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Décisions

Cass. com., 29 mai 2024, n° 22-13.710

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocat général :

M. Lecaroz

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Claire Leduc et Solange Vigand

Douai, 2 ch. sect. 2, du 30 sept. 2021

30 septembre 2021

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-13.786 et n° 22-13.710 sont joints.

Désistement

2. Il est donné acte à M. [N] [UA], en sa qualité de président du conseil d'administration de la société Sager et de co-gérant de la société Gercap, d'administrateur de la société [UA] frères et en qualité d'ayant droit de [WM] [R], à M. [BY] [UA] en sa qualité de directeur général et d'administrateur de la société Sager, de directeur général délégué et d'administrateur de la société Les Aulnes, de président de la société [UA] frères et en qualité d'ayant droit de [WM] [R], à M. [Z] [UA], en sa qualité de président directeur général de la société Les Aulnes et en qualité d'ayant droit de [WM] [R], et à MM. [LI], [WF] et [E]-[C] [UA], en leur qualité d'ayant droit de [WM] [R], du désistement de leur pourvoi incident au pourvoi n° 22-13.710.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 30 septembre 2021), le capital de la société [UA] frères était, en 2011, détenu par trois sociétés holdings, dont la société Sager, laquelle avait notamment pour associés les sociétés Gercap et Les Aulnes, Mme [NG] [UA] et ses descendants, avec une société holding, la société Saint-Eloi, et MM. [G] et [ZU] [UA].

4. Lors d'une assemblée générale du 2 décembre 2011, les associés de la société Sager ont approuvé la fusion-absorption de leur société par la société [UA] frères.

5. Les associés de la société [UA] frères ont également approuvé l'opération lors d'une assemblée tenue le même jour.

6. La société Saint-Eloi, Mme [NG] [UA] et MM. [G] et [ZU] [UA] ont assigné la société [UA] frères, en son nom et comme venant aux droits des sociétés Sager, Gercap et Les Aulnes, ainsi que MM. [N], [BY] et [Z] [UA] et [WM] [R], en leur qualité d'anciens dirigeants ou administrateurs des sociétés Sager, Gercap, [UA] frères et Les Aulnes, en annulation de l'assemblée générale de la société Sager du 2 décembre 2011.

7. MM. [H], [FO], [YD], [I], [SC], [VY], [A], [D], [T] et [AT] [UA], M. [P], MM. [W], [UH], [L] et [F] [X], M. [CS] [PE], Mme [Y] [UA], épouse [S], Mme [B] [UA], épouse [HM], Mmes [M] et [UO] [UA], Mme [JK] [UA], épouse [X], Mmes [J] et [FH] [PE], M. [K] [PE] et Mme [CK] [UA], épouse [PE] en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur [AD] [PE] sont intervenus volontairement à l'instance.

8. [WM] [R], épouse [UA], est décédée le 2 mai 2019. Ses ayants droit, MM. [N], [BY], [Z], [YK], [LI], [WF], [E] [UA] et Mme [U] [UA] ont été appelés à l'instance.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, troisième et septième moyens du pourvoi n° 22-13.786 et sur les première et deuxième branches du moyen du pourvoi n° 22-13.710

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 22-13.786

Enoncé du moyen

10. MM. [G], [ZU], [H], [FO], [YD], [I], [SC], [VY], [A], [D], [T] et [AT] [UA], M. [P], MM. [W], [UH], [L] et [F] [X], MM. [CS] et [AD] [PE], Mmes [NG], [Y], [B], [M], Mme [JK] et [UO] [UA], Mmes [J] et [FH] [PE] et la société Saint-Eloi font grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 pour défaut de constat du quorum, alors :

