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Cass. crim., 28 mai 2024, n° 23-86.738

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. crim. n° 23-86.738

28 mai 2024

N° F 23-86.738 F-D

N° 00667

ODVS
28 MAI 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 MAI 2024

M. [N] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 19 octobre 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de recel de vol en bande organisée, vols, destruction par un moyen dangereux, en bande organisée, association de malfaiteurs, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 15 janvier 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [N] [D], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen notamment des chefs susvisés le 27 octobre 2022, M. [N] [D] a déposé une requête en annulation d'actes et de pièces de la procédure le 27 avril 2023.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité présentés par la défense et dit pour le surplus que le dossier d'information ne comporte aucun vice de forme de nature à entraîner l'annulation de pièces de la procédure, alors « qu'une mesure de géolocalisation ne peut être mise en œuvre en ayant recours à un prestataire de service qu'à la double condition que le juge qui a autorisé cette mesure ait spécifiquement autorisé l'intervention d'un prestataire aux fins de sa mise en œuvre d'une part, et que ce juge ait constaté l'impossibilité technique de recourir à la PNIJ d'autre part ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure, ainsi que le faisait valoir la défense, que les enquêteurs ont requis les services du prestataire [1] aux fins de mettre en œuvre une mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique utilisée par Monsieur [D], cependant même que même que le juge d'instruction n'a ni constaté l'impossibilité technique de recourir à la PNIJ pour mettre en œuvre cette mesure, ni autorisé les enquêteurs à requérir un prestataire de service à cette fin ; qu'en se bornant toutefois à affirmer que cette irrégularité ne pouvait conduire à l'annulation de la mesure de géolocalisation critiquée, quand il lui incombait de vérifier si le recours à un prestataire de service aux fins de mise en œuvre de cette mesure avait été spécifiquement autorisé et motivé par le juge d'instruction, et d'annuler la mesure litigieuse dans le cas contraire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 230-32, 230-45, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

4. Pour rejeter le moyen de nullité de la mesure de géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique utilisée par le requérant, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 230-45 du code de procédure pénale n'ont pas été respectées, ni le juge d'instruction dans sa commission rogatoire ni les enquêteurs dans leurs réquisitions à l'opérateur téléphonique et à la société [1] n'ayant justifié d'une impossibilité technique de transmettre ces dernières par l'intermédiaire de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).

5. Les juges ajoutent que, toutefois, cette irrégularité ne saurait entraîner l'annulation de la mesure dès lors que la société [1] se contente de mettre à disposition le matériel permettant l'acheminement des données dont elle n'est pas à l'origine et qu'elle ne détient que provisoirement.

6. Ils constatent encore que le requérant n'allègue ni ne justifie d'un grief et qu'il se trouve d'ailleurs dans l'impossibilité de le faire dès lors que l'objet du recours à la PNIJ est seulement, selon l'article R. 40-43 du code précité, d'enregistrer les informations, données et contenus de communication et de les mettre à la disposition des magistrats et enquêteurs afin de faciliter la constatation des infractions, le rassemblement des preuves et la recherche de leurs auteurs.

7. C'est à tort que la chambre de l'instruction n'a pas recherché si, à la date des actes litigieux, au mois de juin 2020, il existait une impossibilité technique de recourir à la PNIJ pour l'exécution de la mesure de géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique que le juge d'instruction autorisait en même temps que son interception.

8. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors qu'il résulte de la note établie le 5 mars 2024 par le directeur de l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires, versée au débat, que la PNIJ n'a présenté la capacité technique de fournir une telle prestation qu'à compter du mois d'août 2023.

9. Il s'ensuit qu'à la date des investigations critiquées, l'impossibilité technique était nécessairement caractérisée, de sorte que les dispositions de l'article 230-45 du code de procédure pénale n'ont pas été méconnues.

10. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité présentés par la défense et dit pour le surplus que le dossier d'information ne comporte aucun vice de forme de nature à entraîner l'annulation de pièces de la procédure, alors « que la Chambre de l'instruction, saisie d'une demande d'annulation visant l'absence d'habilitation de l'enquêteur ayant consulté le TAJ et le FPR, est tenue de s'assurer de la réalité de l'habilitation spéciale et individuelle de celui-ci, y compris lorsque celui-ci agit dans le cadre d'une commission rogatoire, au besoin en ordonnant un supplément d'information ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que les données personnelles de Monsieur [D], figurant au TAJ et au FPR, avaient été consultées par Monsieur [H] [K], [S] de Police, et Monsieur [F] [E], Brigadier de Police, sans que l'habilitation spéciale et individuelle de ces enquêteurs n'ait été versée en procédure ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler les actes relatant ces consultations, que les enquêteurs pouvaient, sans y être habilités ni avoir été désignés à cette fin, accéder au TAJ et au FPR, dès lors qu'ils agissaient dans le cadre d'une commission rogatoire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 152, 230-6, 230-10, R. 40-23, R. 40-28, 230-19, R. 40-38 du Code de procédure pénale et 5 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 15-5 et 593 du code de procédure pénale :

12. Selon le premier de ces textes, immédiatement applicable à la procédure conformément à l'article 112-2, 2°, du code pénal, seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction. L'absence, dans les pièces de procédure, de mention de cette habilitation, dont la réalité peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure.

13. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Pour rejeter le moyen de nullité de la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires et du fichier des personnes recherchées, l'arrêt attaqué énonce que, indépendamment des divers textes prescrivant un accès à ces fichiers par des agents individuellement désignés et spécialement habilités, cette consultation est régulière lorsqu'elle est effectuée par toute personne requise à cette fin par un enquêteur autorisé par commission rogatoire du juge d'instruction, c'est-à-dire sous son contrôle, en application des articles 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale.

15. Les juges ajoutent que tel a été le cas, la consultation des fichiers ayant été effectuée pour l'exécution de la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction le 6 septembre 2019.

16. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

17. En effet, saisie d'une demande de vérification de la réalité de l'habilitation spéciale et individuelle des deux enquêteurs ayant consulté les traitements, elle devait procéder à ce contrôle, au besoin en ordonnant un supplément d'information, la circonstance que ces enquêteurs aient agi pour l'exécution d'une commission rogatoire étant indifférente.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 19 octobre 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité de la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires et du fichier des personnes recherchées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille vingt-quatre.