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Décisions

CA Metz, 6e ch., 16 mai 2024, n° 22/00793

METZ

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Devignot, Mme Dussaud

Avocats :

Me Episcopo, Me Bettenfeld

TJ Metz, du 23 févr. 2022, n° 19/02778

23 février 2022

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 15 décembre 1978, les époux [Z], aux droits desquels sont venus depuis la SCI DE KO, puis M. [S] [O] et Mme [W] [N] épouse [O], ont donné à bail commercial à M. [D] un local sis [Adresse 2]. Ce dernier a cédé le fonds de commerce à Mme [G] [X] en 1983. Celle-ci exploite un commerce de vente de prêt-à-porter à l'enseigne Candy.

Par acte sous seing privé conclu entre les époux [Z] et Mme [X] le 15 mai 1992, le bail commercial a fait l'objet d'un avenant avant tacite reconduction.

Par acte d'huissier du 29 mai 2015, M. et Mme [O] ont fait signi'er à Mme [X] un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour le 31 décembre 2015.

Par assignation du 10 avril 2017, M. et Mme [O] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Metz et sollicité la désignation d'un expert avec mission notamment de chiffrer l'indemnité d'éviction.

Par ordonnance du 13 juin 2017, le juge des référés a fait droit à la demande et a désigné M. [H], qui a déposé son rapport le 6 mai 2019.

Par acte d'huissier du 18 septembre 2019, Mme [X] a fait assigner M. et Mme [O] devant le tribunal de grande instance de Metz afin notamment d'obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction.

Par ses dernières conclusions notifiées le 4 février 2021, Mme [X] a demandé au tribunal, au visa des articles L145-14, L145-28 et suivants et R145-23 du code de commerce, de:

rejeter le moyen tiré de la prescription de la demande en paiement de l'indemnité d'éviction,

dire la demande recevable et bien fondée,

entériner le rapport d'expertise de M. [H] du 6 mai 2019,

'xer l'indemnité d'éviction qui lui est due par M. et Mme [S] [O] à la somme de 72.000 euros,

En conséquence,

condamner solidairement M. et Mme [O] à lui payer la somme de 72.000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la demande,

débouter M. et Mme [O] de leur demande tendant à ce qu'ils consignent les frais de réinstallation jusqu'à ce qu'elle justifie de sa réinstallation,

dire et juger qu'elle a droit au maintien dans les locaux commerciaux situés [Adresse 2] jusqu'à complet paiement de l'indemnité d'éviction,

Vu l'article L145-60 du code de commerce,

déclarer prescrite et donc irrecevable la demande en paiement de l'indemnité d'occupation,

En conséquence,

débouter M. et Mme [O] de l'ensemble de leurs demandes au titre de l'indemnité d'occupation,

débouter M. et Mme [O] de leur demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner solidairement M. et Mme [O] à lui payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens,

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par leurs dernières conclusions récapitulatives notifiées le 27 novembre 2020, M. et Mme [O] ont demandé au tribunal, au visa de l'article L145-60 du code de commerce, de:

déclarer prescrites et donc irrecevables les demandes de Mme [X],

En conséquence,

la débouter de l'ensemble de ses demandes,

fixer l'indemnité d'occupation due par Mme [X], et en tant que de besoin la condamner à payer à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 1er janvier 2016, la somme de 653 euros par mois hors charges augmentée des intérêts au taux légal à compter de chaque terme et déduction faite des sommes versées par Mme [X] jusqu'à la réception des clés,

A titre subsidiaire,

réduire l'indemnité d'éviction à un montant de 42.000 euros,

Et en l'absence de justification d'une réinstallation,

ordonner la consignation par le bailleur du préjudice lié aux frais de réinstallation entre les mains de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats près la cour d'appel de Metz, qui pourra être déconsigné par celui-ci soit sur justi'cation de la réinstallation du preneur et au profit du preneur, soit au pro't du bailleur dans l'hypothèse d'une absence de justi'cation de la réinstallation dans un délai de trois mois à compter du prononcé du jugement à intervenir, le tout sauf meilleur accord des parties,

