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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 23 mai 2024, n° 21/15961

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Medtronic France (SAS), CPAM du Var (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Noel

Conseillers :

Mme Toulouse, M. Baïssus

Avocats :

Me Magnan, Me Dumont-Scognamiglio, Me Saraga-Brossat, Me Bandon Tourret, Me Milano

CA Aix-en-Provence n° 21/15961

22 mai 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 10 janvier 1994, Mme [G] [B] est tombée sur la fesse droite. Elle a présenté des douleurs importantes au membre inférieur droit.

À compter de 1997, elle a été suivie au centre antidouleur du CHU de [Localité 9].

Le diagnostic d'instabilité vertébrale a été posé et des arthrodèses (scellement de vertèbres entre elles ) ont été pratiquées. Le matériel posé a été retiré en 2001.

Mme [B] a continué à présenter des douleurs importantes et a consulté le Pr. [W] neurochirurgien, exerçant au CHU de [Localité 9] qui lui a proposé l'implantation d'électrodes antidouleur.

Après la pose d'un stimulateur externe épidural à visée antalgique en test, le 1er avril 2004, le Pr. [W] a posé sur la patiente un stimulateur définitif ITREL 3 fabriqué par la société Médtronic France, appareil composé d'un boîtier, d'une sonde et d'un fil de liaison.

Au cours du mois d'août 2004, Mme [B] a ressenti une modification par saccades des effets bénéfiques du neurone stimulateur jusqu'à ce qu'il cesse de fonctionner entraînant le retour des douleurs.

Le 2 septembre 2004, elle a été à nouveau hospitalisée pour remplacer la sonde QUAD, par une sonde neuve de même type, au motif d'électrodes défectueuses, repérant une zone fracturée de la sonde.

La patiente dénonçant la réapparition brutale de douleurs, le 28 septembre 2004, le neurochirurgien a remplacé la sonde QUAD par une sonde RESUME, fabriquée par la même société.

Les suites opératoires ont été bonnes, jusqu'à mars 2005 où les douleurs sciatiques droites ont réapparu. Le Pr. [W] a pratiqué un nouveau réglage du stimulateur.

Après un soulagement, les douleurs neuropathiques et la sciatalgie gauche ont repris.

Le 16 janvier 2007, le neurochirurgien a remplacé la sonde RESUME, par une sonde

SYMMIX, fabriquée par la même société.

Deux jours après l'opération, Mme [B], dénonçant un dysfonctionnement du neurostimulateur, a été de nouveau hospitalisée pour changer la pile du dispositif.

Le 14 juin 2007, le neurochirurgien a posé un nouveau fil de liaison et un nouveau capuchon d'étanchéité sur le dispositif.

Le 21 novembre 2008, le Pr. [W], notant que suite à une grande consommation électrique, la pile s'était vidée, a remplacé la sonde SYMMIX par une neuve et a posé une nouvelle pile de type RESTOR, fabriquée la société Médtronic.

En janvier 2009, il a été prescrit à Mme [B] un traitement médicamenteux antidouleur et anti-inflammatoire.

Alors qu'elle avait été le 19 décembre 2006, reconnue travailleur handicapé, à partir du 05 octobre 2005. la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a fixé son taux d'incapacité entre 50 et 79 %.

Mme [B] a fait l'objet d'un licenciement économique le 4 août 2009.

Le 16 février 2009, la société Médtronic, saisie par Mme [B], a organisé une expertise amiable confiée au docteur [C] [O], expert auprès de la cour d'appel de Lyon qui dans son rapport du 4 janvier 2010, a conclu à l'absence de préjudice en lien avec une défectuosité du matériel.

Insatisfaite de cette conclusion Mme [B] a saisi le juge des référés qui par ordonnance du 27 juillet 2010, a ordonné une expertise confiée au docteur [Z] [N], neurochirurgien.

Mme [B] a alors décidé de consulter le docteur [F] [J], spécialiste en algologie anesthésie-réanimation exerçant au centre de la douleur de l'adulte et de l'enfant au CHU de [Localité 8], qui le 13 septembre 2010, lui a posé une deuxième électrode de stimulation OCTADE Médtronic en complément de la sonde SYMMIX déjà installée.

