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Décisions

CA Versailles, ch.protection soc. 4-7, 23 mai 2024, n° 23/01220

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/01220

23 mai 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88A

Ch.protection sociale 4-7

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 MAI 2024

N° RG 23/01220 - N° Portalis DBV3-V-B7H-V23K

AFFAIRE :

[P] [M]

C/

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Avril 2023 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTERRE

N° RG : 20/00322

Copies exécutoires délivrées à :

la SELARL CABINET BORNHAUSER

URSSAF CVDL

Copies certifiées conformes délivrées à :

[P] [M]

URSSAF CVDL

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [M]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Marc BORNHAUSER de la SELARL CABINET BORNHAUSER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1522, substitué par Me MOREIRA Sandra, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par M. [J] [X], en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseillère chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseillère,

Madame Laëtitia DARDELET, Conseillère,

Greffière, lors des débats : Madame Zoé AJASSE,

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 décembre 2017, l'URSSAF du Centre-Val de Loire (l'URSSAF) a adressé à M. [P] [M] (le cotisant) un appel de cotisation subsidiaire maladie (CSM) d'un montant de 7 124 euros pour l'année 2016, au titre de la protection universelle maladie.

Le 19 avril 2019, l'URSSAF a adressé au cotisant, qui l'a réceptionnée le 20 avril 2019, une mise en demeure de payer la somme de 7 124 euros.

Par acte d'huissier de justice en date du 2 décembre 2019, l'URSSAF a signifié, à la personne même du cotisant, la contrainte émise le 26 novembre 2019 à son encontre et portant sur la somme de 7 124 euros par référence à la précédente mise en demeure.

Le 11 décembre 2019, le cotisant a fait opposition à cette contrainte devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

Le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre, par jugement réputé contradictoire du 19 avril 2023, a :

- validé la contrainte signifiée par l'URSSAF datée du 26 novembre 2019 et signifiée le 2 décembre 2019 à l'encontre du cotisant pour un montant de 7 124 euros ;

- Condamné, en conséquence, le cotisant à payer à l'URSSAF la dite somme ;

- condamné le cotisant aux dépens, incluant les frais de signification de 72, 38 euros.

Par déclaration du 17 mai 2023, le cotisant a interjeté appel du présent jugement et les parties ont été appelées à l'audience du 26 mars 2024.

Par conclusions écrites et soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le cotisant demande à la cour :

à titre principal,

- d'annuler le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre rendu le 19 avril 2023 ;

- d'annuler la contrainte qui lui a été signifiée ;

- de prononcer la décharge de la somme de 7 124 euros due au titre de la cotisation subsidiaire maladie ;

à titre subsidiaire,

- de saisir la cour de cassation pour avis sur le fondement de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire en raison des questions de droit relatives à l'incompétence, les infractions à la réglementation en matière de données personnelles et la réserve d'interprétation constitutionnelle ;

à titre plus subsidiaire,

- de saisir la cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : le règlement n° 2016/679 et le principe d'effectivité du droit de l'union européenne doivent-il être interprétés en ce sens que le juge national a l'obligation d'annuler un appel de cotisation établi sur la base de données traitées et transférées illégalement '

En tout état de cause,

- de condamner l'URSSAF aux dépens.

Par conclusions écrites et soutenues à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, l'URSSAF demande à la cour :

à titre principal,

- de valider la contrainte du 26 novembre 2019 signifiée le 2 décembre 2019 ;

- de valider la mise en demeure datée du 19 avril 2019 notifiée le 20 avril 2019 ;

- de valider l'appel de cotisation subsidiaire maladie 2016 du 15 décembre 2017 pour son montant de 7124 euros ;

à titre reconventionnel,

- de condamner le cotisant au règlement de la CSM 2016 d'un montant de 7 124 euros ;

- de condamner le cotisant aux frais de signification de contrainte d'un montant de 72,38 euros ;

- de rejeter toutes les demandes du cotisant ;

- de condamner le cotisant aux dépens.

