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Décisions

CA Rouen, ch. soc., 23 mai 2024, n° 22/01844

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 22/01844

23 mai 2024

N° RG 22/01844 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JC7L

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 23 MAI 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 13 Mai 2022

APPELANTE :

Association LES PITCHOUNS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Saliha LARIBI, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Marielle MALEYSSON, avocat au barreau de ROUEN

INTIMÉE :

Madame [M] [FU]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Karim BERBRA de la SELARL LE CAAB, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Sophie DEFRESNE, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 19 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame ROYAL, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Mme WERNER, Greffière

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 mai 2024

ARRÊT :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 23 Mai 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [M] [FU] a été engagée par l'association les Pitchouns en qualité d'éducatrice de jeunes enfants et responsable du centre multi-accueil [10] à [Localité 3], par contrat de travail à durée indéterminée, prenant effet à compter du 1er juin 2015, à temps plein.

Sa rémunération comprenait un salaire de base ainsi qu'une rémunération individuelle supplémentaire.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de des centres sociaux et sociaux culturels.

A compter du 2 mars 2020, Mme [M] [FU] a fait l'objet d'arrêts maladie renouvelés.

Par requête du 3 juillet 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes du Havre d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de demandes financières subséquentes.

Le 18 septembre 2020, le médecin du travail l'a déclarée « inapte à tout poste dans la structure. Apte au poste dans une autre structure ».

Le 5 novembre 2020, l'association lui a notifié l'impossibilité de la reclasser.

Par lettre du 9 novembre 2020, Mme [M] [FU] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 20 novembre 2020.

L'association les Pitchouns lui a notifié le 27 novembre 2020 son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par jugement du 13 mai 2022, le conseil de prud'hommes a :

- ordonné la jonction des dossiers n° 21/00342 et n°21/00343,

- fixé le salaire moyen de Mme [M] [FU] à la somme de 2 613,82 euros bruts,

- ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [M] [FU] à la date du 27 novembre 2020,

- dit que la résiliation judiciaire produirait les effets d'un licenciement nul,

- condamné l'association les Pitchouns à payer à Mme [M] [FU] les sommes suivantes :

5 226 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis, outre 522,60 euros bruts de congés payés y afférents,

20 000 euros d'indemnité de licenciement nul,

500 euros de dommages et intérêts en raison du défaut d'organisation des élections des délégués du personnel,

3 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- dit que les créances de nature salariale produiraient des intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2020 et que celles de nature indemnitaire produiraient des intérêts à compter de la mise à disposition du jugement,

- ordonné l'exécution provisoire partielle de la décision à hauteur de 50%,

- condamné l'association les Pitchouns aux dépens, ainsi qu'au paiement de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes.

Le 2 juin 2022, l'association les Pitchouns a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions signifiées le 15 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, l'association les Pitchouns demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau de:

- débouter Mme [M] [FU] de l'ensemble de ses demandes,

y ajoutant,

- condamner Mme [M] [FU] à verser l'association les Pitchouns la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 5 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, Mme [M] [FU] demande à la cour de réformer le jugement sur le montant des dommages et intérêts octroyés pour défaut d'organisation des élections des représentants du personnel, harcèlement moral et licenciement nul et de confirmer les autres dispositions,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- condamner l'association les Pitchouns à lui verser les sommes suivantes :

2 500 euros de dommages et intérêts pour défaut d'organisation des élections des représentants du personnel,

5 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

31 356 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

- juger que son licenciement est nul et qu'il s'agit d'un licenciement pour inaptitude professionnelle,

- condamner l'association les Pitchouns à lui verser les sommes suivantes :

5 226 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis, outre 522,60 euros bruts de congés payés y afférents :

31 356 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul,

à titre infiniment subsidiaire,

- juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que l'inaptitude est d'origine professionnelle,

- condamner l'association les Pitchouns à lui verser les sommes suivantes :

5 226 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis, outre 522,60 euros bruts de congés payés y afférents,

31 356 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause,

- condamner l'association les Pitchouns aux entiers dépens, comprenant les éventuels frais et honoraires d'exécution de la décision.

- condamner l'association les Pitchouns à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :

L'association les Pitchouns conteste les accusations de harcèlement moral portées par Mme [FU] à l'encontre du président de l'association, M. [EB] [UJ].