Dans son rapport déposé le 28 février 2011, l'expert [N] a conclu que :

- les interventions pratiquées les 9 mars 2004, 1er avril 2004, 2 septembre 2004, 16 janvier 2007, 19 janvier 2007 et 14 juin 2007 et les soins prodigués avaient été consciencieux, diligents, attentifs et conformes aux données acquises de la science médicale et exempts de faute,

- le matériel implanté l'avait été conformément aux prescriptions du fabricant,

- les lésions constatées n'étaient en aucun cas en rapport avec le dysfonctionnement ou une défectuosité du matériel implanté, mais étaient les conséquences des quatre interventions sur le rachis réalisées entre 1997 et 2001,

- les récidives douloureuses dont avait souffert Mme [B] relevaient exclusivement

d'un aléa thérapeutique. Le matériel, fragile,et imparfait était en lui-même source d'un certain nombre de dysfonctionnements, bien connu de toutes les équipes et bien expliqués aux patients qui devaient accepter cette part d'aléa thérapeutique,

- la date de consolidation pouvait être estimée au 30 septembre 2010, après la dernière

intervention.

Le 5 mai 2011, Mme [B] a saisi la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation des actes médicaux Provence Côte d'azur (CCI), d'une demande d'indemnisation mettant en cause le CHU de [Localité 9] et la société Médtronic France.

Le président de la commission a désigné le Professeur [R] [H] en qualité d'expert qui a rendu son rapport le 29 septembre 2011.

Par décision du 16 février 2012, la CCI a rejeté la demande d'indemnisation de Mme [G] [B] et a retenu une causalité directe et certaine de ses préjudices avec son état de santé antérieur, et a considéré que les douleurs alléguées n'avaient pas été provoquées par les interventions chirurgicales réalisées à compter du 9 mars 2004 au CHU de [Localité 9], et enfin que pour elle, Mme [B] avait présenté une évolution prévisible de sa pathologie antérieure associée à un échec thérapeutique des stimulations par électrodes antidouleur tentées.

Mme [B] a alors assigné le CHU de [Localité 9] devant le tribunal administratif de Nice pour obtenir réparation des préjudices consécutifs aux interventions réalisées entre 2004 et 2008, lequel par jugement du 21 mars 2014, a rejeté sa demande.

Par arrêt du 19 septembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille :

- a annulé le jugement du tribunal administratif de Nice,

- a condamné le CHU de [Localité 9] à payer à Mme [B] la somme de 10 500 euros, en réparation de ses préjudices extra patrimoniaux (déficit fonctionnel temporaire, perte de

chance d'obtenir une amélioration de son état de santé initial, préjudice esthétique).

- a rejeté les demandes au titre des préjudices patrimoniaux, du préjudice d'agrément et dupréjudice d'établissement.

Enfin, par acte du 20 juillet 2017, Mme [G] [B] a assigné la société Médtronic France devant le tribunal de grande instance de Nice aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice corporel.

Mme [B] a ainsi introduit une action judiciaire afin d'engager la responsabilité de la société Medtronic, notamment sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par acte du 24 juillet 2018, elle a appelé en la cause la Caisse primaire d'assurance maladie de Alpes-Maritimes (CPAM), en lui dénonçant l'assignation à l'encontre de la société Médtronic.

Par ordonnance du 3 décembre 2018, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances.

Par jugement du 14 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nice a :

- débouté [G] [B] de son action en responsabilité à l'encontre de la société Médtronic France,

- déclaré la présente décision commune et opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de civile,

-condamné [G] [B] aux entiers dépens de l'instance qui seront distraits au

profit de maître Alexandre Zago, Avocat.

Par déclaration au greffe du 12 novembre 2021, Mme [B] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

La clôture de l'instruction est en date du 30 janvier 2024.

EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 25 septembre 2023, Mme [B] demande à la cour de :

-réformer le jugement déféré en ce qu'il :

' l'a déboutée de son action en responsabilité à l'encontre de la société Médtronic France,

' dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

' l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Et par l'effet dévolutif de l'appel, statuant à nouveau,

*à titre principal,

- constater le défaut de sécurité auquel la requérante pouvait légitimement s'attendre du dispositif médical de la société Médtronic tenant à la multiplicité anormale des dysfonctionnements et incidents survenus entre 2004 et 2008, ;

- juger que le défaut de sécurité s'infère également du manquement de la société Médtronic à son obligation d'information, ;

- juger que la Société Médtronic engage sa responsabilité au titre de son produit défectueux sur le fondement des articles 1386-1 et suivants anciens du code civil (actuels articles 1245 et suivants du code civil) ;

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Médtronic,

*à titre subsidiaire,

- juger que la société Médtronic a manqué à son obligation de sécurité de résultat, et doit donc engager sa responsabilité délictuelle ;

En tout état de cause,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Médtronic,

- condamner société Médtronic à lui verser la somme de 300 307,22 euros, décomposée comme suit :

perte de salaire : 32 081euros

préjudice professionnel : 112 528,32 euros

perte des droits à la retraite : 30 000 euros

incidence professionnelle : 50 000 euros

déficit fonctionnel permanent: 19 198, 90 euros

souffrances endurées 5/7 : 40 000 euros

préjudice esthétique 2/7 : 10 000 euros

préjudice d'agrément : 7000 euros

préjudice d'établissement : 10 000 euros

indemnisation partielle à déduire : 10 500 euros

- condamner tout succombant à lui verser 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de maître Joseph Magnan, avocat.

Elle fait valoir essentiellement que :

- les dysfonctionnements successifs du neurostimulateur sont à l'origine de 7 interventions chirurgicales entre 2004 et 2008 et démontre que celui-ci n'a pas présenté la sécurité attendue dans des conditions normales d'utilisation ;

- la multitude anormale des dysfonctionnements a entraîné une multitude anormale de gestes chirurgicaux invasifs disqualifiant la sécurité normale à laquelle le patient peut s'attendre;

- l'arrêt récent de la CJUE en date du 05 mars 2015 (n°C-503/13) a précisé l'interprétation à retenir du défaut de sécurité en matière de stimulateur ou défibrillateur automatique ;

- depuis la prise en charge par le dr [J] au CHU de [Localité 8] avec la pose d'un autre neurostimulateur en novembre 2010, la situation est rentrée dans l'ordre, ce qui démontre que la défaillance des neurostimulateurs précédemment posés ;

- sa défectuosité se déduit de l'inversion de la balance bénéfice/ risque car il ne l'a jamais soulagée de ses douleurs ; la seule mention des risques sur la notice d'utilisation ne suffit pas à exonérer le fabricant d'avoir mis en circulation un produit dont le bilan bénéfices/risques pour le patient est défavorable ;

- le seul constat du défaut potentiel d'un appareil médical suffit à justifier la qualification de défectueux tous les produits du même modèle, sans qu'il soit besoin de démontrer le défaut du produit dans chaque cas ;

- elle n'a pas été informée correctement des risques de dysfonctionnements à répétition qui sont énoncés dans la notice du dispositif; elle ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que tous les effets secondaires se réalisent dans son cas, et sur une période de temps aussi courte, et ni le site internet, ni le manuel d'utilisation n'informent que le neurostimulateur peu connaître des dysfonctionnements très récurrents et que le patient s'expose à de nombreuses opérations ;

-subsidiairement, elle se prévaut du manquement contractuel de la société Médtronic qui a manqué son obligation contractuelle de sécurité de résultat envers le CHU de [Localité 9] ; il résulte directement et nécessairement des dysfonctionnements nombreux et variés ayant nécessité de nombreuses opérations pour tenter de les corriger ;

- sur la liquidation de son préjudice, elle s'oppose à toute autorité de la chose jugée de ses demandes indemnitaires, en l'absence d'identité d'objet de cause et de parties de la décision de la cour d'appel administrative ;

- elle revendique un important préjudice professionnel, passé et à venir, une incidence professionnelle et une perte de droits à la retraite ; elle conteste que son licenciement ne soit que d'ordre économique et rappelle son impossibilité à poursuivre son activité.

