Décisions
CA Reims, 1re ch. sect..civ., 21 mai 2024, n° 23/00815
REIMS
Arrêt
Autre
ARRET N°
du 21 mai 2024
N° RG 23/00815 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FKUG
[S]
c/
S.E.L.A.R.L. [D] ET ASSOCIES
Formule exécutoire le :
à :
la SCP ACG & ASSOCIES
Me Clémence GIRAL-FLAYELLE
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 21 MAI 2024
APPELANT :
d'un jugement rendu le 13 avril 2023 par le tribunal judiciaire de REIMS
Monsieur [P] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Redouane SAOUDI de la SELARL JEAN-LOUVEL-SAOUDI, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. [D] ET ASSOCIES,
Société d'exercice libéral à responsabilité limité, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 415 371 863, dont le siège social sis [Adresse 2], prise en la personne de son gérant, domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Clémence GIRAL-FLAYELLE, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Annabel BOCCARIA de K130 AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Florence MATHIEU, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 02 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 mai 2024, prorogé au 21 mai 2024
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Monsieur [P] [S] a été engagé suivant contrat de travail en date du 12 mars 2007 en qualité de directeur salarié de la SAS Conflans Distribution E.[Z] présidée successivement par M. [L] [W] puis à compter du 11 décembre 2010 par M.[G] [W].
Un contrôle effectué par l'inspection du travail dans les locaux de la SAS Conflans Distribution E.[Z] a conclu à de multiples non-respect de la réglementation sur la durée du travail et sur les transports routiers.
Des poursuites pénales ont été engagées à l'encontre de la SAS Conflans Distribution E.[Z], M. [P] [S], directeur, et M. [G] [W], Président, lesquels ont été reconnus personnellement coupables de infractions constatées par le tribunal de police de Briey par jugement du 13 novembre 2014 qui les a condamnés chacun au paiement d'une somme de 99 200 euros au titre de plusieurs amendes contraventionnelles.
La cour d'appel de Nancy a confirmé le jugement en date du 15 mars 2016.
Le pourvoi de M. [S] a été rejeté.
Messieurs [S] et [W] et la SAS Conflans Distribution E.[Z] étaient tous trois représentés par la SELARL [D] et associés représentée par Maître [X] [D].
Considérant que la SELARL [D] et associés représentée par Maître [X] [D] avait commis des fautes caractérisées par un conflit d'intérêt ayant donné lieu à une perte de chance réelle et sérieuse de bénéficier d'une issue favorable dans le cadre du procès pénal, M. [P] [S] l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Reims par acte d'huissier du 11 juin 2021.
Par jugement du 13 avril 2023, le tribunal judiciaire de Reims a débouté M. [P] [S] de l'intégralité de ses prétentions et l'a condamné à payer à la SELARL d'avocats [D] et associés la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Il a estimé que si M. [S] reprochait à son avocat de ne pas avoir contesté la délégation de pouvoir consentie à son bénéfice en raison d'un conflit d'intérêt, il ne démontrait pas que cette délégation de pouvoir pouvait être effectivement contestée avec succès, ni la perte de chance en résultant.
M. [S] a interjeté appel de cette décision, par déclaration d'appel du 15 mai 2023.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 24 juillet 2023, il demande à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de déclarer que la SELARL Klatvsky et associés a commis des fautes caractérisées par un conflit d'intérêts et un manquement à son devoir de conseil envers M. [P] [S] ;
- déclarer que les fautes de la SELARL [D] et associés ont causé un préjudice à Monsieur [P] [S] consistant en une perte de chance réelle et sérieuse de bénéficier d'une issue favorable dans le cadre du procès pénal ;
- condamner la la SELARL [D] et associés à verser à Monsieur [P] [S] la somme de 99.200 € au titre de la perte de chance subie
- condamner la SELARL [D] et associés à verser à Monsieur [P] [S] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il considère qu'il bénéficiait d'une délégation de pouvoirs mais pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de cette délégation et qu'il se trouvait en réalité sous l'autorité du président de la SAS Conflans distribution, M. [W] ; que ce moyen, qui aurait permis à Monsieur [S] de s'exonérer de sa responsabilité pénale, n'a pourtant pas été soulevé par Maître [D] car il s'agissait d'un moyen de défense personnel de M. [S], en contradiction avec la ligne de défense adoptée au profit de la SAS Conflans Distribution. Il conclut que Maître [D] a compromis les intérêts de M. [S] au profit des intérêts de la SAS Conflans distribution, ce qui est caractéristique d'un conflit d'intérêts, sur lequel Maître [D] aurait dû attirer l'attention de M. [S].