« 1°/ que l'assemblée générale extraordinaire d'une société anonyme, seule habilitée à modifier les statuts, ne délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins, sur première convocation, le quart et, sur deuxième convocation, le cinquième des actions ayant le droit de vote ; que les exposants faisaient valoir que ni la feuille de présence de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 remise à M. [V], huissier de justice, ni le procès-verbal de cette assemblée envoyé le 23 octobre 2012 à M. [PL], huissier de justice, ne comportaient copie des pouvoirs qui avaient été donnés par les actionnaires s'étant fait représenter, lesquels représentaient plus du tiers des votants, et qu'il résultait du procès-verbal de constat de M. [V] que la feuille de présence ne se trouvait pas dans la salle où se tenait l'assemblée et n'avait donc pas été préalablement contrôlée par le bureau, et sollicitaient l'annulation de l'assemblée générale en raison de l'absence de contrôle par le bureau de l'assemblée du respect du quorum imposé par l'article L. 225-96 du code de commerce ; que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel a retenu que seule l'adoption de résolution par une assemblée générale extraordinaire réunie sans respecter un nombre d'actionnaires ayant un droit de vote au moins égal au quart lors de la première réunion pouvait conduire à la nullité de la délibération ou des résolutions, et qu'au surplus, l'examen de la feuille de présence et du procès-verbal de l'assemblée extraordinaire démontre qu'un quart des actions ayant droit de vote était réuni lors de l'ouverture et à l'adoption de chaque délibération, sans qu'aucune contestation argumentée ne soit émise sur ce point ; qu'en statuant de la sorte, quand l'absence de vérification par le bureau de la régularité de la composition de l'assemblée générale, préalablement aux débats et aux votes, était susceptible de caractériser l'irrégularité de l'assemblée générale extraordinaire du 2 décembre 2011, faute de constat de l'existence du quorum requis à peine de nullité, ce qu'il lui incombait de vérifier, la cour d'appel a violé les articles L. 225-96 et R. 225-95 du code de commerce, ensemble l'article L. 235-1 du même code ;

2°/ qu'en retenant que "l'examen de la feuille de présence et du procès-verbal de l'assemblée extraordinaire démontre qu'un quart des actions ayant droit de vote était réuni lors de l'ouverture et à l'adoption de chaque délibération, sans qu'aucune contestation argumentée ne soit émise sur ce point", sans rechercher, comme elle y était invitée si l'absence de contrôle de la feuille de présence par le bureau avant les débats, et l'absence de copie des pouvoirs donnés par les actionnaires qui s'étaient fait représenter, n'entachaient pas d'irrégularité la feuille de présence, et par conséquent le vote de l'assemblée générale, faute de preuve de la réunion du quorum d'un quart des actions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-114 et R. 225-95 du code de commerce, ensemble les articles L. 225-96 et L. 225-121, alinéa 1er, du même code. »

Réponse de la Cour 

11. Après avoir énoncé que l'article L. 225-96, alinéa 2, du code de commerce, dans sa version applicable au litige, dispose que l'assemblée générale extraordinaire ne délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins, sur première convocation, le quart, et sur deuxième convocation, le cinquième des actions ayant le droit de vote, et que l'article L. 225-121 du même code, dans sa version applicable, édicte une nullité absolue en cas de délibérations adoptées en violation de l'article précité, l'arrêt retient que les demandeurs à la nullité n'élèvent aucune contestation quant au nombre d'actions ayant le droit de vote prises en compte pour le calcul du quorum cependant que seule l'adoption de résolutions par une assemblée générale extraordinaire réunie sans respecter ce quorum peut conduire à leur nullité, et qu'ils n'invoquent donc pas, ainsi qu'ils le devraient conformément aux articles 6 et 9 du code de procédure civile, les faits nécessaires au soutien de leur prétention.

12. De ces seules énonciations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la seconde branche, la cour d'appel a exactement déduit que la demande d'annulation de l'assemblée générale de la société Sager du 2 décembre 2011 fondée sur un défaut de constat du quorum par le bureau devait être rejetée.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen du pourvoi n° 22-13.786

