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Décisions

CA Rennes, 8e ch prud'homale, 22 mai 2024, n° 21/01789

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 21/01789

22 mai 2024

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°141

N° RG 21/01789 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-ROZU

Mme [H] [T]

C/

S.A.R.L. [L]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le : 22-05-24

à :

- Me Johann ABRAS

- Me Eric MARLOT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 MAI 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mars 2024

En présence de Madame [G] [S], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Mai 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

Madame [H] [T]

née le 16 Mars 1980 à [Localité 6] (26)

demeurant [Adresse 3]

[Localité 1]

Ayant Me Johann ABRAS de la SARL ABRAS AVOCAT, Avocat au Barreau de NANTES, pour Avocat constitué

INTIMÉE et appelante à titre incident :

La S.A.R.L. [L] anciennement [W]-[L] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Claire LE QUERE substituant à l'audience Me Eric MARLOT de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Avocats postulants du Barreau de RENNES et ayant Me Béatrice LIOT de la SELARL CAP JURIS, Avocat au Barreau de CAEN, pour conseil

Madame [H] [T] a été recrutée par la SARL [W]-[L], aujourd'hui dénommée SARL [L], en qualité d'employée de station-service, niveau 2, à temps complet, par contrat de travail à durée indéterminée en date du 26 avril 2016.

Son salaire mensuel brut était fixé à 1 530 €.

La Société emploie moins de onze salariés.

Le 22 juillet 2017, Mme [T] n'a pas pu assurer son service de nuit. Mme [W], sa supérieure, l'a remplacée.

Le 13 juin 2018, une altercation a eu lieu entre Mme [W] et Mme [T], qui a annoncé sa démission, avant de se rétracter le lendemain.

Le 14 juin 2018, Mmes [W] et [L], co-gérantes, sont venues échanger avec Mme [T], et une nouvelle altercation, plus violente, a eu lieu.

Mme [W] et Mme [T] ont ensuite été placées en arrêt de travail et ont respectivement porté plainte l'une contre l'autre.

Le 19 juin 2018, Mme [T] a été mise à pied à titre conservatoire, et convoquée à un entretien préalable fixé au 3 juillet 2018, auquel elle ne s'est pas rendue.

Le 5 juillet 2018, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 11 juillet 2018, la SARL [W]-[L] a licencié Mme [T] pour faute grave.

Le 10 septembre 2018, la CPAM n'a pas reconnu d'accident de travail subi par Mme [T].

Peu après, le Procureur de la République a classé sans suite les deux plaintes déposées respectivement par Mmes [T] et [W].

Le 18 avril 2019, Mme [T] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

' Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur (le 26 avril 2016),

' Dire et juger qu'il en résultait les effets d'un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

' Dire et juger que :

- Mme [T] avait subi des agissements de harcèlement moral,

- l'employeur avait délibérément manqué à son obligation de sécurité de résultat et de prévention des risques professionnels,

- la SARL [L] avait délibérément dissimulé 1'activité salariée de Mme [T],

' Condamner la SARL [L] à lui verser :

- 300 € de rappel de primes de tabac,

- 2.133,61 € bruts de rappel d'indemnité en raison des pauses obligatoires non prises,

- 213,36 € bruts de congés payés afférents,

- 5.000 € de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat et de prévention des risques professionnels,

- 523,14 € de rappel de salaire au titre du temps de nettoyage des toilettes de la station-service,

- 52,31 € de congés payés afférents,

- 9.180 € d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 769,99 € d'indemnité de licenciement,

- 10.266,72 € de dommages et intérêts,

- 3.422,24 € d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois),

- 342,22 € de congés payés afférents,

- 2.400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Décerner acte à la SARL [L] de sa reconnaissance de devoir le rappel de prime tabac, après la saisine du Conseil de céans, selon les mentions du bulletin de salaire valant solde de tout compte et des mentions du solde de tout compte en date du 20 août 2018,

' Décerner acte à la SARL [L] qu'elle reconnaît le bien fondé de la demande relative au rappel de salaire au titre du temps de nettoyage et s'engage à lui payer le rappel de salaire correspondant,

' Débouter la partie défenderesse de toutes ses demandes, fins et conclusions,

' Exécution provisoire de l'intégralité du jugement à intervenir,

' Condamner la partie défenderesse aux entiers dépens.

