CJUE, 5e ch., 30 mai 2024, n° C-400/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Annulation
PARTIES
Défendeur :
Conny GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Regan
Juges :
M. Csehi, M. Ilešič, M. Jarukaitis, M. Gratsias
Avocat général :
M. Pitruzzella
Avocats :
Me Meise, Me Rechtsanwältin, Me Heber, Me Rechtsanwältin
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 304, p. 64).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VT et UR, bailleurs d’un logement (ci-après, ensemble, les « bailleurs »), à Conny GmbH au sujet des droits d’un locataire (ci-après le « locataire en cause ») cédés à Conny, qui, en sa qualité de cessionnaire des droits de ce locataire, réclame desdits bailleurs le remboursement d’un trop perçu de loyers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 4, 5, 7 et 39 de la directive 2011/83 sont ainsi libellés :
« (4) Conformément à l’article 26, paragraphe 2, du traité [FUE], le marché intérieur doit comporter un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des biens et des services et la liberté d’établissement sont assurées. L’harmonisation de certains aspects des contrats de consommation à distance et hors établissement est nécessaire pour promouvoir un véritable marché intérieur des consommateurs offrant un juste équilibre entre un niveau élevé de protection des consommateurs et la compétitivité des entreprises, dans le respect du principe de subsidiarité.
(5) [...] [U]ne harmonisation complète de l’information des consommateurs et du droit de rétractation dans les contrats de vente à distance et hors établissement contribuera à un niveau de protection élevé des consommateurs et à un meilleur fonctionnement du marché intérieur sur le plan des relations entre entreprises et particuliers.
[...]
(7) L’harmonisation complète de certains aspects réglementaires essentiels devrait considérablement augmenter la sécurité juridique, tant pour les consommateurs que pour les professionnels. Consommateurs et professionnels devraient ainsi pouvoir s’appuyer sur un cadre réglementaire unique, fondé sur des concepts juridiques clairement définis régissant certains aspects des contrats entre les entreprises et les consommateurs au sein de l’Union [européenne]. Cette harmonisation devrait avoir pour effet d’éliminer les barrières créées par la fragmentation de la réglementation et d’achever le marché intérieur dans ce domaine. L’unique moyen d’éliminer ces barrières est d’établir des règles uniformes au niveau de l’Union. Les consommateurs devraient bénéficier en outre d’un niveau commun élevé de protection dans toute l’Union.
[...]
(39) Il est important de veiller à ce que, dans le cas des contrats à distance conclus par l’intermédiaire de sites [I]nternet, le consommateur soit en mesure de lire et de comprendre pleinement les principaux éléments du contrat avant de passer sa commande. À cette fin, il convient de prendre des dispositions dans la présente directive concernant les éléments à afficher à proximité de la confirmation requise pour passer la commande. Il est également important de veiller à ce que, dans de telles situations, le consommateur soit en mesure de déterminer le moment où il contracte l’obligation de payer le professionnel. Dès lors, il convient d’attirer spécialement l’attention du consommateur, au moyen d’une formulation dénuée d’ambiguïté, sur le fait que passer commande entraîne l’obligation de payer le professionnel. »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :
« L’objectif de la présente directive est de contribuer, en atteignant un niveau élevé de protection du consommateur, au bon fonctionnement du marché intérieur en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux contrats conclus entre les consommateurs et les professionnels. »
5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
7) “contrat à distance”, tout contrat conclu entre le professionnel et le consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de service à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance, jusqu’au moment, et y compris au moment, où le contrat est conclu ;
[...] »
6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 5 :
« 1. La présente directive s’applique, dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. [...]
[...]
