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Décisions

CJUE, 8e ch., 30 mai 2024, n° C-176/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

UG

Défendeur :

SC Raiffeisen Bank SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Piçarra

Juges :

M. Jääskinen (rapporteur), M. Gavalec

Avocat général :

Mme Kokott

CJUE n° C-176/23

29 mai 2024

LA COUR (huitième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UG, un consommateur, à SC Raiffeisen Bank SA au sujet de la constatation du caractère abusif de clauses contenues dans un contrat de crédit conclu entre ces parties.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le treizième considérant de la directive 93/13 énonce :

« [C]onsidérant que les dispositions législatives ou réglementaires des États membres qui fixent, directement ou indirectement, les clauses de contrats avec les consommateurs sont censées ne pas contenir de clauses abusives ; que, par conséquent, il ne s’avère pas nécessaire de soumettre aux dispositions de la présente directive les clauses qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des principes ou des dispositions de conventions internationales dont les États membres ou la Communauté sont parties ; que, à cet égard, l’expression “dispositions législatives ou réglementaires impératives” figurant à l’article 1er paragraphe 2 couvre également les règles qui, selon la loi, s’appliquent entre les parties contractantes lorsqu’aucun autre arrangement n’a été convenu ».

4 L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive prévoit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont parti[e]s, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

5 L’article 3 de ladite directive dispose :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

Le fait que certains éléments d’une clause ou qu’une clause isolée aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste d’un contrat si l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion.

Si le professionnel prétend qu’une clause standardisée a fait l’objet d’une négociation individuelle, la charge de la preuve lui incombe. »

Le droit roumain

La loi concernant les clauses abusives

6 L’article 3 de la Legea nr. 193, privind clauzele abuzive din contractele încheiate între profesioniști și consumatori (loi no 193, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs), du 6 novembre 2000 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, no°543 du 3 août 2012, ci après la « loi concernant les clauses abusives »), prévoit, à son paragraphe 2, que les clauses contractuelles prévues sur le fondement d’autres textes législatifs en vigueur ne sont pas soumises aux dispositions de cette loi.

L’OUG no 50/2010

7 Aux termes de l’article 37 de l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 50, privind contractele de credit pentru consumatori (ordonnance d’urgence du gouvernement no 50, relative aux contrats de crédit aux consommateurs), du 9 juin 2010 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 389 du 11 juin 2010), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« OUG no 50/2010 ») :

« Les règles suivantes s’appliquent aux contrats de crédit à taux variable :

a) le taux d’intérêt est lié aux fluctuations des indices de référence Euribor/ROBOR/LIBOR/taux directeur de la BNR [Banca Națională a României (Banque nationale de Roumanie)], selon la devise du crédit, auxquels le créancier peut ajouter une marge, fixe pour toute la durée du contrat ;

b) la marge du taux d’intérêt ne peut être modifiée qu’à la suite de modifications législatives l’imposant expressément ;

c) conformément à la politique commerciale de chaque établissement de crédit, par dérogation aux dispositions sous b), la valeur de la marge et des indices de référence peut être réduite ;

d) le contrat doit indiquer expressément la méthode de calcul de la variation du taux d’intérêt, en précisant la périodicité et/ou les conditions de la modification du taux d’intérêt, à la hausse ou à la baisse ;

e) les éléments entrant dans la méthode de calcul de la variation du taux d’intérêt et la valeur de celui-ci doivent être publiés sur les sites Internet et dans tous les locaux des créanciers. »

8 Aux termes de l’article 95 de l’OUG no 50/2010 :

« 1. Pour les contrats en cours d’exécution, les créanciers sont tenus, dans un délai de 90 jours après la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance d’urgence, de garantir la conformité du contrat aux dispositions de la présente ordonnance d’urgence.

2. La modification des contrats en cours d’exécution se fera au moyen d’avenants, dans un délai de 90 jours après la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance d’urgence.

3. Le créancier doit pouvoir prouver qu’il a fait diligence pour informer le consommateur en ce qui concerne la signature des avenants.