Dans ses derniers conclusions notifiées par la voie électronique le 23 janvier 2024, la SAS Médtronic France demande à la cour de :

*à titre principal :

' dire et juger que le neurostimulateur ITREL 3 implanté à Mme [B] n'est pas défectueux ;

' dire et juger qu'elle a satisfait à son obligation d'information ;

' dire et juger qu'elle ne démontre pas de lien de causalité entre le défaut allégué du neurostimulateur ITREL 3 et son état de santé ;

' dire et juger que la dégradation de l'état de santé de Mme [B] qu'elle impute au neurostimulateur ITREL 3 n'est pas établie ;

En conséquence :

' confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [B] de toutes ses demandes formées à son encontre sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil ;

*à titre subsidiaire :

' dire et juger que les conditions d'engagement de la responsabilité délictuelle de Médtronic France ne sont pas réunies,

En conséquence :

' confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [B] de toutes ses demandes formées à son encontre de la société Médtronic sur le fondement de l'article 1194 du Code civil ;

*à titre très subsidiaire:

' dire et juger que la demande d'indemnisation est contraire à la fois au principe de réparation intégrale du préjudice et à l'autorité de la chose jugée ;

' rejeter la demande d'indemnisation formulée par Mme [B] ;

*à titre infiniment subsidiaire:

- réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par Mme [B] et limiter le quantum de l'indemnisation comme suit:

' 16 280 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels,

' 3 920 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

' 12 000 euros au titre des souffrances endurées,

' 2 000 euros au titre du préjudice esthétique,

- débouter Mme [B] du surplus de ses demandes;

- réduire de l'indemnisation la somme de10 500 euros allouée par la cour d'appel administrative de Marseille dans son arrêt du 19 septembre 2016 ;

En tout état de cause :

- rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [B] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Elle soutient que :

- la défectuosité d'un produit de santé s'apprécie au regard de l'absence de sécurité à laquelle l'utilisateur ou le bénéficiaire peut légitimement s'attendre et de sa présentation, et Mme [B] ne rapporte pas la preuve d'un défaut ;

- c'est sur la base de trois rapports d'expertise soumis à son appréciation que le tribunal a à juste titre estimé que « les dysfonctionnements du neurostimulateur qui sont connus et inhérents à sa conception et son utilisation ne peuvent être retenus comme des défauts du produit » ;

- la cour doit mener une analyse in concreto des interventions subies par Mme [B] entre 2004 et 2010 en lien avec la neurostimulation, dont 8 après l'implantation et aucune ne permet de dire qu 'elles n'ont pas été faites dans un parcours normal de soins ;

- elle a été victime d'effets secondaires documentés ;

- il s'agit de limites inhérentes à la technologie ;

- la constatation du dysfonctionnement d'un matériel ne suffit pas à caractériser le défaut;

- aux termes de l'article 1245-3 du Code civil, la défectuosité s'apprécie uniquement au regard de « la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre » et non au regard de la fiabilité attendue, qui plus est par le patient ;

- l'arrêt, de la CJUE admet la potentialité de l'existence d'un défaut sur des dispositifs médicaux au seul motif qu'un défaut concernant un élément de construction, pouvant limiter la disponibilité de la thérapie, a été décelé de façon certaine, et qu'il existe de fortes chances que des dispositifs de la même chaîne de production soient atteints par ce défaut et que leur fonctionnement soient compromis ; or en l'espèce, le neurostimulateur ITREL 3 en cause n'appartient pas à un groupe de produits présentant un risque de défaillance sensiblement supérieur à la normale ou dont un nombre significatif a déjà présenté une défaillance. Par suite, aucun élément ne permet de qualifier le produit en cause de défectueux en application de la jurisprudence Boston Scientific invoquée par l'appelante ;

- le caractère dangereux d'un produit ne le rend pas nécessairement défectueux au sens d'un défaut de sécurité ;

- le concept de « l'inversion du rapport bénéfice/risque » invoqué par Mme [B] est entièrement hors sujet dès lors qu'il s'agit d'une création prétorienne exclusivement applicable au médicament ;

