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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 16 mai 2024, n° 20/12521

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Dm Bakery (Sté)

Défendeur :

Celsius Holding France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Recoules

Conseillers :

Mme Leroy, Mme Girousse

Avocats :

Me Lallement, Me Ohana

TJ Paris, 18e ch. sect. 2, du 9 juill. 2…

9 juillet 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 15 décembre 2017, la société Celsius Holding France a donné à bail à la société DM Bakery un local à usage commercial dépendant d'un ensemble immobilier situé [Adresse 2] à [Localité 9], à destination de pâtisserie, salon de thé, pour une durée de douze années à compter de la date d'entrée dans les lieux, soit le 23 janvier 2018, moyennant un loyer annuel en principal hors taxes et hors charges de 28.000 euros.

Par acte extrajudiciaire du 2 août 2018, la société Celsius Holding France a fait délivrer à la société DM Bakery un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail pour une somme principale de 25.032 euros arrêtée au 10 juillet 2018.

Par acte extrajudiciaire du 30 août 2018, la société DM Bakery a fait assigner la société Celsius Holding France devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins notamment de voir déclarer ce commandement nul, condamner la bailleresse à lui payer une somme de 30.000 € au titre de sa perte d'exploitation et débouter cette dernière de toutes ses demandes.

Par jugement du 9 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré nul et de nul effet, le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 2 août 2018 par la société Celsius Holding France à la société DM Bakery ;

dit que la clause résolutoire n'a pas joué ;

ordonné la résiliation judiciaire du bail du 15 décembre 2017 liant la société Celsius Holding France et la société DM Bakery aux torts exclusifs du preneur, à compter du jugement ;

faute pour la société DM Bakery de quitter les lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision, et celui-ci passé, autorisé la société Celsius Holding France à faire procéder à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef des lieux précités, au besoin avec l'assistance de la force publique ;

dit que les meubles et objets meublant se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

fixé l'indemnité d'occupation due par la société DM Bakery à la société Celsius Holding France, à compter de la date du jugement et jusqu'à la restitution des clés du local, à un montant égal à celui du loyer contractuel majoré des taxes et charges ;

dit que la société Celsius Holding France est fondée à conserver sur le dépôt de garantie versé par le preneur, la somme de 4.000 euros en réparation du préjudice causé par la résiliation du bail à faute du preneur ;

condamné la société DM Bakery à verser à la société Celsius Holding France, la somme de 70.318,51 euros au titre de l'arriéré locatif pour la période du 23 janvier 2018 au 4 novembre 2019 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;

débouté la société DM Bakery de sa demande de délais de paiement ;

débouté la société DM Bakery de sa demande tendant à l'indemnisation de sa perte d'exploitation à hauteur de 30.000 euros ;

condamné la société DM Bakery aux entiers dépens, à l'exception du coût du commandement de payer en date du 2 août 2018 qui restera à la charge de la société Celsius Holding France, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

condamné la société DM Bakery à payer à la société Celsius Holding France, la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.

Par déclaration du 31 août 2020, la société DM Bakery a interjeté appel partiel du jugement.

Par conclusions déposées le 26 février 2021, la société Celsius Holding France a interjeté appel incident partiel du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 mai 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 mai 2021, la société DM Bakery, appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré nul et de nul effet le commandement du 2 août 2018 et dit que la clause résolutoire n'a pas joué ;

L'infirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau dans la limite de l'appel

- écarter toute demande de résiliation du bail ;

- dire et juger le bailleur fautif et défaillant dans son obligation de délivrance ;

- exonérer la société DM Bakery du paiement du loyer pour la période allant de janvier à septembre 2018 ;

- dire et juger que le bailleur ne peut exiger le paiement du loyer pour la période allant du 15 mars 2020 au 1er avril 2021 ;

- condamner la société Celsius Holdind France au paiement d'une somme de 100.000 euros sauf à parfaire au titre de la perte d'exploitation et préjudices causés par la défaillance du bailleur ;

- ordonner la compensation des créances connexes ;

Subsidiairement

- accorder à la société DM Bakery un délai de 24 mois pour apurer sa dette locative ;

En conséquence, suspendre les effets de la clause résolutoire

En tout état de cause,

- débouter la société Celsius Holdind France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Celsius Holdind France au paiement d'une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et en tous les dépens.