Concernant les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le cotisant sollicite l'octroi d'une somme de 1 200 euros. L'URSSAF ne formule aucune demande sur ce fondement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du jugement

Selon l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion. Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

Par application des articles 558 et suivants et de l'article 543 du code de procédure civile, le jugement n'est susceptible de nullité qu'en cas d'irrégularités procédurales ou qu'en cas d'excès de pouvoir consistant pour le juge à méconnaître l'étendue de son pouvoir de juger.

En l'espèce, le cotisant ne demande la nullité du jugement que dans le dispositif de ses conclusions et n'expose aucun moyen de nullité du jugement.

Il convient de considérer que le cotisant ne justifie pas de la nullité du jugement et cette demande sera rejetée.

Sur la régularité de la mise en demeure

Le cotisant expose que la mise en demeure mentionne que la CSM est afférente à la période du quatrième trimestre 2016, ce qui est incompréhensible puisqu'il s'agit d'une cotisation annuelle ; que l'absence d'un contenu précis de la mise en demeure et notamment le caractère erroné de la période à laquelle la cotisation se rapporte entraîne la nullité de la mise en demeure sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.

L'URSSAF ne répond pas sur ce point.

Sur ce

En vertu de l'article R. 244-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016, la mise en demeure doit préciser la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s'y appliquent, ainsi que la période à laquelle elles se rapportent.

En l'espèce, la mention 'quatrième trimestre 2017' figure en colonne 'période' de la mise en demeure du 19 avril 2019.

L'avertissement ou la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. A cette fin il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice. Elle doit également préciser le délai d'un mois pour régulariser la situation.

La mise en demeure contestée comporte les informations suivantes :

- la date de son établissement, à savoir le 19 avril 2019,

- la nature des cotisations concernées en l'occurrence la cotisation subsidiaire maladie,

- le motif de la mise en recouvrement en l'espèce, ce qui n'est pas contesté, une absence de versement de cette cotisation obligatoire malgré l'appel de cotisation préalablement adressé,

- la période de référence, en l'espèce le quatrième trimestre 2017,

- et le montant réclamé soit 7 124 euros.

Cette mise en demeure porte mention du délai d'un mois pour s'acquitter du paiement des cotisations ainsi que la possibilité de saisir la commission de recours amiable en cas de contestation.

S'agissant de la période, la mention que la cotisation se rapportait au quatrième trimestre 2017 n'est pas de nature à induire en erreur le cotisant quant à l'étendue de ses obligations dans la mesure où la CSM est redevable annuellement et ne peut correspondre qu'à la cotisation annuelle appelée au cours du quatrième trimestre de l'année, comme le lui avait précisé l'appel de cotisation.

Il résulte de ce qui précède que la mise en demeure n'encourt pas la nullité, le cotisant ayant parfaitement été en mesure d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation.

Sur le caractère tardif de l'appel de cotisation

Le cotisant reproche à l'URSSAF d'avoir adressé l'appel de cotisation postérieurement au 30 novembre 2017 comme le lui imposait l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale ; que de nombreuses juridictions considèrent que l'appel de cotisations adressé au-delà de la date butoir doit être sanctionné par la nullité, malgré des décisions de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui a rendu des décisions contraires en dépit des conclusions très fermes de l'avocat général.

Il résulte de l'article R. 380-4 du code de la sécurité sociale que la cotisation subsidiaire maladie est appelée au plus tard le dernier jour ouvré du mois de novembre de l'année suivant celle au titre de laquelle elle est due. Elle est exigible dans les trente jours suivant la date à laquelle elle est appelée.

Le non-respect par l'organisme de recouvrement de la date limite mentionnée par ce texte a pour seul effet de reporter le délai au terme duquel la cotisation devient exigible.

Il s'ensuit que la circonstance selon laquelle l'appel de la cotisation en cause est intervenu le 15 décembre 2017 ne saurait faire obstacle à son recouvrement selon les modalités prévues à l'article R. 380-4.

En outre, aucune sanction de nullité n'étant concrètement prévue au délai indicatif prévu par les textes.

Le jugement sera ainsi confirmé de ce chef.