Elle affirme qu'à la fin de l'année 2018, les membres du bureau ont constaté que Mme [FU], préoccupée par des problèmes personnels, rencontrait des difficultés dans l'exécution de son travail, qu'elle n'était plus suffisamment investie, ni présente, ce qui avait affecté la situation économique de la structure.

Par ailleurs, des rumeurs de maltraitance de la part du personnel de la structure sur les enfants étaient remontées à la direction. Le président était alors intervenu à plusieurs reprises, conformément à ses attributions, et avait adressé à Mme [FU] des reproches sur ses absences, ses conversations téléphoniques personnelles trop fréquentes, son manque d'encadrement du personnel, ses négligences dans la tenue de la structure et la gestion des stocks et des commandes.

Bien que reconnaissant certaines lacunes lors de l'entretien individuel relatif à l'année 2018, Mme [FU] n'aurait pas supporté ces reproches et aurait tenté de trouver une justification à ses errements en incriminant le président de l'association.

L'association soutient que les critiques adressées par M. [UJ] relèvent de l'exercice normal par l'employeur du pouvoir de direction et ne peuvent être assimilées à du harcèlement moral, quel que soit le ressenti de la salariée.

L'association ajoute que l'existence de tensions ou de conflits ne caractérise pas non plus en soi du harcèlement moral.

Elle souligne qu'avant de saisir le conseil de prud'hommes, Mme [FU] avait demandé une rupture conventionnelle pour se consacrer à d'autres projets professionnels.

Elle affirme que l'ambiance s'est améliorée depuis le départ de Mme [FU], qu'il n'y a pas eu de difficulté ni de remontée négative et qu'il n'y aucune preuve de pression exercée sur les salariés par M. [UJ] pour les faire attester contre Mme [FU].

Enfin, elle argue de l'absence de preuve d'un lien entre son syndrome dépressif, lié à des problèmes personnels, et le prétendu harcèlement dont elle aurait été victime de la part de M. [UJ].

Mme [FU] accuse M. [EB] [UJ] d'avoir commis des faits de harcèlement moral à son encontre mais également à l'égard des autres salariées de la structure, caractérisés par des accès de colère, une pression constante, des reproches incessants à compter de fin 2018.

Plusieurs salariés avaient signalé la situation au conseil d'administration à compter du 12 novembre 2019, mais l'association n'aurait pas pris les mesures suffisantes pour y remédier.

Ces faits de harcèlement étaient, selon elle, à l'origine de ses arrêts de travail pour syndrome dépressif en 2019 et 2020 et de sa volonté de quitter l'association, en demandant dans un premier temps une rupture conventionnelle, puis en sollicitant une résiliation judiciaire auprès du conseil de prud'hommes.

Même si elle reconnaît avoir été affectée en 2018 par les problèmes de santé de ses parents, Mme [FU] affirme avoir continué à faire son travail sérieusement. Elle conteste les reproches sur son comportement et la qualité de son travail et le fait que les mauvais résultats de 2018 lui soient imputables.

Elle estime par ailleurs que les griefs qui lui étaient adressés ne justifiaient pas la « guerre d'usure » exercée par M. [UJ], ses reproches incessants et ses propos agressifs et déplacés.

Mme [FU] nie avoir fait pression sur les salariées pour obtenir des attestations et leur faire signer des courriers, au contraire de M. [UJ] qui les aurait harcelées pour obtenir des attestations contre elle en appel.

Enfin, Mme [FU] prétend que le comportement de M. [UJ] aurait perduré après son départ, ce qui avait conduit à une enquête de la CARSAT.

A titre liminaire, l'association les Pitchouns demande à ce que certaines pièces produites par Mme [FU] soient écartées des débats : l'attestation de Mme [LF], de la fille de Mme [FU] et les échanges de SMS entre Mme [FU] et une personne désignée comme étant M. [VJ], vice-président de l'association.

Cette demande n'étant pas reprise dans le dispositif des conclusions, la cour, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, n'a pas à statuer sur cette demande.

Au surplus, la preuve est libre en matière prud'homale et il appartient à la cour d'en apprécier la valeur probante.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats certaines pièces produites par Mme [FU].

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il ressort des éléments du dossier que l'association les Pitchouns gérait au moment des faits deux centres multi accueil pour jeunes enfants, le centre [10] à [Localité 3] et [9] à [Localité 7]. M. [UJ], exerçait les fonctions de président à titre bénévole depuis 2001.

