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Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-81.203

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. crim. n° 23-81.203

23 mai 2024

N° Q 23-81.203 F-D

N° 00557

ODVS
23 MAI 2024

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 MAI 2024

La société [2], partie intervenante, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-4, en date du 3 février 2023, qui a confirmé le jugement ayant rejeté sa requête en restitution de bien saisi et ordonné une confiscation.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [2], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 19 mars 2021, le juge d'instruction a ordonné, sur le fondement de l'article 131-21, alinéa 6, du code pénal, la saisie d'un immeuble appartenant à la société [2], situé [Adresse 1] à [Localité 3] (95), dont M. [S] [T] était le gérant.

3. Cet immeuble a été acquis au prix de 615 000 euros payés comptant, par acte notarié du 2 mars 2020, par la société [2], créée le 30 août 2019 par M. [T] et sa compagne, Mme [P] [L].

4. Le 15 mai 2020, M. [T] et Mme [L] ont cédé neuf cent quatre-vingt-dix-neuf parts sociales à la société [4], domiciliée au Royaume-Uni, et une part à M. [R] [E], nommé gérant.

5. L'information a notamment établi que la situation personnelle et professionnelle de M. [T] ne permettait pas de justifier le financement de l'immeuble.

6. Par jugement en date du 3 juin 2012, le tribunal correctionnel a notamment, d'une part, déclaré M. [T] coupable d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, blanchiment, l'a condamné à dix ans d'emprisonnement, 5 000 000 euros d'amende, une interdiction de séjour, des mesures de confiscation, d'autre part, déclaré Mme [L] coupable de blanchiment et non-justification de ressources et l'a condamnée à quatre ans d'emprisonnement avec sursis, et 150 000 euros d'amende et des mesures de confiscation.

7. Par jugement distinct du même jour, le tribunal correctionnel a rejeté la demande de restitution de l'immeuble formée par la société [2], tiers intervenant à la procédure, et en a ordonné la confiscation.

8. La société [2] a relevé appel de ce jugement.

Examen du moyen.

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant rejeté la demande de restitution de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 3] appartenant à la société [2], et ordonné la confiscation de cet immeuble, alors :

« 1°/ qu'il résulte des termes de l'article 131-21 du Code pénal que la confiscation, peine complémentaire encourue dans les cas prévus par la loi, ne peut être prononcée qu'à l'encontre des prévenus déclarés coupables ; que les juges du fond ne peuvent donc, en l'absence de prononcé de la confiscation d'un bien à l'encontre d'une personne condamnée pénalement, ordonner la confiscation du bien saisi à l'encontre du propriétaire de ce bien, tiers intervenant sollicitant sa restitution, sans qu'une décision ait été rendue à cet égard à l'encontre des personnes poursuivies à l'issue de la procédure au cours de laquelle ce bien a été saisi ; qu'en rejetant la demande de restitution présentée par la SCI [2] représentée par son gérant M. [R], en qualité de propriétaire tiers intervenant, et en ordonnant à son encontre la confiscation de l'immeuble saisi, lors même que cette confiscation n'a pas été prononcée en répression d'infraction dont un prévenu aurait été déclaré coupable, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°/ que la confiscation d'un bien, eût-il été l'instrument d'un trafic, ne peut être prononcée qu'à l'encontre d'une personne condamnée pénalement et suppose qu'il soit démontré que cette personne en est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, qu'elle en ait eu la libre disposition ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont refusé la restitution de l'immeuble saisi à la SCI [2] qui en est propriétaire et ont prononcé la confiscation de cet immeuble à l'égard de la SCI [2], représentée par son gérant, lesquels ne sont pas visés par les poursuites, sans préciser le fondement de leur décision qui ne pouvait intervenir, si les conditions en étaient réunies, qu'à titre de peine complémentaire à l'encontre d'une personne condamnée dans les cas prévus par la loi, ce que n'est pas la SCI [2] ; la cour d'appel a violé le texte précité ;

Réponse de la Cour

Vu l'article 131-21 du code pénal :

10. Il résulte de ce texte que la confiscation, peine complémentaire encourue dans les cas prévus par la loi, ne peut être prononcée que lorsque le prévenu est déclaré coupable.

11. Il s'ensuit que les juges ne peuvent ordonner la confiscation d'un bien saisi à l'encontre du propriétaire de ce bien, tiers intervenant sollicitant sa restitution, en l'absence de décision rendue à l'égard des personnes poursuivies à l'issue de la procédure au cours de laquelle le bien a été saisi.

12. En rejetant la demande de restitution présentée par la société [2], en qualité de propriétaire tiers intervenant, et en ordonnant à son encontre la confiscation d'un bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 3], alors que cette confiscation n'a pas été prononcée en répression d'infractions dont un prévenu a été déclaré coupable, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

13. La cassation est en conséquence encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième grief proposé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 3 février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.