Sur le caractère excessif de la cotisation mise à la charge du cotisant

Le cotisant expose que, dans sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) n° 2018-735 du 27 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a sanctionné l'irrégularité de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale tout en refusant de sanctionner la disposition légale de la CSM pour une raison technique liée aux limites de sa compétence ; que la CSM est une cotisation sociale et non un impôt et c'est au règlement et non à la loi d'en déterminer les modalités de calcul ; que la réserve d'interprétation est d'effet immédiat et vise nécessairement les dispositions réglementaires concernées dans leur rédaction alors en vigueur, le Conseil constitutionnel utilisant le présent de l'indicatif pour formuler sa réserve, ce qui est une nouveauté dans sa pratique.

Il estime que l'URSSAF confond les effets dans le temps d'une décision QPC d'annulation et les effets dans le temps d'une réserve d'interprétation formulée dans une décision QPC. Il demande que la cour constate l'inconstitutionnalité du décret dès lors que ce texte n'a pas été modifié pour tenir compte de cette réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

Il ajoute que l'exécutif a différé l'application de la réserve d'interprétation au préjudice du cotisant ; que l'inapplication de la réserve d'interprétation constitue, au préjudice du cotisant, une violation de l'article 62 de la Constitution.

L'URSSAF affirme que les normes de droit supérieures ont été respectées ; que le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi 2015-1702 du 21 décembre 2015 et les articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale fixant les taux, assiette et modalités de calcul de la cotisation sont issus du décret 2016-979 du 19 juillet 2016.

Elle précise que la réserve du Conseil constitutionnel est d'interprétation directive sans rétroactivité et ne peut conduire à déclarer rétroactivement non conforme le décret susvisé ; que la réserve s'adresse exclusivement aux autorités de l'Etat chargées de l'application de la loi et ne peut donc être invoquée par les justiciables.

Elle ajoute que le Conseil d'Etat a déclaré légale la circulaire interministérielle DSS/5B/2017/322 du 15 novembre 2017 et donc conformes les dispositions réglementaires relatives à la cotisation subsidiaire maladie le 10 juillet 2019.

Sur ce

L'article 62 de la Constitution stipule notamment que 'les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.'

Le 27 septembre 2018, saisi par une QPC (2018-735 QPC) sur la constitutionnalité de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi 2015-1702 du 21 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a rendu la décision suivante :

'. En ce qui concerne la première phrase du 1° et les premières et dernières phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 :

14. En premier lieu, les dispositions contestées créent une différence de traitement entre les assurés sociaux redevables de cotisations sociales sur leurs seuls revenus professionnels et ceux qui, dès lors que leur revenu d'activité professionnelle est inférieur au seuil fixé par le pouvoir réglementaire en application du 1° de l'article L. 380-2 et qu'ils n'ont perçu aucun revenu de remplacement, sont redevables d'une cotisation assise sur l'ensemble de leurs revenus du patrimoine.

15. Toutefois, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge.

16. Dès lors, en créant une différence de traitement entre les personnes pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l'assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se proposait.

17. En deuxième lieu, d'une part, s'il résulte des dispositions contestées une différence de traitement entre deux assurés sociaux disposant d'un revenu d'activité professionnelle d'un montant proche, selon que ce revenu est inférieur ou supérieur au plafond prévu par le quatrième alinéa de l'article L. 380-2, cette différence est inhérente à l'existence d'un seuil. En outre, en application du cinquième alinéa de l'article L. 380-2, lorsque les revenus d'activité sont inférieurs au seuil en deçà duquel une personne est soumise à la cotisation prévue par l'article L. 380-2 mais supérieure à la moitié de ce seuil, l'assiette de la cotisation assise sur les revenus du patrimoine fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité.

18. D'autre part, la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé par décret.

19. Enfin, la seule absence de plafonnement d'une cotisation dont les modalités de détermination de l'assiette ainsi que le taux sont fixés par voie réglementaire n'est pas, en elle-même, constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce taux et ces modalités de façon à ce que la cotisation n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

20. En troisième lieu, la cotisation contestée n'entrant pas dans la catégorie des impositions de toutes natures, le grief tiré de ce que son cumul avec des impositions de toutes natures présenterait un caractère confiscatoire prohibé par l'article 13 de la Déclaration de 1789 est inopérant.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la première phrase du 1° et, sous la réserve énoncée au paragraphe 19, les premières et dernières phrases du quatrième alinéa de l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni celui d'égalité devant la loi.'

