Cass. 2e civ., 2 mai 2024, n° 22-15.571
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
M. Cardini
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocat :
SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 14 avril 2022) et les productions, la société Tam Tam a assigné la société Daf Trucks NV (la société) en paiement de dommages et intérêts devant un tribunal de commerce.
2. L'affaire a été débattue, en application de l'article 871 du code de procédure civile, devant M. [K], juge chargé d'instruire l'affaire, et, par un jugement avant dire droit rendu le 18 mars 2022 en formation collégiale, le tribunal a débouté la société de sa demande de production de pièces et convoqué les parties, devant le juge chargé d'instruire l'affaire, à une audience ultérieure pour plaider l'instance sur le fond.
3. La société a sollicité, par requête du 1er avril 2022, la récusation de M. [K].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête en récusation et de rejeter sa demande de sursis à statuer, alors :
« 1°/ que manque au devoir d'impartialité le juge qui statue en des termes manifestant un parti pris défavorable à l'égard d'une des parties ; qu'en l'espèce, aux termes du jugement rendu le 18 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris, pour débouter la société Daf Trucks de sa demande de production de pièces par la société Tam Tam, a retenu « qu'au nombre des documents réclamés par la demanderesse figurent les factures matérialisant l'achat des camions de marque Daf par le Crédit-bailleur, afin sans doute de vérifier la réalité de la surfacturation invoquée par la demanderesse. A cela le tribunal ne peut que manifester son étonnement et inviter Daf à consulter ses propres livres afin d'y retrouver les factures de ses propres ventes plutôt que de s'adresser à la demanderesse ce qui apparaît pour le moins dilatoire dans le cas d'espèce » (p. 5, antépénultième §), et que « de surcroît, la défenderesse souhaite connaître le prix de revente des véhicules pour lesquels Tam Tam aurait, le cas échéant, levé l'option d'achat à l'échéance du contrat de crédit-bail (?) si cette demande a pour objectif de prouver un éventuel bénéfice réalisé par Tam Tam à la revente de l'un de ces véhicules, cela semble hautement improbable s'agissant de véhicules parcourant entre 120.000 km et 150.000 km par an. Au surplus, et quand bien même Tam Tam se serait séparé de certains véhicules dans de bonnes conditions, Daf Trucks N.V. ne serait pas pour autant exonérée de sa responsabilité d'avoir surfacturé les véhicules vendus comme tel était l'objectif du Cartel auquel le constructeur appartenait et que la Commission Européenne a sanctionné » ; que pour rejeter la demande de récusation formée par la société Daf Trucks, le délégataire du premier Président de la cour d'appel a retenu que la formulation critiquée de la motivation d'une décision collégiale ayant jugé, avant dire droit, un incident de communication de pièces plaidé devant un juge rapporteur, statuant uniquement sur l'utilité de la communication des dites pièces, ne renfermait pas « une conviction déjà forgée sur le fond de l'affaire », et qu'à cet égard, le jugement exposait à titre liminaire que « la Décision de la Commission Européenne constituant une preuve de l'existence des pratiques illicites en cause et les amendes infligées par elle ne [fait] pas obstacle à l'octroi de dommages et intérêts " suggérant ainsi que la question posée par la société Tam Tam n'est pas celle de la faute commise par la société Daf Trucks, mais la démonstration par la demanderesse de la matérialité de son préjudice et de l'appréciation de son montant par la juridiction » ; qu'en statuant de la sorte, quand les motifs adoptés par le jugement du 18 mai 2022 pour rejeter la demande de communication de pièces de la société Daf Trucks procédaient d'un renversement de la charge de la preuve de l'existence et du montant du préjudice allégué par la société Tam Tam, et renfermaient en outre, au regard des termes employés, un parti pris incompatible avec l'exigence d'impartialité, le délégataire du premier Président de la cour d'appel a violé les articles 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
2°/ que la circonstance qu'une décision de justice soit rendue par une formation collégiale ne saurait en elle-même faire échec à la demande de récusation pour défaut d'impartialité d'un des juges composant cette formation, dès lors qu'eu égard aux fonctions qu'il occupe, le demandeur à la récusation peut légitimement suspecter que ce juge a exercé une influence prépondérante sur la décision de justice dont les termes sont de nature à caractériser un manque d'impartialité au détriment d'une partie ; qu'en se bornant à retenir que si l'affaire avait été renvoyée au fond devant M. [K], juge rapporteur, rien n'interdisait à la société Daf Trucks de solliciter qu'il soit statué en formation collégiale, et que le jugement du 18 mars 2022 était « une décision collégiale ayant jugé, avant dire droit, un incident de communication de pièces plaidé devant un juge rapporteur, statuant uniquement sur l'utilité de la communication des dites pièces », sans rechercher, comme elle y était invitée, si les fonctions de juge chargé d'instruire l'affaire exercées par M. [K], devant lequel s'était tenue l'audience des plaidoiries et qui en avait rendu compte au tribunal dans son délibéré, n'étaient pas de nature à laisser penser que ce juge avait eu une influence prépondérante sur le sens du jugement du 18 mars 2022, et à faire naître dans l'esprit de la société Daf Trucks un doute légitime sur l'impartialité de ce juge, le délégataire du premier Président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 341 du code de procédure civile et L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 341 du code de procédure civile, sauf disposition particulière, la récusation d'un juge est admise pour les causes prévues par l'article L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire.
6. Ayant énoncé que la formulation critiquée de la motivation d'une décision collégiale qui a jugé, avant dire droit, un incident de communication de pièces plaidé devant un juge rapporteur, statuant uniquement sur l'utilité de la communication des pièces, ne renfermait pas une conviction déjà forgée sur le fond de l'affaire, que le jugement exposait que la décision de la Commission européenne ne faisait pas obstacle à l'octroi de dommages et intérêts, faisant ainsi apparaître que la question posée par la société Tam Tam n'était pas celle de la faute commise par la société Daf Trucks, mais la démonstration par la demanderesse de la matérialité de son préjudice et de l'appréciation de son montant par la juridiction, c'est sans encourir les griefs du moyen que la juridiction du premier président a statué comme elle l'a fait.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.