Il soutient que Maître [D] a manqué à son devoir de conseil en n'attirant pas l'attention de M. [S] sur un éventuel conflit d'intérêts, ni sur l'absence de solidarité dans la condamnation des prévenus.
Il estime qu'il aurait pu échapper à la condamnation pénale prononcée à son encontre s'il avait bénéficié d'une défense autonome et propre à la préservation de ses intérêts et que dès lors son préjudice doit être évaluée à la somme de 99 200 euros à laquelle il a été condamné sans défense opportune.
Par conclusions signifiées le 16 octobre 2023, la SELARL [D] et associés demande :
- la confirmation du jugement,
- et la condamnation de M. [S] à la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile.
Elle fait valoir que le directeur d'un magasin [Z] dispose de pouvoirs étendus et d'une vaste délégation de pouvoirs, que M. [S] n'a jamais contestés.
Elle rappelle que M. [S] a démissionné et quitté la SAS Conflans Distribution en cours de procédure, expliquant que cette dernière, qui réglait habituellement les condamnations prononcées par les juridictions pénales n'a pas réglé les 99 200 euros prononcés à l'encontre de M. [S].
Elle précise que les prévenus ont été condamnés individuellement.
Elle estime que M. [S] ne démontre pas en quoi il existerait une opposition entre les intérêts individuels de chacun des clients conseillés par le cabinet [D] ni en quoi il aurait présenté une défense différente si les intérêts d'une seule partie lui avaient été confiés.
Elle fait valoir que la délégation de pouvoirs de M. [S] était tout à fait valable et ne pouvait être remise en cause, et que M. [S] avait participé à la commission de l'infraction en signant les feuilles d'heures supplémentaires.
Elle ajoute qu'au lieu d'engager la responsabilité de son avocat, M. [S] aurait dû se tourner vers la SAS Conflans distribution pour obtenir le règlement de sa condamnation, étant d'usage que la SAS prenne en charge les condamnations prononcées à l'encontre de ses titulaires de délégation.
Elle précise que M. [S] ne démontre pas avoir demandé à la SAS Conflans Distribution de prendre en charge sa condamnation, ni même avoir acquitté se dette au Trésor public.
MOTIFS
Sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, la responsabilité civile professionnelle d'un avocat peut être retenue à charge pour son client de démontrer l'existence d'une faute ayant eu pour conséquence de lui faire perdre une chance d'obtenir une décision plus favorable.
En l'espèce, M. [S] reproche à son avocat de ne pas avoir contesté la délégation de pouvoir consentie à son bénéfice en raison d'un conflit d'intérêt ainsi qu'un manquement à son devoir de conseil envers lui en ne l'informant pas de l'absence de solidarité dans la condamnation des prévenus, toutes fautes ayant eu pour effet de lui faire perdre la chance de ne pas être condamné par jugement du tribunal de police de Briey du 13 novembre 2014 confirmé par la cour d'appel de Nancy du 15 mars 2016 au paiement de plusieurs amendes pour un montant total de 99 200 euros au titre de contraventions liées au dépassement de la durée légale du travail du transport routier par plusieurs salariés de l'entreprise qu'il dirigeait depuis le 12 mars 2007.
Sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence de l'autorité et des moyens nécessaires pour accomplir la mission confiée.
Le délégataire peut dans les mêmes conditions s'exonérer de sa responsabilité s'il démontre la subdélégation ou l'absence de validité de sa délégation.
Pour être valable, une délégation doit être permanente précise et limitée dans son champ (pas générale pour toutes les fonctions et pour des missions déterminées) et dans le temps ; elle doit résulter d'éléments clairs et précis, elle ne doit pas être interdite par une loi.
Enfin, le délégant doit appartenir à une entreprise de taille suffisante et doit être dans l'impossibilité d'assurer personnellement une surveillance effective des activités et du personnel de l'entreprise mais il n'a pas à établir obligatoirement une impossibilité totale d'accomplir personnellement la mission objet de la délégation.
Le conflit d'intérêt est constitué selon l'article 4.2 du dit règlement si au jour de sa saisine, l'assistance de plusieurs parties conduirait l'avocat à présenter une défense différente notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité de celle qu'il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d'une seule partie.
