dégradation de nos relations.

Dans le cadre d'un rendez-vous réalisé en suivant, avec notre partenaire, vous avez à nouveau refusé toute remise en cause de votre comportement.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, nos interlocuteurs nous ont clairement indiqué qu'ils ne pouvaient plus travailler avec vous dès lors que vous leur manquiez de respect de manière patente et répétée.

Persistant dans votre attitude contre-productive, vous avez alors pris l'initiative d'envoyer à un email à ces interlocuteurs, pourtant proches de la famille dirigeante du pays, leur indiquant que vous apprécieriez « une discussion directe » à l'avenir après « tous les efforts » que vous aviez fournis au cours des dernières réunions...

Ce type de communication, agressive et puérile, ne fait qu'illustrer votre mécontentement, de manière contreproductive, et constitue au surplus un acte d'insubordination au regard des directives expresses que nous vous avions données d'apaiser les tensions le us rapidement possible, ce que vous n'avez même pas tenté de faire.

Ainsi, au-delà des contrats dont vous étiez personnellement en charge, votre comportement porte aussi atteinte à l'image générale et à la réputation du Groupe Etienne Lacroix, voire à la pérennité de nos activités aux Emirats Arabes Unis, zone géographique pourtant identifiée comme présentant le plus gros potentiel de développement du Groupe.

Dans ces conditions, votre agressivité réitérée et votre refus catégorique d'apaiser les tensions avec nos interlocuteurs privilégiés localement ne peuvent plus être tolérés, impactant négativement l'activité à l'étranger de notre société française et plus généralement de l'ensemble de notre Groupe, et remettant en cause les relations avec nos interlocuteurs locaux.

Au cours de l'entretien préalable, vous avez d'ailleurs reconnu les faits, indiquant avoir effectivement refusé de serrer la main à nos partenaires au cours du rendez-vous précité, et vous être braqué du fait des multiples demandes de ces partenaires, considérant que n'aviez pas à céder à toutes leurs requêtes.

Au vu de la gravité des faits décrits, qui rend totalement impossible votre maintien au sein de notre société, même pendant la durée du préavis, sans mettre en cause la pérennité de nos activités, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave.

La rupture de votre contrat de travail prend effet à la date d'envoi de la présente notification.

A compter de la date d'envoi de la présente notification, nous vous laissons le soin d'organiser votre retour en France dans un délai de deux mois au regard de la situation sanitaire actuelle.

Malgré la faute grave caractérisée par votre comportement, nous prendrons en charge, sur justificatifs, vos loyers pour votre domicile aux Emirats Arabes Unis pour cette période, ainsi que les frais exposés pour votre retour (billet d'avion classe économique, surplus bagages si nécessaire) '

Ainsi, l'employeur reproche au salarié une attitude agressive et inappropriée vis-à-vis tant des collègues de travail que des partenaires commerciaux.

S'agissant des collègues de travail, le grief est énoncé de façon très générale sans exemple précis. Il est produit très peu d'éléments. L'attestation de M. [D] fait état d'un relationnel compliqué mais sans aucun exemple concret que la cour pourrait apprécier et surtout à propos d'un chantier au Turkménistan non daté. L'attestation de M. [S] fait état d'excès d'autorité et de paroles désobligeantes mais là encore sans aucun exemple concret. Cette partie du grief ne peut donc être considérée comme établie.

Il est d'ailleurs manifeste que c'est la question des relations avec les partenaires qui est mise en avant par l'employeur dans la lettre de licenciement.

L'employeur s'appuie essentiellement sur des échanges de mails, traduits en français lorsqu'ils sont rédigés en anglais, produits en pièces 4, 5 et 6 et l'attestation de M. [P] produite en pièce 15. Il est certain que c'est à tort que dans cette dernière pièce le témoin a indiqué en cochant la case « non » qu'il n'avait pas de lien de subordination avec l'employeur. Toutefois ceci n'était pas de nature à induire la juridiction en erreur puisque tout le texte de son attestation démontrait ce lien qui résulte également des échanges de courriers électroniques. L'attestation doit certes être envisagée avec circonspection compte tenu de ce lien mais constitue néanmoins un élément soumis à l'appréciation de la juridiction.