Il en ressort que le Conseil constitutionnel a validé l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l'espèce.

Les réserves d'interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d'une disposition législative sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée et lient tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation de cette disposition.

Or, les articles D. 380-1 et D. 380-2 du code de la sécurité sociale, modifiés par le décret 2016-979 du 19 juillet 2016 fixent le taux de la cotisation et ses modalités.

En effet, aux termes de l'article D. 380-1,

'I.-Le montant de la cotisation mentionné à l'article L. 380-2 due par les assurés dont les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à un seuil fixé à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale est déterminé selon les formules suivantes :

1° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont inférieurs à 5 % du plafond annuel de la sécurité sociale :

Montant de la cotisation = 8 % × (A-D)

Où :

A est l'assiette des revenus définie au quatrième alinéa de l'article L. 380-2 ;

D, qui correspond au plafond mentionné au quatrième alinéa du même article, est égal à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale ;

2° Si les revenus tirés d'activités professionnelles sont compris entre 5 % et 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale :

Montant de la cotisation = 8 % × (A-D) × 2 × (1-R/ S)

Où :

R est le montant des revenus tirés d'activités professionnelles ;

S, qui correspond au seuil des revenus tirés d'activités professionnelles mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 380-2, est égal à 10 % du plafond annuel de la sécurité sociale.

II.-Lorsque le redevable de cette cotisation ne remplit les conditions mentionnées à l'article L. 160-1 que pour une partie de l'année civile, le montant de la cotisation due est calculé au prorata de cette partie de l'année.

III.-Si, au titre d'une période donnée, l'assuré est redevable de la cotisation prévue à l'article L. 380-3-1, il ne peut être redevable de la cotisation prévue à l'article L. 380-2 pour la même période. Le montant de celle-ci est alors calculé dans les conditions prévues au II.'

Et selon l'article D. 380-2, dans la même version applicable aux cotisations pour les revenus de l'année 2016 :

'I.-La cotisation due par les personnes mentionnées à l'article L. 380-3-1 au titre d'une année civile est calculée selon la formule définie au 1° du I de l'article D. 380-1, la valeur A correspondant alors à l'assiette des revenus définis au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380-3-1 perçus au cours de la dernière année civile pour laquelle ces revenus sont connus.

II.-Cette cotisation est due à compter de la date à laquelle la personne remplit les conditions énoncées au premier alinéa de l'article L. 380-3-1 et cesse d'être due à compter du lendemain de la date à laquelle elles ne sont plus remplies. Lorsque la période entre ces deux dates est inférieure à une année, le montant de la cotisation est calculé au prorata de la durée de cette période.

III.-Les caisses primaires d'assurance maladie communiquent aux organismes chargés du recouvrement la liste des personnes redevables de la cotisation prévue à l'article L. 380-3-1.'

Ces modalités de calcul de la cotisation tiennent donc compte des revenus tirés des activités professionnelles et ceux du patrimoine et ne méconnaissent donc ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni celui d'égalité devant la loi et n'est pas contraire aux stipulations de l'article 62 de la Constitution.

Le moyen sera donc rejeté.

Sur l'incompétence de l'URSSAF Centre-Val-de-Loire

Le cotisant soutient que l'URSSAF Centre-Val-de-Loire n'était pas compétente pour recevoir et traiter ses données personnelles et lui adresser un appel de cotisations alors que lui-même demeure à [Localité 5] ; que la délégation ne lui est pas opposable, l'URSSAF ayant agi prématurément. Il soutient que la décision du 11 décembre 2017 du directeur de l'ACOSS n'a été publiée que le 15 janvier 2018 au bulletin officiel santé protection sociale solidarité, de sorte qu'elle n'est devenue opposable aux tiers qu'à compter de cette date.