Le 12 février 2020, un jugement avant dire droit a ordonné une mesure d'instruction (visualisation des images de vidéo-surveillance de la station prises la nuit du 13 au 14 juin 2018) et joint les instances introduites par Mme [T].

La cour est saisie de l'appel interjeté par Mme [T] le 21 mars 2021 contre le jugement du 25 février 2021, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Condamné la SARL [L] à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

- 523,14 € bruts à titre de rappel de salaire pour le temps de nettoyage des toilettes,

- 52,31 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 2 133,61 € bruts à titre d'indemnités en raison des pauses obligatoires non prises,

- 213,36 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Décerné acte à la SARL [L] de ce qu'elle avait versé à Mme [T] la somme de 300 €au titre de la prime tabac,

' Débouté Mme [T] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

' Dit que le licenciement pour faute grave de Mme [T] était bien fondé et l'a débouté de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail,

' Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

' Débouté Mme [T] de toutes ses autres demandes,

' Débouté la SARL [L] de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamne la SARL [L] aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021 suivant lesquelles Mme [T] demande à la cour de :

' Réformer le jugement en ce qu'il a :

- débouté Mme [T] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- jugé que le licenciement pour faute grave de Mme [T] est bien fondé,

- débouté Mme [T] de toutes ses autres demandes et notamment :

- de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, ou subsidiairement de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamnation de l'employeur à lui payer :

- 769,99 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 10.266,72 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.422,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre incidences congés payés,

- de dire et juger que Mme [T] avait subi des agissements de harcèlement moral et que l'employeur avait manqué délibérément à son obligation de sécurité de résultat de prévention des risques professionnels, et de le condamner en conséquence à lui payer 5.000 € à titre de dommages et intérêts,

- de dire et juger que la SARL [L] avait délibérément dissimulé son activité salariée, et la condamner en conséquence à lui payer une indemnité forfaitaire de 9.180 € pour travail dissimulé,

- de condamner la SARL [L] à lui payer 2.400 € sur son article 700 du code de procédure civile,

' Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL [W] [L] à payer à Mme [T] la somme de :

- 523,14 € à titre de rappel outre 52,31€ à titre de congés payés afférents, au titre du temps de nettoyage des WC,

- 2.133,61€ bruts à titre de rappel sur pauses, outre incidence congés payés,

Statuant à nouveau,

' Dire et juger que :

- Mme [T] a subi des agissements de harcèlement moral,

- l'employeur a délibérément manqué à son obligation de sécurité de résultat et de prévention des risques professionnels,

- la SARL [L] a délibérément dissimulé l'activité salariée de Mme [T],

' Prononcer la résiliation du contrat de travail conclu entre Mme [T] et la SARL [L] le 26 avril 2016, aux torts exclusifs de cette dernière,

' Dire et juger qu'il en résulte les effets d'un licenciement nul, ou à défaut sans cause réelle et sérieuse,

Subsidiairement,

' Dire et juger que le licenciement de Mme [T] est nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse,

' Condamner la SARL [L] à payer à Mme [T] la somme de :

- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité,

- 9.180 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 769,99 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 10.266,72 € à titre de dommage et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

- 3.422,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis de 2 mois,

- 342,22 € de congés payés afférents,

- 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Débouter la SARL [L] de sa demande de réformation du jugement qui l'a condamnée à payer 2133,61€ brut à titre de rappel sur pauses, outre incidence congés payés,

' Débouter la SARL [L] de toutes demandes fins et conclusions, et notamment de celles formées par appel incident.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 16 septembre 2021, suivant lesquelles la SARL [L] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 25 février 2021 (RG n°18/00511) en ce qu'il a :

