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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 23 mai 2024, n° 20/07117

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Chastellares (SAS)

Défendeur :

Le Chastellares (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

Mme Vignon, Mme Martin

Avocats :

Me Franck De Vita, Me Alexandre De Vita, Me Elie Musacchia, Me Emmanuel Pardo

TJ Nice, du 1 juill. 2020, n° 15/00034

1 juillet 2020

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte notarié en date du 12 novembre 1987, M. et Mme [O], aux droits desquels se trouve Mme [W] [O], ont donné à bail commercial à la SAS Le Chastellares un local ayant pour destination contractuelle ' hôtel, restaurant, bar, salon de thé, plats à emporter ' à [Localité 3].

Ce bail a fait l'objet de différents avenants de renouvellement en date des 18 décembre 1996 et 20 février 2006, pour se terminer le 5 octobre 2014.

Selon exploit du 2 avril 2014, Mme [W] [O] a fait délivrer à la SAS Le Chastellares, un congé avec offre de renouvellement dudit bail entendant porter le montant du loyer annuel à la somme de 72.000 € HT.

Aux termes d'un acte extra-judiciaire du 7 octobre 2014, la SAS Le Chastellares déclarait accepter le principe du renouvellement mais contestait le montant du loyer proposé.

Par assignation en date du 22 octobre 2015, Mme [W] [O] a fait citer la SAS Le Chastellares devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice aux fins de voir fixer le loyer annuel du bail renouvelé à la somme de 72.000 € et modifier certaines clauses du bail originel.

Par jugement du 3 octobre 2018, le juge des loyers commerciaux a :

- constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement au 4 octobre 2014 du bail commercial afférent aux locaux ( lot 42), sis [Adresse 4], objets du bail commercial du 12 novembre 1983,

- ordonné une mesure d'expertise et désigné à cette fin Mme [L] [G], avec mission habituelle en pareille matière.

L'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 28 mai 2019.

Par jugement en date du 1er juillet 2020, le juge des loyers commerciaux près le tribunal judiciaire de Nice a :

- rejeté la demande nouvelle d'expertise et d'expertise complémentaire,

Vu les articles L 145-36 et R 145-10 du code de commerce,

Vu le rapport d'expertise de Mme [G] et les correctifs à y apporter,

- dit que les locaux, à usage exclusif d' ' hôtel, restaurant, bar, salon de thé, plats à emporter' sis [Adresse 4], sont monovalents,

- dit, en conséquence, que le prix du bail sur renouvellement de ces locaux n'est pas soumis à la règle du plafonnement de l'article L 145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative conformément aux dispositions de l'article R 145-10 du code de commerce,

- fixé la valeur locative de l'hôtel-restaurant-snack à l'enseigne ' Le Chastellares' sis à [Adresse 2], à la somme de 83.814 € par an, hors taxes et hors charges, à compter du 4 octobre 2014,

- dit que la locataire est tenue au paiement des intérêts au taux légal sur la différence entre l'ancien loyer et le nouveau loyer ainsi fixé, à compter de l'assignation du 22 octobre 2015, et au fur et à mesure des échéances contractuelles,

- ordonné l'exécution provisoire partielle de la présente décision à hauteur d'un loyer de 70.000 € par HT et HC, nonobstant appel et caution,

- rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formulée par la société Le Chastellares,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- fait masse des dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et dit qu'ils seront partagés pour moitié pour chacune des parties,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 699 du code de procédure civile et rejeté, par suite, la demande de distraction de dépens formulée au profit de Me Pardo.

Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :

- sur la monovalence :

* l'expert judiciaire a exclu la monovalence de l'hôtel Chastellares au motif que le restaurant et le snack étaient autonomes et pouvaient fonctionner indépendamment de l'hôtel,

* une telle appréciation est injustifiée, les locaux étant incontestablement monovalents, eu égard à la dépendance manifeste du restaurant par rapport à l'hôtel, à son absence d'autonomie tant au niveau de la configuration des lieux que de la clientèle, la faiblesse du chiffre d'affaires du restaurant hors demi-pension,

* seul le snack a une entrée indépendante de l'hôtel et du restaurant et s'adresse essentiellement à une clientèle distincte de celle de l'hôtel,

* toutefois compte tenu de la modicité de sa superficie ( 22 m²) et l'absence d'éléments chiffrés sur son chiffre d'affaires, ce snack, qui ne constitue qu'un élément très accessoire de l'hôtel-restaurant, ne saurait conférer à lui seul un caractère polyvalent à l'ensemble des locaux litigieux,

* la monovalence étant à elle seule un motif de déplafonnement du loyer sur renouvellement, il n'y a pas lieu de rechercher s'il y a eu ou non, au cours du bail expiré, une modification notable et favorable des caractéristiques des locaux et/ ou de la destination des lieux et/ou des facteurs locaux de commercialité de nature à justifier par ailleurs un tel déplafonnement,

- sur la valeur locative : de la partie hôtel ( hébergement) :

* l'expert a utilisé la méthode hôtelière qui consiste à déterminer la recette théorique annuelle de l'hôtel en fonction des prix affichés des chambres, corrigée par certains abattements (remise commerciale, taux d'occupation, taux d'effort),

* en l'espèce, à date du renouvellement du bail en octobre 2014, la méthode hôtelière traditionnelle doit trouver application, laquelle exclut la prise en compte des petits-déjeuners, de sorte que le calcul de l'expert doit être rectifié en faisant abstraction de la recette des petits déjeuners,

* le taux d'effort, déterminé en fonction du classement de l'hôtel, de sa situation et des normes habituellement admises pour des établissement comparables, doit être fixé à 16% et non 18% comme retenu par l'expert,

- sur la partie restaurant : eu égard à la monovalence des locaux et compte tenu de l'attestation de l'expert comptable selon laquelle la recette du restaurant, hors demi-pension, n'est que de l'ordre de 1,98% de la totalité du chiffre d'affaires, il n'y a pas lieu de prendre en compte la recette théorique du restaurant,

- sur le logement de l'exploitant :

* au cours du bail expiré, le locataire a créé pour loger son gérant, un appartement privé de 50m² par la suppression d'un espace télévision et d'une chambre,

* l'estimation de l'expert, à savoir une valeur locative de 6.720 € par an, doit être entérinée,

- sur la valeur locative du snack :

* ce snack, de plain pied sur la voie publique, est totalement indépendant de l'hôtel et s'adresse à une clientèle de passage,

* l'estimation de l'expert de la valeur locative par référence à la moyenne des prix pratiqués dans le voisinage pour les commerces est justifiée (6.600 € par an),

- sur la vétusté des locaux : la SAS Chastellares est mal fondée à solliciter l'application d'une minoration de la valeur locative pour mauvais entretien des lieux par la bailleresse, alors que le trouble subi dans son exploitation a été réparé par les condamnations ainsi prononcées, étant précisé de la baisse de fréquentation de l'hôtel et sa parte d'image n'est pas la conséquence exclusive de ce défaut d'entretien mais ressort surtout du caractère vieillot de l'établissement, du manque d'eau chaude, du mauvais accueil ou de la saleté des lieux,

- sur la baisse du chiffre d'affaires: une telle baisse ne saurait entrer en ligne de compte dans l'estimation de la valeur locative pour en justifier une minoration en ce que :

* le chiffre d'affaires ne fait pas partie des éléments à prendre en considération pour fixer la valeur locative,

* le bailleur n'est pas l'associé du locataire et le chiffre d'affaires résulte de divers facteurs.

Par déclaration en date du 29 juillet 2020, la société Le Chastellares a interjeté appel de ce jugement ( RG 20/7117).

Mme [W] [O] a également formalisé une déclaration d'appel le 1er octobre 2020 (RG 20/9389).