Alors que la relation contractuelle s'était déroulée sans incident notable jusqu'alors, les relations entre Mme [FU] et M. [UJ] s'étaient dégradées à compter de 2018.

Au soutien de ses accusations de harcèlement moral, Mme [FU] produit :

- des échanges de SMS à compter du 5 mai 2019 entre Mme [FU] et une personne désignée comme étant M. [VJ], vice-président de la crèche.

Mme [FU] y expliquait à son interlocuteur qu'elle avait eu des soucis familiaux l'obligeant à prendre une semaine d'arrêt. M. [UJ] était alors de plus en plus désagréable, lui mettant une pression invivable et la harceler depuis 8 mois à cause des mauvais résultats de 2018. Elle poursuivait ainsi : « quoi que je fasse rien ne va, ce qui ne m'aide pas dans mon travail ni dans mon état de santé. Il a fini par dire qu'il préférerait que je sois en arrêt maladie, ce que je vais faire dès demain ».

Si, comme l'a justement relevé l'employeur, il n'est pas possible de vérifier l'authenticité de ces SMS et l'identité des interlocuteurs, la situation évoquée dans ces échanges est corrélée par les arrêts maladie de Mme [FU] du 18 au 24 avril 2019 pour syndrome dépressif, du 15 mai au 29 mai 2019 pour troubles anxieux et du 27 mai au 5 juin 2019.

- les échanges de mails entre Mme [FU] et M. [UJ] les 6 et 7 novembre 2019 :

Mme [FU] lui reprochait son mépris et ses humiliations incessantes à son égard en présence d'autres personnes, notamment lors de la réunion devant les parents, quand il lui avait dit devant témoins qu 'il faudrait qu'elle prenne un lexomil pour être opérationnelle.

Mme [FU] affirmait qu'elle n'avait pas actuellement de problème et que ce n'était pas son mal être qui avait des répercussions sur son équipe, mais les accès de colère de M. [UJ], ses demandes agressives au téléphone et sa façon de dire à tout le monde que la porte était grande ouverte.

M. [UJ] ne contestait pas les faits, répliquant qu'elle lui avait aussi coupé la parole et qu'elle était intervenue de manière inappropriée en public.

- le courrier daté du 12 novembre 2019, signé par 7 salariées du centre [10] ( Mmes [X] [Y], [WV] [E], [WV] [EU], [FU], [XV] [OR], [A] [YN] et [XV] [JY]), dénonçant des faits de harcèlement de la part de M. [UJ] dans les termes suivants :

« Nous ne pouvons plus endurer vos remarques agressives, humiliantes, désobligeantes et votre pression quotidienne.

En effet, il ne nous est plus tolérable de subir le souffle d'air qui fait vibrer toutes les portes de la structure à chaque apparition de votre part, tant vous ouvrez la porte d'entrée avec violence.

Vous coupez court aux conversations téléphoniques en raccrochant violemment pour ne pas avoir à entendre nos contestations. Même méthode employée avec les portes fermées avec vivacités.

Vous interpeller, par exemple, pour savoir pourquoi nous n'avons toujours pas eu notre salaire en temps et en heure engendre chez vous des accès de colère remplies de violences verbales. Et d'après vos dires, si nous attendons autant nos salaires, c'est que nous ne savons pas gérer notre argent.

Nous ne pouvons plus accepter vos demandes intempestives, aux détriments de la qualité de notre travail et de la sécurité des enfants. Vos « j'en ai rien à foutre » deviennent insupportables.

Régulièrement, vous nous demandez d'outrepasser les limites prévues par la loi et lorsqu'on refuse, vous nous rappelez continuellement « que la porte est grande ouverte » ou « si besoin, je peux virer, on a l'argent ».

Nous ne voulons plus nous soumettre à vos requêtes qui nous mettent clairement en position d'infraction par rapport à la réglementation, mais aussi aux partenaires financiers de la structure.

Nous ne voulons plus d'entretien annuel d'évaluation sous pression, sans aucune loyauté, ou non pas, notre travail est jugé, mais plutôt notre docilité annuelle à votre égard. Un sentiment constant d'iniquité et une absence de reconnaissance.

Avec une montée en puissance depuis plusieurs mois déjà. Vous avez résolument fait abstraction que l'on accueillait du jeune public, car vos agressions verbales peuvent parfois se dérouler devant les enfants.

Tout cela ne nous permet plus d'exercer notre travail dans des conditions convenables.