4. Il est interdit d’introduire dans les avenants des dispositions autres que celles visées par la présente ordonnance d’urgence. L’introduction, dans les avenants, de toute autre disposition que celles imposées par la présente ordonnance d’urgence est considérée comme nulle de plein droit.

5. L’absence de signature des avenants prévus au paragraphe 2 par le consommateur est considérée comme une acceptation tacite. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Le 23 mars 2007, UG a conclu avec Raiffeisen Bank un contrat de crédit à taux variable d’un montant de 15 300 francs suisses (CHF) (environ 16 048 euros) (ci-après le « contrat de crédit en cause »). À la date de conclusion de ce contrat, le taux d’intérêt courant était de 5,9 % par an, mais selon les clauses dudit contrat, le professionnel avait la possibilité de modifier ce taux en fonction de l’évolution du marché financier, en portant à la connaissance de l’emprunteur le nouveau taux d’intérêt selon les modalités prévues dans les conditions générales.

10 Le 10 septembre 2010, Raiffeisen Bank a notifié à UG un avenant au contrat de crédit en cause afin de faire correspondre ce dernier aux exigences de l’OUG no 50/2010. Par cette notification, Raiffeisen Bank indiquait à UG que le législateur national avait imposé des modifications à tous les contrats de crédit conclus avec les consommateurs. Des modifications devaient notamment être apportées aux clauses contractuelles relatives à la détermination du taux variable, en le rapportant à un indice objectif en fonction de la devise dans laquelle le crédit a été consenti, augmenté par l’établissement de crédit d’une marge fixe pour toute la durée du contrat. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que cet avenant n’a pas été signé par UG, de telle sorte qu’il a été réputé y avoir tacitement consenti, conformément à l’article 95, paragraphe 5, de l’OUG no 50/2010.

11 Le 29 décembre 2017, UG a introduit un recours devant la Judecătoria Sighișoara (tribunal de première instance de Sighișoara, Roumanie) visant notamment à constater le caractère abusif des clauses du contrat de crédit en cause relatives à la possibilité, pour la banque, de modifier le taux d’intérêt. UG demandait également au juge de première instance de constater, pour ce motif, la nullité absolue de ces clauses et la restitution des sommes versées au titre de celles-ci.

12 Par décision du 10 juin 2020, la juridiction de première instance a rejeté ce recours, au motif notamment que, eu égard à la loi concernant les clauses abusives, qui transpose la directive 93/13 en droit roumain, il ne lui était pas permis d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses du contrat de crédit en cause résultant de l’avenant visé au point 10 du présent arrêt étant donné, entre autres, qu’elles sont le reflet d’une obligation instituée par les dispositions impératives d’un acte réglementaire national, à savoir l’OUG no 50/2010.

13 UG a fait appel de ce jugement devant le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureş, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi, faisant notamment valoir que les dispositions de l’OUG no 50/2010 visent uniquement à renforcer la protection des consommateurs et que, s’agissant du contrat de crédit en cause, les modifications y apportées par l’avenant qui lui a été notifié par Raiffeisen Bank n’étaient pas conformes à cet acte réglementaire national.

14 Selon Raiffeisen Bank, la clause du contrat de crédit en cause relative à la détermination du taux d’intérêt qui figurait initialement dans ce contrat a cessé de produire ses effets à la date d’entrée en vigueur de l’avenant du 10 septembre 2010, ladite clause ayant été remplacée à ce moment par celle en vigueur à la date de l’introduction du recours de UG, selon laquelle ce taux d’intérêt est désormais lié à un indice de référence vérifiable, augmenté d’une marge fixe établie par la banque, conformément aux exigences de l’OUG no 50/2010. Raiffeisen Bank fait valoir qu’elle s’était ainsi conformée à la législation applicable, en mettant en œuvre les dispositions nationales pertinentes.

