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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 16 mai 2024, n° 23/03312

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Star's Service (SAS)

Défendeur :

Carrefour Hypermarches (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Ranoux-Julien, Mme Prigent

Avocats :

Me Guyonnet, Me Gaftarnik, Me Guerre, Me de Lammerville

T. com. Paris, 13e ch., du 12 déc. 2017,…

12 décembre 2017

EXPOSE DU LITIGE

La société Star's Service est spécialisée dans la livraison à domicile de produits alimentaires.

La société Carrefour Hypermarchés exploite des magasins hypermarchés à enseigne Carrefour.

La société Carrefour Hypermarchés a confié à la société Star's Service des prestations de livraisons à domicile soit à partir des magasins du groupe Carrefour, soit à partir du site internet Ooshop.

Un contrat dénommé "Contrat cadre de livraisons à domicile" a été conclu le 11 juillet 2007 entre la société Star's Service et la société Carrefour Administratif France pour une durée de trois ans, non renouvelable tacitement.

Par lettre du 1er juillet 2010, la société Carrefour a sollicité la prorogation de ce contrat jusqu'au 30 septembre 2010.

Les relations se sont ensuite poursuivies jusqu'à la conclusion d'un contrat le 6 juillet 2012 comprenant à la fois les livraisons à partir des magasins et celles relatives aux commandes réalisées depuis le site internet Ooshop.

En ce qui concerne les livraisons à partir du site internet Ooshop, une première convention de prestation de service a été conclue entre la société Ooshop et la société Star's Service portant sur certaines villes d'Ile de France (Versailles, [Localité 14], [Localité 6]), pour une durée de trois ans, à compter du 3 novembre 1999.

Par contrat du 14 février 2000, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une autre convention de prestation de service portant sur les départements 75, 78 et 92, pour une durée de trois ans, à compter du 25 avril 2000. Le contrat prévoyait une exclusivité au profit de la société Ooshop pour les départements visés et était renouvelable tacitement pour une durée identique.

Par contrat du 24 septembre 2001, la société Ooshop et la société Star's Service ont modifié la convention du 14 février 2000. La nouvelle convention de prestation de service portait sur les départements 75, 78, 92 et 94, avec une exclusivité au profit de la société Ooshop, et était conclue pour une durée de trois ans, à compter du 25 septembre 2001, renouvelable tacitement pour une durée d'un an.

Par lettre du 24 mai 2004, la société Ooshop a notifié à la société Star's Service la résiliation de la convention du 24 septembre 2001 à compter du 24 septembre 2004.

Par contrat du 2 août 2004, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une nouvelle convention de prestation de service portant sur certaines villes énumérées des départements 69, 75, 78, 91, 92, 93 et 94, avec une exclusivité au profit de la société Ooshop, du 1er août 2004 au 31 décembre 2006, renouvelable tacitement pour une durée d'un an.

Par contrat du 7 juillet 2006, la société Ooshop et la société Star's Service ont conclu une nouvelle convention de prestation de service se substituant à celle du 2 août 2004 pour une durée du ler janvier 2006 au 31 décembre 2008, renouvelable tacitement pour une durée d'un an. Selon cette convention, une exclusivité était consentie à la société Ooshop sur les villes de [Localité 10] et [Localité 7]. La convention portait également sur les villes de [Localité 11], [Localité 8], [Localité 5], [Localité 12] et le Mans sans exclusivité.

Les parties ont ensuite signé une nouvelle convention pour une durée déterminée à effet du 1er janvier 2009 jusqu'au 31 décembre 2011, renouvelable par tacite reconduction pour une durée indéterminée, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties au moins six mois avant son échéance.

A la suite d'une procédure de consultation lancée en 2011, la société Star's Service et la société Carrefour Hypermarchés, agissant en son nom et en tant que mandataire de toute société exploitant un magasin portant une enseigne du groupe Carrefour et de tout site internet Carrefour notamment le site Ooshop, ont conclu le 6 juillet 2012, un contrat de prestation de service de livraison à domicile portant à la fois sur les livraisons des commandes depuis les magasins et depuis les sites internet. Ce contrat a été conclu pour une durée de 36 mois à compter du 1er juillet 2012 et ne prévoyait pas d'exclusivité.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 juin 2014, la société Carrefour Hypermarchés a avisé la société Star's Service de son intention de ne pas reconduire le contrat du 6 juillet 2012 à son échéance et de recourir à des procédures d'appels d'offres pour la réalisation des livraisons à domicile tant pour ses magasins que pour son site internet.

La société Carrefour Hypermarchés a ainsi procédé à deux consultations : l'une concernant les livraisons à domicile depuis ses magasins et l'autre concernant les livraisons à domicile pour les commandes effectuées depuis son site internet. La société Star's Service a formulé des offres au titre des deux consultations.