Certes, un avocat peut, dans certaines circonstances et sans qu'il résulte un conflit d'intérêtn intervenir pour une personne morale et conseiller ou représenter un ou plusieurs actionnaires de cette dernière dans le cadre d'un différend qui les opposerait dans le mesure où leurs intérêts ne sont pas contraires, comme il peut dans les mêmes conditions, défendre une personne morale et son salarié devant les tribunaux lorsqu'il convient notamment de contester l'existence de mêmes infractions qui leur sont reprochées ou d'en reporter la responsabilité sur un tiers dont sur le fondement d'une subdélégation.
Et certes en l'espèce, la SELARL [D] et associés a contesté dans l'intérêt des deux parties, le bien fondé des poursuites dirigées tant contre la société morale et son président que contre son directeur Monsieur [P] [S], en se prévalant d'un arrêt de la cour d'appel de Nancy qui avait débouté les salariés de leurs demandes de paiements de rappels de salaires pour heures supplémentaires et repos compensateurs, comme il a tenté de mettre en cause la responsabilité d'une autre salarirée, Mme [E], sur la base d'une délégation de pouvoir établie au profit de celle-ci.
Mais l'intérêt bien compris de Monsieur [P] [S], premier délégataire, placé dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail dans les missions qui lui étaient dévolues sous l'autorité et le contrôle de son employeur, était ensuite de tenter de contester la validité de sa propre délégation qui lui avait été donnée par son employeur dont l'insuffisance des moyens qui lui étaient donnés pour l'exercer, pour s'exonérer de toute responsabilité personnelle quelque soit l'issue du procès quant à la responsabilité de son employeur ou de son président.
L'existence de ce conflit possible d'intérêt n'autorisait l'avocat à accepter la défense du délégataire, en application de l'article 4 du règlement intérieur national qui dispose que l'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients, qu'en étant en mesure de justifier de l'accord de celui-ci.
Il est entendu que la SELARL [D] et associés était le cabinet habituel de la SAS Conflans Distribution E.[Z] dans le cadre de son activité de conseil et l'interlocuteur de Monsieur [P] [S] depuis son embauche en 2007 et qu'elle développe que concomitant à la décision critiquée et postérieurement, l'appelant lui a confié plusieurs dossiers dans lesquels sa responsabilité pénale était recherchée sur le même fondement sans qu'il ne remette en cause celle-ci et la validité de sa délégation de sorte qu'est démontré son accord implicite à une défense unique.
Et elle justifie de 3 jugement postérieurs montrant la comparution de Monsieur [P] [S] devant le tribunal de police en 2015 et 2016 et un du tribunal correctionnel de Bobigny du 23 juin 2014.
Mais dans le même temps tout en affirmant " qu'il est indiscutable que le montant des condamnations serait pris en charge par la SAS comme il était d'usage ", l'avocat ne démontre pas l'existence d'une telle obligation de l'employeur envers son salarié alors que la cour observe que dans 4 des jugements prononcés par un tribunal de police et évoqués ci dessus, un seul, du 24 novembre 2015, prononce une condamnation pécuniaire contre Monsieur [P] [S], et de surcroit d'un très faible montant de 300 euros.
Il ne lui était donc pas possible d'exclure la possibilité d'un défaut de prise en charge dont pour des amendes plus importantes ce dont il lui appartenait de prévenir son client et donc de l'informer du risque qui pesait sur lui à ce titre et qui s'est réalisé s'agissant de la condamnation au paiement d'un total de 99 200 euros qui a été prononcée par le tribunal de police le 13 novembre 2014.
Il devait disposer d'un accord clair et non équivoque de son client, de ne pas soulever tous moyens de droits tenant au périmètre ou à la validité de sa délégation pour tenter d'éviter une condamnation à titre personnel.
Or l'intimée ne dispose pas de cet accord ni de la preuve de l'information complète qu'elle a donné à Monsieur [P] [S] et elle ne soutient pas qu'elle a discuté devant le tribunal ou devant la cour en appel, de la validité de la délégation donnée par Monsieur [P] [S] par son employeur.
Le fait que l'employeur ait été avec lui condamné et n'a pas tenté de se décharger de sa propre responsabilité sur son salarié, ne devait pas priver celui-ci de la chance de contester la validité de sa délégation et donc sa propre responsabilité.
Par ailleurs, la SELARL [D] et associés qui a commis une faute, ne peut s'exonérer du préjudice en ayant résulté en se prévalant d'une faute d'un tiers qui ne constituerait pas un cas de force majeure pour elle exonératoire de sa responsabilité et donc notamment d'une faute de l'employeur, qui aurait dû régler le montant des condamnations ou d'une faute de l'administration fiscale qui a cru dans un premier temps que la condamnation était solidairement prononcée envers toutes les parties avant de se retourner contre Monsieur [P] [S] personnellement.