En tout état de cause,

condamner Mme [X] à leur payer une indemnité de 3.000 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens de la procédure en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Par jugement du 23 février 2022, le tribunal judiciaire de Metz a :

déclaré irrecevable la demande de Mme [X] au titre de l'indemnité d'éviction,

déclaré recevable la demande de M. et Mme [O] au titre de l'indemnité d'occupation,

condamné Mme [X] à payer à M. et Mme [O] une indemnité d'occupation de 653 euros par mois, hors charges, dont il sera déduit les sommes déjà payées, à compter du 1er janvier 2016 jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clés, avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur les sommes échues, et ensuite à compter de chaque terme impayé à venir,

débouté Mme [X] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

débouté M. et Mme [O] de leur demande sur le même fondement,

condamné Mme [X] aux dépens,

prononcé l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 28 mars 2022, Mme [X] a interjeté appel aux fins d'annulation ou infirmation du jugement rendu le 23 février 2022 par le tribunal judiciaire de Metz dans toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté M. et Mme [O] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 28 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, Mme [X] demande à la cour de :

déclarer recevable et bien fondé son appel interjeté le 28 mars 2022,

En conséquence, y faisant droit,

infirmer le jugement rendu le 23 février 2022 par le tribunal judiciaire de Metz en ce qu'il:

a déclaré irrecevable sa demande au titre de l'indemnité d'éviction,

a déclaré recevable la demande de M. et Mme [O] au titre de l'indemnité d'occupation,

l'a condamnée à payer à M. et Mme [O] une indemnité d'occupation de 653 euros par mois, hors charges, dont il sera déduit les sommes déjà payées, à compter du 1er janvier 2016 jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clés, avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur les sommes échues, et ensuite à compter de chaque terme impayé à venir,

l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

l'a condamnée aux dépens,

a prononcé l'exécution provisoire du jugement,

Et, statuant à nouveau,

déclarer recevable sa demande introduite au titre de l'indemnité d'éviction,

Vu le rapport d'expertise de M. [H],

fixer le montant qui lui est dû par Mme et M. [O] à la somme de 72.000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 18 septembre 2019,

Par suite,

A titre principal,

condamner solidairement Mme et M. [O] à lui payer la somme de 72.000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 septembre 2019,

A titre subsidiaire,

donner acte à M. et Mme [O] de ce qu'ils proposent de réduire l'indemnité d'éviction à la somme de 42.000 euros,

En conséquence,

les condamner solidairement à payer cette somme,

condamner solidairement Mme et M. [O] à payer cette indemnité d'éviction dans un délai de 7 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, au besoin sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

dire et juger qu'elle a droit au maintien dans les locaux commerciaux et ce jusqu'à complet paiement de cette indemnité,

Par suite,

l'autoriser à se maintenir dans les lieux situés au [Adresse 2] jusqu'à complet paiement,

déclarer irrecevable la demande introduite par M. et Mme [O] au titre de l'indemnité d'occupation,

En tout état de cause,

condamner M. et Mme [O] à lui payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 5.000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,

prononcer l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir.

Par conclusions déposées le 27 janvier 2023, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. et Mme [O] demandent à la cour de :

rejeter l'appel de Mme [X],

confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En tant que besoin et ajoutant au jugement,

juger que l'indemnité d'occupation fixée par le tribunal judiciaire est de nature statutaire pour la période antérieure au 30 décembre 2017 et de nature légale pour la période postérieure à cette date,

Très subsidiairement,

débouter Mme [X] de l'intégralité de ses demandes,

Encore plus subsidiairement,

déclarer Mme [X] irrecevable et subsidiairement mal fondée en sa demande d'indemnité d'installation,

A titre infiniment subsidiaire,

réduire l'indemnité d'éviction à la somme de 42.000 euros,

en l'absence de justification d'une réinstallation par Mme [X], ordonner qu'ils consignent la somme de 30.000 euros telle qu'estimée par l'expert au titre des frais d'installation entre les mains de M. le bâtonnier de l'ordre des avocats de la cour d'appel de Metz,

juger que les frais de réinstallation ne pourront être déconsignés par Mme [X] que sur justificatif de sa réinstallation effective qui devra intervenir dans le délai d'un an à compter de l'arrêt,

juger qu'à défaut de réinstallation dans le délai d'un an à compter de l'arrêt, ils seront autorisés à récupérer les sommes consignées,

En tout état de cause,

déclarer Mme [X] irrecevable et subsidiairement mal fondée en ses demandes,

condamner Mme [X] aux entiers frais et dépens d'appel ainsi qu'à leur payer solidairement la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité

L'article L145-9 du code de commerce dispose que « par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement.