15 Selon la juridiction de renvoi, la question de savoir si elle peut se livrer à une appréciation du caractère éventuellement abusif de certaines clauses contractuelles relevant du champ d’application de l’OUG nº 50/2010 doit être examinée à la lumière de la directive 93/13 et de la jurisprudence pertinente de la Cour, notamment au regard de l’interprétation stricte que doit recevoir l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, qui constitue une exception au régime de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives.

16 Certes, la Cour serait partie du principe que le législateur national, en imposant aux parties une clause contractuelle dont le contenu reflète une disposition de droit national contraignante, aurait entendu, ce faisant, établir un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties audit contrat, de telle sorte qu’une telle clause ne pourrait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel de son caractère éventuellement abusif. Toutefois, la juridiction de renvoi est d’avis que même lorsqu’une clause d’un contrat de crédit répond aux exigences de l’article 37 de l’OUG no 50/2010, le consommateur n’est toujours pas en mesure de se représenter l’étendue des obligations qui lui incombent, dans la mesure où cette disposition se borne à prévoir que le taux d’intérêt variable doit être déterminé non seulement en fonction d’un indice objectif, mais aussi d’une marge fixe répondant aux intérêts du professionnel. En outre, cet indice objectif, bien qu’étant fixé indépendamment de la volonté des parties, serait susceptible de fluctuations substantielles. Or, selon cette juridiction, à la différence d’un consommateur moyen et avisé, de telles fluctuations peuvent être exploitées par un professionnel, grâce à son expérience et à sa plus grande capacité d’anticipation.

17 Dès lors, ladite juridiction doute que, faute de mécanismes adéquats destinés à protéger le consommateur, les dispositions pertinentes de l’OUG no 50/2010 soient susceptibles d’être regardées comme étant de nature à être mises en œuvre indépendamment de la volonté des parties ou d’être applicables d’office, en l’absence de toute autre forme d’accord entre les parties. L’appréciation du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles reflétant ces dispositions ne devrait donc pas être soustraite au contrôle juridictionnel.

18 Une telle conclusion ne serait toutefois pas conforme à la jurisprudence nationale dominante selon laquelle les clauses contractuelles contenues dans des avenants mis en œuvre par des professionnels en vertu de l’OUG no 50/2010 ne peuvent faire l’objet d’un tel contrôle.

19 Dans ces conditions, le Tribunalul Specializat Mureş (tribunal spécialisé de Mureş) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [93/13] transposées en droit national par l’article 3, paragraphe 2, de la [loi concernant les clauses abusives],

Lues à la lumière, notamment, des douzième et treizième considérants de [cette] directive,

Ainsi qu’en tenant compte des articles 80 et 81 de [l’OUG no 50/2010],

doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles n’excluent pas la possibilité pour les juridictions nationales d’examiner également les soupçons de caractère abusif des clauses contractuelles figurant dans les avenants aux contrats de crédit conclus par des professionnels avec des consommateurs avant l’entrée en vigueur de cette dernière disposition législative, à savoir [les avenants conclus] en vertu de l’article 95 de l’OUG no 50/2010, que ces clauses aient été expressément acceptées par le consommateur de la manière prévue à l’article 40, paragraphe 1, de l’OUG no 50/2010 ou qu’elles soient réputées avoir été tacitement acceptées “ope legis” de la manière prévue à l’article 40, paragraphe 3, de l’OUG no 50/2010 ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, eu égard aux prémisses exposées ci-dessus et dans les circonstances de l’affaire au principal, une jurisprudence des juridictions nationales conformément à laquelle l’acceptation expresse d’un avenant établi de la manière prévue à l’article 40, paragraphe 1, [de l’OUG no 50/2010] et en vertu de l’article 95 de [celle-ci] conduit automatiquement à conclure que cet acte a été négocié et que, par conséquent, les clauses y figurant ne peuvent faire l’objet de l’examen de leur éventuel caractère abusif, est-elle contraire [au droit de l’Union] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’appréciation du caractère abusif de clauses contenues dans un contrat de crédit à la consommation conclu entre un consommateur et un professionnel dans des circonstances où des modifications ont été apportées par ce professionnel à ces clauses afin d’assurer la conformité de ce contrat de crédit à une réglementation nationale impérative relative aux modalités de détermination du taux d’intérêt en vertu de laquelle ce taux doit être remplacé par un taux d’intérêt déterminé sur la base de l’un des indices de référence prévus par cette réglementation et augmenté d’une marge fixe établie par ce professionnel pour toute la durée du contrat.