- décerné acte à la SARL [L] de ce qu'elle avait versé à Mme [T] la somme de 300 € au titre de la prime tabac,

- débouté Mme [T] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- dit que le licenciement pour faute grave de Mme [T] était bien fondé et l'avait débouté de toutes ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail,

- débouté Mme [T] de toutes ses autres demandes,

' Réformer le jugement susmentionné en ce qu'il a condamné la SARL [L] à payer à Mme [T] :

- 2.133,61 € bruts à titre d'indemnités en raison des pauses obligatoires non prises,

- 213,36 € au titre des congés payés afférents,

- débouté la SARL [L] de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau,

' Dire et juger :

- que la demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur formée par Mme [T] est infondée,

- que le licenciement pour faute grave de Mme [T] est fondé,

' Débouter Mme [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel à l'encontre de la SARL [L],

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de travail de Mme [T] / considérait que le licenciement de Mme [T] n'était pas fondé,

' Réduire l'indemnité sollicitée à de plus justes proportions et au maximum à trois mois de salaire, en conformité avec le barème à l'article L.1235-3 du code du travail,

En tout état de cause,

' Condamner Mme [T] à payer à la SARL [L] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

' Condamner Mme [T] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 février 2024.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties aux conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement moral et l'obligation de sécurité

A titre liminaire, la Cour constate que la salariée sollicite une indemnisation unique à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, pour un montant de 5.000 euros.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par application des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail dans sa version applicable, l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° Des actions d'information et de formation,

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, Mme [T] expose que son employeur :

- lui a infligé des sanctions pécuniaires consistant en la suppression des primes tabac depuis juillet 2017,

- ne lui a jamais permis de prendre ses pauses dues en raison de périodes de travail de nuit supérieure à six heures, ni même payé la moindre indemnité compensatrice,

- lui a imposé de commencer le service 10 minutes avant l'heure officielle pour aller nettoyer les sanitaires à l'extérieur, sans être déclarée, ni payée,

- lui a fait subir les abus de pouvoir répétés de Mme [W] qui n'hésitait pas à se venger sur les plannings de ses salariés en cas de difficultés relationnelles,

- a laissé Mme [W] jeter à la poubelle systématiquement, après le mois de juillet 2017, des affaires personnelles de Mme [T],

- lui a laissé subir les insultes, propos vexatoires et violences répétées de sa supérieure hiérarchique, Mme [W], cogérante de la SARL [W]-[L] (insultes en présence d'une cliente un matin de novembre 2017, discrédit auprès d'une autre cliente en la décrivant, entre autre, comme une personne mauvaise, insulte un matin de mars 2018 en présence d'un client en la traitant de 'petite conne', reproches et insultes les 13 et 14 juin 2018, afin de provoquer Mme [T] et d'avoir une excuse pour la licencier),

- fouillait ses effets personnels.

Elle produit notamment :

- une attestation de Mme [U], salariée de la station service, qui expose qu'après une discussion au mois de juillet 2017 entre Mme [T] et Mme [W], cette dernière ' faisait de l'harcèlement moral envers [H] en lui enlevant la télévision (la télé est installée dans la boutique à côté de la caisse de manière permanente pour tous les employés de la station). Elle lui a aussi jeté son chargeur de téléphone, sa nourriture se trouvant dans le frigo, et tous ses biens personnels à la poubelle. Et ne lui donnait aucune information concernant le travail quand [H] prenait sa relève derrière elle [...]' ;

- une attestation de Mme [M], cliente de la station service, qui expose avoir été témoin d'une scène d'insultes à l'encontre de Mme [T] en ces termes, 'Un matin d'automne, vers novembre 2017, entre 4h30 et 4h45 du matin'. Madame [W], qui ne m'avait pas vu car elle était à dos de moi, en train de donner des coups de clé sur la vitre pour que l'employée [T] [H] lui ouvre la porte, et tout en l'insultant de tous les noms car l'employée mettait du temps à lui ouvrir la porte. Quand l'employée lui ouvre la porte, j'entend la gérante l'insulter' J'étais sidérée' ;