5. La présente directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive. »
7 Aux termes de l’article 4 de la directive 2011/83, intitulé « Niveau d’harmonisation » :
« Les États membres s’abstiennent de maintenir ou d’introduire, dans leur droit national, des dispositions s’écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des consommateurs, sauf si la présente directive en dispose autrement. »
8 L’article 6 de cette directive, intitulé « Obligations d’information concernant les contrats à distance et les contrats hors établissement », dispose, à son paragraphe 1 :
« Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat à distance ou hors établissement ou par une offre du même type, le professionnel lui fournit, sous une forme claire et compréhensible, les informations suivantes :
a) les principales caractéristiques du bien ou du service, dans la mesure appropriée au support de communication utilisé et au bien ou service concerné ;
[...]
e) le prix total des biens ou services toutes taxes comprises ou, lorsque le prix ne peut être raisonnablement calculé à l’avance du fait de la nature du bien ou du service, le mode de calcul du prix [...]
[...]
o) la durée du contrat, s’il y a lieu, ou, s’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée ou à reconduction automatique, les conditions de résiliation du contrat ;
p) s’il y a lieu, la durée minimale des obligations du consommateur au titre du contrat ;
[...] »
9 L’article 8 de ladite directive, intitulé « Obligations formelles concernant les contrats à distance », énonce, à son paragraphe 2 :
« Si un contrat à distance devant être conclu par voie électronique oblige le consommateur à payer, le professionnel informe le consommateur d’une manière claire et apparente, et directement avant que le consommateur ne passe sa commande, des informations prévues à l’article 6, paragraphe 1, points a), e), o) et p).
Le professionnel veille à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconna[isse] explicitement que celle-ci implique une obligation de payer. Si, pour passer une commande, il faut activer un bouton ou une fonction similaire, le bouton ou la fonction similaire porte uniquement la mention facilement lisible “commande avec obligation de paiement” ou une formule analogue, dénuée d’ambiguïté, indiquant que passer la commande oblige à payer le professionnel. Si le professionnel ne respecte pas le présent alinéa, le consommateur n’est pas lié par le contrat ou par la commande. »
Le droit allemand
10 L’article 312j du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « BGB »), prévoit, à ses paragraphes 3 et 4 :
« (3) Pour les contrats [de consommation conclus par voie électronique portant sur une prestation à titre onéreux fournie par le professionnel], le professionnel doit concevoir la situation de commande de manière à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconnaisse explicitement qu’il se soumet à une obligation de payer. Lorsque la commande est passée au moyen d’un bouton, l’obligation du professionnel visée à la première phrase n’est satisfaite que dans le cas où le bouton porte uniquement la mention facilement lisible “commande avec obligation de paiement” ou une formule analogue, dénuée d’ambiguïté.
(4) Les contrats [de consommation conclus par voie électronique portant sur une prestation à titre onéreux fournie par le professionnel] ne sont formés que si le professionnel satisfait à l’obligation qui lui incombe au titre du paragraphe 3. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
11 Les bailleurs et le locataire en cause ont conclu un contrat de bail portant sur un logement qui, en vertu du droit national, est soumis à un plafonnement des loyers de sorte que, en cas de dépassement dudit plafond, le locataire a droit au remboursement des trop-perçus de loyers.
12 Conny, une société à responsabilité limitée de droit allemand, enregistrée dans le domaine des services de recouvrement de créances, propose aux locataires d’appartements, par l’intermédiaire de son site Internet, de conclure un contrat de gestion d’affaires en vertu duquel elle peut agir en qualité de cessionnaire de l’ensemble des droits de ces locataires à l’égard de leurs bailleurs en cas de dépassement du plafond maximal du montant des loyers.
13 Pour conclure un tel contrat sur le site Internet de cette société, les locataires doivent approuver les conditions générales de celle-ci, dans lesquelles il est fait référence au caractère onéreux du contrat, puis cliquer sur un bouton pour commander. Les locataires devaient verser, à titre de contrepartie, une rémunération à hauteur d’un tiers du loyer annuel économisé si les tentatives de Conny visant à faire valoir leurs droits étaient couronnées de succès et, dès lors qu’était envoyée une mise en demeure au bailleur, une rémunération à hauteur de celle qui serait due à un avocat en vertu des dispositions de la loi relative à la rémunération des avocats.