21 Tout d’abord, il importe de souligner que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 exclut du champ d’application de celle-ci les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives.

22 En outre, eu égard à l’objectif poursuivi par cette directive, à savoir la protection des consommateurs contre les clauses abusives dans les contrats conclus avec un professionnel, l’exclusion instituée à cet article 1er, paragraphe 2, est d’interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C 243/20, EU:C:2021:1045, point 37).

23 D’une part, il ressort d’une jurisprudence constante que l’expression « dispositions législatives ou réglementaires impératives », lue à la lumière du treizième considérant de ladite directive, englobe à la fois les dispositions de droit national qui s’appliquent entre les parties contractantes indépendamment de leur choix et celles qui sont de nature supplétive, c’est à-dire qui s’appliquent par défaut, en l’absence d’un arrangement différent entre les parties (arrêt du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C 243/20, EU:C:2021:1045, point 30 et jurisprudence citée).

24 En ce qui concerne, d’autre part, le point de savoir si une clause contractuelle « reflète », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, une telle disposition législative ou réglementaire impérative du droit national, il convient de rappeler que l’exclusion instituée par cette disposition est justifiée par le fait qu’il est, en principe, légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver. En outre, la circonstance selon laquelle un tel équilibre a été établi constitue non pas une condition pour l’application de l’exclusion visée audit article 1er, paragraphe 2, mais la justification de cette exclusion (arrêt du 6 juillet 2023, First Bank, C 593/22, EU:C:2023:555, point 22 et jurisprudence citée).

25 Ainsi, en l’occurrence, aux fins d’apprécier si une clause contractuelle reflétant une disposition de l’OUG no 50/2010 est exclue du champ d’application de la directive 93/13 en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, il n’appartient pas à la juridiction de renvoi de vérifier au préalable que, par cet acte, le législateur national a veillé à établir un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties au contrat en cause.

26 Ensuite, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une clause d’un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel qui reflète une disposition de droit national impérative qui n’est pas applicable à ce contrat ou qui se borne à se référer non pas à une telle disposition, mais à une réglementation nationale dans son ensemble, ne saurait être considérée comme reflétant une disposition de droit national impérative, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, et être, dès lors, soustraite au contrôle juridictionnel de son caractère éventuellement abusif (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, RWE Vertrieb, C 92/11, EU:C:2013:180, point 30, et du 3 avril 2019, Aqua Med, C 266/18, EU:C:2019:282, points 35 à 38).

27 Partant, pour qu’une clause contractuelle « reflète » une disposition législative ou réglementaire impérative, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, cette clause doit reproduire le contenu normatif d’une disposition impérative applicable au contrat en cause, de sorte qu’elle puisse être considérée comme exprimant, de façon concrète, la même norme juridique que celle visée à cette disposition impérative (arrêt du 6 juillet 2023, First Bank, C 593/22, EU:C:2023:555, point 25).

28 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux appréciations nécessaires, aux fins de déterminer si la clause contractuelle en cause au principal reflète, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13, les dispositions pertinentes de l’OUG no 50/2010.

29 Néanmoins, compte tenu des éléments ressortant du dossier dont dispose la Cour, il apparaît que les clauses contractuelles contenues dans le contrat de crédit en cause au principal résultent des dispositions de l’OUG no 50/2010. En effet, ces dispositions ont obligé les banques à apporter certaines modifications à tous les contrats de crédit à la consommation. Cette obligation légale a concerné en particulier les clauses relatives aux modalités de détermination du taux d’intérêt variable. En outre, il semble que l’OUG no 50/2010 ait privé les consommateurs de la possibilité d’accepter ou de refuser ces modifications. En effet, l’OUG no 50/2010 prévoyait que si les consommateurs ne signaient pas l’avenant notifié par la banque, ils étaient réputés en avoir tacitement accepté les termes.