- une attestation de Mme [K], cliente de la station, qui relate les propos suivants que Mme [W] lui a tenus concernant Mme [T] : ' Méfiez-vous donc des apparences, elle est mauvaise', ajoutant, 'ce qui m'a étonnée. Je me suis donc permise de lui faire part de ma bonne impression en lui disant que je n'avais jamais eu de problème avec Madame [H] et qu'elle était toujours très gentille avec moi et elle m'a répondu « vive l'hypocrisie ». Je suis partie choquée des propos portés à l'encontre de l'employée. Je me suis demandé comment elles arrivaient à travailler dans une telle ambiance' ;

- une attestation de M. [E], client de la station, rédigée en ces termes : '' un matin de mars 2018 ' je rentrais dans la boutique pour prendre un café dans le distributeur, situé au fond de la boutique. Et là j'entends la gérante Madame [W] rentrer dans la boutique et s'adresser à une employée sans tenir compte de ma présence, en disant qu'elle ne pouvais plus voir Madame [T] [H] et l'insultant de « petite conne »' ;

Il ressort de l'ensemble des pièces produites que des clients de la station et la collègue de Mme [T] attestent avoir été témoin d'insultes, de propos dénigrants, de destructions de biens lui appartenant, et plus généralement d'agissements déloyaux et indignes, à son préjudice, de la part de Mme [W], sur la période courant de juillet 2017 à juin 2018.

Il ressort par ailleurs de l'attestation de Mme [U] que la seconde gérante, Mme [L], était également au courant des agissements de Mme [W] à l'encontre de la salariée, ainsi qu'elle le précise en ces termes 'Plusieurs fois, [H] se plaignait à moi des insultes de Madame [W]. Madame [L] était exaspérée du comportement de sa cogérante Madame [W] mais ne disait rien'.

Ces faits pris dans leur ensemble, compte tenu des éléments médicaux produits, laissent supposer l'existence de faits de harcèlement moral à l'égard de Mme [T].

Il appartient, dès lors, à l'employeur de démontrer que les mesures en cause sont étrangères à tout harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société expose que les attestations produites par Mme [T] sont 'vagues, dénuées d'impartialités et irrégulières', et que l'attestation de Mme [J] [U] a été rédigée postérieurement à la saisine du Conseil de Prud'hommes puisqu'elle est datée du 30 septembre 2018. Elle précise encore que Mme [U] n'a pu constater aucun des faits décrits en ce qu'elle était en congé de maternité durant la période considérée. Elle ajoute que le témoignage de Mme [U] est dénué de sincérité et de toute force probante et que les attestations des clients proviennent de proches de la salariée.

En l'espèce, ce n'est que par voie d'affirmation que la société expose que Mme [U] était en congé de maternité, ou encore que son témoignage est dénué de force probante, et le fait que l'attestation soit rédigée après la saisine de la juridiction est sans incidence sur sa valeur probante ou sur sa recevabilité.

La société [L] fait valoir que Mme [T] tente d'inverser les rôles d'agresseur et de victime dans sa présentation des faits et qu'elle s'érige en victime de l'agression des 13 et 14 juin 2018. Elle ajoute que la salariée formule en opportunité divers griefs tirés de l'exécution de son contrat de travail. Elle fait valoir que le grief tiré de la suppression de la prime de tabac de la salariée, depuis août 2017, a été entièrement régularisé par l'employeur.

L'employeur souligne qu'il ressort des images de vidéo-surveillance constatées par huissier et visionnées par le Conseil de Prud'hommes que Mme [T] a invectivé Mme [W].