14 En l’occurrence, le loyer mensuel étant supérieur au plafond maximal autorisé par la réglementation nationale, le locataire en cause a conclu avec Conny un tel contrat de gestion d’affaires visant à faire valoir ses droits à l’égard des bailleurs. Pour ce faire, ce locataire s’est enregistré sur le site Internet de Conny, y a coché une case pour accepter les conditions générales et a confirmé sa commande en cliquant sur le bouton correspondant. Par la suite, ledit locataire a signé un formulaire fourni par Conny, intitulé « Confirmation, procuration et cession, autorisation », lequel ne contenait aucune information sur une quelconque obligation de paiement incombant au locataire.
15 Par lettre du 21 janvier 2020, Conny a fait valoir auprès des bailleurs les droits du locataire en cause résultant de la réglementation nationale relative au montant des loyers, soutenant à cette fin que le montant du loyer stipulé dans le contrat conclu entre ce locataire et les bailleurs excédait le plafond fixé par cette réglementation.
16 Cette lettre étant restée sans effet, Conny a introduit une action contre les bailleurs auprès de l’Amtsgericht Berlin Mitte (tribunal de district de Berlin Centre, Allemagne), au titre des droits cédés.
17 L’Amtsgericht Berlin Mitte (tribunal de district de Berlin Centre) a fait droit à ce recours au motif, notamment, que le loyer exigé dépassait le loyer que les bailleurs étaient autorisés à demander, et ce dans la proportion invoquée par Conny.
18 Les bailleurs ont interjeté appel de ce jugement devant le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. Ils ont soutenu, notamment, que Conny ne pouvait pas faire valoir les droits du locataire en cause dès lors que le contrat de gestion d’affaires à l’origine de la cession de ces droits était nul, en raison du non respect des exigences prévues à l’article 312j, paragraphe 3, deuxième phrase, du BGB qui transpose dans l’ordre juridique national l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2011/83.
19 La juridiction de renvoi expose, tout d’abord, que le succès de cet appel dépend exclusivement de l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83. À cet égard, elle s’interroge, notamment, sur le point de savoir si l’exigence, prévue à cet article 8, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 312j, paragraphes 3 et 4, du BGB, selon laquelle le bouton de commande doit comporter une indication explicite sur l’obligation de paiement liée à la commande ou une formulation analogue, a vocation à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal.
20 Cette juridiction fait valoir que, en l’occurrence, l’obligation de payer pour le locataire en cause ne naît pas de la seule commande passée par celui-ci sur le site Internet de Conny, mais requiert la réunion de conditions ultérieures, telles que le succès de la mise en œuvre des droits du locataire ou l’envoi d’une mise en demeure au bailleur.
21 Par conséquent, la question se poserait de savoir si l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens qu’un contrat à distance conclu par voie électronique implique aussi une « obligation de payer », au sens de cette disposition, lorsqu’une contrepartie à titre onéreux n’est due qu’à certaines conditions ultérieures, par exemple seulement en cas de succès éventuel ou d’une mise en demeure ultérieure d’un tiers.
22 La juridiction de renvoi fait observer que la réglementation nationale transposant l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 n’est pas interprétée de manière uniforme dans la jurisprudence nationale.
23 D’une part, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) aurait jugé que l’objectif de protection poursuivi à l’article 312j, paragraphes 3 et 4, du BGB n’est « exceptionnellement pas affecté », puisque le consommateur demande le recouvrement d’une créance éventuellement existante et qu’une rémunération n’est due au professionnel qu’à certaines conditions, à savoir uniquement en cas de succès.
24 D’autre part, les juridictions nationales de rang inférieur ainsi que la doctrine nationale attribueraient à l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 ainsi qu’à l’article 312j, paragraphes 3 et 4, du BGB un champ d’application considérablement plus large. Elles estiment, en effet, que sont également visés à ces dispositions les actes juridiques dans lesquels le caractère onéreux ne découle qu’indirectement de la conclusion du contrat ou est lié à la réalisation d’autres conditions ou à des actes du consommateur.
