CA Versailles, ch. soc. 4-2, 25 avril 2024, n° 22/00023
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Stellantis Auto (SAS), Jam Créations Artistiques (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bolteau-Serre
Conseillers :
Mme de Larminat, Mme Chabal
Avocats :
Me Panossian, Me Lenain, Me Leroy
EXPOSE DU LITIGE
La société Stellantis Auto SAS [anciennement société PSA Automobiles SA], dont le siège social est situé [Adresse 2], dans le département des Yvelines, est spécialisée dans l'industrie et le commerce automobiles. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.
La société Jam créations artistiques, dont le siège social est situé [Adresse 3], dans le département des Hauts-de-Seine, est une société de portage salarial spécialisée dans le conseil au plan financier, commercial et économique auprès de toutes entreprises. Elle emploie moins de 11 salariés et applique la convention collective des salariés en portage salarial du 22 mars 2017.
M. [K] [Z], né le 15 décembre 1967, a travaillé dans le service Multimédia de la société Stellantis Auto SAS du 14 avril 2000 au mois de mai 2018 sous différents statuts :
- en contrat à durée déterminée en qualité de dessinateur d'animation d'avril à décembre 2000,
- en contrat à durée déterminée en qualité d'infographiste de janvier 2001 à janvier 2006,
- en contrat de prestation de service d'infographie avec la société Bak media dont il était le gérant non salarié et associé unique, sans salarié, de février 2006 à décembre 2008,
- par mise à disposition à plein temps en qualité d'infographiste dans le cadre d'un portage salarial avec la société Intervenance entre janvier 2009 et mai 2010,
- en contrat de prestation de service d'infographie avec la société Labcom dont il était le gérant non salarié et associé unique, sans salarié, de juin 2010 à mai 2012,
- par mise à disposition en qualité de web designer ou d'infographiste dans le cadre d'un portage salarial avec la société Jam créations artistiques de juillet 2012 à mai 2018.
Les relations contractuelles ont cessé en juillet 2018, lorsque le service Multimédia de la société Stellantis Auto a été définitivement transféré à une autre société.
Par requête reçue au greffe le 14 mars 2019, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en présentant en dernier lieu les demandes suivantes :
in limine litis :
- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Stellantis Auto SAS,
- se déclarer compétent pour connaître du litige lié à la requalification de la relation contractuelle de M. [Z] avec la société Stellantis Auto SAS de 2000 à 2018,
- déclarer M. [Z] recevable en son action comme n'étant pas prescrite,
- requalifier la relation contractuelle entre M. [Z] et la société Stellantis Auto SAS en contrat de travail entre 2000 et 2018,
- juger illicites les contrats de portage salarial successifs entre M. [Z] et la société Jam créations artistiques,
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] les sommes suivantes :
. préavis (2 mois) : 8 526 euros brut,
. congés payés sur préavis : 852,60 euros brut,
. indemnité de licenciement : 22 210,23 euros,
. dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail : 61 814 euros nets de CSG/CRDS,
. dommages et intérêts pour travail dissimulé : 25 578 euros,
. dommages et intérêts pour exécution déloyale de la relation contractuelle : 20 000 euros,
- condamner la société Stellantis Auto SAS à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'avoir bénéficié des avantages conventionnels et collectifs,
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- assortir les condamnations des intérêts capitalisés au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation pour les sommes à caractère de salaire et à compter du prononcé du jugement à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire,
- ordonner à la société Stellantis Auto SAS la remise des documents sociaux (certificat de travail, bulletin de paie, attestation Pôle emploi) conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours de la notification du jugement,
- débouter la société Jam créations artistiques de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter la société Stellantis Auto SAS de ses demandes, fins et conclusions,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (article 515 du code de procédure civile),
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
La société Stellantis Auto SAS avait, quant à elle, demandé au conseil de prud'hommes de Nanterre de :
A titre principal :
- se déclarer incompétent matériellement pour connaître des demandes de M. [Z] à l'encontre de la société Stellantis Auto SAS, au profit du tribunal de commerce de Nanterre,
- mettre hors de cause la société Stellantis Auto SAS,
A titre subsidiaire :
- déclarer les demandes de M. [Z] irrecevables car prescrites,
- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et présentions,
En tout état de cause :
- condamner M. [Z] à payer à la société la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- entiers dépens.
La société Jam créations artistiques avait, quant à elle, demandé au conseil de prud'hommes de Nanterre de :
A titre principal :
- dire et juger que la société Jam créations artistiques doit être mise hors de cause,
en conséquence,
- débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Jam créations artistiques,
A titre subsidiaire :
- dire et juger qu'aucune situation de co-emploi ne peut être caractérisée entre la société Stellantis Auto SAS et la société Jam créations artistiques,
- dire et juger que la relation de travail entre la société Jam créations artistiques et M. [Z] s'est inscrite dans le cadre de CDD réguliers,
- dire et juger qu'aucun manquement ne saurait être reproché à la société Jam créations artistiques,
en conséquence,
- débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner M. [Z] à verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [Z] aux dépens éventuels,
- débouter M. [Z] du surplus de ses demandes.
Par jugement contradictoire rendu le 24 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre, section activités diverses :
- s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de M. [Z],
- a débouté, en l'état, M. [Z] de l'intégralité de ses demandes,
- a débouté la société Stellantis Auto SAS de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
- a débouté la société Jam créations artistiques de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
- a laissé à M. [Z] la charge des entiers dépens,
- a dit et jugé n'y avoir lieu à exécution provisoire.
M. [Z] a interjeté appel de la décision par déclaration du 3 janvier 2022.
Par ordonnance du 6 mars 2023, le conseiller de la mise en état de la 25ème chambre de la cour d'appel de Versailles a constaté le désistement de l'incident formé par la société PSA Automobiles concernant la validité de la déclaration d'appel.