Une victime n'est pas plus tenue de réduire son préjudice de sorte que la Selarl ne peut utilement reprocher à Monsieur [P] [S] une faute consistant à ne pas avoir mené toutes les actions légales possibles pour obtenir une condamnation pécuniaire de son employeur dont par une action devant le conseil de prud'hommes.
Il peut être rajouté qu'en sa qualité de conseil habituel de la société, il pouvait de la mêmemanière interpeller celle-ci sur l'absence de paiement des contraventions prononcées contre son salarié.
En conséquence, dans la mesure où elle ne démontre pas que la question de la validité et du périmètre de la délégation a été soulevée devant le tribunal de police de Briey ni celle des conséquences pécuniaires qui résulteraient d'une condamnation personnelle à paiement d'amendes à défaut de contestation de la validité de la délagation, elle a commis des fautes qui ont occasionné à Monsieur [P] [S] un préjudice certain constitué de la perte de chance d'obtenir une décision plus favorable que la condamnation à titre personnel au paiement d'une somme de 99 250 euros.
Le pourcentage de cette perte de chance doit être évalué en appréciant les chances de succès de la prétention omise et il appartient à la cour de reconstituer la discussion qui se serait instaurée si la remise en cause de la délégation comme les conséquences d'une condamnation non solidaire avec son employeur pour le salarié avaient été abordées.
Monsieur [P] [S] explique que son contrat de travail lui donne comme mission principale de diriger et d'organiser l'activité de la société mais sous l'autorité et le contrôle du président M.[W] à qui il présentera ses programmes d'action et auprès duquel il rendra compte de ses activités et résultats obtenus et à qui il fera part de toute difficulté, problème incident ou litige rencontré, ce qui démontre son absence d'autonomie et de moyens suffisants pour justifier de la validité d'une délégation.
Mais il ne s'agit que de généralités et considérations vagues et inopérantes en ce qu'elle ne détaille pas les conditions d'exercice de ce salarié directeur de magasin au quel avaient été déléguées contractuellement des délégations qui concernent les questions relatives à l'hygiène et à la sécurité à la législation commerciale à la législation sociale.
Ces délégations sont usuelles à ce poste, étant rappelé que Monsieur [P] [S] a été embauché en 2007 avec un salaire brut mensuel de 5750 euros et ce non compris les primes de bilan annuel, qu'il ne soutient pas qu'il ait à un moment contesté ou critiqué le contenu de ces délégations au regard des moyens et effectifs dont il disposait.
Il ne conteste pas plus que le fonctionnement des magasins de la centrale d'achat [Z] oblige son président à répondre à des obligations propres au niveau des centrales d'achat qui avaient pour conséquence de le laisser seul diriger le magasin plusieurs jours dans la semaine.
Par ailleurs, les contraventions retenues à son encontre reposent sur la matière sociale tenant à des violations de la durée légale du travail de plusieurs salariés de transport routier relevées lors d'un contrôle de l'inspection du travail.
Or, la lecture de sa délégation particulière en matière de législation sociale montre qu'elle est précise limitée en ce qu'elle vise particulièrement le respect des règles concernant la durée du travail (heures supplémentaires, repos compensateur ..).
Et même si Mme [O] atteste en juin 2023, de l'absence effective de l'intervention de Monsieur [P] [S] dans la gestion du service fuel et notamment dans la gestion des horaires de travail des chauffeurs, il apparaît pas moins à la cour qu'il participait et s'impliquait personnellement dans celle-ci puisqu'il signait, avec le président, tous les mois, les feuilles d'heures supplémentaires ; qu'ainsi ils savaient les conditions dans lesquelles travaillaient les chauffeurs de l'entreprise ou à tout le moins il lui appartenait de s'interroger sur la comptabilité entre le nombre d'heures travaillées et le respect de la réglementation du travail et en matière de coordination des transports.
Ses chances de succès devant le tribunal pour le cas où il avait tenté de remettre en cause la validité de sa délégation étaient dès lors minimes, ce dont la cour tire pour conséquence que la perte de chance de ne pas être condamné définitivement au paiement de la somme de 99 200 euros en raison du manquement de son conseil est de 15%.
Aussi, le jugement est infirmé et la SELARL [D] et associés est condamnée à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 14 887,50 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Reims du 13 avril 2023 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la SELARL [D] et associés à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 14 887,50 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Condamne la SELARL [D] et associés à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la SELARL [D] et associés de ses prétentions à ce titre.