25 La juridiction de renvoi penche en faveur de cette dernière interprétation. Plaiderait en son sens, en premier lieu, le libellé de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83, dont il ressort que l’obligation d’utiliser un bouton existe lorsque la commande « implique » pour le consommateur une obligation de payer. Or, la conclusion d’un contrat noué électroniquement impliquerait déjà en elle-même une obligation de payer lorsque cette dernière n’intervient pas obligatoirement, mais est seulement possible ou non totalement exclue.
26 En deuxième lieu, le sens et la finalité de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 plaideraient pour une interprétation large, en ce sens qu’il vise également les contrats dans lesquels la contrepartie à titre onéreux ne sera due par le locataire qu’à d’autres conditions particulières, en l’occurrence uniquement en cas de succès de la mise en œuvre des droits du locataire ou de mise en demeure. En effet, il ressortirait de l’article 1er de cette directive ainsi que des considérants 4, 5 et 7 de celle-ci que ladite directive poursuit l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur en garantissant l’information et la sécurité des consommateurs dans les transactions avec des professionnels.
27 Il ne serait cependant pas compatible avec un tel objectif de faire bénéficier de la protection de la directive 2011/83 seulement les consommateurs dont l’obligation ultérieure de paiement existe déjà à la date de la conclusion du contrat, tout en privant de cette protection les consommateurs dont l’obligation de paiement n’est pas encore définitive à la date de la conclusion du contrat, mais dépend de la survenance ultérieure d’autres conditions, sur lesquelles ils ne peuvent exercer aucune influence.
28 Une interprétation contraire à celle exposée aux points 24 à 27 du présent arrêt entraînerait une baisse considérable du niveau de protection du consommateur voulu par le législateur de l’Union, voire viderait partiellement ou totalement la directive 2011/83 de sa substance dans des circonstances telles que celles en cause devant la juridiction de renvoi. En effet, il ne pourrait pas être exclu que les professionnels insèrent à l’avenir dans leurs conditions générales des clauses qui feraient dépendre l’obligation de paiement du consommateur de la survenance d’autres conditions afin de s’affranchir des obligations pesant sur les professionnels édictées à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2011/83.
29 En troisième lieu, la juridiction de renvoi considère que, si le législateur de l’Union avait voulu limiter l’obligation d’information au seul cas d’une obligation de paiement inconditionnelle, il l’aurait fait de manière explicite, en évoquant dans les considérants ou dans les dispositions de la directive 2011/83 elle-même que le niveau de protection du consommateur garanti par cette directive ne s’étend pas à des contrats dans lesquels, à la date de la conclusion de ces derniers, l’obligation de paiement du consommateur n’est pas encore établie. Or, cela ne serait nullement évoqué dans ladite directive.
30 Dans ces conditions, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive [2011/83] qu’une disposition nationale (en l’occurrence l’article 312j, paragraphe 3, deuxième phrase, et paragraphe 4, du BGB, dans sa version en vigueur du 13 juin 2014 au 27 mai 2022) soit interprétée en ce sens que son champ d’application, tout comme celui de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive [2011/83], est également ouvert lorsque, à la date de la conclusion du contrat suscitée par la voie électronique, le consommateur n’a pas, de manière inconditionnelle, une obligation de payer le professionnel, mais uniquement sous certaines autres conditions déterminées, par exemple uniquement en cas de succès futur du mandat donné pour faire valoir des droits ou en cas d’envoi futur d’une mise en demeure à un tiers ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
31 Conny remet en cause la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi en s’opposant, notamment, à ce qu’un tiers, comme les bailleurs dans l’affaire au principal, puisse se prévaloir d’un éventuel vice entachant le rapport juridique entre un consommateur (cédant) et un professionnel (cessionnaire). En effet, selon Conny, cela aboutirait à ce qu’un tiers puisse neutraliser un contrat que le locataire a conclu avec un professionnel afin précisément d’exercer ses droits en tant que consommateur contre ce tiers.