La salariée demande au terme des motifs de ses dernières conclusions, et non repris dans son dispositif, d'écarter les images et plus largement les pièces n°1 et 2 de l'employeur, exposant qu'il s'agit de la retranscription d'une vidéosurveillance illégale en ce que :

- l'employeur ne produit aucune autorisation préfectorale en vigueur pour ce système de vidéosurveillance, dans les termes des articles L. 223-1, L. 251-1 et s., et L. 252-1 du code de la sécurité intérieure, les lieux filmés étant accessibles au public, mais aussi en ce que les salariés n'ont pas été informés que les vidéos sont susceptibles d'être exploitées à leur préjudice,

- l'employeur se dispense de rapporter la preuve de la déclaration du système de vidéosurveillance à la CNIL,

- la durée de conservation légale est dépassée, en l'absence de procédure pénale en cours.

La cour est régulièrement saisie de ce moyen de défense au fond ayant trait à l'appréciation de la valeur et de la portée probatoire d'un élément de preuve produit par une partie, même si aucune prétention en ce sens n'est reprise au dispositif.

Toutefois, en cas de production d'éléments de preuve obtenus de manière illicite, notamment par stratagème, tel un enregistrement clandestin, la juridiction doit rechercher si cette production était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et s'assurer que l'atteinte portée aux droits de la partie adverse soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, ce dispositif de vidéosurveillance de l'établissement de la Société [W]-[L] a été mis en place afin d'assurer la sécurité des personnes et répond à un motif légitime, conformément à l'article L. 251-2 du Code de la sécurité intérieure.

Il ressort de la page 7 de son contrat de travail, et précisément de la clause intitulée 'vidéosurveillance' que Mme [T] a été informée du fait que la station service était placée sous vidéosurveillance.

De même, la Société produit aux débats l'autorisation de la Préfecture de LOIRE-ATLANTIQUE qu'elle a obtenue le 11 mars 2013 pour la mise en place du système de vidéo-surveillance ainsi que la demande de renouvellement déposée par l'employeur en date du 30 novembre 2017, soit 4 mois avant la date d'échéance de la précédente autorisation préfectorale.

Elle produit encore les démarches actives effectuées auprès de la préfecture afin de se voir communiquer l'arrêté de renouvellement, intervenu, dans les mêmes termes que le précédent, en date du 18 novembre 2019.

Par ailleurs, la salariée ne justifie pas de la nécessité de déclarer ce système de vidéosurveillance à la CNIL, en ce qu'il ne ressort pas des faits de l'espèce que ledit système avait vocation à filmer d'autres lieux que ceux accessibles au public ni même d'effectuer un traitement automatisé de données personnelles nominatives.

Si le délai de conservation des images est de 7 jours en principe, il n'en pas de même en cas d'un incident nécessitant le lancement d'une enquête ou d'une procédure. Dès lors, l'employeur n'a pas conservé l'enregistrement illégalement, s'agissant de la nécessité de conserver l'enregistrement vidéo dans le cadre de l'enquête pénale, de l'enquête de la CPAM, mais aussi pour justifier de la procédure de licenciement, enclenchée pour faute grave en raison des seuls faits de violence survenus le 14 juin 2018.

Il ne sera dès lors pas fait droit au moyen tendant à écarter les pièces n°1 et 2 de l'employeur en ce que n'est pas rapportée la preuve que la production de la vidéosurveillance est illicite. Au surplus, cette production était indispensable à l'exercice du droit à la preuve en cas de nécessité pour la Cour de se prononcer sur le licenciement et l'atteinte portée aux droits de la vie personnelle de la salariée est strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, concernant les faits du 14 juin 2018, il ressort des images de vidéo-surveillance constatées par huissier et visionnées par le Conseil de Prud'hommes que Mme [T] a invectivé Mme [W].

Par ailleurs, Mme [T] reconnaît avoir proféré des injures à son égard, et avoir craché en sa direction, lors de son audition devant la CPAM, ainsi retranscrite : ' « La nuit du 13/06/2018 au 14/06/2018, me confirmez-vous avoir insulté Madame [W] en la traitant de connasse et de grosse vache '

Oui, je vous le confirme ».