Par conclusions adressées par voie électronique le 18 décembre 2023, M. [Z] demande à la cour de :
Sur l'appel incident formé par la société Stellantis Auto SAS :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu sa compétence pour statuer sur les demandes de M. [Z],
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Stellantis Auto SAS de la prescription soulevée après 2006,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Stellantis Auto SAS de sa demande au titre de l'indemnité visée à l'article 700 du code de procédure civile,
Sur l'appel de M. [Z] :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté, en l'état, M. [Z] de l'intégralité de ses demandes,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a laissé à M. [Z] la charge des entiers dépens,
Et, statuant à nouveau :
- déclarer M. [Z] recevable en son action comme n'étant pas prescrite,
- requalifier la relation contractuelle entre M. [Z] et la société Stellantis Auto SAS en contrat de travail à durée indéterminée entre 2000 et 2018,
- constater l'illicéité des contrats de portage salarial successifs entre M. [Z] et la société Jam créations artistiques,
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] les sommes suivantes :
. préavis (2 mois) : 8 526 euros brut,
. congés payés sur préavis : 852,60 euros brut,
. indemnité de licenciement : 22 210,23 euros,
. dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail : 61 814 euros nets de CSG/CRDS,
. dommages et intérêts pour travail dissimulé : 25 578 euros,
. dommages et intérêts pour exécution déloyale de la relation contractuelle : 20 000 euros,
- condamner la société Stellantis Auto SAS à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'avoir bénéficié des avantages conventionnels collectifs,
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- assortir les condamnations des intérêts au taux légal,
- ordonner à la société Stellantis Auto SAS la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours de la notification de l'arrêt,
- débouter la société Jam créations artistiques de ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel,
- débouter la société Stellantis Auto SAS de ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel,
- condamner in solidum les sociétés Stellantis Auto SAS et Jam créations artistiques à payer à M. [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 16 janvier 2024, la société Stellantis Auto SAS demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
. jugé que le conseil de prud'hommes de Nanterre était matériellement compétent pour statuer sur les demandes de M. [Z] relatives à la période allant du mois de février 2006 au mois de mai 2018,
. rejeté sa demande d'irrecevabilité tenant à la prescription pour la période allant du mois de février 2006 au mois de mai 2018,
. rejeté sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et de le confirmer pour le surplus,
En conséquence :
A titre principal :
- se déclarer incompétente matériellement pour connaître des demandes de M. [Z] à l'encontre de la société Stellantis Auto SAS au profit du tribunal de commerce de Nanterre s'agissant de la période allant des mois de février 2006 à mai 2018,
- déclarer les demandes de M. [Z] irrecevables en raison de la prescription pour la période allant d'avril 2000 à janvier 2006,
A titre subsidiaire :
- déclarer les demandes de M. [Z] irrecevables en raison de la prescription pour la période allant des mois d'avril 2000 à janvier 2006,
- déclarer les demandes de M. [Z] irrecevables car prescrites pour la période allant des mois de février 2006 à mai 2018,
- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la société Stellantis Auto SAS,
En tout état de cause :
- condamner M. [Z] à payer à la société Stellantis Auto SAS la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [Z] aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 16 janvier 2024, la société Jam créations artistiques demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de l'intégralité de ses demandes formulées à l'encontre de la société Jam créations artistiques,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- dire et juger que la société Jam créations artistiques doit être mise hors de cause,
en conséquence,
- débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Jam créations artistiques,
A titre subsidiaire,
- dire et juger qu'aucune situation de co-emploi ne peut être caractérisée entre la société Stellantis Auto SAS et la société Jam créations artistiques,
- dire et juger que la relation de travail entre la société Jam créations artistiques et M. [Z] s'est inscrite dans le cadre de CDD réguliers,
- dire et juger qu'aucun manquement ne saurait être reproché à la société Jam créations artistiques, en conséquence,
- débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- condamner M. [Z] à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [Z] aux dépens éventuels,
- débouter M. [Z] du surplus de ses demandes.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance rendue le 14 janvier 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 26 janvier 2024.
Motivation
MOTIFS DE L'ARRET
M. [Z] fait valoir qu'il a collaboré de manière continue pendant 18 ans à un poste relevant de l'activité normale et permanente de la société PSA Automobiles devenue Stellantis Auto, au sein d'un service organisé et dans un lien de subordination, sous différentes formes qui étaient le seul moyen de travailler avec cette société, avec la promesse d'obtenir un contrat à durée indéterminée, sans cesse reportée. Il soutient que la situation a perduré de juillet 2012 à mai 2018 avec la complicité de la société Jam créations artistiques, les conditions du portage salarial n'étant pas remplies, et qu'il se trouvait dans une situation de co-emploi avec ces deux sociétés.
Il convient d'examiner les relations ayant existé entre M. [Z] et d'une part la société Stellantis et d'autre part la société Jam créations artistiques.
Sur les relations avec la société Stellantis Auto et la compétence de la juridiction prud'homale
M. [Z] soutient que sa relation de travail avec la société Stellantis Auto entre 2000 et 2018 doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée.
La société Stellantis Auto soulève deux exceptions tenant d'une part à l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit du tribunal de commerce et d'autre part à la prescription des demandes. Sur le fond, elle conteste toute existence d'un contrat de travail avec M. [Z] et toute situation de co-emploi avec la société Jam créations artistiques.
Par application des dispositions de l'article L. 1411-1 du code du travail, la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l'existence d'un contrat de travail opposant le salarié et l'employeur prétendus.
Il convient d'examiner en l'espèce la compétence de la juridiction prud'homale et la prescription au regard des demandes de requalification concernant deux périodes successives durant lesquelles M. [Z] a travaillé pour la société Stellantis, selon que des contrats de travail ont été ou non conclus, le conseil de prud'hommes ayant estimé qu'il était compétent pour statuer sur l'intégralité des demandes au motif que M. [Z] et la société PSA Automobiles ont été liés 'auparavant' par un contrat de travail.
- sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée
Des contrats à durée déterminée (CDD) écrits ont été conclus entre la société PSA Automobiles et M. [Z] d'avril 2000 à janvier 2006, de sorte que, ce qui n'est pas remis en cause, la juridiction prud'homale est compétente pour examiner la demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée.