Condamne la SELARL [D] et associés aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente
du 21 mai 2024
N° RG 23/00815 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FKUG
[S]
c/
S.E.L.A.R.L. [D] ET ASSOCIES
Formule exécutoire le :
à :
la SCP ACG & ASSOCIES
Me Clémence GIRAL-FLAYELLE
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 21 MAI 2024
APPELANT :
d'un jugement rendu le 13 avril 2023 par le tribunal judiciaire de REIMS
Monsieur [P] [S]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Redouane SAOUDI de la SELARL JEAN-LOUVEL-SAOUDI, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. [D] ET ASSOCIES,
Société d'exercice libéral à responsabilité limité, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 415 371 863, dont le siège social sis [Adresse 2], prise en la personne de son gérant, domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Clémence GIRAL-FLAYELLE, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant, et Me Annabel BOCCARIA de K130 AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Florence MATHIEU, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 02 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 mai 2024, prorogé au 21 mai 2024
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Monsieur [P] [S] a été engagé suivant contrat de travail en date du 12 mars 2007 en qualité de directeur salarié de la SAS Conflans Distribution E.[Z] présidée successivement par M. [L] [W] puis à compter du 11 décembre 2010 par M.[G] [W].
Un contrôle effectué par l'inspection du travail dans les locaux de la SAS Conflans Distribution E.[Z] a conclu à de multiples non-respect de la réglementation sur la durée du travail et sur les transports routiers.
Des poursuites pénales ont été engagées à l'encontre de la SAS Conflans Distribution E.[Z], M. [P] [S], directeur, et M. [G] [W], Président, lesquels ont été reconnus personnellement coupables de infractions constatées par le tribunal de police de Briey par jugement du 13 novembre 2014 qui les a condamnés chacun au paiement d'une somme de 99 200 euros au titre de plusieurs amendes contraventionnelles.
La cour d'appel de Nancy a confirmé le jugement en date du 15 mars 2016.
Le pourvoi de M. [S] a été rejeté.
Messieurs [S] et [W] et la SAS Conflans Distribution E.[Z] étaient tous trois représentés par la SELARL [D] et associés représentée par Maître [X] [D].
Considérant que la SELARL [D] et associés représentée par Maître [X] [D] avait commis des fautes caractérisées par un conflit d'intérêt ayant donné lieu à une perte de chance réelle et sérieuse de bénéficier d'une issue favorable dans le cadre du procès pénal, M. [P] [S] l'a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Reims par acte d'huissier du 11 juin 2021.
Par jugement du 13 avril 2023, le tribunal judiciaire de Reims a débouté M. [P] [S] de l'intégralité de ses prétentions et l'a condamné à payer à la SELARL d'avocats [D] et associés la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Il a estimé que si M. [S] reprochait à son avocat de ne pas avoir contesté la délégation de pouvoir consentie à son bénéfice en raison d'un conflit d'intérêt, il ne démontrait pas que cette délégation de pouvoir pouvait être effectivement contestée avec succès, ni la perte de chance en résultant.
M. [S] a interjeté appel de cette décision, par déclaration d'appel du 15 mai 2023.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 24 juillet 2023, il demande à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de déclarer que la SELARL Klatvsky et associés a commis des fautes caractérisées par un conflit d'intérêts et un manquement à son devoir de conseil envers M. [P] [S] ;
- déclarer que les fautes de la SELARL [D] et associés ont causé un préjudice à Monsieur [P] [S] consistant en une perte de chance réelle et sérieuse de bénéficier d'une issue favorable dans le cadre du procès pénal ;
- condamner la la SELARL [D] et associés à verser à Monsieur [P] [S] la somme de 99.200 € au titre de la perte de chance subie
- condamner la SELARL [D] et associés à verser à Monsieur [P] [S] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il considère qu'il bénéficiait d'une délégation de pouvoirs mais pas des moyens nécessaires à l'accomplissement de cette délégation et qu'il se trouvait en réalité sous l'autorité du président de la SAS Conflans distribution, M. [W] ; que ce moyen, qui aurait permis à Monsieur [S] de s'exonérer de sa responsabilité pénale, n'a pourtant pas été soulevé par Maître [D] car il s'agissait d'un moyen de défense personnel de M. [S], en contradiction avec la ligne de défense adoptée au profit de la SAS Conflans Distribution. Il conclut que Maître [D] a compromis les intérêts de M. [S] au profit des intérêts de la SAS Conflans distribution, ce qui est caractéristique d'un conflit d'intérêts, sur lequel Maître [D] aurait dû attirer l'attention de M. [S].