Par arrêt en date du 17 juin 2021, la cour de céans a :

- ordonné la jonction de la procédure n° RG 20/9389 avec la procédure n° RG 20/7117 sous laquelle elle se poursuivra,

- ordonné la rectification du jugement des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nice du 1er juillet 2020 en ce sens que dans le chapeau, le corps de la décision et le dispositif ,il convient de remplacer le terme ' la SARL Le Chastellares ' par le terme 'la SAS Le Chastellares '

- ordonné qu'il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de la décision en cause et des expéditions qui seront délivrées,

- laissé les dépens de la rectification à la charge de la SAS Le Chastellares,

- renvoyé le dossier au fond à la mise en état.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2023, la SAS Le Chastellares

demande à la cour de :

Vu l'article R145-10 du code de commerce

Vu les articles L.145'33 et L.145'34 du code de commerce,

Vu les articles R145-3, R145-4 et R145-8 du code de commerce,

- déclarer l'appel interjeté par la SAS Le Chastellares recevable et bien fondé.

- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé le montant du loyer renouvelé de la SAS Le Chastellares à compter du 4 octobre 2014, à la somme annuelle de 83.814 €, hors taxes et hors charges.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- déclarer qu'il n'existe aucune condition pour permettre le déplafonnement du loyer.

- fixer le loyer annuel en fonction de la variation indiciaire à la somme de 55.714 €.

A titre subsidiaire,

Si la juridiction devait considérer que les locaux ont un caractère monovalent.

- fixer la valeur locative en application de la méthode hôtelière applicable en retenant les

critères de calcul suivants :

* recette théorique HT: 1.184 213 €

* taux occupation: 40 %

* pourcentage loyer propriétaire en fonction de la catégorie: 18 %

* abattement pour remises commerciales: 20 %

* abattement pour caractéristiques physiques du bâtiment et vétusté: 10%.

- fixer en conséquence à la somme de 61.000 € H.T par an, hors taxes et hors charges, le loyer en principal dû par la SAS Le Chastellares à compter du renouvellement du bail, soit le 4 octobre 2014.

- fixer le renouvellement du bail de 3, 6, 9 années à compter de la même date, soit le 4 octobre 2014. A titre infiniment subsidiaire,

Si la juridiction devait considérer que les locaux ont un caractère polyvalent mais qu'il existe une modification notable,

- fixer la valeur locative en application de la méthode hôtelière applicable en retenant les

critères de calcul suivants :

* recette théorique HT: 1.184 213 €

* taux occupation: 40 %

* pourcentage loyer propriétaire en fonction de la catégorie: 18 %

* abattement pour remises commerciales: 20 %

* abattement pour caractéristiques physiques du bâtiment et vétusté: 10%.

* appartement de fonction: 6.670 €

- fixer en conséquence à la somme de 68.000 € H.T par an, hors taxes et hors charges, le loyer en principal dû par la SAS Le Chastellares à compter du renouvellement du bail, soit le 4 octobre 2014.

- fixer le renouvellement du bail de 3, 6, 9 années à compter de la même date, soit le 4 octobre 2014. En tout état de cause,

- condamner Mme [O] à payer à la SAS Le Chastellares la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Mme [W] [O], suivant ses dernières conclusions notifiées et déposées par RPVA le 16 octobre 2023, demande à la cour de :

Vu l'article R145-10 du code de commerce

Vu les articles L.145'33 et L.145'34 du code de commerce,

Vu les articles R145-3, R145-4 et R145-8,

- recevoir l'appel de Mme [O],

- le déclarer fondé,

- déclarer non fondé l'appel de la SAS Le Chastellares,

En conséquence, réformer partiellement le jugement rendu en date du 1er juillet 2020 par le Tribunal judiciaire de Nice,

A titre liminaire,

- réformer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux le 1er juillet 2020, en ce qu'il a dit et jugé que le preneur, partie requise était la SARL Le Chastellares en lieu et place de la SAS Le Chastellares,

- rectifier l'erreur, et à cette fin et dire que l'arrêt à intervenir sera rendu à l'encontre de la SAS Le Chastellares.

- confirmer le jugement en date du 1er juillet 2020 en ce qu'il a :

* rejeté la demande de nouvelle expertise et d'expertise complémentaire,

* dit que les locaux litigieux, à usage exclusif d'' hôtel-restaurant-bar-salon de thé, plat à emporter' sis [Adresse 4] (06) sont monovalents,

* dit, en conséquence, que le prix du bail sur renouvellement de ces locaux n'est pas soumis à la règle du plafonnement de l'article L145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative, conformément aux dispositions de l'article R 145-10 du code de commerce.