Enoncé du moyen

14. MM. [G], [ZU], [H], [FO], [YD], [I], [SC], [VY], [A], [D], [T] et [AT] [UA], M. [P], MM. [W], [UH], [L] et [F] [X], MM. [CS] et [AD] [PE], Mmes [NG], [Y], [B], [M], Mme [JK] et [UO] [UA], Mmes [J] et [FH] [PE] et la société Saint-Eloi font grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 pour défaut de majorité et participation irrégulière de la société Gercap au vote, alors « que l'assemblée générale extraordinaire d'une société anonyme, seule habilitée à modifier les statuts, ne délibère valablement que si les actionnaires présents ou représentés possèdent au moins, sur première convocation, le quart des actions ayant le droit de vote ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir qu'il n'était pas possible de déterminer la personne ayant représenté la société Gercap lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011, et émis le vote au nom de cette société, dans la mesure où la feuille de présence de cette assemblée comportait une rature manuscrite mentionnant comme représentant de la société Gercap, actionnaire de la société Sager, M. [N] [UA], aux lieu et place de [WM] [UA], tandis que cette dernière avait été appelée en qualité de scrutateur, nécessairement en tant que représentante de la société Gercap, et non à titre personnel, puisqu'elle ne détenait personnellement que six actions de la société Sager ; qu'ils en déduisaient que la société Sager avait laissé un associé prendre part irrégulièrement au vote sans que le bureau ne vérifie l'exactitude de la feuille de présence, de sorte qu'il était impossible de savoir qui de M. [N] [UA], qui avait signé la feuille de présence, ou de [WM] [UA], qui avait voté pour la société Gercap en qualité de scrutateur au sein du bureau de l'assemblée générale, avait effectivement représenté la société Gercap au cours de cette assemblée, et donc si le vote émis par cette société était régulier ; que pour écarter ce moyen de nullité de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que c'était M. [N] [UA], qui avait signé la feuille de présence en qualité de représentant de la société Gercap, qui avait émis le vote au nom de cette société, [WM] [UA] et M. [N] [UA] étaient co-gérants de la société Gercap de sorte qu'ils pouvaient la représenter, l'un en qualité de votant et l'autre en qualité de scrutateur, et qu'à supposer que [WM] [UA] n'ait pas eu qualité pour représenter la société Gercap en qualité de scrutateur, du fait des mentions de la feuille de présence, M. [N] [UA] conservait néanmoins qualité, en tant que co-gérant et représentant de la société Gercap, pour voter au nom de cette société ; qu'en statuant de la sorte, quand la société Gercap ne pouvait valablement voter que par la voix de la personne qui la représentait lors de l'assemblée générale en cause, et qu'il résultait de ces constatations que cette société avait été représentée tant par [WM] [UA], en qualité de scrutateur, que par M. [N] [UA], ce dont il résultait qu'il n'était pas possible de déterminer la personne ayant agi en qualité de représentant de cette société lors de l'assemblée générale et donc de déterminer si le vote de cette société, sans lequel la majorité des deux tiers n'était pas atteinte, était régulier, la cour d'appel a violé les articles L. 225-96, L. 225-95 et L. 225-121 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

15. Après avoir relevé qu'il n'est pas contesté que le vote émis par la société Gercap l'a été par M. [N] [UA], qui a signé la feuille de présence en qualité de représentant de cette société, l'arrêt retient que [WM] [UA] et M. [N] [UA] étant co-gérants de la société Gercap, ils pouvaient représenter celle-ci, l'un en qualité de votant et l'autre en qualité de scrutateur, et qu'à supposer que [WM] [UA] ne pouvait être valablement désignée comme scrutateur, cela ne conduisait pas à priver M. [N] [UA] de sa qualité de co-gérant et de représentant de la société Gercap, expressément mentionnée sur la feuille de présence, lui permettant de voter au nom et pour le compte de celle-ci.

16. De ces constatations et appréciations la cour d'appel a exactement déduit que la demande d'annulation de l'assemblée générale de la société Sager du 2 décembre 2011 fondée sur une participation irrégulière de la société Gercap et un défaut de majorité devait être rejetée.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le sixième moyen du pourvoi n° 22-13.786

Enoncé du moyen

18. MM. [G], [ZU], [H], [FO], [YD], [I], [SC], [VY], [A], [D], [T] et [AT] [UA], M. [P], MM. [W], [UH], [L] et [F] [X], MM. [CS] et [AD] [PE], Mmes [NG], [Y], [B], [M], Mme [JK] et [UO] [UA], Mmes [J] et [FH] [PE] et la société Saint-Eloi font grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 pour abus de majorité, alors :