« La nuit du 13/06/2018 au 14/06/2018, me confirmez-vous avoir insulté la fille de Madame [W] en la traitant de pute qui s'est fait baiser par plusieurs clients '

Oui, je vous le confirme ».

« La nuit du 13/06/2018 au 14/06/2018, me confirmez-vous avoir craché sur Madame [W] '

Oui, je vous le confirme ». '

Il est dès lors établi par le constat d'huissier, les déclarations de Mmes [L] et [W], ainsi que par la reconnaissance des faits par Mme [T], mais aussi par le rapport d'enquête de la CPAM, qui contient notamment des procès-verbaux d'audition, des photos, des SMS et le dossier médical de Mme [W] que Mme [T] a eu un comportement agressif envers son employeur la nuit du 13 au 14 juin 2018, dont les conséquences, lourdes, sur la santé de Mme [W], sont établies, notamment par des attestations versées en procédure, ainsi que par le certificat du médecin psychiatre qui la suit.

Si la CPAM n'a pas reconnu l'accident de travail de Mme [T] concernant les faits du 14 juin, le procureur de la République a classé sans suite la plainte pour violences à l'encontre de Mme [T].

Les attestations de Mme [T] concernant le constat de coups sur son visage ou de douleurs à l'issue de l'altercation du 14 juin 2018, ainsi que ses propres déclarations selon lesquelles Mme [W] lui aurait porté des coups, ne sont pas corroborées, dans la présente procédure, par des clichés photographiques réalisés par les services de police ou de gendarmerie, ni par les images de vidéo-surveillance. Par ailleurs, les attestations versées au soutien de Mme [T] en l'espèce ne sont que des témoignages indirectes de personnes de son entourage n'ayant pas assisté aux faits.

L'examen établi par le médecin légiste de l'Unité Médico Judiciaire du C.H.U. de [Localité 5], ayant examiné Madame [W], deux jours après l'incident, a mis en évidence de nombreuses dermabrasions, ecchymoses et hématomes au niveau de ses bras 'compatibles avec des coups d'ongles', des 'troubles de l'endormissement en lien avec des réminiscences de l'agression' et un 'état de stress aigu relationnel', nécessitant une incapacité totale de travail de deux jours. Par ailleurs, les clichés réalisés par le commissariat de police dans le cadre de l'audition de Mme [W] permettent d'identifier les blessures dont elle a fait état.

S'il est dès lors établi que Mme [T] a eu un comportement inadapté et violent la nuit du 13 au 14 juin, ces faits ne peuvent toutefois constituer une cause d'exonération aux faits antérieurement établis et caractérisant des faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme [T].

L'employeur n'apportant aucune justification objective aux faits décrits par Mme [T], et se contentant de répondre sur les faits du 13 au 14 juin 2018 au soutien de la procédure de licenciement pour faute grave, la Cour constate que les faits réitérés à l'encontre de la salariée caractérisent un harcèlement moral.

Enfin, le fait que le paiement des primes sur le tabac ait été régularisé à l'égard de la salariée est sans incidence sur la caractérisation du harcèlement moral.

Les manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité, sont également établis en ce que la société ne démontre aucune mesure de prévention ni aucune mesure mise en place afin de faire cesser les faits ayant conduits à une altération de la santé de la salariée en raison d'une dégradation de ses conditions de travail liée aux faits de harcèlement moral préalablement établis.

Il sera dès lors fait droit à la demande de Mme [T] et la société [L] sera condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité.

Le jugement entrepris sera infirmé de ces chefs.

Sur les rappels de salaire au titre du temps de nettoyage des toilettes

Si l'appelante demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL [L] à payer à Mme [T] 523,14 € à titre de rappel outre 52,31 € à titre de congés payés afférents, au titre du temps de nettoyage des WC, il ressort des dernières conclusions de l'intimé que la société ne conteste pas devoir ces sommes et n'a pas réalisé d'appel incident de ce chef.