M. [Z] fait valoir que ces contrats sont irréguliers en ce qu'ils ne comportent aucun motif et qu'ils sont très sommaires, ce qui motive selon lui leur requalification en contrat à durée indéterminée. Il ne répond pas au motif tiré de la prescription de son action soulevé par la société Stellantis auto, sauf à dire qu'en se prévalant de la prescription, cette société fait peu de cas des dispositions impérieuses du code du travail.
La société Stellantis Auto fait valoir que l'action de M. [Z] est prescrite comme ayant été engagée plus de deux ans après la conclusion des contrats en cause.
Le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée a été modifié à plusieurs reprises.
Cette action relevait initialement du délai de prescription de droit commun trentenaire dont la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 a réduit la durée à 5 ans. La loi s'est appliquée aux procédures prud'homales engagées à compter du 19 juin 2008 pour le temps qui leur restait à courir, sans qu'il puisse excéder les limites fixées par la loi nouvelle, le droit transitoire s'achevant le 19 juin 2013, date butoir pour engager les actions relevant auparavant de la prescription trentenaire.
En effet, l'article 26 II de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 dispose que 'les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'.
La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a réduit le délai de prescription de 5 à 2 ans en instaurant l'article L. 1471-1 du code du travail, lequel s'est appliqué aux prescriptions en cours depuis le 23 septembre 2017, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
L'action en requalification d'un ou plusieurs contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée s'analyse en une action portant sur l'exécution du contrat de travail soumise au délai de prescription de deux ans prévu par l'article L. 1471-1 alinéa 1er du code du travail, lequel dispose que 'Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.'
Lorsque l'action est fondée, comme en l'espèce, sur l'absence d'une mention au contrat, le point de départ du délai de prescription est la date de conclusion du contrat à durée déterminée en cause, dès lors que c'est à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit.
En l'espèce, le délai de prescription court à compter de la conclusion du dernier contrat à durée déterminée liant M. [Z] à la société PSA Automobiles, soit le 2 janvier 2006.
En 2006, en vertu des dispositions susvisées, le délai de prescription de l'action en requalification était trentenaire et courait donc jusqu'au 2 janvier 2036. Toutefois, du fait de la réduction du délai de prescription à 5 ans liée à la réforme du 17 juin 2008, compte tenu du temps restant à courir et des limites de la loi nouvelle, l'action de M. [Z] devait être exercée avant le 19 juin 2013.
M. [Z] ayant saisi le conseil de prud'hommes par requête du 14 mars 2019, sa demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée est prescrite, ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes.
- sur la demande de requalification des contrats de prestation de service et de portage salarial
M. [Z] expose qu'il a poursuivi au profit de la société Stellantis Auto de février 2006 à juillet 2018 ses fonctions au même poste, de façon ininterrompue, sous diverses formes. Il soutient que cela ne résulte pas d'un choix de sa part mais du terme mis par l'employeur au recours à des CDD d'intermittents du spectacle abusifs après un redressement de l'Urssaf début 2006, soulignant qu'il n'a pour sa part jamais refusé un contrat à durée indéterminée qui lui aurait été proposé.
Il soutient que le conseil de prud'hommes a retenu à bon droit sa compétence dès lors que l'objet du litige est la qualification de la relation contractuelle en salariat, qu'il se trouvait dans un lien de subordination à l'égard de la société Stellantis Auto et qu'il critiquait la licéité du portage salarial avec la société Jam créations artistiques.
La société Stellantis Auto répond qu'elle n'était plus liée par un contrat de travail avec M. [Z] après le mois de janvier 2006, dès lors que ce dernier souhaitait avoir une totale indépendance dans l'exercice de ses missions et qu'il avait fait le choix d'alterner création d'entreprise et portage salarial, sans jamais former la moindre réclamation au titre d'une relation de travail salariée. Elle fait remarquer que de juillet 2012 à mai 2018, M. [Z] n'a pas collaboré de manière continue avec la société Jam créations artistiques. Elle soutient qu'elle se trouvait dans une relation commerciale avec M. [Z], auquel elle confiait des missions dont elle ne pouvait s'acquitter compte tenu des compétences requises, dont elle ne disposait pas.
Elle expose que M. [Z] disposait d'une grande autonomie dans l'accomplissement de ses missions, qu'il pouvait effectuer depuis les locaux de ses sociétés ou depuis ceux de PSA, cette autonomie étant indispensable pour être éligible au dispositif de portage salarial dans lequel le salarié doit démarcher les entreprises et apporter sa propre clientèle. Elle souligne que les rémunérations de M. [Z], négociées par lui, ainsi que les prestations réalisées, étaient différentes chaque mois, que M. [Z] était libre de fixer ses horaires de travail, ne démontre pas qu'il a été contraint de poser des jours de congés, ce que démontrent les périodes d'interruption entre les différents contrats de travail. Elle fait valoir que les quelques courriels produits par M. [Z] sur une période de 18 ans résultent d'une logique de coordination entre le prestataire et son client, que la présence du prestataire à des réunions et les interactions avec lui ne sont que la manifestation de l'obligation d'information et de communication avec le client.
Elle conteste toute situation de co-emploi entre les sociétés PSA Automobiles et Jam créations artistiques et tout lien de subordination entre PSA et M. [Z] de février 2006 à mai 2018, concluant par voie de conséquence à l'incompétence matérielle du conseil de prud'hommes pour connaître du litige, au profit du tribunal de commerce.
Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il existe ainsi trois éléments constitutifs d'un contrat de travail :
- la fourniture d'un travail,
- la contrepartie d'une rémunération,
- l'existence d'un lien de subordination entre les parties.
En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve, par tous moyens.
Par ailleurs, le contrat d'entreprise ou de prestation de service est un contrat aux termes duquel un client confie à un entrepreneur, moyennant rémunération, la réalisation d'un ouvrage ou d'un service déterminé, que celui-ci se charge d'exécuter en toute indépendance.