Dans ses dernières conclusions du 16 janvier 2023, la société Celsius Holding France, intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de :

* Sur les demandes de la société DM Bakery,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

« Déboute la société DM Bakery de sa demande de délais de paiement,

Déboute la société DM Bakery de sa demande tendant à l'indemnisation de sa perte d'exploitation à hauteur de 30.000 euros, »

- débouter la société DM Bakery de toutes ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel ;

* Sur l'arriéré locatif,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

« Condamne la société DM Bakery à verser à la société Celsius Holding France SAS, la somme de 70.318,51 euros au titre de l'arriéré locatif pour la période du 23 janvier 2018 au 4 novembre 2019 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, »

Y ajoutant :

condamner la société DM Bakery à payer à la société Celsius Holding France au titre de son arriéré locatif la somme totale de 195 129,43 € au 11 janvier 2023, sauf à parfaire ;

* Sur la clause résolutoire,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

« Déclare nul et de nul effet, le commandement de payer, le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 2 août 2018 par la société Celsius Holding France SAS à la société DM Bakery,

Dit que la clause résolutoire n'a pas joué, »

ET, Statuant à nouveau :

- constater le jeu acquis de la clause résolutoire à effet au 3 septembre 2018 ;

* Sur la résiliation judiciaire,

Subsidiairement

Dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé en ce qu'il a déclaré nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire du 2 août 2018 et dit que la clause résolutoire n'a pas joué :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

« ordonne la résiliation judiciaire du bail du 15 décembre 2017 liant la société Celsius Holding France SAS et la société DM Bakery aux torts exclusifs du preneur, à compter du présent jugement, »

* Sur l'expulsion,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit que :

« Faute pour la société DM Bakery de quitter les lieux dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, et celui-ci passé, autorise la société Celsius Holding France SAS à faire procéder à son expulsion et à celle de tous occupants de tous occupants de son chef des lieux précités, au besoin avec l'assistance de la force publique, »

Dit que les meubles et objets meublant se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, »

Et statuant à nouveau :

- dire que la société Celsius Holding France pourra procéder à l'enlèvement et au déménagement des objets mobiliers garnissant les lieux, soit dans l'immeuble, soit chez un garde-meubles, au choix de la demanderesse, aux frais, risques et périls de la société DM Bakery ;

* Sur la suspension des effets de la clause résolutoire,

- débouter la société DM Bakery de sa demande de délais et de suspension corrélative des effets de la clause résolutoire ;

Subsidiairement :

Dans l'hypothèse où des délais étaient accordés :

- dire que les sommes qui seront versées par la société DM Bakery s'imputeront en priorité sur les loyers, charges et accessoires courants, puis sur les termes venus à échéance postérieurement à la délivrance du commandement de payer, l'arriéré dû au titre du commandement de payer n'étant apuré qu'en outre ;

- dire dans cette hypothèse que faute par la société DM Bakery de respecter les délais accordés et de régler, dans le même temps, les loyers, charges et accessoires courants, les termes échus postérieurement au commandement de payer, et l'arriéré, l'intégralité des sommes dues deviendra immédiatement exigible, la clause résolutoire sera acquise, et la société Celsius Holding France pourra dès lors poursuivre l'expulsion de la société DM Bakery ainsi que celle de tous occupants de son chef du local susvisé, avec au besoin le concours de la force publique et l'aide d'un serrurier ;

* Sur l'indemnité d'occupation :

Statuant à nouveau

- condamner la société DM Bakery à payer à la société Celsius Holding France une indemnité d'occupation mensuelle établie forfaitairement sur la base du dernier loyer annuel, majoré de cent pour cent prorata temporis et augmenté des charges et accessoires, à compter du 3 septembre 2018 ' et subsidiairement à compter de l'arrêt à intervenir en cas de prononcé de la résiliation judiciaire ' et jusqu'à la reprise du local par le bailleur.