* dit que la locataire sera tenue au paiement des intérêts au taux légal sur la différence entre l'ancien loyer et le nouveau loyer ainsi fixé, à compter de l'assignation du 22 octobre 2015, et au fur et à mesure des échéances contractuelles,

* rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formulées par la SAS Le Chastellares,

En conséquence :

- rejeter la demande de nouvelle expertise et d'expertise complémentaire,

- juger que les locaux litigieux, à usage exclusif d'' hôtel-restaurant-bar, salon de thé, plats à emporter', sis [Adresse 4] (06), sont monovalents.

- juger, en conséquence, que le prix du bail sur renouvellement de ces locaux n'est pas soumis à la règle du plafonnement de l'article L145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative, conformément aux dispositions de l'article R 145-10 du code de commerce.

- juger que la locataire sera tenue au paiement des intérêts au taux légal sur la différence entre l'ancien loyer et le nouveau loyer ainsi fixé, à compter de l'assignation du 22 octobre 2015, et au fur et à mesure des échéances contractuelles,

- rejeter la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formulées par la SAS Le Chastellares,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* fixé la valeur locative à la somme de 83.814 € par an, hors taxes et hors charges, à compter du 4 octobre 2014,

* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

* fait masse des dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et dit qu'ils seront supportés pour moitié par chacune des parties,

Et statuant à nouveau,

- fixer la valeur locative de l'hôtel-restaurant-snack à l'enseigne Le Chastellares, sis à Auron (06) à la somme de 125.803 € par an, hors taxes et hors charges, à compter du 4 octobre 2014,

- condamner la SAS Le Chastellares au paiement de la somme de 8.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Le Chastellares aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise, distraits au profit de Me [P] [B], sous sa due affirmation.

A titre subsidiaire, si la cour décidait du caractère polyvalent des lieux loués,

- juger que les éléments mentionnés aux 1º à 4º de l' article L.145-33 (art. L 145-34 du code du commerce), à savoir, les caractéristiques du local, la destination des lieux et les facteurs locaux de commercialités, ont fait l'objet d'une modification notable.

- juger, en conséquence, que le prix du bail sur renouvellement de ces locaux n'est pas soumis à la règle du plafonnement de l'article L 145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative.

- fixer la valeur locative de l'hôtel-restaurant-snack à l'enseigne Le Chastellares, sis à Auron (06) à la somme de 125.803 € par an, hors taxes et hors charges, à compter du 4 octobre 2014 avec intérêts au taux légal sur l'arriéré, à compter de la date de l'assignation en fixation du loyer soit le 22 octobre 2015.

A titre, encore plus subsidiaire, si la cour considérait qu'il n'y a pas lieu de déplafonner le loyer et décidait du plafonnement du loyer,

- fixer le loyer sur renouvellement en fonction de la variation indiciaire, soit au 5 octobre 2014, à la somme de 55.714 €.

- condamner la SAS Le Chastellares au paiement de la somme de 8.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise, distraits au profit de Me [P] [B], sous sa due affirmation.

En tout état de cause,

- débouter la SAS Le Chastellares de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 31 octobre 2023.

MOTIFS

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que par arrêt du 17 juin 2021, cette cour a ordonné la rectification du jugement entrepris en ce qu'il convient de remplacer le terme ' SARL Le Chastellares' par le terme ' SAS Le Chastellares' et a ordonné qu'il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de la décision en cause, de sorte que les demandes formulées à ce titre par l'intimée, aux termes de ses dernières conclusions d'appel, sont sans objet.

Par ailleurs, devant la cour, aucune des parties ne discute les dispositions du jugement querellé ayant rejeté la demande nouvelle d'expertise et d'expertise complémentaire. Celles-ci seront ainsi purement et simplement confirmées.

Sur la monovalence des locaux loués

La SAS Le Chastellares sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu que les locaux, objets du bail, sont monovalents alors que l'expert judiciaire a précisément exclu une telle monovalence au motif que le restaurant et le snack sont autonomes et peuvent fonctionner indépendamment de l'hôtel. Elle souligne qu'en l'espèce, les locaux ne sont pas aménagés de manière à constituer une exploitation unique concernant une même clientèle, comme l'atteste la présence du snack qui a une activité économique distincte de celle de l'hôtel-restaurant.