Il soutient que Maître [D] a manqué à son devoir de conseil en n'attirant pas l'attention de M. [S] sur un éventuel conflit d'intérêts, ni sur l'absence de solidarité dans la condamnation des prévenus.
Il estime qu'il aurait pu échapper à la condamnation pénale prononcée à son encontre s'il avait bénéficié d'une défense autonome et propre à la préservation de ses intérêts et que dès lors son préjudice doit être évaluée à la somme de 99 200 euros à laquelle il a été condamné sans défense opportune.
Par conclusions signifiées le 16 octobre 2023, la SELARL [D] et associés demande :
- la confirmation du jugement,
- et la condamnation de M. [S] à la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile.
Elle fait valoir que le directeur d'un magasin [Z] dispose de pouvoirs étendus et d'une vaste délégation de pouvoirs, que M. [S] n'a jamais contestés.
Elle rappelle que M. [S] a démissionné et quitté la SAS Conflans Distribution en cours de procédure, expliquant que cette dernière, qui réglait habituellement les condamnations prononcées par les juridictions pénales n'a pas réglé les 99 200 euros prononcés à l'encontre de M. [S].
Elle précise que les prévenus ont été condamnés individuellement.
Elle estime que M. [S] ne démontre pas en quoi il existerait une opposition entre les intérêts individuels de chacun des clients conseillés par le cabinet [D] ni en quoi il aurait présenté une défense différente si les intérêts d'une seule partie lui avaient été confiés.
Elle fait valoir que la délégation de pouvoirs de M. [S] était tout à fait valable et ne pouvait être remise en cause, et que M. [S] avait participé à la commission de l'infraction en signant les feuilles d'heures supplémentaires.
Elle ajoute qu'au lieu d'engager la responsabilité de son avocat, M. [S] aurait dû se tourner vers la SAS Conflans distribution pour obtenir le règlement de sa condamnation, étant d'usage que la SAS prenne en charge les condamnations prononcées à l'encontre de ses titulaires de délégation.
Elle précise que M. [S] ne démontre pas avoir demandé à la SAS Conflans Distribution de prendre en charge sa condamnation, ni même avoir acquitté se dette au Trésor public.
MOTIFS
Sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, la responsabilité civile professionnelle d'un avocat peut être retenue à charge pour son client de démontrer l'existence d'une faute ayant eu pour conséquence de lui faire perdre une chance d'obtenir une décision plus favorable.
En l'espèce, M. [S] reproche à son avocat de ne pas avoir contesté la délégation de pouvoir consentie à son bénéfice en raison d'un conflit d'intérêt ainsi qu'un manquement à son devoir de conseil envers lui en ne l'informant pas de l'absence de solidarité dans la condamnation des prévenus, toutes fautes ayant eu pour effet de lui faire perdre la chance de ne pas être condamné par jugement du tribunal de police de Briey du 13 novembre 2014 confirmé par la cour d'appel de Nancy du 15 mars 2016 au paiement de plusieurs amendes pour un montant total de 99 200 euros au titre de contraventions liées au dépassement de la durée légale du travail du transport routier par plusieurs salariés de l'entreprise qu'il dirigeait depuis le 12 mars 2007.
Sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence de l'autorité et des moyens nécessaires pour accomplir la mission confiée.
Le délégataire peut dans les mêmes conditions s'exonérer de sa responsabilité s'il démontre la subdélégation ou l'absence de validité de sa délégation.
Pour être valable, une délégation doit être permanente précise et limitée dans son champ (pas générale pour toutes les fonctions et pour des missions déterminées) et dans le temps ; elle doit résulter d'éléments clairs et précis, elle ne doit pas être interdite par une loi.
Enfin, le délégant doit appartenir à une entreprise de taille suffisante et doit être dans l'impossibilité d'assurer personnellement une surveillance effective des activités et du personnel de l'entreprise mais il n'a pas à établir obligatoirement une impossibilité totale d'accomplir personnellement la mission objet de la délégation.
Le conflit d'intérêt est constitué selon l'article 4.2 du dit règlement si au jour de sa saisine, l'assistance de plusieurs parties conduirait l'avocat à présenter une défense différente notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité de celle qu'il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d'une seule partie.
Certes, un avocat peut, dans certaines circonstances et sans qu'il résulte un conflit d'intérêtn intervenir pour une personne morale et conseiller ou représenter un ou plusieurs actionnaires de cette dernière dans le cadre d'un différend qui les opposerait dans le mesure où leurs intérêts ne sont pas contraires, comme il peut dans les mêmes conditions, défendre une personne morale et son salarié devant les tribunaux lorsqu'il convient notamment de contester l'existence de mêmes infractions qui leur sont reprochées ou d'en reporter la responsabilité sur un tiers dont sur le fondement d'une subdélégation.