A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil. (...)

Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné ».

M.et Mme [O] ont délivré à Mme [X] un « congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction » pour le 31 décembre 2015 par acte d'huissier signifié le 29 mai 2015. Cet acte précise que le congé est donné en application de l'article L145-14 du code de commerce et que les requérants qui entendent refuser le renouvellement du bail offrent de payer à Mme [X] une indemnité d'éviction « à déterminer selon les dispositions légales ».

Il y a lieu d'observer qu'il n'est pas établi ni même invoqué par les parties que Mme [X] aurait sollicité le renouvellement du bail et que celui-ci lui aurait été refusé par M. et Mme [O]. C'est donc l'article L145-9 susvisé qui s'applique et non l'article L145-10 du même code qui concerne le cas où le bailleur n'a pas délivré de congé mais a refusé la demande de renouvellement formée par ne preneur.

Le congé délivré par M. et Mme [O] comporte également une mention qui rappelle que le preneur qui entend « soit contester le congé soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit, à peine de forclusion, saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné ».

Conformément aux dispositions de l'article L145-9 du code de commerce, qui prévoient un délai de prescription (et non de forclusion comme indiqué par l'acte d'huissier) de deux ans pour solliciter le paiement d'une indemnité d'éviction à compter de la date pour laquelle le congé a été donné, Mme [X] avait donc jusqu'au 31 décembre 2017 pour engager une telle action.

Sur la recevabilité de la demande des époux [O] tendant à voir déclarer irrecevable la demande en paiement d'une indemnité d'éviction par Mme [X]

Le principe de l'estoppel qui se définit comme le comportement procédural constitutif d'un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions a pour conséquence d'interdire à une partie de se contredire au détriment d'autrui au regard d'une obligation de loyauté processuelle.

La fin de non-recevoir tirée de l'estoppel ne s'applique toutefois que si les positions contraires sont adoptées au cours d'une même instance.

Si Mme [X] invoque le fait que M. et Mme [O] ne peuvent se prévaloir de la prescription de l'action de Mme [X] dans la mesure où ils ont reconnu, sur le principe, lui devoir une indemnité d'éviction en dernier lieu lors de la procédure en référé-expertise, puis lors des opérations d'expertise, il convient de relever que ces propos ont été tenu au cours de l'instance en référé qui est une instance distincte de l'action en paiement engagée par Mme [X] devant le juge du fond et dont la cour est saisie.

Au surplus, l'action en référé a été engagée par M. et Mme [O] par assignation du 7 avril 2017 soit avant l'expiration du délai de prescription de deux ans qui s'achevait le 31 décembre 2017. Il ne pouvait donc en être déduit à cette date qu'ils n'entendaient pas se prévaloir du délai de prescription d'une éventuelle action en paiement de l'indemnité d'éviction par Mme [X].

Dès lors, la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel invoquée par l'appelante doit être rejetée et la demande formée par M. et Mme [O] tendant à voir déclarer l'action en paiement formée par Mme [X] prescrite doit être déclarée recevable.

Sur la recevabilité de la demande en paiement d'une indemnité d'éviction formée par Mme [X]

Sur l'interruption du délai de prescription sur le fondement de l'article 2240 du code civil

L'article 2240 du code civil dispose que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de prescription ».