Vous bafouez toutes les règles et les valeurs de notre profession et remettez en cause notre intégrité.

Ce n'est pas de l'insubordination de notre part, mais nous n'acceptons plus l'abus de pouvoir que vous exercez de façon constante avec vos intimidations, chantages et coercition.

Cette situation nous épuise et nous vide émotionnellement. Nous voulons retrouver cette passion qui nous animait chaque jour à exercer notre métier et donner le meilleur de nous même pour tous les enfants et leurs parents que nous accueillons chaque jour. »

L'association les Pitchouns critique la force probante de ce courrier au motif qu'il aurait été rédigé à la seule initiative de Mme [FU], qui aurait fait pression sur les autres salariées, qu'il ne serait ni circonstancié, ni corroboré par des attestations des salariées, et qu'en outre il ne serait pas démontré que les signatures apposées sur ce courrier étaient bien celles des 7 salariées.

Or deux des salariées ont maintenu leurs déclarations plusieurs années après la rédaction de ce courrier et déclaré ne pas avoir subi de pression de Mme [FU] pour le signer.

- Mme [WV] [I] épouse [EU], auxiliaire de puériculture, a travaillé dans l'association du 1er septembre 2010 jusqu'à sa démission le 31 mars 2021. Adjointe de Mme [FU] depuis septembre 2015, elle l'a remplacée quand celle-ci s'est trouvée en arrêt maladie.

Aux termes de son attestation du 25 mai 2021, Mme [EU] dénonçait les méthodes managériales de M. [UJ], sa violence psychologique, ses humiliations.

Elle écrivait que dès 2018 l'ensemble de l'équipe avait constaté de plus en plus d'accès de colère de M. [UJ] dans la structure, surtout envers Mme [FU], surchargée de travail à cause de demandes incohérentes.

Mme [EU] avait vu Mme [FU] sombrer au fil des mois dans une dépression sévère. Elle la voyait pleurer dans son bureau, surtout quand M. [UJ] passait à la structure pour lui hurler dessus. Il venait très souvent la dénigrer auprès de l'équipe dès qu'elle n'était pas là. Mme [FU] n'osait plus lui répondre.

Selon Mme [EU], M. [UJ] détectait les moments opportuns pour déstabiliser et enfoncer les personnes qui avaient des soucis, ce qu'il avait fait avec Mme [FU] en octobre 2018 mais également avec elle.

Elle ajoutait que le courrier du 12 novembre 2019 avait été rédigé par l'ensemble de l'équipe et que chacune avait signé en son nom propre.

Dans une seconde attestation du 24 août 2021 Mme [EU] ajoutait ne pas avoir subi de pression de Mme [FU].

Contrairement à ce qui est avancé par l'association, il peut être accordé du crédit au témoignage de Mme [EU], qui est circonstancié et réitéré.

- Lors de son audition par les gendarmes dans le cadre de la plainte classée sans suite de Mme [FU], Mme [X] [WC], épouse [Y] a également maintenu, le 16 juin 2021, les propos tenus dans le courrier du 12 novembre 2019.

Auxiliaire de puériculture à [10] depuis 2015, elle expliquait qu'au début l'ambiance était bonne mais que les relations avec M. [UJ] s'étaient dégradées, notamment à partir de 2018, du fait d'une baisse de fréquentation temporaire. M. [UJ], les tenant pour responsables de ces mauvais résultats, se présentait tous les jours, leur disait qu'elles ne faisaient rien et que leur travail était nul, criait régulièrement sur elles, claquait les portes d'énervement, y compris devant les enfants qui avaient peur de lui, l'appelait « la petite [Y] qui écoute aux portes ».

Elle avait constaté que M. [UJ] était violent avec Mme [FU] en paroles, qu'il lui adressait sans cesse des reproches à cause du manque de rendement de la structure, lui disant qu'elle était bonne à rien. Les discussions avaient souvent lieu dans le bureau vitré, de sorte qu'elles entendaient M. [UJ] hausser la voix. Ces reproches étaient d'autant plus infondés que le taux d'occupation s'était amélioré en 2019.

Suites à ces reproches, les salariés avaient fait un courrier. Mme [FU] ne les avait pas forcées à signer.

Mme [Y] indiquait que les relations étaient désormais apaisées, que M. [UJ] n'avait plus le même comportement quand il revenait dans le centre.