- l'information délivrée par Medtronic aux prescripteurs et aux patients et tout à fait appropriée ;

- enfin, en tout état de cause, il n'existe pas de lien entre le dispositif ITREL 3 de MDT mis en cause et l'état de santé de Mme [B] car comme le précisent les rapports d'expertise des experts [N] et [H] : « les lésions constatées ne sont en aucun cas en rapport avec un dysfonctionnement ou une défectuosité du matériel implanté. Celles-ci sont dues aux conséquences des 4 interventions sur le rachis entre les années 1997 et 2001», c'est-à-dire avant l'implantation du neurostimulateur ;

- le fait générateur du tableau douloureux de l'appelante n'est aucunement en lien avec le dispositif Médtronic, qui avait au contraire pour objectif de traiter ces douleurs ; ce sont la chute intervenue en 1996 et les interventions chirurgicales sur le rachis effectuées qui sont la cause de ses séquelles ;

- subsidiairement, elle ne démontre pas l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité, de résultat ;

- très subsidiairement, elle est irrecevable dans ses demandes indemnitaires; l'indemnisation des postes de préjudice suivants est sollicitée : la perte de salaires, le préjudice professionnel, frais médicaux, l'incidence professionnelle (incluant la perte de retraite selon la nomenclature Dintilhac), le déficit fonctionnel temporaire les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et le préjudice d'établissement alors que la cour d'appel administrative de Marseille s'est déjà prononcée, par arrêt précité du 19 septembre 2016, sur l'ensemble de ces postes de préjudice ;

- ainsi, la demande d'indemnisation se heurte à la réparation intégrale du préjudice d'une part, et l'autorité de la chose jugée, d'autre part.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIVATION

1-Sur la défectusoité du dispositif médical

Selon les articles 1386-1 et suivant du code civil dans leur version en vigueur au cas de l'espèce, le producteur d'un produit est responsable du dommage causé par le défaut de son produit et un produit est considéré comme défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte des circonstances et notamment de la présentation du produit de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Ainsi, la simple implication du produit est insuffisante pour établir le défaut du produit et il doit être démontré soit un défaut d'information sur le risque encouru, soit le caractère anormal du danger encouru ou du risque, par rapport aux avantages attendus.

Mme [B] soutient que la défectuosité du neurostimulateur qui lui a été implanté (ITREL 3) le 1er avril 2004 (après test) se déduit de la multiplicité des dysfonctionnements qui n'ont pu être corrigés que par des interventions chirurgicales.

Elle ajoute qu'au titre de la présentation du produit qui lui a été faite, elle n'a reçu aucune information sur les risques d'incidents répétés et cumulés susceptibles de multiplier les interventions chirurgicales et cela dans un laps de temps réduit, et pour ce qui la concerne, tous les ans.

Toutefois, s'il n'est pas contesté que les interventions se sont succédés sur un temps réduit à compter de l'implantation du neurostimulateur :

- 2 septembre 2004 : fracture de l'électrode,

- 28 septembre 2004 : dysfonctionnement de la sonde par migration de l'électrode,

- mars 2005 : réglage du stimulateur,

- 16 janvier 2007 : fracture de la sonde et changement,

- 19 janvier 2007 : changement de la pile et mise en place d'un nouveau câble de liaison,

- 14 juin 2007 : changement du capuchon d'étanchéité qui s'était séparé du système de liaison,

- 21 novembre 2008 : changement de stimulateur, dysfonctionnement électrique avec épuisement de la pile ;

Il est largement démontré par les expertises médicales versées aux débats que ces interventions sont liées à un fonctionnement normal des systèmes de neurostimulation.