Subsidiairement :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

« Fixe l'indemnité d'occupation due par la société DM Bakery à la société Celsius Holding France SAS, à compter de la date du présent jugement et jusqu'à la restitution des clés du local, à un montant égal à celui du loyer contractuel majoré des taxes et charges, »

* Sur le dépôt de garantie :

Statuant à nouveau :

- dire que le montant du dépôt de garante restera acquis à la société Celsius Holding France ;

Subsidiairement :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

'Dit que la société Celsius Holding France SAS est fondée à conserver sur le dépôt de garantie versé par le preneur, la somme de 4.000 euros en réparation du préjudice subi causé par la résiliation du bail à faute du preneur',

* Sur l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ce qu'il :

'Condamne la société DM Bakery à payer à la société Celsius Holding France SAS, la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,'

ET Statuant à nouveau :

- condamner la société DM Bakery à payer en cause d'appel à la société Celsius Holding France la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Sur les dépens,

Statuant à nouveau :

- condamner la société DM Bakery aux entiers dépens de première instance ;

Subsidiairement :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

« Condamne la société DM Bakery aux entiers dépens, à l'exception du coût du commandement de payer en date du 2 août 2018 qui restera à la charge de la société Celsius Holding France SAS, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. »

En tout état de cause :

- condamner la société DM Bakery aux entiers dépens d'appel ;

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1. Sur l'obligation de délivrance du bailleur

Selon l'article 1103 du code civil, les conventions font la loi entre les parties et doivent être exécutées de bonne foi .

Selon les articles 1719 et 1720 du code civil le bailleur a l'obligation de délivrer une chose apte à l'usage auquel elle est destinée aux termes du bail et en bon état de réparation de toute espèce, doit l'entretenir en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, en assurer la jouissance paisible au locataire pendant la durée du bail et la maintenir en bon état de réparations autres que locatives. Le bailleur doit donc prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre au preneur d'exploiter les lieux conformément à leur destination y compris à l'égard des tiers.

Conformément aux dispositions de l'article 1170 du code civil selon lesquelles 'toutes clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite', les clauses d'un bail commercial dérogeant aux dispositions du code civil précitées, notamment les clauses de souffrance ou exonérant le bailleur de sa responsabilité, doivent s'interpréter strictement et ne doivent pas aboutir à l'exonérer de son obligation essentielle de délivrance ni à faire subir au locataire un trouble anormal de jouissance par rapport à la gêne habituelle liée à des travaux

Par ailleurs, selon l'article 1725 du code civil dont se prévaut la bailleresse, 'le bailleur n'est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voie de fait à sa jouissance, sans prétendre d'ailleurs aucun droit sur la chose loué; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel'.

En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que les locaux en cause dépendent d'un ensemble immobilier, organisé en Association Foncière Libre Urbaine (AFUL RAMBOUILLET MONTGALLET), chargée de gérer les parties, surfaces, équipements, services communs aux propriétaires de volumes immobilier. Le contrat de bail expose que cet ensemble immobilier est ' divisé en volumes immobiliers juridiquement indépendants et seulement liés entre eux par des relations de servitudes', les charges relatives aux parties communes étant réparties entre les différents propriétaires de cet ensemble immobilier selon les règles fixées à l'état descriptif de division en volumes (page 35 du bail). Il n'est donné aucune précision sur les relations de servitudes entre les différents volumes immobiliers membres de l'AFUL.