L'URSSAF réplique que'elle était bien compétente au vu de la convention de mutualisation et de centralisation ; que la convention en cause a pris effet le 12 décembre 2017 après approbation par le directeur de l'ACOSS, conformément aux dispositions du texte susvisé, soit antérieurement à l'appel de cotisation daté du 15 décembre 2017.

Sur ce

Selon l'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, le directeur d'un organisme local ou régional peut déléguer à un organisme local ou régional la réalisation des missions ou activités liées à la gestion des organismes, au service des prestations, au recouvrement et à la gestion des activités de trésorerie, par une convention qui prend effet après approbation par le directeur de l'organisme national de chaque branche concernée.

L'article L. 122-7 du code de la sécurité sociale s'inscrit dans le cadre de l'organisation et de la gestion des missions et activités des organismes. La convention qu'il vise concourt à la mise en oeuvre des prérogatives de puissance publique dont sont investis les organismes de recouvrement pour l'accomplissement de la mission de service public que la loi leur confie. Il s'ensuit que dès lors que ne sont discutées ni l'existence de la convention relative à la centralisation, au profit de l'URSSAF Centre-Val de Loire, du recouvrement de la cotisation d'assurance maladie visée à l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale, ni l'approbation de cette convention par le directeur de l'ACOSS le 11 décembre 2017, l'organisme délégataire était compétent pour procéder à la collecte des informations, au calcul de la cotisation, à l'appel de cotisations et au recouvrement de la cotisation en cause à compter de cette date, indépendamment de la parution de la décision d'approbation au bulletin officiel santé-protection sociale-solidarité.

Le cotisant ne rapporte pas la preuve que l'URSSAF a procédé à la collecte des informations auprès de l'administration fiscale antérieurement au 11 décembre 2017.

L'URSSAF n'a donc pas contrevenu à la recommandation de la CNIL qui vise 'les cotisants pour lesquels ils seront territorialement compétents'.

En conséquence, le moyen tiré de l'incompétence de l'URSSAF doit être rejeté.

Sur les dispositions en matière de transmission des données

Le cotisant expose que l'URSSAF a violé les dispositions de l'article 27 de la loi informatique et liberté en traitant un fichier contenant des données personnelles sans autorisation, l'avis de la CNIL permettant un traitement pour les organismes compétents ; que le traitement selon autorisation du décret 2017-1530 du 3 novembre 2017 l'a été au bénéfice d'un organisme incompétent.

Il ajoute qu'aucune autorisation du transfert des données des cotisants n'a été donnée entre l'administration fiscale et l'URSSAF ; qu'il y a deux traitements distincts ayant fait l'objet de deux procédures d'autorisation ; que le traitement relatif au transfert de données de l'administration a été autorisé par le décret du 24 mai 2018 postérieurement au transfert de données entre l'administration fiscale et l'URSSAF pour le calcul de la cotisation 2016 et est donc illégal.

Il soutient que l'appel de cotisations et l'ensemble du traitement des données ont été établis en violation de la Directive 95/46/CE, abrogée par la suite par le règlement UE 2016/679 RGPD, et de la loi informatique et liberté ; que la CJUE, le 1er octobre 2015 a expressément jugé que la libre circulation des données à caractère personnel ne peut s'exercer sans que les personnes concernées n'aient été informées de cette transmission ou de ce traitement et qu'il n'a été préalablement informé ni par l'administration fiscale ni par l'URSSAF ; que l'URSSAF invoque le RGPD inapplicable à l'espèce ; que le principe d'effectivité implique l'annulation de l'ensemble des actes qui ont résulté d'un transfert illégal des données des cotisants entre l'administration fiscale et l'ACOSS et l'annulation du traitement illégal des données des cotisants pour les besoins du calcul de cotisations subsidiaire maladie.

L'URSSAF répond que le traitement des données à caractère personnel destiné au calcul de la cotisation subsidiaire maladie a été autorisé par décret du 3 novembre 2017 pris après avis motivé de la CNIL ; que son site Internet contient l'information de transmissions des données par l'administration fiscale sur la base des éléments de revenus pris en compte pour l'impôt sur le revenu et qu'une campagne d'information a été menée auprès des personnes concernées au mois de novembre 2017.