L'article L. 8221-6 du code du travail dispose que 'I. - Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au
répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ; (...)
II - L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci'.
La présomption légale de non-salariat qui bénéficie aux personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés peut être détruite s'il est établi qu'elles fournissent des prestations au donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
En l'absence de contrat de travail entre M. [Z] et la société PSA Automobiles entre février 2006 et mai 2018 et du fait de l'immatriculation au registre du commerce de M. [Z], le 15 mars 2006 en qualité de gérant de la société Bak media qui a été dissoute le 31 décembre 2008 et le 29 septembre 2010 en qualité de gérant de la société Labcom qui a été dissoute à compter du 30 juin 2012 (pièces 8 et 16 de M. [Z]), il appartient à M. [Z] de démontrer qu'il se trouvait dans cette période dans un lien de subordination à l'égard de la société PSA Automobiles.
Il est établi qu'entre février 2006 et mai 2018, la société PSA Automobiles a fourni du travail à M. [Z] et qu'il a été rémunéré en contrepartie, soit par le paiement des factures émises par les société de M. [Z], soit par un salaire versé par les sociétés de portage salarial.
S'agissant de l'existence d'un lien de subordination, M. [Z] fait valoir en premier lieu que lorsqu'il a poursuivi la relation de travail débutée avec la société PSA Automobiles en qualité de prestataire de service, de manière artificielle pour les besoins de la cause, il travaillait de façon continue exclusivement pour cette société ainsi qu'en témoigne son chiffre d'affaires, pour un taux journalier immuable de 390 euros hors taxe, en délivrant une même prestation correspondant à sa qualification. Il relate que le même procédé a été utilisé avec le portage salarial par la société Jam créations artistiques, par l'envoi de bons de commandes mensuels en fin de mois, pour une prestation identique et continue.
Or la fixité du taux de rémunération appliqué et le fait qu'une société soit le client exclusif d'un entrepreneur individuel ou du salarié d'une société de portage salarial ne permettent pas de caractériser une relation salariée avec la société cliente.
En outre, ainsi que le fait remarquer la société Jam créations artistiques, la collaboration avec M. [Z] a été régulièrement entrecoupée par des périodes non travaillées. Ainsi M. [Z] a collaboré avec cette société :
en 2012 : 111 jours sur 365 soit environ 3,5 mois au total,
en 2013 : 181 jours / 365 soit environ 6 mois au total,
en 2014 : 208 jours / 365 soit environ 7 mois au total,
en 2015 : 273 jours / 365 soit environ 9 mois au total,
en 2016 : 285 jours / 365 soit environ 9,5 mois au total,
en 2017, du 2 mai au 3 juillet : 240 jours / 365 soit environ 8 mois au total,
en 2018, du 1er janvier au 6 juillet : 151 jours / 187 jours.
M. [Z] fait valoir en second lieu qu'il était intégré à un service organisé et qu'il était astreint aux mêmes contraintes et obligations et à la même autorité hiérarchique que les salariés de son service : directives sur le travail à réaliser, contrôle du travail réalisé, horaires de travail, jours de congés en fonction des besoins du service, entretien annuel d'évaluation.
Il y a intégration à un service organisé lorsque l'activité s'exerce au sein d'une structure organisée mettant à la disposition de l'intéressé une structure matérielle (locaux, secrétariat, fournitures) qui implique pour lui de se soumettre à un minimum de contraintes (notamment horaires). Elle peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.
Pour justifier de l'intégration à un service organisé et du lien de subordination, M. [Z] produit l'annuaire 2018 des personnes travaillant dans le service Prod dont il ressort qu'il disposait d'une ligne fixe, d'un téléphone mobile et d'une adresse mail de la société, qui comportait toutefois la mention 'ext' le différenciant des salariés ([Courriel 7]), mention étant faite dans le document que la société de prestation était Jam conseil (pièces 38 et 39), ce qui ne caractérise pas une relation salariée.
Il produit une attestation établie par M. [K] [E], responsable du service multimédia au sein du groupe PSA Peugeot Citroën de mai 1998 à mai 2015 (pièce 30), que la société Stellantis qualifie de 'complaisante'. M. [E] y explique que M. [Z] était en charge de la réalisation des supports vidéo, sites internet, supports papier et images en 3D ; que le service étant en création, il a occupé ses fonctions avec un statut d'intermittent du spectacle sans interruption jusqu'en 2006 et que la société souhaitant régulariser cette situation quelque peu précaire, elle a demandé à M. [Z] de passer à son compte pour continuer à occuper ses fonctions en qualité de prestataire externe ; que le travail de M. [Z] a été réduit en 2008 en raison des difficultés économiques de la société et que le portage salarial a été la meilleure solution à compter de 2012.
Il écrit que 'Le travail de [K] [Z] s'effectuait dans les locaux de PSA, avec du matériel et des logiciels mis à disposition par PSA et selon mes instructions. Son travail consistait à la prise en charge des travaux à compter du brief [document plus ou moins long présentant les besoins pour la réalisation d'une opération], au cours duquel j'expliquais ce qu'il devait faire, jusqu'à l'exécution du projet.' Il indique qu'à partir du brief, il transmettait à M. [Z] les instructions pour la réalisation du dossier et que 'Il devait respecter les délais impartis et les budgets. Il me rendait compte de l'avancement des tâches réalisées pour limiter les problèmes que nous aurions pu rencontrer dans certains cas, surtout en termes de délais à respecter. [K] [Z] avait les mêmes obligations sur les dossiers que les salariés de PSA sous ma subordination ; j'agissais de la même manière avec lui : directives et instructions sur les dossiers, contrôle de son travail. Je demandais également chaque année aux pilotes des différents pôles du service (eux-mêmes prestataires pour la plupart) de conduire des entretiens annuels avec chacun des collaborateurs, qu'ils soient salariés ou prestataires. Ces pilotes me faisaient ensuite un retour sur ces entretiens. Tous les prestataires devaient me demander leurs jours de congés à l'avance et nous les fixions au planning en fonction des besoins du service et selon les jours de congés des autres collaborateurs.