Selon les conclusions de la bailleresse coroborées par les pièces produites, l'ensemble immobilier en cause a pour membres :

- la société ING REFRF Daumesnil ;

- la société Celsius Holding France, propriétaire des locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 9] , notamment celui en cause loué à la société DM Bakery ;

- le syndicat des copropriétaires du [Adresse 5] et [Adresse 6] à [Localité 9], rassemblant les propriétaires des logements situés en étages au-dessus des locaux commerciaux appartenant à la société Celsius Holding France.

Le contrat de bail précise en son article XI que le preneur renonce à tout recours en responsabilité contre le bailleur en cas notamment d'agissement générateur de dommages des autres occupants de l'ensemble immobilier et que le preneur fera son affaire personnelle des cas ci-dessus sauf son recours contre qui de droit en dehors du bailleur.

Il résulte des éléments du dossier que, peu de temps après l'entrée dans les lieux de la société DM Bakery le 23 janvier 2018, des travaux de ravalement de la façade de l'immeuble ont été entrepris, au plus tard à compter du 22 février 2018, date à laquelle le mandataire du bailleur a contacté le syndic de copropriété du [Adresse 5] à [Localité 9] , maître d'ouvrage de ces travaux, pour l'aviser des difficultés rencontrées par ses locataires en raison de la présence d'échafaudages devant leurs locaux, et ce, jusqu'au 19 juillet 2018, date à laquelle le président de la société DM Bakery a écrit au mandataire du bailleur que l'échafaudage venait d'être retiré.

Ainsi que l'indique le jugement déféré, il n'est pas contestable que, durant cette période de 5 mois, la société DM Bakery n'a pu accéder aux locaux loués, comme cela résulte notamment :

- d'un courriel du 3 mai 2018 émanant du mandataire du bailleur aux termes duquel, ce dernier indique avoir 'constaté que la palissade ne (lui) permettait pas d'accéder à (sa) cellule' et avoir 'exigé que(l') entrée et vitrines soient libérées immédiatement' ;

- d'un procès-verbal d'huissier de justice établi le 31 mai 2018 à la requête de la locataire, constatant la présence d'un important échafaudage installé devant la façade de l'immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 9] et jusqu'à l'entrée de l'immeuble située au 131 de cette avenue occultant la vitrine du commerce de l'appelant sur laquelle de l'eau ruisselle ainsi que devant sa porte ; l'installation de barrrières de chantier le long de la façade transformant la zone en périmètre de stockage et en campements sauvages où sont posés des couchages, les deux extrémités des barrières étant elles-mêmes fermées par d'autres barrières installées perpendiculairement à la façade, de sorte que la boutique est inaccessible puisque sa porte est située derrière les palissades portant un panneau mentionnant 'chantier interdit au public'; l'existende d'un seul passage entre les barrières d'une largeur de moins de 50 cm visible devant la porte d'accès du local commercial de la société DM Bakery ;

- des procès-verbaux d'huissier de justice établis à la requête de la bailleresse en dates du 10 juin et du 15 juin 2018 constatant l'occultation totale de la boutique en raison de l'échafaudage ; la présence d'écoulements d'eau sur sa vitrine et sa porte ainsi que son inaccessibilité, la porte étant située derrière les palissades du chantier portant la mention 'chantier interdit au public' ; l'installation de barrrières de chantier le long de la façade transformant la zone d'une profondeur d'environ 3 mètres en périmètre de stockage, d'abandon de déchets et gravats et en campements sauvages où sont posés des couchages.

Il n'est pas contesté que le maître d'ouvrage des travaux de ravalement de façade à l'origine des troubles invoqués par le preneur est le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4]. Ce syndicat est un tiers au bail commercial, lequel précise d'ailleurs que les autres volumes immobiliers de l'AFUL sont juridiquement indépendants de la bailleresse. Toutefois, dès lors que ce syndicat des copropriétaires est constitué par les propriétaires des logements situés en étage de l'immeuble au dessus du rez-de-chaussée appartenant à la bailleresse, que la société Celsius Holding France appartient à la même AFUL que ce syndicat et qu'elle est liée à ce dernier par des servitudes, la société Celsius Holding France n'est pas fondée à soutenir que le préjudice causé par les travaux de ravalement constituerait une voie de fait commise par un tiers dont elle n'aurait pas à répondre en application de l'article 1725 précité.