32 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 12 octobre 2023, KBC Verzekeringen, C 286/22, EU:C:2023:767, point 21 et jurisprudence citée).
33 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union européenne sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 12 octobre 2023, KBC Verzekeringen, C 286/22, EU:C:2023:767, point 22 et jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, les interrogations de la juridiction de renvoi portent, notamment, sur l’interprétation conforme au droit de l’Union de l’article 312j, paragraphes 3 et 4, du BGB, qui transpose dans l’ordre juridique national l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 en prévoyant, en substance, qu’un contrat de consommation conclu par voie électronique portant sur une prestation à titre onéreux fournie par le professionnel ne peut être considéré comme étant formé que si le professionnel respecte l’obligation d’information visant à ce que, lorsque le consommateur passe sa commande, il reconnaisse explicitement qu’il se soumet à une obligation de payer. Or, l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 énonce uniquement que, en cas de non respect par le professionnel, de l’obligation prévue à cette disposition, le consommateur n’est pas lié par le contrat ou par la commande.
35 Cela étant, il ressort de la réponse donnée par la juridiction de renvoi à une demande d’information qui lui a été adressée par la Cour que la législation nationale en cause au principal permet à un tiers de contester la validité d’un contrat de gestion d’affaires passé entre un consommateur et un professionnel lorsque, sur le fondement de ce contrat, le professionnel a introduit, au nom de ce consommateur, une action en justice contre ce tiers. Une telle faculté pourrait être exercée quand bien même la règle de droit invoquée au soutien de cette action viserait exclusivement à protéger ledit consommateur, étant donné que, une fois la violation de cette règle constatée, le même consommateur conserverait la possibilité de confirmer le contrat ou d’en conclure un nouveau avec le professionnel.
36 Or, eu égard à cette réponse, il ne saurait être considéré qu’il ressort de manière manifeste des éléments du dossier que l’interprétation sollicitée de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 n’aurait aucun rapport avec la réalité et l’objet du litige au principal ou encore que le problème serait de nature hypothétique.
37 Étant donné que, par ailleurs, la Cour dispose de l’ensemble des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée, il y a lieu de constater que la présente demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur la question préjudicielle
38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens que, dans le cas de contrats à distance conclus par l’intermédiaire de sites Internet, l’obligation pesant sur le professionnel de veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, accepte explicitement une obligation de payer, s’applique même quand le consommateur n’est tenu de payer à ce professionnel la contrepartie à titre onéreux qu’après la réalisation d’une condition ultérieure.
39 Il convient de relever, à titre liminaire, que les contrats à distance sont définis, en vertu de l’article 2, point 7, de la directive 2011/83, comme étant « tout contrat conclu entre le professionnel et le consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de service à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance, jusqu’au moment, et y compris au moment, où le contrat est conclu ». Il en résulte qu’un contrat de gestion d’affaires, visant à faire valoir les droits d’un locataire à l’égard du bailleur, conclu avec le professionnel sur le site Internet de ce dernier, tel que celui en cause au principal, relève de la notion de « contrat à distance » et, partant, du champ d’application de cette directive, tel qu’il est défini à l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci.
40 Dans la mesure où, conformément à l’article 4 de la directive 2011/83, celle-ci procède à une harmonisation en principe totale de la législation des États membres en ce qui concerne les dispositions qu’elle énonce, la portée de l’obligation d’information prévue à l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive détermine, dans les limites du principe d’interprétation conforme, celle du droit des consommateurs prévue par la réglementation nationale transposant cette disposition dans l’ordre juridique des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2023, Sofatutor, C 565/22, EU:C:2023:735, point 38).
41 Aux fins de l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 12 octobre 2023, KBC Verzekeringen, C 286/22, EU:C:2023:767, point 32).