Par lettre du 5 janvier 2015, la société Carrefour Hypermarchés a informé la société Star's Service que sa candidature était retenue pour les livraisons à domicile relatives aux commandes depuis son site internet pour les sites Alpes, [Localité 9] et [Localité 10]-[Localité 13] pour trois ans à partir du 1er juillet 2015. Elle l'a en revanche avisée du rejet de sa candidature pour le site de Vitry.

Par ailleurs, la candidature de la société Star's Service n'a pas été retenue pour les livraisons à domicile depuis les magasins et la société Carrefour Hypermarchés a confirmé, par lettre du 29 mai 2015, la fin des relations commerciales de ce chef à compter du 30 juin 2015.

S'estimant victime d`une rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L.442-6,1,5° du code de commerce, la société Star's Service a fait assigner, par acte en date du 12 août 2015, la société Carrefour Hypermarchés devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice économique et de son préjudice moral résultant de l'atteinte à sa réputation et à son image ainsi que du préjudice résultant du débauchage de son personnel.

Par jugement du 12 décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société Star' s Service de sa demande d'indemnité au titre d'une rupture brutale de relations commerciales établies ;

- Débouté la société Star's Service de sa demande de dommages et intérêts pour participation active au débauchage de son personnel ;

- Débouté la société Star's Service de sa demande pour préjudice moral ;

- Condamné la société Star's Service à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

- Ordonné d'office l'exécution provisoire ;

- Condamné la société Star's Service aux dépens.

Par déclaration du 20 décembre 2017, la société Star's Service a interjeté appel du jugement en ce qu'il l'a :

- Déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 12 200 000 euros en réparation de ses préjudices économiques résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

- Déboutée de ses autres demandes, notamment en omettant de répondre au moyen qui fixait le point de départ du délai de préavis à la date de réception de la notification de rejet total de son offre commerciale pour les magasins par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mai 2015, et de rejet partiel de son offre commerciale pour le e-commerce par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 janvier 2015 ;

- Déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 1 000 000 euros en réparation de ses préjudices résultant de la participation active et directe de la société Carrefour Hypermarchés aux opérations de débauchage de son personnel ;

- Déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 5 000 000 euros en réparation de ses préjudices moraux résultant de l'atteinte à sa réputation et à son image de marque ;

- Déboutée de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance ;

- Condamnée ã payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par arrêt du 25 juin 2020, la cour d'appel de Paris a :

- Infirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Star's Service à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés pour participation active au débauchage de son personnel,

Statuant à nouveau,

- Dit que les relations entre la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service présentaient un caractère établi,

- Dit que le préavis de douze mois et dix jours observé par la société Carrefour Hypermarchés avant la rupture partielle des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix-huit mois aurait dû être observé,

- Déclaré la société Carrefour Hypermarchés responsable à l'égard de la société Star's Service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui lui est imputable,

- Condamné la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 642 141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé,

- Condamné la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la société Carrefour Hypermarchés de sa demande au titre des frais irrépétibles,

- Condamné la société Carrefour Hypermarchés aux dépens.

Par arrêt du 7 décembre 2022, la Cour de cassation a :

- Cassé et annulé l'arrêt rendu le 25 juin 2020, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il a dit que les relations entre la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service présentaient un caractère établi et que le préavis de douze mois et dix jours observé par la société Carrefour Hypermarchés avant la rupture partielle des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix-huit mois aurait dû être observé, déclaré la société Carrefour Hypermarchés responsable à l'égard de la société Star's Service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui lui est imputable, condamné la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 642 141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé et statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

- Condamné la société Star's Service aux dépens ;

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, il a rejeté la demande formée par la société Star's Service et l'a condamnée à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 3 000 euros.

Par déclaration du 23 février 2023, la société Star's Service a saisi la cour d'appel de Paris afin, dans la limite de la cassation, d'obtenir l'annulation ou la réformation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 décembre 2017, notamment en ce qu'il a débouté la société Star's Service de sa demande de condamnation de la société Carrefour Hypermarchés en réparation de ses préjudices économiques résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies, ainsi qu'aux titre des frais irrépétibles et des dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 14 mars 2023, la société Star's Service demande, au visa de l'article L442-6-1-5° du code de commerce, de :

- Infirmer le jugement rendu le 12 décembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris et, statuant à nouveau :

- Juger la société Star's Service recevable et bien fondée en ses demandes à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés ;

- Condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Star's Service la somme de 5 827 200 euros en réparation de ses préjudices économiques résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;

- Condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à la société Star's Service la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.

La société Star's Service soutient que les relations commerciales entre les deux sociétés concernant les livraisons depuis les magasins sont constantes et ininterrompues depuis 1988. Elle ajoute avoir été chargée de la livraison à domicile des clients du site Ooshop dès 1999. Sa croyance dans la poursuite de la relation était légitime au regard de la durée, de la continuité et de la stabilité de la relation commerciale.