Mme [O], pour sa part, soutient que les locaux litigieux sont monovalents, que l'expert a commis une erreur d'appréciation des faits en considérant que le snack faisait perdre au lieu son caractère monovalent, s'agissant d'un élément très accessoire de l'hôtel. Elle ajoute que la dépendance manifeste du restaurant par rapport à l'hôtel est incontestable, tant au niveau de la configuration des lieux que de la clientèle.

En vertu de l'article R 145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L 145-33 et R 145-3 et suivants, être déterminé suivants les usages observés dans la branche de l'activité considérée.

En application de ce texte, le prix du bail des locaux dits 'monovalents' ou' spécialisés' est exclu de la règle du plafonnement.

Le caractère de monovalence implique que les locaux aient été construits ou aménagés en vue d'un seul type d'exploitation et qu'ils ne puissent être affectés à une autre activité sans des travaux importants et coûteux.

S'agissant de locaux destinés tant à une activité d'hôtellerie que de restaurant- café- bar, il y a lieu de retenir la monovalence des locaux, lorsque le preneur ne rapporte pas la preuve du caractère autonome des activités et de l'absence de confusion des clientèles, le fait que des locaux soient à destination multiple n'exclut pas en soi la monovalence.

En l'espèce, il ressort de la description des locaux effectuée par l'expert accompagnée de clichés photographiques que

- l'hôtel et le restaurant ont une seule et même entrée commune, située au rez-de-chaussée,

- les surfaces occupées par le restaurant et l'hôtel sont communicantes, le restaurant n'étant séparé de la partie bar/ salon de l'hôtel que par un piano,

- le restaurant, au regard des constatations de l'expert, n'a pas de toilettes distinctes de celles de l'hôtel.

De surcroît, il apparaît que l'activité de restauration est essentiellement réalisée avec les clients de l'activité d'hôtellerie et que le chiffre d'affaires de la restauration, hors demi-pension, s'est élevé pour l'année du renouvellement ( 2014) à 1,98 % du chiffre d'affaires total du fonds de commerce, soit une part particulièrement minime.

Comme l'a retenu de manière exacte le premier juge, la dépendance du restaurant par rapport à l'hôtel est incontestable, compte tenu de l'absence d'autonomie de cette activité tant au niveau de la configuration des lieux que de la clientèle ainsi que la faiblesse du chiffre d'affaires du restaurant, hors demi-pension. Le restaurant n'a donc pas, pour l'essentiel, de clientèle distincte de celle de l'hôtel et constitue de fait un service de l'hôtel qui pratique la demi-pension ce que reconnaît d'ailleurs l'appelante dans ses écritures devant la cour, lorsqu'elle sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération la recette théorique du restaurant 'qui n'a pas d'entrée distincte de l'hôtel, dont la clientèle est essentiellement celle de l'hôtel, et dont l'activité, complémentaire et dépendante de celle de l'hôtel, ne peut donc être considérée comme économiquement autonome' .

Quant au snack, dont il n'est pas contesté qu'il a été créé à l'emplacement d'une chambre supprimée, il est établi que celui-ci a une entrée indépendante de l'hôtel et du restaurant, ouvrant de plain pied sur la voie publique et, a une clientèle qui, majoritairement, est distincte de celle de l'hôtel-restaurant.

Il doit, toutefois, être relevé que ce snack dispose d'une superficie très modique ( 22 m²) et qu'aucun élément concernant son chiffre d'affaires n'est communiqué. Ledit snack constitue ainsi un élément très accessoire de l'hôtel-restaurant et ne saurait à lui seul conférer un caractère polyvalent à l'ensemble des locaux, objets du bail litigieux.

Compte tenu du caractère monovalent des locaux, le prix du loyer renouvelé n'est pas soumis à la règle du plafonnement édictée à l'article L 145-34 du code de commerce et doit être fixé, conformément à l'article R 145-10, à la valeur locative. Il n'y a donc pas lieu de rechercher s'il y a eu ou non, au cours du bail expiré, une modification notable et favorable des caractéristiques des locaux, de la destination des lieux ou encore des facteurs locaux de commercialité, qui constituent également des motifs de déplafonnement du prix du bail renouvelé.