42 S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2011/83, il convient de rappeler que cette disposition dispose, à son premier alinéa, que, si un contrat à distance devant être conclu par voie électronique oblige le consommateur à payer, le professionnel doit informer le consommateur d’une manière claire et apparente, directement avant que le consommateur ne passe sa commande, de plusieurs informations prévues à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive et portant, en substance, sur les principales caractéristiques du bien ou du service, sur le prix total, sur la durée du contrat ainsi que, le cas échéant, sur la durée minimale des obligations mises à la charge du consommateur.
43 L’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 prévoit, quant à lui, que le professionnel doit veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconnaisse explicitement que celle-ci implique une obligation de payer. Cette disposition précise que, dans le cas où l’activation d’un bouton ou d’une fonction similaire est nécessaire pour passer la commande, le bouton ou la fonction similaire doit uniquement porter la mention facilement lisible « commande avec obligation de paiement » ou une formule analogue, dénuée d’ambiguïté, indiquant que le fait de passer la commande oblige le consommateur à payer le professionnel, faute de quoi ledit consommateur n’est pas lié par le contrat ou par la commande.
44 Il en résulte que, lorsqu’un contrat à distance est conclu par voie électronique au moyen d’un processus de commande et s’accompagne d’une obligation de paiement pour le consommateur, le professionnel doit, d’une part, fournir à ce consommateur, directement avant la passation de la commande, les informations essentielles relatives au contrat et, d’autre part, informer explicitement ledit consommateur que, en passant la commande, ce dernier est tenu à une obligation de paiement (arrêt du 7 avril 2022, Fuhrmann-2, C 249/21, EU:C:2022:269, point 25).
45 S’agissant de cette dernière obligation, il ressort du libellé clair de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 que le bouton de commande ou la fonction similaire doit porter une mention facilement lisible et dénuée d’ambiguïté indiquant que le fait de passer la commande oblige le consommateur à payer le professionnel et que seule la mention figurant sur ce bouton ou cette fonction similaire doit être prise en compte pour déterminer si le professionnel a satisfait à l’obligation qui lui incombe de veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, reconnaisse explicitement que celle-ci implique une obligation de paiement (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Fuhrmann-2, C 249/21, EU:C:2022:269, points 26 et 28).
46 Or, le libellé de l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 qui impose au professionnel, lorsqu’il conclut un contrat à distance par voie électronique au moyen d’un processus de commande qui s’accompagne d’une obligation de paiement pour le consommateur, d’informer explicitement ce dernier de cette obligation avant que ce consommateur ne passe sa commande ne prévoit aucune distinction entre les obligations de paiement assorties de conditions et celles qui sont inconditionnelles.
47 Au contraire, il ressort de ce libellé que l’obligation d’information énoncée à ladite disposition s’applique dès lors que la commande passée « implique » une obligation de payer. Par conséquent, il peut en être déduit que l’obligation, pour le professionnel, d’informer le consommateur survient au moment où ce dernier accepte, de manière irréversible, d’être tenu par une obligation de payer en cas de réalisation d’une condition extérieure à sa volonté, quand bien même cette condition ne se serait pas encore réalisée.
48 À cet égard, la Cour a d’ailleurs précisé que la finalisation d’un processus de commande entraînant une obligation de paiement pour le consommateur est une étape fondamentale, en ce qu’elle implique que le consommateur accepte d’être lié non seulement par le contrat à distance, mais également par l’obligation de paiement (arrêt du 7 avril 2022, Fuhrmann-2, C 249/21, EU:C:2022:269, point 30). En effet, c’est précisément l’activation d’un bouton ou d’une fonction similaire afin de finaliser la commande qui implique une déclaration du consommateur en ce sens qu’il accepte, de manière irréversible, d’être tenu par une obligation de paiement.