Sur l'indemnité au titre des pauses obligatoires non prises pendant le travail nocturne

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il ressort de l'article 1 de l'avenant n°37 du 13 janvier 2004 relatif au travail de nuit et au régime d'équivalence, que 'La pause d'au moins 30 minutes interrompt obligatoirement tout poste de travail d 'au moins 6 heures, qui permet au travailleur de nuit de se détendre et de se restaurer, ne peut être fractionnée pour raison de service.'

La Convention Collective des Services de l'Automobile prévoit un temps de pause de 30 minutes pour tout salarié effectuant une durée égale ou supérieure à 6 heures de travail consécutives.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [T] était de service de nuit pendant une durée pouvant aller jusqu'à 11 heures et qu'elle devait ainsi bénéficier obligatoirement de cette pause.

Il est inopérant pour la SARL [L] de faire valoir que Mme [T] récupérait et prenait des pauses puisqu'elle dînait pendant ses horaires de travail et lisait des hebdomadaires également pendant son service, arguant du fait que le nombre de clients à servir la nuit est restreint.

En effet, en ce qu'elle restait susceptible d'accueillir des clients à tout moment, l'activité réduite la nuit ne peut être un motif pour ignorer la nécessité de permettre à la salariée de pouvoir quitter le service durant ses pauses.

Dès lors, le constat d'huissier versé en procédure et selon lequel Mme [T] téléphonait sur son téléphone personnel et regardait la télévision est sans incidence sur la nécessité, pour l'employeur, de respecter les temps de pauses, consistant en une interruption réelle de son activité et la possibilité de quitter son poste de travail.

La Cour constate que la SARL [L] a manqué à ses obligations en matière de temps de pause et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé

L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Selon l'article L.8221-5 du même code en sa rédaction applicable au présent litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l'espèce, il est établi par le jugement de première instance, et non contesté en appel de ce chef, que l'employeur ne déclarait pas les dix minutes de travail en amont de la prise de poste de la salariée, dans le cadre du nettoyage des sanitaires.

Cependant, la salariée ne vise aucune pièce de nature à caractériser plus précisément une intention, de la part de l'employeur, de se soustraire aux dispositions légales relatives à l'organisation de son travail.

Dans ces circonstances, l'élément intentionnel de l'infraction de travail dissimulé ne résulte d'aucune pièce au dossier et ne peut être déduit du fait que l'employeur faisait prendre son poste à Mme [T] 10 minutes avant l'heure officielle du planning pour nettoyer les toilettes de la station service.

L'infraction de travail dissimulé n'est donc pas caractérisée au sens des dispositions légales précitées.

Le jugement entrepris sera confirmé à ce titre.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la résiliation judiciaire aux torts l'employeur pour des faits de harcèlement moral

Pour infirmation du jugement, Mme [T] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, invoquant les griefs suivants et précédemment exposés :

- suppression des primes tabac, à titre de sanction,

- absence de pauses nocturnes,

- dissimulation du travail de nettoyage des sanitaires 10 minutes avant le début du service,

- abus de pouvoir de Mme [W] : changement d'emploi du temps au dernier moment,

- insultes, propos vexatoires et violences de Mme [W].

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande en résiliation est fondée. La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de1'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d'une gravité suffisante pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais lorsque la résiliation judiciaire du contrat de travail est motivée par des faits de harcèlement moral, elle produit les effets d'un licenciement nul.

En l'espèce, c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il ne devait pas être statué sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [T], datée du 5 juillet 2018, mais qu'il devait être statué sur la procédure de licenciement. En effet, bien que la procédure de licenciement était déjà initiée depuis le 3 juillet 2018, date de l'entretien préalable, la demande de résiliation judiciaire était bien antérieure à la date du licenciement, notifié le 11 juillet 2018.

En l'espèce, il convient de statuer d'abord sur la demande de résiliation judiciaire.

Il ressort des constats précédemment faits par la Cour que les faits réitérés caractérisent un harcèlement moral.