Elle affirme que le recours à des appels d'offres par la société Carrefour Hypermarchés, à défaut d'être systématique et sincère, n'a pu avoir pour effet de rendre précaires les relations établies. La prétendue mise en concurrence engagée par la société Carrefour Hypermarchés était en réalité fictive et n'avait pour seul objectif de lui permettre de se soustraire au délai de préavis normalement applicable compte tenu notamment de la durée des relations contractuelles.

Elle estime qu'au regard de l'ancienneté de 27 ans des relations, de la part considérable du chiffre d'affaires perdu (30%) et de la difficulté de se réorganiser dans un secteur hautement concurrentiel, le préavis qui aurait dû être respecté devait être de 24 mois. Elle conteste encore les usages invoqués par la société intimée notamment en matière de transport en faisant valoir qu'elle n'est pas un sous-traitant de transport mais un prestataire de services.

Par ses dernières conclusions notifiées le 15 mai 2023, la société Carrefour Hypermarchés demande, au visa des articles L442-6 1 5° (ancien) du code de commerce, 9, 31 et 122 du code de procédure civile, 1134, 1315 et 1382 du code civil, de :

A titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 décembre 2017, en ce qu'il a jugé que les relations entretenues par les parties entrent bien dans le champ d'application de l'article L442-6 I 5° du code de commerce ;

- Juger que la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service n'entretenaient pas de relation commerciale établie au sens de l'article L442-6 I 5° du code de commerce ;

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 décembre 2017, en ce qu'il a constaté que la société Star's Service avait bénéficié d'un délai de préavis raisonnable de 12 mois ;

- Juger que la société Carrefour Hypermarchés n'a pas engagé sa responsabilité à l'occasion du non-renouvellement du contrat de prestation de services conclu avec la société Star's Service ;

A titre très subsidiaire,

- Constater que la société Star's Service ne rapporte pas la preuve du préjudice dont elle sollicite réparation ;

- Débouter la société Star's Service de l'ensemble de ses demandes indemnitaires.

En tout état de cause :

- Débouter la société Star's Service de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Star's Service à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Star's Service aux entiers dépens.

La société Carrefour Hypermarchés soutient que la conclusion d'un contrat à durée déterminée le 6 juillet 2012 et le recours à des procédures d'appel d'offres ont rendu précaire la relation, bien que n'ayant pas un caractère systématique, ce que la société Star's Service ne pouvait ignorer. L'argument de la société Star's Service quant à l'absence de sincérité de la procédure d'appel d'offre est dépourvu de tout fondement.

Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir renouvelé le contrat à son terme alors que les parties ont fixé à douze mois la durée du préavis et ont spécifié que "le non renouvellement du contrat à son échéance ne pourra pas être perçu comme une rupture brutale et imprévisible des relations commerciales". A titre subsidiaire, elle affirme que le préavis de 12 mois accordé à la société Star's Service, supérieur aux usages du commerce en matière de transport, était suffisant pour lui permettre de se réorganiser au regard de l'ancienneté de la relation commerciale, du flux d'affaires ainsi que du secteur concerné dans lequel les entreprises sont interchangeables. Elle fait encore valoir que le flux d'affaires avec la société Star's Service n'a pas complètement été interrompu puisque la candidature de cette dernière a été retenue pour l'e-commerce sur certains secteurs géographiques.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2024.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE LA COUR,

Sur la saisine de la cour

La cour d'appel est saisie dans les limites de la cassation portant sur les chefs de dispositif de l'arrêt du 25 juin 2020 de la cour d'appel de Paris ayant :

- dit que les relations entre la société Carrefour Hypermarchés et la société Star's Service présentaient un caractère établi et que le préavis de douze mois et dix jours observé par la société Carrefour Hypermarchés avant la rupture partielle des relations commerciales établies était insuffisant et qu'un préavis de dix-huit mois aurait dû être observé,

- déclaré la société Carrefour Hypermarchés responsable à l'égard de la société Star's Service du préjudice résultant de la rupture brutale partielle des relations commerciales établies qui lui est imputable,

- condamné la société Carrefour Hypermarchés à régler à la société Star's Service une somme de 642 141 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant de l'insuffisance du préavis observé

- statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sont définitives les autres dispositions de l'arrêt du 25 juin 2020 de la cour d'appel de Paris ayant :

- Confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Star's Service à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés pour participation active au débauchage de son personnel.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

L'existence d'une relation commerciale établie, au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, suppose que la relation entre les parties ait revêtu un caractère suivi, stable et habituel, et que la partie qui se prétend victime de son interruption brutale ait pu légitimement s'attendre pour l'avenir à une continuité du flux d'affaire avec son partenaire commercial.

En l'espèce, les relations commerciales entre les parties se sont matérialisées par une succession de contrats à durée indéterminée, pour partie renouvelables tacitement, et ce, depuis 1999, pour les livraisons concernant les commandes sur le site Ooshop, et depuis 2007, pour les livraisons depuis les magasins.

La société Carrefour Hypermarchés a cependant, par lettre du 1er juillet 2010, informé la société Star's Service de son souhait de "revoir l'intégralité du concept sur ce dossier et aborder toutes les pistes visant à réduire les coûts de la prestation tout en garantissant à nos clients un service de qualité".

Elle a subordonné la poursuite des relations contractuelles à une procédure de mise en concurrence "pour la période 2012-2014", en lançant un appel à projet pour la livraison à domicile des produits alimentaires et non-alimentaires achetés en magasin ou commandés sur le site internet Ooshop.

Si la candidature de la société Star's Service a été retenue à l'issue de la procédure d'appel d'offres initiée en 2011, conduisant les parties à conclure en 2012 un contrat-cadre de prestations de services de livraison à domicile pour une période déterminée de 36 mois et venant à échéance le 30 juin 2015, l'article 13 de ce contrat a exclu expressément toute reconduction tacite : "Au plus tard le 1er juillet 2014, les parties s'engagent à notifier par lettre recommandée avec accusé de réception à l'autre partie leur souhait de renouveler ou non à échéance le présent contrat" ; "A défaut de volonté de l'une des parties de renouveler le contrat. Il est expressément convenu que le contrat prendra fin de plein droit sans formalité ni indemnité le 1er juillet 2015".

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 19 juin 2014, soit plus de 12 mois avant la fin du contrat, la société Carrefour Hypermarchés a informé la société Star's Service ne pas souhaiter renouveler le contrat à son échéance, respectant le préavis contractuel stipulé dans l'article 13 : "Dans tous les cas, le prestataire reconnaît que ce délai de prévenance de 12 mois défini au paragraphe 3 du présent article est un délai raisonnable et suffisant pour lui permettre de diversifier son activité et trouver de nouveaux débouchés. En conséquence, le prestataire admet que le non renouvellement du contrat à son échéance ne pourra pas être perçu par lui comme une rupture brutale et imprévisible des relations commerciales qu'il entretient avec Carrefour".

Aux termes de ce même courrier, Carrefour Hypermarchés a informé Star's Service de son intention d'initier de nouvelles consultations pour la réalisation de prestations de services de livraison à domicile à compter du 1er juillet 2015.

A cet égard, le fait que le service juridique de la société Carrefour Hypermarchés ait étudié dans un document interne daté du 30 janvier 2012 "la sortie négociée de la situation monopolistique actuelle ; ceci malgré le scénario coût le plus intéressant affiché pour Star's", en mentionnant deux hypothèses de durée de préavis en cas de rupture contractuelle du contrat e-commerce Ooshop ("Hypothèse 1 désengagement total, délai de préavis de 15 à 18 mois, Hypothèse 2 désengagement de 30 % délai de préavis de 12 à 15 mois"), ne suffit pas à démontrer que les procédures de mise en concurrence de 2012 et 2014 aient été fictives.

Ainsi, les relations commerciales des sociétés Carrefour Hypermarchés et Star's Services se sont, à compter de l'année 2012, inscrites dans un cadre précaire, celui d'une mise en compétition avec des concurrents, avec un contrat non tacitement renouvelable.

La circonstance que la société Star's Service ait été choisie à l'occasion de l'appel d'offres de 2012 n'est pas de nature à démontrer à elle seule le caractère légitime de son attente de voir ces relations commerciales avec la société Carrefour Hypermarchés se poursuivre à l'issue de l'appel d'offres suivant.

La société Star's Service ne pouvait dès lors ignorer que la relation contractuelle était susceptible de s'interrompre à l'échéance du contrat. Elle ne pouvait pas davantage espérer raisonnablement que le contrat serait renouvelé à chaque appel d'offres, peu important que la société Carrefour Hypermarché ne l'ait pas expressément informée du caractère systématique de ce mode de sélection, cet appel à la concurrence ayant nécessairement introduit un aléa commercial.

La participation de la société Star's Service aux appels d'offres de 2012 de 2014, sans manifester son refus d'être mise en concurrence, démontre au contraire qu'elle avait été informée de l'évolution des relations commerciales dans un cadre précaire, de sorte que le fait qu'elle n'ait finalement remporté qu'une partie du second appel d'offre ne caractérise pas la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Star's Services au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur les mesures accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Star's Service, qui succombe en appel, sera tenue aux dépens d'appel.

Il apparaît équitable de la condamner à payer à la société Carrefour Hypermarché la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Star's Service au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Star's Service aux dépens et à payer à la société carrefour Hypermarchés la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Star's Service à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Star's Service aux dépens d'appel.