A supposer que Mme [X], qui invoque au titre de l'estoppel, la reconnaissance par M. et Mme [O] de son droit à obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction, invoque également implicitement l'application des dispositions de cet article 2240, il convient de relever que la dernière reconnaissance de ce droit par les intimés a été formulée par l'assignation en référé délivrée à Mme [X] le 7 avril 2017 puisque, selon les termes de l'ordonnance de référé du 13 juin 2017 du président du tribunal de grande instance de Metz, les époux [O] ont dans leur assignation demandé que l'expert évalue le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre Mme [X].

Mme [X] avait donc jusqu'au 7 avril 2019 pour introduire son action en paiement d'une indemnité d'éviction contre M. et Mme [O]. Or, elle n'a délivré une assignation en sens à leur encontre que par acte d'huissier du 18 septembre 2019, soit postérieurement à l'expiration du délai de prescription.

Le moyen invoqué à ce titre sera donc rejeté.

Sur l'interruption du délai de prescription sur le fondement de l'article 2241 du code civil

Si Mme [X] invoque les dispositions de l'article 2241 du code civil qui dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, il convient de relever que ce n'est pas elle, mais M. et Mme [O] qui ont saisi le juge des référés d'une demande d'expertise sur le montant de l'indemnité d'éviction.

Il résulte des termes de l'ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Metz du 13 juin 2017 que, dans ses conclusions du 16 mai 2017, Mme [X] a seulement demandé qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne s'opposait pas à l'expertise sollicitée. Cette demande de donner acte de son absence d'opposition ne s'analyse pas comme une demande en justice puisque « le donner acte » est sans conséquence juridique. Elle n'est donc pas de nature à interrompre le délai de prescription sur le fondement de l'article 2241 du code civil.

C'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté le moyen invoqué à ce titre.

Sur la suspension du délai de prescription

L'article 2239 du code civil dispose que «la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. La prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

En application de cet article, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.

La mesure d'instruction ayant été sollicitée par M. et Mme [O], la suspension de la prescription qui est un des effets de l'ordonnance de référé du 13 juin 2017 ayant fait droit à la demande d'expertise, ne bénéficie qu'à M. et Mme [O] et non à Mme [X] qui ne l'a pas demandée.

Elle ne peut donc se prévaloir de la suspension de la prescription par l'ordonnance de référé précitée. C'est à bon droit que le premier juge a donc rejeté ce moyen.

Sur l'extension de l'effet interruptif de prescription

Si, en principe, la suspension comme l'interruption de la prescription ne peuvent s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

Toutefois, seule une initiative du créancier de l'obligation peut interrompre la prescription et lui seul peut revendiquer l'effet interruptif de son action et en tirer profit.

Par ailleurs, ainsi qu'il résulte des motifs développés en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu'à son profit.

En l'espèce, Mme [X] ne peut se prévaloir de l'interruption puis de la suspension de la prescription née de la demande d'expertise en référé formée uniquement par M. et Mme [O] afin de fixer le montant de l'indemnité d'éviction et préserver leurs intérêts, pour les étendre à son action en paiement d'une indemnité d'éviction contre les bailleurs.

Le moyen invoqué à ce titre doit être rejeté, le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la recevabilité de la demande en paiement d'une indemnité d'occupation

Il existe deux catégories d'indemnité d'occupation : celle relevant du droit commun de l'article 1240 du code civil s'appliquant à un occupant sans droit ni titre et celle prévue par l'article L145-28 du code de commerce qui s'applique à celui qui, bénéficiaire du droit à indemnité d'éviction, se maintient dans les lieux dans l'attente de son paiement.

Il résulte des dispositions de l'article L145-60 du code de commerce que l'action en fixation de l'indemnité d'occupation prévue par l'article L145-28 du code de commerce se prescrit par deux ans à compter de la date d'effet du congé de refus de renouvellement avec indemnité d'éviction.

En revanche le délai de prescription de l'action en paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun est de cinq ans selon les dispositions de l'article 2224 du code civil « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En l'espèce, il ressort des motifs susvisés que l'action en paiement de l'indemnité d'éviction due à Mme [X] est prescrite depuis le 31 décembre 2017. A compter de cette date, Mme [X] est devenue occupante sans droit ni titre.