En effet, compte-tenu de l'organisation physique et juridique des volumes en cause, il appartenait à la bailleresse de prendre toutes les dispositions nécessaires avec le syndicat des copropriétaires pour permettre à sa locataire d'exploiter les lieux conformément à leur destination lors de travaux entrepris par la copropriété située au dessus, tels que le ravalement de la façade, affectant inévitablement le rez-de-chaussée.

Il ressort des pièces produites que la bailleresse a rapidement pris la mesure de l'atteinte portée à la jouissance des locaux par sa locataire qui lui a été confirmée par les constats d'huissier qu'elle a fait réaliser ; que, par différents courriels notamment des 22 et 23 février 2018, des 12 avril 2018, 2 et 3 mai 2018 , 7 et 12juin 2018 , elle a tenté d'obtenir auprès du syndic de la copropriété des renseignements sur l'avancée des travaux, a attiré son attention sur l'importance des troubles subis par sa locataire, a demandé d'y mettre fin et l'organisation d'une rencontre sur site en recherche d'une solution amiable et l'a menacé de procédure judiciaire soulignant les nuisances causées aux commerces et 'la perte financière que cela engendre'. Cependant, au regard du caractère anormal du préjudice causé par les travaux de ravalement, puisque la locataire s'est trouvée privée de tout accès à ses locaux durant cinq mois dès le début du bail, l'envoi de quelques courriels par la bailleresse, restés sans aucun effet, demandant la prise de mesures minimum indispensables telles que la libération d'une sortie pour permettre l'activité de la locataire, le respect du permis de construire prévoyant une sortie en façade, la suppression des palissades au sol et l'entreposage des matériaux dans un autre espace, la récupération des eaux sales coulant sur les vitrines des magasin, la pose de bâche indiquant que les commerces restent ouverts, constituent des diligences insuffisantes de la part de la bailleresse qui n'a entrepris aucune mesure ou procédure d'urgence afin de permettre la mise en place de ces mesures minimum.

Compte tenu de la gravité de l'atteinte à la jouissance des locaux et des diligences insuffisantes de la bailleresse qui a manqué à son obligation essentielle de délivrance, la clause d'exonération de responsabilité contenues à l'article XI du contrat de bail ne peut permettre de l'exonérer de sa responsabilité.

Par ailleurs, il est inopérant de la part de la bailleresse de faire valoir que la société DM Bakery aurait tardé à lui adresser ses plans de travaux, cette circonstance n'étant pas de nature à faire disparaître le manquement à l'obligation de délivrance.

Il apparaît donc que la société Celsius a commis une faute contractuelle en manquant à son obligation de délivrance.

2. Sur la demande d'indemnisation de la société DM Bakery

La société DM Bakery demande à être exonérée du paiement des loyers pour la période de janvier à septembre 2018 et la condamnation de la société Celsius Holding France à lui payer la somme de 100.000 € en indemnisation de son préjudice résultant du manquement à l'obligation de délivrance au titre de sa perte d'exploitation et des préjudices causés par la défaillance de la bailleresse, à défaut, de l'exonérer du paiement des sommes réclamées par la bailleresse et de dire que cette dernière, a contribué à son propre préjudice.

Il ressort des éléments ci-dessus que la locataire, qui n'a pas pu jouir des locaux, était bien fondée à opposer l'exception d'inexécution pour la période où elle n'a pas pu exploiter son activité en raison du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.