Sur le calcul de la valeur locative

A l'issue de ses investigations, Mme [G], qui a exclu la polyvalence des locaux mais a retenu l'existence de modifications notables portant à la fois sur la destination des lieux et sur les facteurs locaux de commercialité, a estimé la valeur locative des locaux à la somme de 125.803 €, hors charges et hors taxes, se décomposant comme suit :

- valeur locative hébergement selon la méthode hôtelière: 87.672 €,

- valeur locative bar-restauration: 24.811€,

- valeur locative snack: 6.600 €,

- valeur locative de l'appartement du gérant: 6.720 €.

La bailleresse sollicite la fixation du loyer conformément à cette proposition de l'expert. La SAS Le Chatellares conteste, pour sa part, une telle évaluation au regard d'une part, de l'augmentation vertigineuse du prix du bail correspondant à un triplement du loyer en cours et d'autre part, du fait que le calcul n'a pas été réalisé conformément aux dispositions légales et à la jurisprudence applicable.

Sur la valeur locative de la partie hébergement

L'expert (page 56) a utilisé la méthode dite hôtelière qui, selon les usages de la profession, consiste à déterminer la recette théorique annuelle de l'hôtel à partir des prix affichés des chambres ( hors recettes), corrigée par la prise en compte des rabais moyens consentis pour des groupes ou des sites internet sur réservation, avec application d'un coefficient de fréquentation normatif ( pour la situation et la catégorie) et à lui appliquer un pourcentage sur recettes ou taux d'effort, variable selon la catégorie d'hôtel, afin de tenir compte des charges d'exploitation de l'hôtel, de la qualité de l'immeuble et de sa situation.

L'expert a retenu une recette théorique annuelle d'hébergement de 1.071.209 € HT sur la base de :

- 34 chambres, différenciées et décrites séparément dans son rapport, photographies à l'appui,

- des prix pratiqués par l'hôtel en 2013/2014, selon le type de chambre ( double, simple, triple, avec balcon ou terrasse et vue piste ou village) et en fonction de la saison.

Ont été ajoutées les recettes annexes, à savoir les petits-déjeuners, calculées selon une capacité d'accueil de 86 personnes, pour un prix du petit-déjeuner en 2014 de 9 € avec un abattement de 50% pour tenir compte du fait que tous les clients ne prennent pas leurs petits-déjeuners à l'hôtel, à savoir une recette théorique annuelle des petits-déjeuners de 113.004 € HT.

La recette théorique annuelle totale (hébergement et petits-déjeuners) s'établit selon l'expert à la somme de 1.184.213 € HT.

Il ne peut être reproché à Mme [G] d'avoir utilisé la méthode hôtelière pour évaluer le montant du loyer, alors qu'une telle méthode s'imposait à elle. Enfin, contrairement à ce que prétend à la SAS Le Chastellares, l'expert a parfaitement pris en compte la particularité des chambres et des saisons pour faire fluctuer les prix.

L'estimation de la recette théorique annuelle de l'hébergement ainsi qu'il en ressort du rapport d'expertise judiciaire est conforme aux règles de calcul applicables en la matière.

Mme [O] fait cependant grief au premier juge d'avoir considéré qu'il ne devait pas être tenu compte de la recette théorique des petits- déjeuners.

Or, comme l'a exposé à juste titre le premier juge, dans le cadre de la méthode hôtelière traditionnelle, les recette annexes, tels les petits-déjeuners ( ou les parkings), étaient exclus du calcul de la recette théorique totale, en ce que par définition, les petits-déjeuners ne constituent pas des recettes d'hébergement.

La nouvelle méthode hôtelière a été publiée en 2016 qui consiste à calculer 'une recette globale praticable' et n'était pas applicable en 2014.

La recette théorique annuelle de l'hébergement qui doit être retenue s'élève donc à la somme de 1.071.209 € HT, après déduction de la recette théorique des petits- déjeuners.