Et certes en l'espèce, la SELARL [D] et associés a contesté dans l'intérêt des deux parties, le bien fondé des poursuites dirigées tant contre la société morale et son président que contre son directeur Monsieur [P] [S], en se prévalant d'un arrêt de la cour d'appel de Nancy qui avait débouté les salariés de leurs demandes de paiements de rappels de salaires pour heures supplémentaires et repos compensateurs, comme il a tenté de mettre en cause la responsabilité d'une autre salarirée, Mme [E], sur la base d'une délégation de pouvoir établie au profit de celle-ci.
Mais l'intérêt bien compris de Monsieur [P] [S], premier délégataire, placé dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail dans les missions qui lui étaient dévolues sous l'autorité et le contrôle de son employeur, était ensuite de tenter de contester la validité de sa propre délégation qui lui avait été donnée par son employeur dont l'insuffisance des moyens qui lui étaient donnés pour l'exercer, pour s'exonérer de toute responsabilité personnelle quelque soit l'issue du procès quant à la responsabilité de son employeur ou de son président.
L'existence de ce conflit possible d'intérêt n'autorisait l'avocat à accepter la défense du délégataire, en application de l'article 4 du règlement intérieur national qui dispose que l'avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d'un client dans une même affaire s'il y a conflit entre les intérêts de ses clients, qu'en étant en mesure de justifier de l'accord de celui-ci.
Il est entendu que la SELARL [D] et associés était le cabinet habituel de la SAS Conflans Distribution E.[Z] dans le cadre de son activité de conseil et l'interlocuteur de Monsieur [P] [S] depuis son embauche en 2007 et qu'elle développe que concomitant à la décision critiquée et postérieurement, l'appelant lui a confié plusieurs dossiers dans lesquels sa responsabilité pénale était recherchée sur le même fondement sans qu'il ne remette en cause celle-ci et la validité de sa délégation de sorte qu'est démontré son accord implicite à une défense unique.
Et elle justifie de 3 jugement postérieurs montrant la comparution de Monsieur [P] [S] devant le tribunal de police en 2015 et 2016 et un du tribunal correctionnel de Bobigny du 23 juin 2014.
Mais dans le même temps tout en affirmant " qu'il est indiscutable que le montant des condamnations serait pris en charge par la SAS comme il était d'usage ", l'avocat ne démontre pas l'existence d'une telle obligation de l'employeur envers son salarié alors que la cour observe que dans 4 des jugements prononcés par un tribunal de police et évoqués ci dessus, un seul, du 24 novembre 2015, prononce une condamnation pécuniaire contre Monsieur [P] [S], et de surcroit d'un très faible montant de 300 euros.
Il ne lui était donc pas possible d'exclure la possibilité d'un défaut de prise en charge dont pour des amendes plus importantes ce dont il lui appartenait de prévenir son client et donc de l'informer du risque qui pesait sur lui à ce titre et qui s'est réalisé s'agissant de la condamnation au paiement d'un total de 99 200 euros qui a été prononcée par le tribunal de police le 13 novembre 2014.
Il devait disposer d'un accord clair et non équivoque de son client, de ne pas soulever tous moyens de droits tenant au périmètre ou à la validité de sa délégation pour tenter d'éviter une condamnation à titre personnel.
Or l'intimée ne dispose pas de cet accord ni de la preuve de l'information complète qu'elle a donné à Monsieur [P] [S] et elle ne soutient pas qu'elle a discuté devant le tribunal ou devant la cour en appel, de la validité de la délégation donnée par Monsieur [P] [S] par son employeur.
Le fait que l'employeur ait été avec lui condamné et n'a pas tenté de se décharger de sa propre responsabilité sur son salarié, ne devait pas priver celui-ci de la chance de contester la validité de sa délégation et donc sa propre responsabilité.
Par ailleurs, la SELARL [D] et associés qui a commis une faute, ne peut s'exonérer du préjudice en ayant résulté en se prévalant d'une faute d'un tiers qui ne constituerait pas un cas de force majeure pour elle exonératoire de sa responsabilité et donc notamment d'une faute de l'employeur, qui aurait dû régler le montant des condamnations ou d'une faute de l'administration fiscale qui a cru dans un premier temps que la condamnation était solidairement prononcée envers toutes les parties avant de se retourner contre Monsieur [P] [S] personnellement.