En conséquence, il faut distinguer deux périodes correspondant aux deux indemnités d'occupation de nature différente :

la période comprise entre la date de la fin du bail (date d'effet du congé) et celle à laquelle l'action en paiement de l'indemnité d'éviction est devenue prescrite, soit du 31 décembre 2015 au 31 décembre 2017, au cours de laquelle l'indemnité d'occupation est de nature statutaire et doit être sollicitée dans le délai de deux ans à compter du 31 décembre 2015 par application des articles L145-28 et L145-60 du code de commerce

la période commençant à courir à compter du 1er janvier 2018, date à laquelle Mme [X] est devenue occupante sans droit ni titre et donnant droit pour les bailleurs à une indemnité d'occupation de droit commun, devant être sollicitée dans un délai de cinq ans à compter du 1er janvier 2018.

Sur la prescription de la demande d'indemnité d'occupation statutaire

Aux termes de leur assignation en référé délivrée le 7 avril 2017, (dont une copie, sans date de délivrance mais non contestée par Mme [X] est produite), M. et Mme [O] ont sollicité dans le dispositif de cette assignation et selon la présentation suivante, la désignation d'un expert avec pour mission, notamment, de :

« procéder au chiffrage et à la détermination de l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre Mme [X]

procéder à la détermination de la valeur locative des locaux ».

Il en résulte que ces deux demandes ont bien été formées distinctement.

L'indemnité d'éviction est selon les dispositions de l'article L145-14 du code de commerce, égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et « comprend notamment, la valeur marchande du fonds de commerce déterminée, selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur »

En revanche, l'indemnité d'occupation correspond, en l'absence de stipulations contractuelles spécifiques (ce qui est le cas en l'espèce) à la valeur locative des locaux.

Il y a donc lieu de considérer que dans leur assignation en référé, M. et Mme [O] ont demandé à l'expert de déterminer la valeur locative des locaux afin de fixer non seulement le montant de l'indemnité d'éviction mais également de pourvoir ensuite solliciter une indemnité d'occupation contre Mme [X].

Par application des dispositions de l'article 2241 du code civil, cette demande en référé a interrompu le délai de prescription.

Selon les dispositions de l'article 2239 rappelées plus haut, l'ordonnance de référé du 13 juin 2017 ayant ordonné ensuite l'expertise a suspendu ce nouveau délai de prescription jusqu'à l'exécution de cette mesure, soit jusqu'au 6 mai 2019, date du dépôt du rapport de l'expert.

Ainsi, le délai de prescription de deux ans qui avait recommencé à courir à compter de l'assignation en référé du 7 avril 2017 a été suspendu pendant 2 mois et 6 jours du 13 juin 2017 au 6 mai 2019 et s'est ensuite poursuivi à compter de cette date jusqu'au 1er mars 2021.

Or, Mme [X] indique que M. et Mme [O] ont sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation pour la première fois dans leurs conclusions du 20 février 2020, ce qui n'est pas remis en cause par les intimés. En outre, le jugement de première instance mentionne que M. et Mme [O] dans leurs dernières conclusions récapitulatives du 27 novembre 2020 ont sollicité la condamnation de Mme [X] à leur verser une indemnité d'occupation de 653 euros par mois hors charge à compter du 1er janvier 2016. Dès lors, quelle que soit la date des conclusions retenues, la cour constate que la demande en paiement de l'indemnité d'occupation due à compter du 1er janvier 2016 a été formée avant l'expiration du délai de prescription. Elle est donc recevable, ainsi que l'a retenu le premier juge.

Sur la prescription de la demande d'indemnité d'occupation de droit commun

Cette indemnité due à compter du 1er janvier 2018 a été sollicitée par les intimés au plus tôt dans leurs conclusions du 20 février 2020 et au plus tard le 27 novembre 2020 étant précisé que dans ces dernières conclusions le paiement d'une indemnité d'occupation était demandé du 1er janvier 2016 jusqu'à restitution des clés, ce qui comprend la période due à compter du 1er janvier 2018.

La demande a donc été formée dans le délai de prescription de 5 ans qui s'achevait le 1er janvier 2023.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la demande en paiement d'une indemnité d'occupation contre Mme [X] recevable.