S'agissant du pourcentage sur recettes ou du taux d'effort, celui-ci est déterminé en fonction du classement de l'hôtel, de sa situation, et des normes habituellement admises pour des établissements comparables, étant précisé que plus la catégorie est élevée, plus le taux sur recette est faible.

L'expert a indiqué que pour les hôtels 2 étoiles, ce qui est le cas de l'hôtel Le Chastellares, le pourcentage varie entre 16 et 18% et qu'il est retenu un taux de 18% en l'espèce pour l'excellent emplacement de l'hôtel.

Le premier juge a, de son côté, fait application d'un taux de 16%.

Dans le cadre de la méthode hôtelière traditionnelle, le taux d'effort usuellement pratiqué pour un établissement de deux étoiles se situe entre 14 et 16%, même si désormais, il oscille entre 18 et 21%.

En conséquence, le taux d'effort ne saurait donc excéder 16% et non 18% comme indiqué par l'expert.

Il ressort par ailleurs des constatations de Mme [G] que :

- l'abattement pour remise commerciale est compris entre 5 et 15% pour tenir compte des ristournes consenties par l'hôtel dans le cadre des réservations internet et que dans ces conditions, il y a lieu de retenir un pourcentage moyen de 10% et non 20% comme réclamé par l'appelante, qui n'est justifié par aucune pièce,

- selon les statistiques fournis par le Comité Régional du Tourisme( CRT) Côte d'Azur, en 2013-2014, le taux de fréquentation hôtelière homologué de la zone métropole montagne dont fait partie [Localité 5] est de 41,1 % pour tous les hôtels et 45,7% pour les hôtels classés dont l'hôtel Le Chastellares classé 2 étoiles. Un taux d'occupation de 45,7% doit donc être appliqué.

En conséquence, le jugement entrepris en ce qu'il a fixé la valeur locative de l'hôtel

(hébergement) à la somme de 70.494 € HT ( au lieu de 87.672 € retenu par l'expert) ainsi calculée :

- recette théorique annuelle: 1.071, 209 € HT,

- abattement 10% pour remise commerciale: 1.071.209 - 10% = 964.088 €

- taux moyen d'occupation: 45,7%, soit 964.088 € x 45,7= 440.588 €,

- taux d'effort de 16%: 440.588 € x 16% = 70.494 €,

sera confirmé.

Sur la partie restaurant

L'expert, considérant que les locaux étaient polyvalents, a retenu pour la partie restaurant, une valeur locative de 24.811 € en fonction de la valeur moyenne des prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Or, compte tenu de la monovalence des locaux avec pour conséquence que le restaurant fait partie intégrante de l'hôtel et dont la recette hors demi-pension représente 1,98% de la totalité du chiffre d'affaires, il n'y a pas lieu de prendre en compte, dans le cadre de la méthode traditionnelle hôtelière la recette théorique du restaurant, dont l'activité complémentaire et dépendante de l'hôtel, ne peut être considérée comme économiquement autonome.

Sur la valeur locative du snack

Au regard des constatations de l'expert ( page 24), le snack possède une entrée indépendante ainsi que son propre équipement, ce qui le rend économiquement autonome de la structure hôtelière comme étant dépourvu de toute possibilité d'accès depuis l'intérieur. Ce snack ouvre de plain pied sur la voie publique et s'adresse à une clientèle passagère distincte de celle de l'hôtel.

L'expert judiciaire a donc évalué, de manière parfaitement justifiée, la valeur locative de ce local de 22 m² par comparaison avec les prix pratiqués dans le voisinage pour les commerces ( prix retenu de 282 € / m²/ an) avec une augmentation de 6,50 % pour non proportionnalité de la surface considérée avec les surfaces de comparaison ( supérieures), soit une valeur unitaire de 300 € par m², à savoir un total de 6.600 € par an ( 300 x22).

Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que selon contrat du 18 mars 2007, la société Le Chastellares a consenti un bail à la société La Bergerie de décembre 2006 à avril 2007 pour un loyer mensuel de 600 € , soit une valeur locative ressortant à 327 € le m² contre une valeur de 300 € validée par l'expert.