Dans ses différents courriels adressés au syndic de la copropriété du [Adresse 5] et dès le 22 février 2018, la société Celsius Holding France lui a reproché de ne pas l'avoir informée de son projet de travaux de ravalement, ce que ce dernier n'a pas démenti. La bonne foi étant présumée et aucun élément ne permettant de démontrer que la bailleresse aurait sciemment caché à la société DM Bakery les prochains travaux de ravalement, le tribunal a considéré à juste titre qu'aucune intention dolosive ne pouvait être retenue à son encontre lors de la conclusion du bail.

Il ressort des pièces du dossier et notamment des constats d'huissier des 16 octobre 2019 et 5 juillet 2022 que la société DM Bakery n'a pas ouvert son établissement après le retrait des échafaudages installés pour le ravalement. Elle se prévaut d'une photographie selon laquelle l'établissement aurait été ouvert en avril 2021 mais elle n'est pas dans son dossier. Elle fait valoir qu'en interdisant l'accès aux locaux, les travaux de ravalement ont interrompu les travaux d'aménagement qu'elle avait commencé dans les locaux loués, que l'entreprise mandatée aurait quitté le chantier en conservant l'acompte versé et qu'elle aurait dû indemniser quatre salariés en raison de l'impossibilité d'accéder aux locaux. Elle ne produit cependant aucun élément de nature à établir ces affirmations et l'existence d'un lien de causalité entre les difficultés dont elle fait état et les travaux de ravalement.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, notamment de l'impossibilité totale d'accéder aux locaux justifiant une exception d'inexécution pour la période du 22 février 2018 à mi-juillet 2018, puis du temps nécessaire pour la reprise des travaux et celle de l'exploitation après la période estivale, le préjudice résultant du manquement à son obligation de délivrance par la société Celsius Holding France sera justement évalué au montant des loyers et charges dus pour la période de janvier à septembre 2018 inclus, soit selon le décompte de la bailleresse arrêté au 25 février 2021, un montant de 21.404,29 € (1804,39 + 9.799,95 + 9.799,95). Il convient de la débouter du surplus de sa demande d'indemnisation au titre de sa perte d'exploitation et autres préjudices imputés à la bailleresse qui ne sont pas justifiés.

3. Sur le commandement de payer délivré le 2 août 2018

Il ressort de l'article L. 145-41 du code de commerce qu'un contrat de bail commercial peut contenir une clause prévoyant la résiliation de plein droit si elle ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer ou une sommation d'exécuter infructueux, le commandement devant, à peine de nullité, mentionner ce délai. Compte-tenu de la gravité des conséquences d'une telle clause, elle ne peut concerner qu'une obligation expressément prévue au contrat de bail et le législateur a subordonné son effet à la possibilité donnée au locataire de régulariser sa situation dans le délai d'un mois. En outre, un tel commandement de payer visant la clause résolutoire du bail ne peut produire effet que s'il a été délivré de bonne foi, conformément à l'exigence de l'article 1104 du code civil.

Le contrat de bail stipule qu'à défaut pour le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du bail, le bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit un mois après un commandement de payer visant la clause résolutoire demeuré sans effet durant ce délai.

Par acte d'huissier du 2 août 2018, la société Celsius Holding France a fait déliver à la société DM Bakery un commandement visant la clause résolutoire du bail, de payer la somme principale de 22.108,80 € correspondant aux loyers et charges de février 2018 et des 2ème et 3ème trimestre 2018, outre la somme de 2.923,20 € au titre des pénalités et intérêts de retard. Cet acte a été signifié seulement quelque jour après l'enlèvement des échafaudages placés en février 2018 alors que la locataire n'avait pu accéder aux locaux durant cinq mois du fait du ravalement de l'immeuble, exploiter son activité ni percevoir de revenus durant cette période. La bailleresse qui était parfaitement informée de la difficulté dans laquelle s'est trouvée sa locataire du fait de son propre manquement contractuel a délivré de mauvaise foi le commandement visant la clause résolutoire du bail. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré de nul effet le commandement délivré le 2 août 2018 et dit sans objet la demande aux fins de voir suspendre les effets de ce commandement.