De la confrontation de ces éléments, il résulte qu'effectivement les partenaires commerciaux se sont plaints du comportement de M. [T] en invoquant des relances de paiement avec chantage sur la réalisation des feux d'artifice alors que, même avec retard, il n'existait aucune défaillance de paiement, le client étant lié à l'État et surtout une opposition permanente. La situation s'est cristallisée autour d'une réunion le 23 février 2021 qui était manifestement destinée à trouver des compromis et des adaptations entre les différents partenaires commerciaux. Il en résulte que M. [T] a été à tout le moins très peu constructif dans son attitude que certains participants ont expressément qualifiée d'irrespectueuse.

Le salarié justifie certes que la question de la pression mise pour obtenir les paiements pouvait relever d'une stratégie de l'entreprise (pièces 18 et 19 du salarié). Pour le surplus, il conteste l'analyse faite par l'employeur de son attitude particulièrement le 23 février 2021 en faisant valoir qu'il a uniquement refusé de serrer la main des personnes présentes à raison du contexte sanitaire. Il s'agit d'une réinterprétation des faits présentée dans le seul cadre de l'instance. En effet, le courrier électronique du 25 février 2021 qu'il produit en pièce 24 ne fait aucunement mention de ce contexte sanitaire. Il invoque avoir été destinataire lui-même d'insultes et d'attitudes inacceptables sur lesquelles il ne donne toutefois pas de véritable élément à l'exception d'un courrier électronique du 30 décembre 2020 relatant ses plaintes et démontrant l'existence d'un conflit avec le partenaire commercial (pièce 34 du salarié). Il indique lui-même qu'il s'agissait de manifester son mécontentement. Il précisait qu'il ne voulait pas être servile et que si on doit tout accepter je ne suis pas l'homme de la situation. Il s'inscrivait donc bien dans une situation de blocage et ce dans un contexte d'expatriation au moyen orient imposant une prise en compte des usages locaux.

Le salarié fait également valoir que son licenciement est lié à un projet de restructuration et que l'employeur a détourné les règles du licenciement pour motif économique. Il est certain qu'il allait être mis fin à son expatriation mais aucun autre élément n'est donné alors que le courrier électronique du 25 février 2021 l'inscrivait expressément dans une situation de blocage et que les partenaires indiquaient que s'il demeurait leur interlocuteur ils cesseraient leur collaboration.

De la confrontation de ces éléments la cour retient que le salarié occupait un poste stratégique impliquant des relations avec des partenaires commerciaux liés avec l'État où il était expatrié. Des difficultés ont surgi les partenaires s'étant plaints du comportement de M. [T]. Ceci a donné lieu à une réunion avec des cadres venus de France pour faire le point. Lors de cette réunion l'attitude de M. [T], manifestant ouvertement son mécontentement, a consisté en une forme d'obstruction incompatible avec la volonté d'apaiser les tensions et les nécessités de compromis inhérentes à la situation locale. La cour ne retient certes pas tous les griefs, ayant exclu ci-dessus celui lié à une agressivité vis-à-vis des salariés et celui lié aux relances financières. Toutefois le comportement de M. [T] lors de la réunion, étranger à toute volonté de compromis caractérisait bien une faute qui ne peut être justifiée par le contexte sanitaire qui n'est invoqué que dans le cadre du litige. Les termes de l'attestation de M. [P] sont en réalité confortés par le courrier électronique de M. [T] affirmant qu'il ne voulait pas tout accepter. Les assertions du salarié dans ce document démontrent qu'il refusait toute volonté d'apaisement. Le seul fait que la fin de l'expatriation de M. [T] était programmée ne saurait caractériser un contournement des règles du licenciement pour motif économique aucun élément n'étant donné en ce sens. Il existait donc bien une faute permettant à l'employeur de se placer sur un terrain disciplinaire.

Toutefois au regard du poste occupé mais également des circonstances un tel comportement caractérisait un motif de rupture du contrat de travail sur un fondement disciplinaire mais ne constituait pas une faute grave. Le licenciement reposait ainsi sur une simple cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en ce sens, M. [T] étant débouté de sa demande indemnitaire. Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement du salaire pendant la mise à pied, de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents afférent à ces deux sommes et de l'indemnité de licenciement dont les montants ne sont pas spécialement discutés.