49 S’agissant, en second lieu, du contexte et des objectifs dans lesquels s’insère l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2011/83, il convient de relever que cette disposition fait partie d’un mécanisme reposant sur un ensemble de dispositions visant, ainsi qu’il ressort de l’article 1er de ladite directive, lu à la lumière des considérants 4, 5 et 7 de celle-ci, à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en garantissant leur information et leur sécurité dans les transactions avec les professionnels, tout en assurant également un juste équilibre entre un niveau élevé de protection des consommateurs et la compétitivité des entreprises (voir, en ce sens, arrêts du 7 avril 2022, Fuhrmann-2, C 249/21, EU:C:2022:269, point 21, et du 5 mai 2022, Victorinox, C 179/21, EU:C:2022:353, point 39 ainsi que jurisprudence citée).
50 En particulier, le considérant 39 de la directive 2011/83 souligne l’importance, à cet effet, de veiller à ce que, dans le cas des contrats conclus à distance par l’intermédiaire de sites Internet, le consommateur soit en mesure de déterminer le moment où il contracte l’obligation de payer le professionnel et d’attirer spécialement l’attention du consommateur, au moyen d’une formulation dénuée d’ambiguïté, sur le fait que passer commande entraîne l’obligation de payer le professionnel.
51 Or, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, interpréter l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 en ce sens que cette disposition ne s’appliquerait pas lorsque le consommateur n’a pas, de manière inconditionnelle, une obligation de payer le professionnel, mais n’est tenu de payer à ce professionnel la contrepartie à titre onéreux qu’après la réalisation d’une condition ultérieure, irait à l’encontre des objectifs poursuivis par cette directive, tels qu’énoncés aux points 49 et 50 du présent arrêt, d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, ainsi que, plus spécifiquement, d’attirer l’attention du consommateur sur le fait que passer commande entraîne l’obligation de payer ledit professionnel.
52 En effet, une telle interprétation aboutirait à ce que le professionnel ne soit pas tenu de satisfaire à son obligation d’information, énoncée à cette disposition afin d’éclairer le consommateur sur les conséquences pécuniaires de sa commande, au moment où ce consommateur peut encore renoncer à cette commande, mais uniquement postérieurement, lorsque le paiement devient exigible.
53 En conséquence, ainsi que cela a été souligné en substance par la juridiction de renvoi, une telle interprétation offrirait aux professionnels la possibilité de s’affranchir de l’obligation d’information édictée à l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 au moment où précisément celle-ci est susceptible de s’avérer utile pour le consommateur, simplement en insérant dans leurs conditions générales des clauses qui feraient dépendre l’obligation de paiement du consommateur de la survenance de conditions objectives et ne dépendant pas de l’expression de la volonté du consommateur.
54 Cela étant, il doit être souligné que l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 se limite à prévoir, en pareil cas, que le consommateur n’est pas lié par le contrat concerné. Or, conformément à l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2011/83, celle-ci n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues par la législation nationale, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par cette directive elle même.
55 Par conséquent, l’interprétation retenue aux points 49 à 53 du présent arrêt est sans préjudice de la possibilité que, après avoir obtenu une information ultérieure sur l’obligation de paiement, le consommateur peut décider de maintenir les effets d’un contrat ou d’une commande qui, jusqu’alors, ne le liait pas en raison du non respect, par le professionnel, lors de sa conclusion, de son obligation prévue à l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83.
56 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83 doit être interprété en ce sens que, dans le cas des contrats à distance conclus par l’intermédiaire de sites Internet, l’obligation pesant sur le professionnel de veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, accepte explicitement une obligation de payer, s’applique même quand le consommateur n’est tenu de payer à ce professionnel la contrepartie à titre onéreux qu’après la réalisation d’une condition ultérieure.
Sur les dépens
57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil,
doit être interprété en ce sens que :
dans le cas des contrats à distance conclus par l’intermédiaire de sites Internet, l’obligation pesant sur le professionnel, de veiller à ce que le consommateur, lorsqu’il passe sa commande, accepte explicitement une obligation de payer, s’applique même quand le consommateur n’est tenu de payer à ce professionnel la contrepartie à titre onéreux qu’après la réalisation d’une condition ultérieure.