Elle ajoute que si une atteinte à la loi informatique et libertés était avérée, seule la CNIL pourrait en faire le constat et prononcer une éventuelle sanction, qui ne saurait consister en une annulation de l'appel de cotisation litigieux.

Sur ce

Il résulte de ce qui précède que l'URSSAF Centre-Val-de-Loire était l'organisme compétent pour traiter les informations personnelles concernant les habitants d'Ile-de-France.

Le décret n° 2017-1530 du 3 novembre 2017 a autorisé autorise le traitement par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et les URSSAF des informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions pour verser cette cotisation.

Aux termes du septième alinéa de l'article L.380-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige,

'Les agents des administrations fiscales communiquent aux organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-2 les informations nominatives déclarées pour l'établissement de l'impôt sur le revenu par les personnes remplissant les conditions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 380-2, conformément à l'article L. 152 du livre des procédures fiscales.'

L'article R. 380-3 du même code, dans sa version issue du décret n°2017-736 du 3 mai 2017 dispose que les cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380-3-1 sont calculées, appelées et recouvrées par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général au vu des éléments transmis par l'administration fiscale ou par les personnes redevables de ces cotisations.

Le premier alinéa de l'article D. 380-5 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue du décret 2016-979 du 19 juillet 2016, ajoute que :

'I.-Les éléments nécessaires à la détermination des revenus mentionnés aux articles D. 380-1 et D. 380-2 sont communiqués par l'administration fiscale aux organismes chargés du calcul et du recouvrement des cotisations mentionnées à l'article L. 380-2 et au deuxième alinéa du IV de l'article L. 380-3-1.'

La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) a été saisie pour 'avis sur un projet de décret autorisant la mise en 'uvre d'un traitement de données à caractère personnel destiné au calcul de la cotisation prévue par l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale (demande d'avis n° 17012620).'

Dans sa délibération 2017-279 du 26 octobre 2017, la CNIL a observé notamment : 'Sur l'information et les droits des personnes :

Le projet demeure silencieux sur les modalités d'information des personnes concernées.

La commission observe dans le dossier joint à la saisine que le ministère renvoie au décret visant à autoriser le traitement mis en 'uvre par la DGFIP relatif au transfert de données fiscales concernant les redevables de la cotisation annuelle subsidiaire.

Elle rappelle toutefois que, si la DGFIP a pour obligation d'informer les personnes en ce qui concerne le traitement automatisé de transfert de données fiscales dont elle est responsable de traitement, l'ACOSS devra également assurer l'information des personnes concernées pour le traitement qu'elle met en 'uvre.'

L'article 11 de la directive 95/46CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31), intitulé «Informations lorsque les données n'ont pas été collectées auprès de la personne concernée», est libellé comme suit:

«1. Lorsque les données n'ont pas été collectées auprès de la personne concernée, les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit, dès l'enregistrement des données ou, si une communication de données à un tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication de données, fournir à la personne concernée au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :

a) l'identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant;

b) les finalités du traitement;

c) toute information supplémentaire telle que:

' les catégories de données concernées,

' les destinataires ou les catégories de destinataires des données,

' l'existence d'un droit d'accès aux données la concernant et de rectification de ces données,

dans la mesure où, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les données sont collectées, ces informations supplémentaires sont nécessaires pour assurer à l'égard de la personne concernée un traitement loyal des données.'

Dans son arrêt C-201/14 du 1er octobre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a jugé 'que les articles 10, 11 et 13 de la directive 95/46 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des mesures nationales, telles que celles en cause au principal, qui permettent à une administration publique d'un État membre de transmettre des données personnelles à une autre administration publique et leur traitement subséquent, sans que les personnes concernées n'aient été informées de cette transmission ou de ce traitement.'