Sur les circonstances brutales et vexatoires,

Le salarié invoque le fait d'avoir dû quitter précipitamment les Emirats Arabes Unis où il était installé depuis 12 ans et de nouveau un contournement des règles du licenciement économique.

Cependant, la cour a retenu ci-dessus la cause réelle et sérieuse du licenciement et il n'est donné aucun élément permettant de caractériser un licenciement économique déguisé. Pour le surplus, il résulte des termes mêmes de la lettre qu'un délai de deux mois lui a été laissé avec prise en charge de ses frais de logement et que ses frais de rapatriement comme ceux de sa famille ont été assumés par l'employeur, étant observé que son expatriation devait en toute hypothèse s'achever en juillet 2021. Il ne peut donc être caractérisé de circonstances brutales ou vexatoires. Ces éléments ne caractérisent pas davantage une exécution déloyale du contrat également invoquée.

Cette demande sur laquelle le conseil n'a pas spécialement statué sera rejetée.

Sur le rappel de salaire,

M. [T] fait valoir qu'il n'a pas été en mesure de bénéficier des jours de RTT qui lui étaient contractuellement dus dans le cadre de sa convention de forfait exprimée en jours. Il soutient que les jours qui lui ont été réglés lors de la rupture ont été qualifiés de manière impropre de jours de RTT alors qu'il s'agissait de jours de récupération devant compenser le non-respect des repos quotidiens et hebdomadaires.

L'employeur considère que le salarié ne démontre pas avoir trop travaillé alors qu'il lui était expressément demandé de prendre ses jours de repos. La société vise une pièce 11 qui au bordereau ne correspond pas à ce qu'elle indique dans ses conclusions et n'apparaît pas avoir été communiquée sous un autre numéro.

Cependant, le salarié pour qualifier de récupération les jours qui lui auraient été payés dans le dernier bulletin de paie à hauteur de 33,5 jours de RTT s'appuie sur un courrier électronique du 21 janvier 2021 (pièce 23) et considère qu'il a été dénaturé par les premiers juges. Toutefois, il est constant que le salarié était soumis à une convention de forfait exprimée en jours. Il ne la remet pas en cause. Or le courrier électronique sur lequel il s'appuie fait état d'un décompte du temps de travail en pièce jointe (non produite) récapitulant des heures supplémentaires au-delà de 40 heures hebdomadaires et en déduit des jours de récupération.

Il est donc impossible à la cour de déterminer à quoi correspondaient les jours qu'il invoque qui pouvaient également constituer des jours de RTT. Il convient de retenir que l'employeur admettait que le salarié avait 39 jours à prendre en sus des congés payés en décembre 2020. Il a été réglé lors de la rupture de ses congés, sans qu'il y ait de discussion de ce chef, et de 33,5 jours qualifiés de RTT sans plus d'élément. Aucun élément ne permet de considérer que ces jours auraient été globalement mal qualifiés, les jours de « récupération » n'apparaissant dans aucun décompte précis. Ce nombre demeurait insuffisant au regard des 39 jours admis auxquels il convient d'ajouter les 2,44 jours acquis en 2021 avant la rupture de sorte qu'il lui reste dû 7,94 jours, soit la somme de 2 800,59 euros. Le jugement sera infirmé et l'employeur condamné au paiement de cette somme.

L'action de M. [T] était bien fondée en son principe de sorte que le jugement sera confirmé sur le sort des frais et dépens.

Chacune des parties succombe pour partie en cause d'appel de sorte qu'il n'apparaît pas inéquitable que chacune supporte les frais et dépens par elle exposés devant le second degré de juridiction.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 23 février 2023 en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la SA Etienne Lacroix Tous Artifices à payer à M. [T] la somme de 65 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et rejeté la demande de M. [T] au titre des jours de RTT,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave,

Déboute M. [T] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires,

Condamne la SA Etienne Lacroix Tous Artifices à payer à M. [T] la somme de 2 800,59 euros à titre de rappels de salaires sur les jours RTT,

Confirme le jugement en ses autres dispositions non contraires,

Laisse à chacune des parties la charge des frais et dépens par elle exposés en cause d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset

.