La valeur locative du snack sera ainsi arrêtée à 6.600 €.

Sur la valeur locative de l'appartement ( logement de l'exploitant)

Conformément à l'article R 145-4 alinéa 2 du code de commerce, lorsque les lieux loués comportent une partie affectée à l'habitation, la valeur locative de celle-ci est déterminée par comparaison avec les prix pratiqués pour des locaux d'habitation analogues faisant l'objet d'une location nouvelle, majorés ou minorés, pour tenir compte des avantages ou des inconvénients présentés par leur intégration dans un tout commercial.

Au cours de son accédit, l'expert judiciaire a pu constater que deux pièces de l'hôtel (salle TV et une chambre) ont été transformées, au cours du bail expiré en partie privative (logement du gérant) d'une surface de 50m².

L'expert a estimé la valeur locative de cet appartement à partir du prix moyen des locations d'appartements du même type dans le voisinage, dont il ressort une valeur moyenne de 700 €. Il a enfin appliqué un abattement de 20 % pour tenir compte de la spécificité de l'accès à cet appartement, uniquement par l'hôtel, soit une valeur mensuelle ramenée à 560 € (6.720 € par mois). Ce montant sera également retenu.

Sur l'abattement pour caractéristiques physiques du bâtiment et vétusté

La SAS Le Chastellarese réclame, à ce titre, un abattement de 10%, reprochant à l'expert et au premier juge de ne pas avoir tenu compte de l'état de vétusté avancé de l'hôtel, qui est imputable à l'inexécution par la bailleresse des travaux lui incombant.

La visite des lieux effectuée par Mme [G] lui a permis de constater que l'hôtel est correctement entretenu, ce que corroborent les clichés photographiques qui ont été pris. L'expert a, par ailleurs, exposé que l'hôtel est classé 2 étoiles, ce qui correspond à un niveau de confort et de qualité, que si tel n'avait pas été le cas, l'hôtel aurait perdu ses étoiles, alors qu'il est avéré qu'auc cours du bail expiré l'hôtel a conservé un tel niveau.

Il est également indiqué que les chambres disposent d'une terrasse ou d'un balcon avec vue sur les pistes ou le village, placard, télévision, coffre-fort et les salles de bains sont équipés soit d'une douche, soit d'une baignoire avec lavabo, bidet et WC (à l'exception de deux chambres), description qui révèle un confort certain.

Si effectivement deux procédures ont opposé la société appelante à sa bailleresse et au syndicat des copropriétaires de l'immeuble pour défaut d'entretien et trouble de jouissance, il convient de relever que :

- le trouble subi par la SAS Le Chastellares dans son exploitation, a déjà été réparé par les condamnations prononcées, de sorte que celle-ci ne peut réclamer une diminution du loyer au titre d'un préjudice qui a été déjà été réparé,

- la cour de céans, dans son arrêt du 3 octobre 2019 a rabaissé le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges en notant que ' La baisse de fréquentation de l'hôtel et sa perte d'image ne sont pas la conséquence exclusive de ce défaut d'entretien. Ainsi, il ressort des multiples attestations de clients de l'hôtel que les critiques portent bien davantage sur le caractère vieillot de l'hôtel, le manque d'eau chaude, le mauvais accueil ou la saleté les lieux (...)'

L'abattement supplémentaire de 10% sollicité par la société appelante ne sera pas accueilli.

Enfin, il y a lieu de rappeler que la baisse du chiffre d'affaire alléguée n'a pas à entrer en ligne de compte dans l'estimation de la valeur locative en ce que le chiffre d'affaire ne fait pas partie des éléments à prendre en considération tels que visés par le code de commerce pour fixer la valeur locative.

Par conséquent, la valeur locative, au 4 octobre 2014, de l'établissement Le Chastelleres, doit être arrêtée à la somme de 83.814 € par an hors taxe et hors charges :

- valeur locative de l'hôtel restaurant: 7.494 €

- valeur locative du snack: 6.600 €

- valeur locative de l'appartement du gérant: 6.720 €.

En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du juge des loyers commerciaux de Nice déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Le Chastellares à payer à Mme [W] [O] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Condamne la SAS Le Chastellares aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.