Les horaires de travail étaient de 9h à 18h tous les jours de la semaine. Il m'arrivait parfois en réunion de faire un rappel des heures de travail car certains collaborateurs arrivaient en retard.'
Il ajoute que son équipe comportait 40 collaborateurs dont 10 en contrat à durée indéterminée, les autres ayant un statut de prestataire, dont M. [Z], qu'ils étaient tous impliqués et travaillaient ensemble, sans différence de traitement dans le travail selon leur statut. Il écrit en conclusion :'Je pouvais donc comprendre qu'ils acceptent cette situation, même si je trouvais, à titre personnel, qu'il n'était pas normal qu'ils ne soient pas salariés du groupe PSA'.
M. [Z] produit encore une attestation de M. [S] [I] (pièce 31), lequel relate qu'il a travaillé au sein du service Prod PSA du 1er février 2016 au 28 février 2018 en qualité de graphiste 3D du sous-traitant Twin ; que ses horaires de travail étaient de 9h à 18h ; qu'il a régulièrement travaillé en équipe à deux sur des dossiers communs avec M. [Z] ; qu'ils prenaient en charge un dossier remis par le directeur artistique qui donnait des directives avec le brief client, que les tâches étaient réparties entre M. [Z] et lui selon les rôles attribués et les jalons posés par M. [O], responsable du service et le directeur artistique ; que le travail effectué était contrôlé par M. [P], sous-traitant de Twin, avant d'être présenté au directeur artistique, modifié selon les remarques de ce dernier, avant d'être validé par M. [O] et remis au client.
Il produit également en pièce 33 quelques courriels reçus de la société PSA, notamment de M. [P] et M. [O], de 2014 à 2017, transmettant des instructions sur la répartition des projets entre les membres de l'équipe, des plannings à respecter, des retours du client donnant des consignes précises sur les présentations réalisées (nombre, contenu, disposition et taille des images), des instructions pour l'utilisation de logiciels professionnels, des invitations à des ateliers et réunions.
M. [Z] produit enfin en pièce 32 l'entretien individuel réalisé en 2014, mentionnant qu'un précédent entretien a été réalisé en novembre 2013, qui fait le bilan du ressenti de l'intéressé sur l'année écoulée, recense les faits marquants, les points forts et les points à améliorer, fait un bilan personnel qui aborde le comportement (notamment l'esprit d'équipe), la maîtrise (notamment le respect des plannings et consignes), l'organisation et la créativité et mentionne l'évolution depuis le dernier bilan, dont les formations suivies, l'évolution souhaitée pour l'année à venir et les perspectives à court, moyen et long terme. Quand bien même la société Stellantis Auto fait valoir que l'origine de ce document est sujette à caution car il n'est pas signé par PSA, la cour le considère comme probant dès lors que ce type d'évaluation est bien évoqué par M. [E], qui le différencie bien de l'entretien d'évaluation annuelle des salariés dont la société produit un exemple (pièce 5).
Il en ressort que M. [Z] exécutait des tâches similaires à celles des salariés du service Multimédias de la société PSA Automobiles, en suivant les instructions et directives qui lui étaient données. Toutefois les quelques courriels produits sur de nombreuses années de collaboration ne mettent pas en évidence l'existence d'instructions et directives excédant celles qui sont données par un client à son prestataire, le client étant en droit de contrôler la qualité du travail fourni et le respect des délais impartis. Le bilan annuel du travail fourni n'équivaut pas à l'entretien d'évaluation annuel d'un salarié.
Aucune pièce n'établit que, concrètement, M. [Z] devait solliciter l'autorisation de prendre des congés. L'absence d'un travail continu au profit de PSA automobiles de 2012 à 2018 témoigne d'une autonomie de M. [Z] dans l'organisation de son travail.
Enfin il n'est pas établi que la société PSA Automobile a exercé un pouvoir disciplinaire sur une personne qu'elle employait depuis de nombreuses années et qui donnait certes manifestement satisfaction.
Un lien de subordination et donc un contrat de travail ne peut dans ces conditions être reconnu entre M. [Z] et la société PSA Automobiles.
La décision de première instance doit être dès lors infirmée en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société Stellantis Auto.
La cour déclarera la juridiction prud'homale incompétente au profit du tribunal de commerce de Nanterre pour statuer sur les demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société Stellantis Auto.
En conséquence, il n'y a pas lieu de statuer sur les autres moyens de prescription soulevés par la société Stellantis Auto.
Sur les relations avec la société Jam créations artistiques
M. [Z] conteste la régularité des contrats de portage salarial qu'il a conclus avec la société Jam créations artistiques, qui ont permis selon lui à la société Stellantis Auto de déroger au droit du travail, en invoquant quatre motifs. Il en tire pour conséquence la nécessaire requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et la condamnation de la société Jam créations artistiques, in solidum avec la société Stellantis auto, à l'indemniser de la rupture abusive du contrat de travail.
Sur la demande de mise hors de cause formée par la société Jam créations artistiques
La société Jam créations artistiques fait valoir que le litige, qui est relatif à la demande de requalification en contrat à durée indéterminée de la relation contractuelle existant entre M. [Z] et la société Stellantis Auto, ne la concerne pas et demande en conséquence à être mise hors de cause.
Le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur la demande identique qui a été formée en première instance.
Il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Jam créations artistiques dès lors que M. [Z] critique la régularité des contrats souscrits avec cette dernière et demande sa condamnation in solidum avec la société Stellantis Auto à l'indemniser.
Ajoutant à la décision de première instance, la demande de mise hors de cause sera rejetée.
Sur l'absence de contrat commercial entre les sociétés Jam créations artistiques et Stellantis Auto
M. [Z] fait valoir, sur le fondement de l'article L. 1254-1 du code du travail, que le contrat de prestation de portage salarial n'a pas été communiqué par les intimées et que la société Stellantis Auto adressait chaque fin de mois à la société Jam créations artistiques un bon de commande précisant le nombre de jours prestés.