Une victime n'est pas plus tenue de réduire son préjudice de sorte que la Selarl ne peut utilement reprocher à Monsieur [P] [S] une faute consistant à ne pas avoir mené toutes les actions légales possibles pour obtenir une condamnation pécuniaire de son employeur dont par une action devant le conseil de prud'hommes.
Il peut être rajouté qu'en sa qualité de conseil habituel de la société, il pouvait de la mêmemanière interpeller celle-ci sur l'absence de paiement des contraventions prononcées contre son salarié.
En conséquence, dans la mesure où elle ne démontre pas que la question de la validité et du périmètre de la délégation a été soulevée devant le tribunal de police de Briey ni celle des conséquences pécuniaires qui résulteraient d'une condamnation personnelle à paiement d'amendes à défaut de contestation de la validité de la délagation, elle a commis des fautes qui ont occasionné à Monsieur [P] [S] un préjudice certain constitué de la perte de chance d'obtenir une décision plus favorable que la condamnation à titre personnel au paiement d'une somme de 99 250 euros.
Le pourcentage de cette perte de chance doit être évalué en appréciant les chances de succès de la prétention omise et il appartient à la cour de reconstituer la discussion qui se serait instaurée si la remise en cause de la délégation comme les conséquences d'une condamnation non solidaire avec son employeur pour le salarié avaient été abordées.
Monsieur [P] [S] explique que son contrat de travail lui donne comme mission principale de diriger et d'organiser l'activité de la société mais sous l'autorité et le contrôle du président M.[W] à qui il présentera ses programmes d'action et auprès duquel il rendra compte de ses activités et résultats obtenus et à qui il fera part de toute difficulté, problème incident ou litige rencontré, ce qui démontre son absence d'autonomie et de moyens suffisants pour justifier de la validité d'une délégation.
Mais il ne s'agit que de généralités et considérations vagues et inopérantes en ce qu'elle ne détaille pas les conditions d'exercice de ce salarié directeur de magasin au quel avaient été déléguées contractuellement des délégations qui concernent les questions relatives à l'hygiène et à la sécurité à la législation commerciale à la législation sociale.
Ces délégations sont usuelles à ce poste, étant rappelé que Monsieur [P] [S] a été embauché en 2007 avec un salaire brut mensuel de 5750 euros et ce non compris les primes de bilan annuel, qu'il ne soutient pas qu'il ait à un moment contesté ou critiqué le contenu de ces délégations au regard des moyens et effectifs dont il disposait.
Il ne conteste pas plus que le fonctionnement des magasins de la centrale d'achat [Z] oblige son président à répondre à des obligations propres au niveau des centrales d'achat qui avaient pour conséquence de le laisser seul diriger le magasin plusieurs jours dans la semaine.
Par ailleurs, les contraventions retenues à son encontre reposent sur la matière sociale tenant à des violations de la durée légale du travail de plusieurs salariés de transport routier relevées lors d'un contrôle de l'inspection du travail.
Or, la lecture de sa délégation particulière en matière de législation sociale montre qu'elle est précise limitée en ce qu'elle vise particulièrement le respect des règles concernant la durée du travail (heures supplémentaires, repos compensateur ..).
Et même si Mme [O] atteste en juin 2023, de l'absence effective de l'intervention de Monsieur [P] [S] dans la gestion du service fuel et notamment dans la gestion des horaires de travail des chauffeurs, il apparaît pas moins à la cour qu'il participait et s'impliquait personnellement dans celle-ci puisqu'il signait, avec le président, tous les mois, les feuilles d'heures supplémentaires ; qu'ainsi ils savaient les conditions dans lesquelles travaillaient les chauffeurs de l'entreprise ou à tout le moins il lui appartenait de s'interroger sur la comptabilité entre le nombre d'heures travaillées et le respect de la réglementation du travail et en matière de coordination des transports.
Ses chances de succès devant le tribunal pour le cas où il avait tenté de remettre en cause la validité de sa délégation étaient dès lors minimes, ce dont la cour tire pour conséquence que la perte de chance de ne pas être condamné définitivement au paiement de la somme de 99 200 euros en raison du manquement de son conseil est de 15%.
Aussi, le jugement est infirmé et la SELARL [D] et associés est condamnée à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 14 887,50 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Reims du 13 avril 2023 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la SELARL [D] et associés à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 14 887,50 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Condamne la SELARL [D] et associés à payer à Monsieur [P] [S] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la SELARL [D] et associés de ses prétentions à ce titre.
Condamne la SELARL [D] et associés aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente