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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 mai 2024, n° 21/17039

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vigilia Sécurité Privée (SARL)

Défendeur :

Meurice SpA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bodard-Hermant

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Ingold, Me Pardo, Me Valentie, Me Binet

T. com. Paris, 13e ch., du 20 sept. 2021…

20 septembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat de prestations de service du 10 décembre 2015, la société Meurice SPA, qui exerce une activité d'hôtellerie et de restauration [Adresse 2] à [Localité 6], a confié à la société Vigilia Sécurité Privée les tâches relatives à la sécurité incendie et à la sûreté de son site.

Il y était stipulé que le contrat prendrait effet le 1er janvier 2016 pour se terminer le 31 décembre 2016 et qu'il se renouvellerait ensuite par tacite reconduction pour des périodes de 2 ans, sauf dénonciation par lettre recommandée par l'une des parties 3 mois avant l'expiration de chaque période, soit le 31 septembre.

Par lettre du 27 octobre 2018, la société Meurice SPA a informé la société Vigilia Sécurité Privée qu'elle mettait fin au contrat à la date du 30 octobre 2018 pour faute grave, par application de l'article 5.7 du contrat.

La société Vigilia Sécurité Privée a contesté la résiliation en indiquant que les affirmations quant à son incapacité d'assurer une prestation de qualité n'étaient étayées par aucun manquement concret si ce n'est des reproches auxquels elle avait déjà répondu et qui étaient sans rapport avec l'article 5.7 du contrat.

La société Vigilia Sécurité Privée, dont la procédure de redressement judiciaire avait été ouverte le 5 juin 2018, a bénéficié d'un plan de redressement arrêté le 26 juin 2019 pour une durée de 9 ans.

C'est dans ces circonstances que le 9 août 2019, la société Vigilia Sécurité Privée a fait assigner la société Meurice SPA devant le tribunal de commerce de Paris pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 752.470,43 € en réparation du préjudice causé par la résiliation fautive du contrat.

Par jugement du 20 septembre 2021, le tribunal a :

- débouté la société Vigilia Sécurité Privée de sa demande au titre de la rupture fautive du contrat,

- débouté la société Vigilia Sécurité Privée de sa demande subsidiaire au titre d'un déséquilibre significatif,

- débouté la société Meurice SPA de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société Vigilia Sécurité Privée à payer la somme de 5.000 € à la société Meurice SPA au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la société Vigilia Sécurité Privée aux dépens.

La société Vigilia Sécurité Privée a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 28 septembre 2021.

Au terme de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 27 juin 2022, la société Vigilia Sécurité Privée demande à la cour, au visa des articles 1134 du code civil et L 442-6 du code de commerce :

1) d'infirmer le jugement en son entier et, statuant à nouveau, de :

- juger que la résiliation du contrat de prestations par la société [5] est constitutive d'une violation des dispositions contractuelles,

- à titre subsidiaire, juger que la clause 5.7 du contrat de prestation a créé un déséquilibre significatif lui causant un préjudice réparable,

2) en tout état de cause, de :

- condamner la société Meurice SPA à lui payer la somme de 948.860,81 € HT,

- débouter la société Meurice SPA de ses demandes et de son appel incident,

- condamner la société Meurice SPA aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10.000 € HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au terme de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 25 mars 2022, la société Meurice SPA demande à la cour au visa des articles 1134 du code civil et L 442-6 du code de commerce, de :

- constater :

* que la société Vigilia Sécurité Privée a été placée en redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Nanterre du 5 juin 2018 et que son bilan de l'exercice 2019 présente une perte très supérieure à la moitié du montant de son capital social,

* qu'en dépit du plan de continuation auquel la société Vigilia Sécurité Privée est astreinte, elle n'a pas effectué dans le délai requis les décisions indispensables concernant la poursuite de son activité en provoquant, de la sorte, un risque judiciaire avéré et nuisible aux tiers, en particulier à la société Meurice SPA de droit italien,

- prendre acte de l'aveu de Vigilia Sécurité Privée en date du 3 octobre 2018 et de son absence de réponse aux griefs articulés par la société Meurice SPA les 26 et 27 octobre 2018,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté La société Meurice SPA de sa demande reconventionnelle,

- déclarer la société Meurice SPA recevable et bien fondée en son appel incident fondé sur les fautes tant contractuelles (manquements aux dispositions des articles 5-1, 5-4, 5-7, 5-8 , 9-1 à 9-5, 15-1 et 15-2 du contrat) que délictuelles (engagement d'une procédure de mauvaise foi et abusive en l'état de l'aveu du 3 octobre 2018),

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Meurice SPA et, statuant à nouveau, condamner la société Vigilia Sécurité Privée à lui payer :

* la somme de 66.000 € en application des articles 5-1, 5-4, 5-7, 5-8, 9-1 à 9-5,15-1 et 15-2 du contrat,

* la somme de 44.000 € de dommages-intérêts au titre de la réparation complémentaire de son préjudice matériel,

* la somme de 35.000 € de dommages-intérêts au titre de la réparation de son préjudice moral et commercial,

* la somme de 15.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Vigilia Sécurité Privée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Christian Valenti par application de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1) Sur les demandes de la société Vigilia Sécurité Privée :

a) Sur sa demande à titre principal tendant à voir juger que la résiliation du contrat de prestations est constitutive d'une violation des dispositions contractuelles :

Moyens des parties

La société Vigilia Sécurité Privée fait valoir, dans un premier temps :

- que dans sa lettre de résiliation, la société Meurice SPA se contente de lister une série d'événements sans preuve de leur réalité et sans indiquer lequel permettrait de caractériser une faute grave,

- qu'il en est de même s'agissant des attestations de M. [Y] et de M. [T] qui ne se réfèrent à aucun événement précis,

- que la société Meurice SPA ne peut s'appuyer sur ces attestations, M. [T] étant le directeur de l'hôtel [7] qui comme [5], fait partie du groupe Dorchester Collection et M. [Y] étant le gérant de la société Audits Fonctionnels et Légaux Conseils liée par contrat à la société Meurice SPA depuis 10 ans,

- que M. [J], son dirigeant, n'a jamais reconnu une quelconque faute dans sa lettre du 3 octobre 2018 qui atteste de sa bonne foi et de sa volonté d'entretenir des relations constructives avec son cocontractant,

- que les articles 5.1 à 5.6 du contrat prévoient plusieurs causes de résiliation du contrat sans indemnité, ni préavis mais que l'article 5.7 ne prévoit pas cette possibilité puisqu'indiquant uniquement "fautes graves entraînant la résiliation du contrat".

- que "la rupture du contrat sans préavis même dans un cas de faute grave constitue donc une faute contractuelle".

La société Vigilia Sécurité Privée, dans un second temps, se réfère aux dispositions de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce ; elle expose à ce titre :

- qu'elle entretenait des relations commerciales établies avec la société Meurice SPA et que ces relations avaient été renouvelées,

- que la société Meurice SPA les a rompues sans préavis le 30 octobre 2018, suite à son courrier du 27 octobre 2018, reçu le 29 octobre 2018,

- que la rupture sans préavis ne peut se justifier qu'en cas de force majeure ou d'inexécution grave des obligations de cocontractant,

- qu'aucun cas de force majeure ne saurait être invoqué et que la société Meurice SPA ne démontre pas la gravité des faits qui justifieraient la rupture.

La société Meurice SPA soutient qu'elle a justement résilié le contrat, par application de l'article 5.7, pour fautes graves de la société Vigilia Sécurité Privée ; elle invoque l'aveu de cette dernière dans sa lettre du 3 octobre 2018 et son absence de réponse aux griefs articulés les 26 et 27 octobre 2018.

Réponse de la cour

Il ressort des stipulations du contrat, notamment de l'article 8, que la société Vigilia Sécurité Privé devait assister la société Meurice SPA pour assurer la sécurité des personnes et des biens ; elle devait, notamment, mettre en place l'organisation nécessaire pour assurer une surveillance permanente de l'ensemble des installations et équipements concourant à la sécurité du site en matière de prévention des incendies.

L'article 5.7 du contrat du 10 décembre 2015, intitulé faute grave, est libellé comme suit :

"Sont considérés comme fautes graves, les manquements cités ci-dessus ainsi que tout non respect des clauses du présent contrat et du règlement intérieur du site. Ainsi le non respect du devoir de confidentialité, du devoir de conseil, de l'obligation de moyens en personnel qualifié et de résultat tel que défini dans le contrat, des régles de sécurité entraînant la mise en danger des personnes et des biens, et tous délits relevant du Droit du Travail ou du Droit Pénal sont considérés comme des fautes graves entraînant la résiliation du contrat. Cette liste n'est pas exhaustive".

Les pièces versées aux débats montrent les éléments suivants :

- Par courriel du 3 octobre 2018, M. [J] a écrit à la société Meurice SPA :

"Tout d'abord, au regard de la sortie de M. [D] des effectifs de l'hôtel je comprends que ce dernier avait une forte connaissance des services, du personnel, fait normal après tant d'années de présence sur le site. Il avait certainement des qualités professionnelles à titre individuel, mais sa présence sur le site était jugée à travers son rôle de référent.

Il me semble assez contradictoire de maintenir sur ce poste un référent alors que l'on reproche à son employeur le nom respect des engagements contractuels.

En tant que gérant, j'assume toutes mes responsabilités devant vous mais il m'appartient aussi de rappeler à leurs responsabilités tous ceux que à qui j'ai délégué le suivi du contrat et qui ont échoué à leur mission.

J'ai donc pris des engagements que je compte tenir et les choses avancent puisque nous avons d'ores et déjà intégré 3 nouveaux agents depuis le 1er octobre.

Dans la première quinzaine d'octobre, je compte intégrer deux de plus afin de répondre à votre demande de sortir tous ceux qui ne correspondent pas au profil, à savoir M. [U], sachant que M. [R] et M. [S] sont sortis du site.

Nous désignerons également un nouveau référent courant octobre afin d'assurer le relais entre le service sécurité et la Direction. Comme j'ai évoqué hier au téléphone ce choix se fera en concertation avec vous".

- Par courriel du 26 octobre 2018, la société Meurice SPA a reproché à la société Vigilia Sécurité Privée des manquements graves, en citant par exemple les faits suivants :

* le 29 août : poste de sécurité vide, le chef de poste étant en extérieur sans visibilité sur l'entrée de service, l'agent SSIAP annoncé en ronde étant en pose au sous-sol, l'agent en poste dans le lobby dormant assis sur le canapé et le chef de poste étant dans l'incapacité de trouver les colonnes sèches comme indiqué dans les consignes,

* le 21 septembre : ° présence d'un même agent au seul poste de façade depuis 2 jours, les chefs de poste relevant son incapacité à manipuler le SSI (Service Sécurité Incendie)

° non remplacement de M. [U], resté programmé pour le mois de novembre, alors que sa sortie du site avait été annoncée le 21 septembre,

° maintien en poste malgré leur inaptitude professionnelle de deux agents SSIAP (Service de Sécurité et d'Assistance aux Personnes), constatée lors d'un contrôle : M. [H] cherchant longuement la commande manuelle d'évacuation générale et M. [Z] étant incapable d'expliquer la manipulation du SSI, d'interpréter les voyants et de tenir l'exploitation du PC de sécurité incendie.

- Dans sa lettre de résiliation du 27 octobre 2018, la société Meurice Spa a rappelé qu'en dépit de ses nombreux rappels et injonctions, la société Vigilia Sécurité Prioité n'était jamais parvenue à remplir ses obligations contractuelles; elle soulignait, notamment, que le turn over important du personnel et le départ du seul cadre qui essayait de faire son travail étaient préjudiciables au service et à la sécurité des clients ainsi qu'à celle du personnel de l'hôtel, les agents présents ne connaissant ni le fonctionnement hôtelier, ni les systèmes qu'ils étaient censés gérer.

- Dans leurs attestations, qui ne sont pas arguées de faux, M. [T] et M. [Y] relatent des dysfonctionnements et manquements imputables à la société Vigilia Sécurité Privée, en particulier des absences d'agents et leur méconnaissance des procédures en matière de sécurité incendie.

Il en résulte que, contrairement à ce qui est prétendu par la société Vigilia Sécurité Privée, la société Meurice SPA démontre à suffisance la réalité, la persistance et la gravité des fautes commises, l'absence de qualification et d'encadrement du personnel étant de nature à mettre en danger la sécurité des clients et du personnel de l'hôtel.

En conséquence, la société Meurice SPA était bien fondée à résilier le contrat pour faute grave par application de son article 5.7.

C'est en vain que la société Vigilia Sécurité Privée se prévaut d'une rupture brutale; en effet, les dispositions de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce exigeant un préavis écrit ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas de faute suffisamment grave, ce qui est le cas en l'espèce, en l'état des fautes graves et persistantes en cause, qui mettent en danger la sécurité des clients et du personnel de l'hôtel et rendent en conséquence impossible la poursuite de la relation commerciale.

b) Sur la demande subsidiaire de la société Vigilia tendant à voir juger que l'article 5.7 du contrat de prestation a créé un déséquilibre significatif lui causant un préjudice réparable :

La société Vigilia Sécurité Privée, se fondant sur les dispositions de l'article L 442-6-1 2° ancien du code de commerce, fait valoir :

- que l'article 5.7 ne prévoit pas la possibilité de résiliation sans indemnité ni préavis,

- que si contrairement à cet article, une rupture sans indemnité ni préavis était possible, il devrait être considéré que les obligations ne sont pas réciproques, la société Meurice SPA pouvant déterminer de manière unilatérale des fautes graves justifiant une telle résiliation, sans aucune justification objective.

La société Meurice SPA n'a pas conclu spécialement sur ce point, se bornant dans le dispositif de ses écritures à demander la confirmation du jugement.

L'article L 442-6-1 2° ancien suppose pour son application la réunion de deux conditions : le fait de soumettre ou tenter de soumettre l'autre partie à des obligations et l'existence d'un déséquilibre significatif.

Le tribunal a exactement retenu, pour rejeter la demande, que la société Vigilia Sécurité Privée ne démontrait pas s'être trouvée dans l'obligation de contracter sans alternative possible ou d'avoir tenté, vainement, d'obtenir la suppression, voir la modification de la clause qu'elle estime maintenant litigieuse.

De plus, elle ne démontre pas en quoi l'existence d'un déséquilibre significatif est caractérisé au regard de l'ensemble des dispositions contractuelles.

La société Vigilia Sécurité Priorité sera donc déboutée de ce chef de demande.

En conséquence, toutes les demandes de dommages-intérêts de la société doivent être rejetées.

2) Sur l'appel incident de la société Meurice SPA et ses demandes :

A titre liminaire, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de la société Meurice tendant à voir constater des faits relatifs à la procédure collective de la société Vigilia Sécurité Privée puisqu'elle n'en tire aucune conséquence, se bornant à évoquer un risque judiciaire susceptible de lui nuire.

Moyens des parties

Pour demander les sommes de 66.000 € et 44.000 € en réparation de son préjudice matériel, outre la somme de 35.000 € en réparation de son préjudice moral et commercial, la société Meurice SPA fait état des manquements de la société Vigilia Sécurité Privée à ses obligations contractuelles et lui reproche d'avoir engagé une procédure de mauvaise foi au regard de l'aveu de ses fautes.

La société Vigilia Sécurité Privée conclut au rejet des demandes en faisant valoir que le tribunal a justement considéré qu'elle n'avait pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice et que la société Meurice SPA ne justifiait pas de la nature ni du quantum de ses demandes.

Réponse de la cour

Il incombe à la société Meurice SPA de rapporter la preuve des préjudices allégués.

Or, elle ne verse aux débats aucune pièce de nature à démontrer l'existence même d'un préjudice matériel, moral ou commercial.

Si dans sa lettre du 3 octobre 2018, la société Vigilia Sécurité, en la personne de son gérant, a admis l'existence de dysfonctionnements et s'est engagé à y remédier, la procédure engagée ultérieurement pour contester la gravité des fautes qui lui étaient reprochées ne présente pas un caractère abusif.

En conséquence, la société Meurice SPA sera déboutée de toutes ses demandes de dommages-intérêts.

3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Vigilia Sécurité Privée, qui succombe en toutes ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 3.000 € à la société Meurice SPA et de rejeter la demande de la société Vigilia Sécurité à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant, condamne la société Vigilia Sécurité Privée à payer la somme de 3.000 € à la société Meurice SPA par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Vigilia Sécurité Privée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.