30 Toutefois, si l’article 37, sous a), de l’OUG no 50/2010 prévoyait que le taux d’intérêt des contrats de crédits devait être remplacé par un taux d’intérêt déterminé sur la base d’un indice de référence et d’une marge fixe, applicable pour toute la durée du contrat, il ressort néanmoins du dossier dont dispose la Cour que les banques disposaient d’une marge d’appréciation en ce qui concerne tant le choix de l’indice de référence que l’importance de cette marge fixe.

31 Dans ces conditions, il apparaît, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, que la réglementation nationale a établi un cadre général et les conditions à respecter en vue de la fixation du nouveau taux d’intérêt variable, tout en laissant une marge d’appréciation aux établissements de crédit en vue de calculer ce nouveau taux.

32 Or, dans son arrêt du 3 mars 2020, Gómez del Moral Guasch (C 125/18, EU:C:2020:138, points 33 à 37), la Cour a dit pour droit que l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 ne s’appliquait pas à une clause contractuelle qui prévoyait que le taux d’intérêt applicable au prêt était fondé sur l’un des indices de référence officiels prévus par la réglementation nationale, lorsque cette réglementation ne prévoyait pas l’application impérative de cet indice, mais laissait à la banque la possibilité de définir le taux d’intérêt variable d’une autre manière.

33 Il s’ensuit que l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 ne s’applique pas dans une situation où des modifications ont été apportées par un professionnel à des clauses d’un contrat de crédit à la consommation pour assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale, adoptée après la conclusion de celui ci, si cette réglementation ne fait qu’établir un cadre général en vue de la fixation du taux d’intérêt de ce contrat de crédit, tout en laissant à ce professionnel une marge d’appréciation en ce qui concerne tant le choix de l’indice de référence de ce taux que l’importance de la marge fixe pouvant être ajoutée audit taux.

34 Enfin, compte tenu des interrogations de la juridiction de renvoi, il convient de rappeler, à toutes fins utiles, que l’application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 revêt un caractère objectif et ne dépend pas, par exemple, des informations fournies au consommateur par le professionnel ni de la connaissance qu’a le consommateur des dispositions de droit applicables (arrêt du 6 juillet 2023, First Bank, C 593/22, EU:C:2023:555, point 31).

35 Dès lors, l’acceptation éventuelle, expresse ou tacite, des modifications du contrat en cause par le consommateur ne saurait avoir une incidence sur le point de savoir si les clauses contractuelles concernées par ces modifications sont exclues du champ d’application de la directive 93/13 en vertu de son article 1er, paragraphe 2.

36 Eu égard aux motifs qui précédent il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’appréciation du caractère abusif de clauses contenues dans un contrat de crédit à la consommation conclu entre un consommateur et un professionnel dans des circonstances où des modifications ont été apportées par ce professionnel à ces clauses afin d’assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale impérative relative aux modalités de détermination du taux d’intérêt, si cette réglementation ne fait qu’établir un cadre général en vue de la fixation du taux d’intérêt dudit contrat, tout en laissant audit professionnel une marge d’appréciation en ce qui concerne tant le choix de l’indice de référence de ce taux que l’importance de la marge fixe pouvant être ajoutée à ce dernier.

Sur la seconde question

37 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 15 juillet 2021, Ministrstvo za obrambo, C 742/19, EU:C:2021:597, point 31 et jurisprudence citée).

38 Il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [arrêt du 21 mars 2024, Profi Credit Bulgaria (Services accessoires au contrat de crédit), C 714/22, EU:C:2024:263, point 48 et jurisprudence citée].