L'expert judiciaire [N] mentionne ainsi que : « Ce type de matériel extrêmement sophistiqué, très onéreux, nécessite un câblage très fin pour permettre à la fois au courant de passer mais aussi de répondre à toutes les sollicitations des mouvements du rachis de la patiente car, comme tout être vivant, elle bouge constamment. Ce système de liaison est donc soumis à la fois à des agressions internes qui sont toutes les agressions dues au fait que ce matériel est dans un milieu biologique (passage du matériel au sein des muscles, de la graisse, des ligaments'), jusqu'à l'arrimage à l'électrode posée sur la dure mère en regard de la moelle et d'autre part à des agressions externes dues aux mouvements mécaniques d'un corps qui vit et qui bouge », et « Le matériel, fragile, imparfait, est en lui-même source d'un certain nombre de dysfonctionnements, bien connus de toutes les équipes, et bien expliqués aux patients qui doivent accepter cette part d'aléa thérapeutique ».

Il conclut tout comme l'expert [O] en 2010 et l'expert [H] en 2012, que : « le tableau douloureux qui affecte Mme [B] est en relation directe et certaine avec les conséquences des 4 interventions sur le rachis qui n'ont pas donné un bon résultat » et donc que les lésions constatées ne sont pas en rapport avec un dysfonctionnement ou une défectuosité du matériel implanté. Les experts mentionnent ainsi de concert que le préjudice ne relève pas de la défectuosité du matériel implanté mais de l'évolution prévisible de sa pathologie initiale entièrement responsable des douleurs neuropathiques de Mme [B].

Par ailleurs, contrairement à ce qu'elle soutient et dés lors que le dysfonctionnement d'un matériel fut-il récurrent, ne suffit pas à démontrer la défectuosité du dispositif de santé, elle ne peut déduire de l'absence de fiabilité du matériel, sa défectuosité.

Elle ne peut pas plus, soutenir un défaut d'information sur les risques encourus qui constituerait un défaut de sécurité, dès lors que d'une part la notice d'information du fabricant Medtronic prévoit expressément s'agissant du neurostimulateur ITREL 3 que :

- La neurostimulation n'est pas efficace à long terme chez certains patients » ;

- Il est conseiller au patient de recharger le neurostimulateur lorsque l'indication de pile faible s'affiche sur la télécommande patient ou sur le chargeur, afin d'éviter le déchargement complet de la pile. ['] Si la pile du neurostimulateur se décharge complètement, le fonctionnement du neurostimulateur peut être définitivement altéré ;

- Les flexions, sauts ou extensions brusques, excessifs ou répétitifs peuvent briser ou déplacer les composants. La stimulation risque d'être interrompue totalement ou partiellement, ou de se déplacer vers le site de détérioration du composant. Une nouvelle intervention est alors nécessaire pour remplacer ou repositionner le composant ;

Enfin, :

- Principaux effets secondaires - Outre les risques inhérents à une intervention chirurgicale, l'implantation ou l'utilisation d'un système de neurostimulation peut comporter entre autres, les risques suivants :

* érosion cutanée causée par l'électrode, l'extension ou le neurostimulateur, migration d'un composant;

* perte de soulagement de la douleur pouvant faire réapparaître la douleur initiale;

* modification de la stimulation, due parfois aux modifications cellulaires survenues à proximité du (des) plot(s), à un déplacement du plot, à des connexions électriques défectueuses ou à des ruptures de l'extension et/ou de l'électrode, décrite par certains patients comme des sensations désagréables ('secousses' ou 'chocs').

La société Medtronic indiquent aux prescripteurs à l'égard desquels il est seul tenu d'une obligation d'information, que les médecins doivent fournir aux patients des informations de mise en garde et précautions applicables à un système de neurostimulation et que pour des résultats optimums, le patient doit être pleinement informé des risques et des avantages de la thérapie, de l'intervention chirurgicale, du suivi thérapeutique et de ses propres responsabilités.

Il résulte par ailleurs des éléments du rapport [H] que le manuel d'information du neurostimulateur ITREL 3 destiné aux patients comporte les précisions suivantes :

- complications éventuelles liées au système de neurostimulation : l'électrode, l'extension ou le neurostimulateur lui-même peur se déplacer et provoquer une érosion cutanée ;

- des modifications indésirables de la neurostimulation peuvent se produire, éventuellement liées à des modifications cellulaires autour des plots de stimulation (électrode), au déplacement des plots, à un relâchement des connexions électriques ou à une rupture de l'électrode ou de l'extension. Il est également possible que les matériaux implantés provoquent des allergies ou une réaction immunitaire. Votre système de neurostimulation peut cesser de fonctionner de manière intempestive, parce que la pile est déchargée ou pour d'autres raisons. Ces évènements (courts-circuits, circuits ouverts, rupture de fil conducteur, perte d'isolation) sont imprévisibles » (pièce n°17).