4. Sur la dette locative

La société Celsius Holding France demande la condamnation de la société DM Bakery à lui payer la somme de 195.129,43 € arrêtée au 11 janvier 2023.

La société DM Bakery soutient que le bailleur aurait été défaillant dans son obligation de délivrance; que pour la période du 15 mars 2020 au 1er avril 2021, durant lesquels le commerce a été fermé du fait des restrictions sanitaires liés aux COVID imposant la fermeture des commerces non essentiels, le loyer n'est pas dû en application de l'article 1722 du code civil; que pour le surplus, la cour ordonnera la compensation avec l'indemnisation allouée.

Dès lors que les locaux ont été mis à la disposition de la locataire et que c'est pour des raisons étrangères aux locaux loués, que la locataire s'est vue interdire de recevoir ses clients par une mesure générale temporaire sans lien avec leur destination contractuelle, cette interdiction ne peut être assimilée à la perte de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil ni à un manquement à l'obligation de délivrance du bailleur. La société DM Bakery est donc redevable des loyers relatifs à la période de fermeture administrative de son établissement.

Il ressort du relevé de compte arrêté au 11 janvier 2023 et des factures correspondantes produits par la bailleresse que la dette locative de la société DM Bakery à cette date s'élève à 195.129,43 €. Il convient de la condamner au paiement de cette somme au titre de sa dette locative arrêtée au 11 janvier 2023.

Compte tenu, de l'absence de tout paiement et en l'absence d'élément permettant d'établir la capacité de l'appelante à honorer les échéances, il convient de la débouter de sa demande de délais de paiement.

5. Sur la résiliation du bail

La société DM Bakery a manqué à son obligation principale de locataire en ne réglant aucun loyer alors que les locaux sont à sa disposition depuis le mois d'août 2018. Compte-tenu de ce grave manquement à son obligation contractuelle, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail, ordonné l'expulsion de la société DM Bakery et fixé l'indemnité d'occupation due par le locataire au montant du loyer contractuel majoré des taxes et charges, la demande de la bailleresse aux fins de voir majorer de 100 % le montant du dernier loyer dans la fixation de l'indemnité d'occupation n'étant pas justifiée et ayant été rejetée à juste titre par le jugement déféré.

6. Sur les autres demandes

Il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a réduit la clause pénale du bail manifestement excessive et dit que la société Celsius Holding France est fondée à conserver à ce titre la somme de 4.000 € sur le dépôt de garantie en réparation du préjudice résultant de la résiliation du bail de son fait, l'appelante et l'intimée ne motivant pas leurs demandes d'infirmation sur ce point et la somme ainsi allouée étant justifiée au regard des clauses du bail et des circonstances de l'espèce.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir ' dire et juger', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à confèrer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives à l'exécution provisoire, aux frais irrépétibles et aux dépens.

Il convient de condamner la société DM Bakery aux dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles et de les débouter de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile .

Les autres demandes seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société DM Bakery à verser à la société Celsius Holding France, la somme de 70.318,51 euros au titre de l'arriéré locatif pour la période du 23 janvier 2018 au 4 novembre 2019 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Celsius Holding France à payer à la société DM Bakery, la somme de 21.404,29 € en réparation de son préjudice résultant du manquement à l'obligation de délivrance et la déboute du surplus de sa demande de dommages et intérêts formée au titre des défaillances de cette dernière et de sa perte d'exploitation ;

Condamne la société DM Bakery à payer à la société Celsius Holding France la somme de 195.129,43 €au titre de sa dette locative arrêtée au 11 janvier 2023 ;

Rappelle que la compensation est de droit ;

Déboute la société DM Bakery de sa demande de délais de paiement ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes ;

Condamne la société DM Bakery aux dépens de la procédure d'appel.