La société Jam créations artistiques, qui expose qu'elle n'était pas informée de l'historique de la relation contractuelle antérieure de M. [Z] avec la société Stellantis Auto, souligne que M. [Z] était parfaitement avisé de la législation encadrant les différents statuts avec lesquels il a collaboré avec Stellantis Auto, dont le portage salarial. Elle indique qu'un bon de commande a été signé avec Stellantis Auto conformément au tarif que cette société lui avait annoncé.
L'article L. 1254-1 du code du travail dispose que :
'Le portage salarial désigne l'ensemble organisé constitué par :
1° D'une part, la relation entre une entreprise dénommée "entreprise de portage salarial" effectuant une prestation et une entreprise cliente bénéficiant de cette prestation, qui donne lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de portage salarial ;
2° D'autre part, le contrat de travail conclu entre l'entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le "salarié porté", lequel est rémunéré par cette entreprise.'
L'article L. 1254-22 du code du travail dispose que 'l'entreprise de portage salarial conclut avec l'entreprise cliente du salarié porté un contrat commercial de prestation de portage salarial au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant le début de la prestation. Ce contrat reprend les éléments essentiels de la négociation de la prestation entre le salarié porté et l'entreprise cliente.
L'entreprise de portage adresse au salarié porté par tout moyen une copie de ce contrat dans le même délai.'
L'article L. 1254-23 du code du travail prévoit les clauses et mentions devant figurer dans le contrat commercial de prestation de portage salarial.
Ces dispositions, issues de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, ont été prises après que le Conseil constitutionnel a, par décision du 11 avril 2014, déclaré inconstitutionnelles les dispositions du paragraphe III de l'article 8 de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 de modernisation du marché du travail qui avaient confié l'organisation du portage salarial à la seule négociation collective. En application de la loi de 2008, un accord de branche sur le portage salarial a été signé le 24 juin 2010 et étendu par arrêté du 24 mai 2013. Par arrêt du 7 mai 2015, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêté d'extension du 24 mai 2013 mais a limité l'effet rétroactif de la décision et dit que les contrats de portage salarial conclus avant le 1er janvier 2015 sur la base de l'accord étendu doivent être considérés comme valables.
Les contrats de portage salarial conclus entre M. [Z] et la société Jam créations artistiques avant le 1er janvier 2015 ne sont donc pas soumis aux dispositions de l'article L. 1254-1 du code du travail qui sont invoquées par M. [Z].
S'agissant des contrats de portage salarial conclus entre M. [Z] et la société Jam créations artistiques postérieurement au 1er janvier 2015, aucun contrat commercial de prestation de service conclu entre la société Jam créations artistiques et la société PSA automobiles n'est versé au débat.
La société Jam créations artistiques ne produit (pièce 1) que des bons de commandes qui lui ont été passés par la société PSA automobiles, vers la fin de chaque mois pour le mois en cause, pour des prestations mensuelles d'infographie et un prix déterminé, qui ne comportent pas les mentions prévues par l'article L. 1254-23 du code du travail et notamment pas le nom du salarié porté.
Les contrats de portage salarial conclus à compter du 1er janvier 2015 ne sont donc pas réguliers à cet égard.
Sur les conditions du portage salarial
M. [Z] fait valoir qu'il a travaillé au même poste et avec les mêmes fonctions pendant 18 ans au sein de la société Stellantis Auto, de sorte que les tâches qu'il réalisait n'étaient pas occasionnelles et ponctuelles mais qu'elles relevaient de l'activité permanente de la société Stellantis auto au sein du service multimédia qui disposait de l'expertise requise, ce qu'aurait dû vérifier la société Jam créations artistiques. Il soutient qu'il s'agit là d'un prêt de main d'oeuvre illicite et que l'illicéité du recours au portage salarial engage la responsabilité de la société Jam créations artistiques.
La société Jam créations artistiques réplique qu'elle n'a aucun droit de regard sur les missions exercées par le salarié, ce dernier devant trouver ses propres clients.
L'article L. 1254-3 du code du travail dispose que 'l'entreprise cliente ne peut avoir recours à un salarié porté que pour l'exécution d'une tâche occasionnelle ne relevant pas de son activité normale et permanente ou pour une prestation ponctuelle nécessitant une expertise dont elle ne dispose pas.'
L'article L. 1254-2 I du même code dispose quant à lui que 'le salarié porté justifie d'une expertise, d'une qualification et d'une autonomie qui lui permettent de rechercher lui-même ses clients et de convenir avec eux des conditions d'exécution de sa prestation et de son prix.'
Le salarié porté est autonome dans la recherche de ses clients et l'entreprise de portage salarial ne dispose pas d'un droit de regard sur le contenu de ses missions. L'absence de respect des dispositions de l'article L. 1254-3 du code du travail ressort de la responsabilité de l'entreprise cliente et non de l'entreprise de portage salarial.
En l'espèce, M. [Z] n'est donc pas fondé à reprocher à la société Jam créations artistiques de ne pas avoir vérifié si les missions qu'il exerçait au sein de la société PSA automobiles contrevenaient aux dispositions de l'article L. 1254-3 du code du travail.
Sur la durée du portage salarial
M. [Z] fait valoir que la limite de 36 mois de la durée de la prestation de portage salarial prévue par l'article L. 1254-4 II du code du travail a été dépassée puisque qu'il a travaillé durant 5 ans et 11 mois au sein de Jam créations artistiques pour l'entreprise Stellantis Auto. Il soutient que pour la période antérieure au 1er janvier 2015, il y a lieu de se référer à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, à l'accord du 24 juin 2010 et à son extension du 24 mai 2013 qui prévoyaient que la durée du portage ne pouvait excéder 3 ans.