Le rapport [N] mentionne pour sa part que les complications liées au système de neurostimulation sont fréquentes, au niveau des électrodes par déplacement rendant nécessaire une intervention à ciel ouvert, mauvais réglage, l'inefficacité du matériel sur la douleur, une nécessité d'adaptation dans le temps du système à la douleur

Enfin, d'autre part et s'agissant de son information personnelle en tant que patiente, les experts relèvent qu'elle a à la suite de ses interventions du rachis et de la persistance de douleurs, fait le choix d'une meurostimulation plutôt que d'envisager un traitement morphinique et que ce choix était légitime ; qu'elle a été suivie par l'équipe du Pr. [W] et qu'elle a été de nombreuses fois informée, sur- informée sur le pourquoi des différentes pannes et d'autres dysfonctionnements qui ont affecté ces systèmes de neurostimulation ». L'expert [N] précise qu'elle avait reçu la brochure complète du fabricant Medtronic ce qu'elle ne conteste pas.

Il résulte ainsi des pièces fournis aux débats et des rapports d'expertises, [N] mais également [H], que l'information a été donnée, et que tous les dysfonctionnements dont Mme [B] fait état sont décrits, tant dans les documents d'information destinés aux professionnels de santé que dans ceux destinés aux patients.

La survenance d'effets indésirables dont elle a été informés, ne saurait établir le défaut de sécurité dont elle se prévaut.

De même, elle ne démontre pas l'insuffisance de l'information dans les documents qui lui ont été remis qui justifierait que le neurostimulateur ne présentait pas la sécurité à laquelle elle était en droit de s'attendre dès lors que les experts ont expressément mentionné que les 7 (ou 9) interventions ont été justifiées par des effets indésirables correctement décrits et pleinement connus de la patiente.

Mme [B] connaissait les risques et a fait le choix de ce type de dispositif médical pour traiter ses douleurs, et il est inenvisageable de retenir que malgré la récurrence des dysfonctionnements et des interventions qu'ils ont induits et dont elle n'aurait pas été suffisamment informée selon elle, elle aurait maintenu ce choix, et cela encore en 2010 et 2018.

Enfin, s'agissant de de la défectuosité du produit résultant de l'inversion de la balance bénéfice -risque, Mme [B] soutient que le défaut doit s'apprécier au regard « de la gravité des effets nocifs constatés ».

Comme le fait justement observer la société Medtronic, la notion de rapport bénéfice-risque s'applique aux médicaments, à l'exclusion des dispositifs médicaux. Cette notion est en lien avec l'autorisation de mise sur le marché qui est propre aux médicaments. Les dispositifs médicaux relève de la Directive européenne et celle en vigueur au moment des faits est la directive 93/42/CEE .

La société Medtronic soutient que le neurostimulateur ITREL 3 a été jugé conforme et reçu les certifications CE. Le certificat qu'elle produit en pièce 6 ne permet pas cependant de s'assurer que cette certification se rapporte effectivement au dispositif médical implanté sur Mme [B].

Pour autant, il est en revanche certain que le 2 mai 2007, la Haute autorité de santé a reconnu que le service rendu par le neurostimulateur ITREL 3 est suffisant en raison de l'intérêt thérapeutique de la neurostimulation médullaire sans certaines douleurs chroniques irréductibles et de l'intérêt de santé publique compte tenu du caractère de gravité des pathologies concernées.

Il sera ajouté que c'est en raison de l'échec des thérapeutiques mise en place jusqu'en 2004 (et depuis 1994) que Mme [B] a fait le choix d'une neurostimulation.