II- Sur le fond

Sur la demande formée au titre de l'indemnité d'occupation statutaire

L'article L145-28 du code de commerce dispose, dans sa version applicable au litige : « aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d'appréciation ».

Dans son rapport du 6 mai 2019, l'expert a évalué le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 653 euros en tenant compte de la surface pondérée du local de 35m² et d'une valeur locative du périmètre de 280 euros (/m² pondérée HT/an) ce qui revient à une valeur locative mensuelle de 816,67 euros que l'expert a réduit à la somme de 653 euros pour tenir compte d'un abattement pour précarité de 20%.

Si le juge des référés a mentionné dans les motifs de son ordonnance du 13 juin 2017 que pendant le cours de l'expertise Mme [X] serait redevable du montant du loyer en cours soit 210,45 euros, il n'en a pas déduit qu'il s'agissait de la valeur locative devant être appliquée pour l'indemnité d'occupation qui serait due puisqu'il a ordonné une expertise également sur ce point. En outre, aucune disposition à ce titre n'est mentionnée dans le dispositif de l'ordonnance.

L'appelante ne faisant valoir aucun autre moyen tendant à remettre en cause l'évaluation de l'expert, il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité d'occupation statutaire due par Mme [X] à la valeur retenue dans l'expertise soit 653 euros par mois hors charges pour la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017.

Sur la demande formée au titre de l'indemnité d'occupation de droit commun

Par application des dispositions de l'article 1240 du code civil, l'indemnité d'occupation de droit commun est destinée à réparer le préjudice du bailleur dont le local est occupé par un occupant sans droit ni titre.

Il convient de relever que Mme [X] ne justifie pas avoir libéré les locaux.

Dès lors, étant occupante sans droit ni titre, elle est débitrice d'une indemnité d'occupation envers M. et Mme [O] sur le fondement de l'article 1240 du code civil depuis le 1er janvier 2018.

Au regard, d'une part, de la valeur locative des locaux qui étaient donnés à bail et du montant de l'indemnité d'occupation tels qu'évalués par l'expert, et, d'autre part, de l'absence moyen invoqué par Mme [X] tendant à justifier que le préjudice subi par M. et Mme [O] du fait de son occupation sans droit ni titre, serait inférieure au montant de l'indemnité d'occupation statutaire, il convient de fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à compter du 1er janvier 2018 au même montant soit 653 euros hors charges.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné Mme [X] à payer à M. et Mme [O] une indemnité d'occupation hors charges, dont il sera déduit les sommes déjà payées (étant observé que Mme [X] n'invoque aucun règlement) à compter du 1er janvier 2016 jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, avec intérêts au taux légal à compter du jugement sur les sommes échues et ensuite à compter de chaque terme impayé, étant souligné que Mme [X] n'invoque aucun moyen tendant à remettre en cause le point de départ des intérêts tels que retenus par le jugement.

Sur la demande relative au maintien dans les lieux formée par Mme [X]

Cette demande a été formée par Mme [X] dans l'hypothèse où elle pourrait bénéficier d'une indemnité d'éviction.

Sa demande sur ce point étant prescrite, elle ne peut solliciter l'autorisation de rester dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction ne lui a pas été payée.

Elle sera donc déboutée de cette prétention.

III- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Dans la mesure où Mme [X] succombe, le jugement sera confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur de cour, Mme [X] qui succombe également sera condamnée aux dépens.

L'équité commande, selon les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner Mme [X] à payer à M. et Mme [O] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la débouter de ses prétentions formées sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable la demande formée par M. [S] [O] et Mme [W] [N] épouse [O] tendant à voir déclarer l'action en paiement formée par Mme [G] [X] prescrite ;

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 23 février 2022 dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute Mme [G] [X] de sa demande tendant à être autorisée à se maintenir dans les locaux commerciaux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction ;

Condamne Mme [G] [X] aux dépens ;

Condamne Mme [G] [X] à payer à M. [S] [O] et Mme [W] [N] épouse [O] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande formée au même titre contre M. [S] [O] et Mme [W] [N] épouse [O].