Outre le fait que cette transmission des données a été portée à la connaissance des intéressés par la publication de la loi ayant institué la cotisation subsidiaire maladie au Journal officiel, que nul n'est censé ignorer, l'obligation d'information a été mise à la charge de l'ACOSS, qui n'est pas partie à la présente instance, par la CNIL.

De surcroît, l'URSSAF indique que son site Internet urssaf.fr contient les informations sollicitées par les divers textes susvisés et qu'elle a fait une campagne d'informations ciblées auprès des personnes concernées par la CSM.

L'information à délivrer ne saurait être spécifique et propre à chaque intéressé. Ainsi une information générale sur les modalités de transfert de données suffit à valider cette information.

Or l'obligation générale d'information dont les organismes de sécurité sociale sont débiteurs envers leurs assurés ne peut imposer, en l'absence de demande de ceux-ci, ni de prendre l'initiative de les renseigner sur leurs droits éventuels, ni de porter à leur connaissance des textes officiels publiés au Journal Officiel (2e Civ., 28 novembre 2013, n° 12-24.210, F-P+B).

Enfin, cette absence d'information personnalisée, ou dont l'URSSAF ne peut justifier ni de l'envoi ni de la réception par le cotisant, ne saurait être sanctionnée par la nullité de l'appel à cotisation régulièrement notifié, le cotisant ayant eu la possibilité de contester cette décision, et en ayant usé, et de se voir communiquer l'ensemble des pièces.

Les demandes du cotisant de ce chef seront ainsi rejetées.

Sur la saisine de la Cour de cassation pour avis

Le cotisant demande à la cour de saisir la Cour de cassation pour avis sur le fondement de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, dans la mesure où les questions de droit présentées ci-dessus sont des questions de droit nouvelles, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.

Aux termes de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l'avis de la Cour de cassation.

Néanmoins, les parties ont déposé des conclusions denses et motivées destinées à éclairer la cour sur les difficultés nées du présent contentieux et que la cour a pu trancher.

Si les questions de droit sont nouvelles, elles perdurent depuis plusieurs années, la Cour de cassation a eu l'occasion d'en trancher quelques-unes et les diverses cours d'appel ont pu établir une jurisprudence claire et relativement unie sur ces questions. En outre, divers pourvois ont été déposés relatifs à ces mêmes questions juridiques.

En conséquence, il n'y pas lieu de solliciter l'avis de la Cour de cassation et la demande subsidiaire du cotisant sera rejetée.

Sur la demande de question préjudicielle

Le cotisant expose que dans la mesure où il serait considéré que les règles de droit interne ne permettent pas de conclure à l'annulation des actes résultant d'un transfert ou d'un traitement illégal de données, il y a lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle car il serait nécessaire de clarifier la question des conséquences des traitements et transferts de données non conformes à la Directive sur les actes subséquents.

Le cotisant demande ainsi à la cour de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, sur le fondement de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de la question préjudicielle suivante :

'Le règlement n° 2016/679 et le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens que les actes résultant de transferts ou de traitements illégaux de données doivent être annulés ''

Selon l'article 264 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Cependant, la présente décision a été rendue au regard de l'article 11 de la directive 95/46CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Une décision de la Cour européenne ne paraît pas nécessaire pour rendre cette décision.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la transmission d'une question préjudicielle à la Cour et cette demande à titre plus subsidiaire sera rejetée.

***

En l'absence de contestation sur le calcul de la cotisation, le jugement, qui a validé la contrainte et condamné le cotisant à payer au cotisant la somme de 7 124 euros au titre de la cotisation subsidiaire maladie pour l'année 2016, sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les demandes accessoires

Le cotisant, qui succombe à l'instance, est condamné aux dépens d'appel.

Il sera corrélativement débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Rejette la demande d'annulation du jugement du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 19 avril 2023 ;

Rejette la demande d'avis à la Cour de cassation ;

Rejette la demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [P] [M] aux dépens d'appel ;

Déboute M. [P] [M] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Marie-Bénédicte JACQUET, conseillère, pour Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente empêchée, et par Madame Juliette DUPONT, Greffière, à laquelle le magistrat signataire a rendu la minute.

La Greffière P/La Présidente empêchée