Il est par ailleurs mentionné par l'expert [N] que ce choix thérapeutique a été positif puisqu'il lui a permis de reprendre son métier au bout de 6 mois ( page 8 de l'expertise) et qu'elle a pu mener une vie normale sans difficulté jusqu'en mars 2005. La succession des dysfonctionnements sur les 4 années mais dont il a été retenu qu'ils s'inscrivaient dans le cadre de complications parfaitement connues et documentées (dans la littérature médicale) et dont elle était informée, ne vient pas pour autant inverser la balance favorable. Ils n'ont jamais mis la santé de Mme [B] en danger. Le tableau clinique qu'elle présentait précédemment à la suite des opérations subis entre 1994 et 2000 était un fond douloureux permanent, des brûlures et décharges électriques. Ainsi, si elle a effectivement dû subir des interventions chirurgicales avec les risques que cela comportent (dommages corporels et risque de mort lié à toute anesthésie générale) à chaque dysfonctionnement elle a aussi bénéficié de période de répit non douloureux et la rappel à la jurisprudence de la cour de justice de l'union qui a statué sur les stimulateurs cardiaques défectueux n'est pas opérant dès lors que la cour a retenu ci-dessus que pour le neurostimulateur IRTEL 3 elle ne démontrait pas l'existence d'une défectuosité du produit, les dysfonctionnements relatés n'étant que des effet indésirables connus qui n'avaient pas d'incidence sur la sécurité du dispositif médical.

En conséquence, outre qu'il n'est pas certain que cette théorie jurisprudentielle de l'inversion de la balance bénéfice-risque s'applique au dispositifs médicaux, et quand bien même serait-elle apparue comme le soutient Mme [B] depuis l'entrée en application du nouveau règlement européen 2017/745, soit bien antérieurement aux faits litigieux de sorte qu'il ne trouve pas à s'appliquer au cas d'espèce (ce règlement n'est rentré en application qu'à compter du 26 mai 2021 et la dernière intervention chirurgicale qu'elle a subi a eu lieu le 20 mars 2018 ), elle ne démontre pas que les bénéfices du dispositif litigieux étaient battus en brèche par les inconvénients subis et les risques encourus.

Enfin les rapports d'évaluation des systèmes implantables de neurostimulation médullaire, validé par la CNEDiMTS en mars 2014 a formulé des recommandations et rendu des avis en neuropathiques, permettant donc une réduction des traitements médicamenteux. Elle a précisé que cependant, le résultat n'est jamais « complet » (pièce N° 2).

Il se déduit de l'ensemble de ces développements que Mme [B] ne rapporte pas la preuve d'une défectuosité du dispositif de santé quel que soit le moyen soulevé.

2-Sur le manquement de la société Medtronic à son obligation de sécurité résultat

Mme [B] maintient en cause d'appel à titre subsidiaire, que le manquement contractuel de la société fabricante du dispositif médical envers le CHU de [Localité 9] serait responsable de son dommage.

Conformément à l'article 1245-17 du Code civil, la responsabilité du fabricant ne peut être recherchée sur un fondement distinct de celui du régime des produits défectueux, que si le manquement invoqué est différent de la défectuosité du produit et de la sécurité qu'elle était légitimement en droit d'attendre.

Il appartient donc à Mme [B] de dire en quoi le manquement du fabricant à son obligation de sécurité de résultat se distingue du défaut de sécurité du dispositif qu'elle a tenté de faire établir à titre principal.

Or, l'appelante ne démontre pas en quoi l'obligation de sécurité se distinguerait du défaut de sécurité caractérisant le défaut du produit au sens de l'article 1386-1 et suivant devenue l'article 1245-3 Code civil, puisqu'elle s'appuie sur la répétition des incidents et des dysfonctionnements sur une courte période.

Il s'en déduit qu'elle ne peut être que débouté de sa demande sur ce fondement.

En conséquence de ce qu'il vient d'être jugé la décision de première instance mérite confirmation en toutes ses dispositions soumises à la cour.

3-Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante en appel, Mme [G] [B] supportera la charge des dépens d'appel et sera nécessairement débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité notamment en raison de la différence des situations économiques des parties, ne commande pas de faire droit à la demande formée par la société Medtronic au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [G] [B] à supporter la charge des dépens d'appel ;

Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de toutes autres demandes.