La société Jam créations artistiques rappelle que la règle des 36 mois n'a été édictée qu'à compter du 2 avril 2015, de sorte qu'elle ne s'applique pas aux contrats antérieurs ; que le texte s'entend pour une durée de collaboration de 36 mois continus, qui n'est pas effective en l'espèce, M. [Z] n'ayant travaillé que 523 jours soit 17,5 mois d'avril 2015 à mai 2018.
Il convient de rappeler que les dispositions de l'accord étendu le 24 mai 2013 ont été annulées par le Conseil d'Etat, sans effet rétroactif, de sorte que les contrats de portage salarial conclus avant le 1er janvier 2015 sur la base de cet accord doivent être considérés comme valables.
L'article L. 1254-4 II du code du travail prévoit que la durée de la prestation dans l'entreprise cliente ne peut excéder la durée de 36 mois. Ces dispositions, issues de l'ordonnance nº 2015-380 du 2 avril 2015 relative au portage salarial, sont entrées en vigueur le 4 avril 2015.
Les parties s'opposent sur le nombre des jours travaillés par M. [Z].
M. [Z] procède à un calcul à partir des calendriers qu'il a établis et des bons de commande, en faisant valoir que la durée d'emploi figurant sur les bulletins de salaire ne correspond pas à l'activité réelle puisqu'il avait été convenu avec la société Jam créations artistiques de constituer une 'réserve' chaque mois pouvant être utilisée sous la forme d'un 'salaire variable' durant les mois où le nombre de jours travaillés était inférieur à une activité à temps plein, ce variable étant soldé en décembre ou en fin de contrat.
La société Jam créations artistiques opère quant à elle un calcul en fonction des bulletins de salaire et des déclarations d'activité établies par le salarié en faisant valoir que les bons de commande ne sont qu'estimatifs.
Les contrats de travail à durée déterminée signés entre la société Jam créations artistiques et M. [Z] du mois d'avril 2015 au mois de juillet 2018 mentionnent des périodes de travail à temps plein (35 heures par semaine ou 7 heures par jour) aux termes précis ainsi que la nécessité pour le salarié d'établir un compte-rendu mensuel d'activité permettant de mesurer la réalité de son temps de travail. Ils mentionnent que le salarié perçoit un salaire fixe et un salaire variable qui était versé mensuellement.
Les bons de commande ne mentionnent pas le nombre de jours travaillés mais seulement un montant hors taxe total pour les prestations fournies sur le mois considéré. En divisant le montant hors taxe par la somme de 390 euros par jour de travail convenue par M. [Z] avec la société Stellantis Auto, on obtient le nombre de jours travaillés que M. [Z] prend en compte.
Les décomptes des parties sont divergents pour l'année 2015 mais se rejoignent sur le nombre de jours travaillés de 2016 à 2018, étant cohérents sur cette période là avec les fiches de paye et les déclarations d'activité du salarié produites à compter de 2017.
Ainsi pour le mois d'avril 2015, le bon de commande porte sur des prestations d'une valeur de 8 190 euros, qui correspondraient à 21 jours travaillés, du 1er au 30 avril 2015 selon M. [Z]. En mai 2015 des prestations d'un montant total de 6 240 euros ont été commandées, correspondant à 16 jours travaillés, du 5 au 29 mai 2015 selon M. [Z].
Les bulletins de salaire mentionnent quant à eux le nombre d'heures de travail accomplies et rejoignent le décompte calendaire de la société et les mentions des contrats de travail. Ainsi M. [Z] a été engagé selon contrat de travail à durée déterminée pour la période du 14 au 30 avril 2015 et il a accompli 91 heures de travail soit 13 jours. Il a été engagé selon contrat de travail à durée déterminée pour la période du 13 au 29 mai 2015 et a accompli 77 heures de travail soit 11 jours.
Le décompte de M. [Z] pour l'année 2015 ne peut donc être considéré comme probant.
Au regard des pièces produites par les parties et du décompte de la société dans ses écritures, il doit être retenu que M. [Z] a travaillé au profit de la société PSA automobiles dans le cadre d'un portage salarial de façon discontinue durant 894 jours entre les mois d'avril 2015 et juillet 2018, soit durant moins de 36 mois, de sorte que le portage salarial n'est pas irrégulier quant à sa durée.
Sur la période discontinue d'emploi
M. [Z] fait valoir, sans viser aucun texte, que la société Jam créations artistiques a renouvelé son contrat de travail à durée déterminée pendant près de 6 ans, soit au-delà de la durée maximale de 18 mois, ce qui doit entraîner la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, soulignant qu'il n'a que très peu travaillé pour d'autres sociétés que Stellantis Auto et contestant les calendriers de travail pris en compte par la société Jam créations entreprises. Il affirme avoir travaillé de manière continue de juillet 2012 à mai 2018, à l'exception de la période du 20 décembre 2016 au 26 mars 2017 durant laquelle il était en arrêt de maladie.
La société Jam créations artistiques répond qu'il n'est pas question du renouvellement d'un contrat à durée déterminée au delà d'un délai de 18 mois mais d'une succession de contrats à durée déterminée soumise aux dispositions relatives au délai de carence de l'article L. 1244-3 du code du travail, qui a été respecté.
L'article L. 1242-8 du code du travail, devenu L. 1242-8-1 à la suite de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit qu'en principe un contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder 18 mois compte tenu du ou de ses renouvellements.
En l'espèce, M. [Z] a conclu avec la société Jam créations artistiques, certes pendant 6 ans mais pour des périodes discontinues, des contrats de travail à durée déterminée de portage salarial, aucun d'entre eux n'ayant été renouvelé pour dépasser une durée totale de 18 mois.
Ainsi, les irrégularités prétendues par M. [Z] sont infondées à l'exception du seul fait que la société Jam créations artistiques n'a pas produit les contrats commerciaux conclus avec la société Stellantis auto. Ce seul fait ne permet cependant pas de requalifier les contrats de travail à durée déterminée de portage salarial en contrat de travail à durée indéterminée et de condamner la société Jam créations artistiques à indemniser M. [Z] au titre d'une rupture abusive du contrat de travail, in solidum avec la société Stellantis auto, étant souligné que la relation contractuelle entre M. [Z] et la société Jam créations artistiques a pris fin à l'échéance du dernier contrat de portage salarial.