39 En l’occurrence, les clauses contractuelles figurant dans l’avenant en cause au principal auraient été préétablies par Raiffeisen Bank et le requérant au principal n’aurait pas eu la possibilité d’en négocier les clauses ou d’avoir quelconque influence sur leur contenu. Il ressort de la décision de renvoi que la jurisprudence nationale dominante considère que les clauses contractuelles contenues dans des avenants mis en œuvre par des professionnels sur le fondement de l’OUG no 50/2010 ne peuvent faire l’objet d’un examen de leur caractère éventuellement abusif, même si ces clauses n’ont pas fait l’objet d’une négociation avec le consommateur.

40 Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les modifications apportées par un professionnel aux clauses d’un contrat de crédit à la consommation pour assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale, qui laisse une marge d’appréciation au professionnel, ne peuvent faire l’objet d’un examen de leur éventuel caractère abusif, même si ces clauses n’ont pas été négociées avec le consommateur.

41 À cet égard, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, seule une clause d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel de son caractère éventuellement abusif.

42 L’article 3, paragraphe 2, de cette directive précise en outre qu’une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement par le professionnel et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, ce qui sera nécessairement le cas s’il s’agit d’un contrat d’adhésion.

43 S’il appartient à la juridiction de renvoi de prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles une telle clause a été présentée au consommateur afin de déterminer si ce dernier a pu avoir une influence sur son contenu (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C 452/18, EU:C:2020:536, point 35), la Cour a toutefois déjà dit pour droit que la simple signature d’un contrat conclu par un consommateur avec un professionnel, stipulant que, par celle-ci, ce consommateur accepte l’ensemble des clauses contractuelles rédigées au préalable par le professionnel, n’entraîne pas un renversement de la présomption selon laquelle de telles clauses n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle (ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz, C 211/17, EU:C:2019:906, point 51).

44 La Cour a également dit pour droit qu’une modification apportée à une clause relative aux taux d’intérêts qui s’inscrit dans la politique générale de renégociation des contrats de prêt hypothécaire adossés à un taux variable en vue de rendre cette clause conforme à une décision d’une cour suprême, pourrait constituer un indice de ce que le consommateur n’a pas pu exercer une influence sur le contenu de ladite clause. En outre, la circonstance que le consommateur a fait précéder sa signature d’une mention manuscrite indiquant qu’il avait compris le mécanisme de la même clause ne suffit pas pour établir que celle-ci a fait l’objet d’une négociation individuelle (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Ibercaja Banco, C 452/18, EU:C:2020:536, points 36 et 38).

45 Il en découle que le caractère négocié d’une clause contenue dans un contrat de crédit conclu entre un professionnel et un consommateur ne saurait être fondé sur une simple présomption, sans qu’il soit prouvé que le consommateur a, en réalité, pu concrètement négocier cette clause et avoir ainsi une influence sur son contenu.

46 Eu égard aux motifs qui précédent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 3 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les modifications apportées par un professionnel aux clauses d’un contrat de crédit à la consommation pour assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale, qui laisse une marge d’appréciation au professionnel, ne peuvent faire l’objet d’un examen de leur éventuel caractère abusif, même si ces clauses n’ont pas été négociées avec le consommateur.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1) L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à l’appréciation du caractère abusif de clauses contenues dans un contrat de crédit à la consommation conclu entre un consommateur et un professionnel dans des circonstances où des modifications ont été apportées par ce professionnel à ces clauses afin d’assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale impérative relative aux modalités de détermination du taux d’intérêt, si cette réglementation ne fait qu’établir un cadre général en vue de la fixation du taux d’intérêt dudit contrat, tout en laissant audit professionnel une marge d’appréciation en ce qui concerne tant le choix de l’indice de référence de ce taux que l’importance de la marge fixe pouvant être ajoutée à ce dernier.

2) L’article 3 de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les modifications apportées par un professionnel aux clauses d’un contrat de crédit à la consommation pour assurer la conformité de ce contrat à une réglementation nationale, qui laisse une marge d’appréciation au professionnel, ne peuvent faire l’objet d’un examen de leur éventuel caractère abusif, même si ces clauses n’ont pas été négociées avec le consommateur.