« 1°/ que constitue un abus de majorité la décision contraire à l'intérêt social, et dans le dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que la fusion votée par l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 était contraire à l'intérêt social dans la mesure où la valorisation de cette société ne tenait pas compte de la prime de majorité payée par cette société en 1986, à l'occasion de la cession de titres par la société Rhône Poulenc ; que, pour dire qu'il n'était pas établi que la fusion décidée par l'assemblée générale litigieuse était contraire à l'intérêt de la société Sager, la cour d'appel a retenu que cette fusion s'inscrivait dans le cadre d'une réorganisation de l'ensemble de l'actionnariat du groupe [UA], et que "même à supposer établies l'existence d'une prime de contrôle et la nécessité de la compenser dans le cadre du rapport d'échanges, entraînant une attribution de plus d'actions [UA] en faveur des actionnaires la société Sager, c'est en définitive uniquement l'intérêt des actionnaires qui se trouverait atteint", dans la mesure où "dans le cadre de cette opération, l'ensemble des actifs de la société Sager était immédiatement transmis à la société [UA] frères, tout comme l'intégralité même du passif de la société Sager, les actions [UA] frères étant immédiatement redistribuées aux actionnaires de la société Sager, avec éventuellement versement d'une soulte et aucune atteinte aux actifs sociaux de la société Sager ne pouvant être dès lors constituée, ladite société ayant disparu concomitamment à cette opération" ; qu'en statuant de la sorte, quand l'absence de prise en compte de la prime de majorité versée en 1986 par la société Sager, invoquée par les exposants au soutien de leur demande de nullité, était contraire à l'intérêt social de la société, au regard de la minoration de l'évaluation de sa participation qui en résultait, quand bien même elle était également de nature à affecter in fine l'intérêt des actionnaires de cette société, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil (dans sa version applicable en la cause, nouvel article 1240 du code civil) ;

2°/ que les exposants faisaient valoir que la fusion votée par l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 avait été décidée dans l'unique dessein de favoriser la majorité au détriment de la minorité ; qu'ils faisaient à cet égard valoir qu'ils avaient découvert en cours de procédure que le vote favorable à la fusion lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société Sager du 2 décembre 2011 avait été obtenu par le biais de l'achat de voix ; qu'en ne se prononçant pas sur le grief invoqué par les exposants tiré de l'achat illicite de voix, qui était de nature à caractériser l'abus de la majorité des actionnaires au détriment des minoritaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil). »

Réponse de la Cour

19. L'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée que la décision de l'assemblée générale de la société Sager du 2 décembre 2011 approuvant
la fusion-absorption de la société par la société [UA] frères a été prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires, ou certains d'entre eux, au détriment des associés minoritaires.

20. Le moyen, pris en ses deux branches, en ce qu'il se borne à critiquer les motifs de l'arrêt par lesquels la cour d'appel a retenu que cette décision n'était pas contraire à l'intérêt de la société Sager, est donc inopérant.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° 22-13.710

Enoncé du moyen

21. La société [UA] frères fait grief à l'arrêt de constater l'irrégularité entachant son assemblée générale extraordinaire du 2 décembre 2011 pour absence de communication de l'avis du comité central d'entreprise, alors « que lorsqu'une délibération d'assemblée générale est prise en violation des prescriptions édictées à l'article L. 225-105 du code de commerce, le juge n'est plus obligé d'en prononcer la nullité ; que cette évolution récemment intégrée à l'article L. 225-121 du code de commerce a permis de mettre un terme aux annulations automatiques et oblige le juge à apprécier l'opportunité d'une telle sanction ; qu'en se bornant en l'espèce à faire une application littérale et mécanique de l'article L. 225-121 du code de commerce, dans sa version applicable à la date de la délibération litigieuse, sans rechercher si, au regard du principe de proportionnalité, l'irrégularité invoquée justifiait effectivement que la nullité puisse être prononcée, la cour d'appel a violé ledit article. »

Réponse de la Cour

22. Le rejet du premier moyen du pourvoi n° 23-16.487 prononcé par la Cour de cassation par un arrêt du 29 mai 2024 rend sans objet l'examen de ce grief.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.