M. [Z] sera en conséquence débouté de ses demandes en paiement d'une indemnité de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement et de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, par confirmation de la décision entreprise.
Sur le co-emploi
M. [Z] soutient dans ses conclusions que depuis juillet 2012 il était en situation de co-emploi avec les sociétés Jam créations artistiques et Stellantis Auto et demande la condamnation in solidum des deux sociétés.
Il ne développe cependant aucune argumentation à cet égard et, ainsi que le souligne la société Jam créations artistiques, il ne démontre pas qu'une situation de co-emploi est établie.
En effet, il existe une situation de co-emploi, soit lorsque, dans le cadre d'un même contrat de travail, le salarié est dans un lien de subordination juridique à l'égard de plusieurs employeurs, soit, hors état de subordination juridique, lorsqu'il existe entre une ou plusieurs sociétés faisant partie d'un groupe, à l'égard du personnel employé par une autre société de ce groupe, au-delà de la nécessaire coordination des activités économiques et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société dominée.
Or il n'a pas été retenu que M. [Z] se trouvait dans un lien de subordination juridique à l'égard de Stellantis Auto. Au surplus, il n'est ni invoqué ni démontré que les sociétés Stellantis Auto et Jam créations artistiques font partie du même groupe ou qu'il existe une immixtion de l'une dans la gestion économique et sociale de l'autre.
Sur les demandes de dommages et intérêts
Sur le travail dissimulé
M. [Z] soutient que la dissimulation d'emploi par la société Stellantis Auto est établie en ce qu'elle s'est soustraite intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche et à la délivrance de bulletins de paie, usant abusivement du recours aux contrats à durée déterminée intermittents et à des faux contrats de prestations de services ou de portage salarial pour lui faire occuper un emploi permanent, qu'elle n'a fait aucune déclaration aux organismes sociaux ou de retraite. Il soutient que la société Jam créations d'emploi a participé à la dissimulation d'emploi en violant les dispositions relatives au portage salarial, engageant sa responsabilité à son égard.
La société Jam créations artistiques répond que cette demande est fantaisiste dès lors qu'elle a établi des contrats de travail à durée déterminée et des bulletins de salaire.
Conformément à l'article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits de travail dissimulé prévus à l'article L. 8221-5 du code du travail a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Le travail dissimulé est le fait, pour tout employeur :
- soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche,
- soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paye, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli,
- soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales.
L'existence d'un contrat de travail entre M. [Z] et la société Stellantis Auto n'ayant pas été retenue et aucune intention de la société Jam créations artistiques de dissimuler le travail de M. [Z] n'étant démontrée, M. [Z] sera débouté de sa demande indemnitaire, par confirmation de la décision entreprise.
Sur l'exécution déloyale de la relation contractuelle
M. [Z] demande dans le dispositif de ses conclusions deux indemnisations de 20 000 euros pour exécution déloyale de la relation contractuelle, qui correspondent en fait à une seule demande de 20 000 euros commentée en pages 38 et 39 de ses écritures.
Il motive sa demande de condamnation in solidum par le fait que la société Stellantis Auto a mis en oeuvre un procédé consistant à lui promettre un contrat à durée indéterminée tout en lui demandant de poursuivre son activité par des sociétés créées par lui ou par le portage salarial et fait valoir que la société Jam créations artistiques n'a pas respecté les dispositions légales relatives au portage salarial. Il soutient qu'il aurait dû bénéficier du statut cadre alors que lors de l'entrée en vigueur de la convention collective du portage salarial du 22 mars 2017 il était senior et avait plus de 3 ans d'ancienneté dans l'activité portée.
La société Jam créations artistiques répond que la collaboration avec M. [Z] s'est déroulée de manière régulière.
Les contrats de portage salarial signés entre M. [Z] étaient réguliers, le seul fait que la société Jam créations artistiques ne produise pas le contrat commercial qu'elle aurait dû souscrire avec la société Stellantis Auto ne justifiant pas, faute de démonstration d'un préjudice, l'allocation de dommages et intérêts à M. [Z].
La convention collective de branche des salariés en portage salarial du 22 mars 2017, applicable depuis le 1er juillet 2017, prévoit en son chapitre VIII que 'Le salarié porté junior ' ayant moins de 3 ans d'ancienneté dans l'activité en portage salarial ' peut relever soit de la classification techniciens, agents de maîtrise ou assimilé, soit de la classification cadres.
Le salarié porté senior ' ayant au moins 3 ans d'ancienneté dans l'activité en portable (sic) salarial ' relève de la classification cadre.
Le salarié porté au forfait jour quelle que soit l'ancienneté dans l'activité en portage salarial relève de la classification cadre.'
M. [Z] n'invoque ni ne démontre un préjudice concret lié à son absence de classification dans la catégorie des cadres et notamment pas une perte de salaire.
Il sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts, par confirmation de la décision entreprise.
Sur les demandes accessoires
La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives à la remise des documents sociaux, aux dépens et frais irrépétibles.
M. [Z] succombant en ses prétentions, il sera condamné aux dépens d'appel et à payer aux sociétés Stellantis Auto et Jam créations entreprises une somme de 1 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande du même chef étant rejetée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Nanterre sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur les demandes de M. [Z] formées à l'encontre de la société Stellantis Auto,
Statuant de nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Déclare la juridiction prud'homale matériellement incompétente pour statuer sur les demandes formées par M. [K] [Z] à l'encontre de la société Stellantis Auto, au profit du tribunal de commerce de Nanterre,
Déboute la société Jam créations artistiques de sa demande de mise hors de cause,
Condamne M. [K] [Z] aux dépens d'appel,
Condamne M. [K] [Z] à payer à la société Stellantis Auto une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [K] [Z] à payer à la société Jam créations artistiques une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [K] [Z] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.