La caractérisation de l'ensemble de ces faits réitérés, sur une période de plus d'une année avant la saisine du conseil de prud'hommes aux fins de résiliation judiciaire, est suffisante pour démontrer une faute de l'employeur d'une gravité telle qu'elle justifie la rupture du contrat de travail à ses torts, et justifie qu'elle produise les effets d'un licenciement nul.

Contrairement à ce qu'allègue l'employeur, les faits ne sont pas trop anciens pour fonder une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur en ce qu'il s'agit de faits ayant perduré jusqu'à la demande de résiliation judiciaire.

Par ailleurs, et contrairement à ce qu'allègue l'employeur, le fait que le paiement des primes sur le tabac ait été régularisé à l'égard de la salariée est sans incidence en l'espèce en ce que la régularisation est intervenue au mois d'août 2018, soit postérieurement à la saisine des premiers juges en demande de résiliation judiciaire, datée du 5 juillet 2018.

Il est par conséquent fait droit à la demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, en infirmation du jugement entrepris.

Lorsque le juge statue sur une demande de résiliation d'un contrat qui n'est plus en cours, la résiliation produit effet à la date de la rupture, c'est-à-dire au jour de la notification du licenciement, soit en l'espèce, le 11 juillet 2018.

Sur l'indemnité pour licenciement nul

L'article L. 1235-3-1 du code du travail écarte l'application du barème d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu par l'article précédent, lorsque comme en l'espèce, le licenciement est entaché de nullité pour harcèlement moral.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée s'élevant à 1.711,12 €, de son ancienneté (2 ans), de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de condamner la société [L] à payer à Mme [T] la somme de 10 266,72 € à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Le jugement sera réformé de ce chef.

Sur l'indemnité légale de licenciement

En vertu de l'article L. 1234-9 du code du travail, en sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 applicable aux licenciements survenus à compter du 24 septembre 2017, le salarié titulaire d'un contrat à durée indéterminée licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement égale à 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans et 1/3 de mois de salaire par année au-delà de 10 ans d'ancienneté ; le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, soit la moyenne mensuelle des 12 derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à 12 mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement, soit le 1/3 des 3 derniers mois, et dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel versée au salarié pendant cette période n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

La formule la plus avantageuse pour Mme [T] est de prendre en considération le 1/3 des 3 derniers mois précédant le licenciement.

Au vu d'un salaire de référence s'élevant à 1.711,12 € brut par mois sur les trois derniers mois travaillés précédant la rupture du contrat de travail et d'une ancienneté de 2 ans et 2 mois, la SARL [L] doit ainsi être condamnée à payer à Mme [T] la somme de 739,19 € à titre d'indemnité de licenciement.

Sur l'indemnité de préavis

L'article L.1234-1 du code du travail énonce que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit s'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, d'un préavis de deux mois.

Mme [T] est fondée à solliciter l'octroi d'une somme de 3.422,24 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 342,22 € brut au titre des congés payés afférents.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La solution donnée au litige commande de confirmer la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la SARL [L] à payer en sus à Mme [T] la somme de 2.000 € pour ses frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

LA SARL [L] sera débouté de sa propre demande au même titre et condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail conclu entre Mme [T] et la SARL [L] le 26 avril 2016, aux torts exclusifs de cette dernière, et à compter du 11 juillet 2018,

CONDAMNE la SARL [L] à payer à Mme [T] les sommes suivantes :

- 5.000 € au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité,

- 10.266,72 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 739,19 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 3.422,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 342,22 € de congés payés afférents,

RAPPELLE qu'en application de l'article 1231-6 du code civil les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les autres sommes à caractère indemnitaire, en application de l'article 1231-7 du code civil, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

et y ajoutant,

CONDAMNE la SARL [L] à verser à Mme [T] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre la somme déjà allouée en première instance sur ce fondement ;

DÉBOUTE la SARL [L] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL [L] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.