Concernant les autres salariées, Mme [FU] n'a certes pas produit de documents permettant de vérifier leur signature, mais force est de constater qu'aucune salariée n'a par la suite contesté l'avoir signé et que l'association les Pitchouns, qui dispose nécessairement des contrats de travail et d'autres documents signés par ces salariées était en mesure de vérifier les signatures et d'en contester le cas échéant leur authenticité.

La cour accorde dès lors force probante au courrier du 12 novembre 2019.

Suite à ce courrier, le bureau de l'association se réunissait le 2 décembre 2019 et décidait que chaque membre de l'équipe serait reçu par un binôme constitué d'un membre du conseil d'administration et d'un membre du bureau. Toutefois, les salariées refusaient d'être reçues individuellement, au motif qu'il s'agissait d'une action collective.

Le bureau décidait également qu'aucun entretien individuel d'évaluation ne serait réalisé pour l'année 2019, qu'aucune rémunération individuelle supplémentaire ne serait accordée et qu'aucune formation ne serait dispensée pour 2020, ce qui constitue à l'évidence des mesures de rétorsion.

A l'issue de la réunion du conseil d'administration le 16 décembre 2019, il était également prévu que, pendant 2 mois « dans un but d'apaisement », M. [UJ] ne vienne plus à [10], qu'après ces 2 mois il ne vienne plus qu'une fois par semaine et que Mme [FU] adresse pendant cette période un rapport hebdomadaire d'activité, l'objectif étant de repositionner les responsables des deux structures dans leur rôle de gestionnaire et de manager des équipes.

Si M. [UJ] acceptait de ne plus venir dans la structure, il continuait, selon Mme [FU], de la harceler par téléphone et par mail, ce qui était confirmé par Mme [Y] dans son audition devant les gendarmes.

- dans un mail adressé à M. [F], membre du bureau, le 14 février 2020 Mme [FU] se plaignait du fait que M. [UJ], lui avait téléphoné. Prétextant que ce qu'elle lui avait envoyé pour le conseil d'administration ne lui convenait pas, il s'était montré désagréable puis agressif et lui avait annoncé qu'il montait un dossier contre elle pour la licencier car il n'était pas satisfait de son travail, alors même que les résultats de 2019 étaient bons.

Mme [FU] faisait l'objet d'un nouvel arrêt maladie à compter du 2 mars 2020, arrêt prolongé jusqu'à l'avis d'inaptitude.

Dans son certificat médical du 30 juin 2020, son médecin généraliste indiquait que l'arrêt de travail était justifié par un syndrome anxio dépressif.

- Mme [FU] produit également l'attestation de Mme [S] [LF] du 17 février 2020.

Celle-ci a travaillé en qualité d'aide auxiliaire de puériculture en alternance sur les 2 sites du 2 mai 2016 au 27 juillet 2018.

Mme [LF] attestait avoir assisté à des accès de colère de M. [UJ] envers Mme [FU] et les autres membres du personnel, le président hurlant après le personnel devant les enfants qui se mettaient à pleurer, faisant du chantage sur les entretiens annuels et le taux de remplissage, passant son temps à dénigrer et rabaisser le personnel, engendrant chez les salariées un mal être constant.

Contrairement aux arguments avancés par l'association les Pitchouns, il n'est justifié d'aucun motif valable de nature à dénier à cette attestation circonstanciée toute force probante, même si les faits ne sont pas datés.

- Des mères d'enfants accueillis à [10] (Mmes [YV] [KF], [G] [DU], [OY] [K]) témoignaient également du fait que M. [UJ] se montrait irrespectueux à l'égard des salariées et hurlait sur Mmes [FU] et [EU] dans le bureau de la direction.

L'argument selon lequel la porte du bureau était fermée, ce qui empêcherait les mères d'entendre M. [UJ] crier, est inopérant, dès lors que les hurlements d'une personne peuvent tout à fait traverser la porte d'un bureau vitré, qui n'est, au regard des photographies produites, ni blindée ni insonorisée. De même, il ne saurait sérieusement être allégué que les mères auraient confondu un haussement de ton lié aux problèmes de surdité de M. [UJ], avec des hurlements.

Les multiples éléments concordants produits par Mme [FU], pris dans leur ensemble, laissent suffisamment présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral de la part M. [UJ], caractérisée par des actes de violences verbales, une pression constante, du dénigrement, des propos irrespectueux à l'encontre de Mme [FU] à partir de l'année 2018.

Les témoignages ont été établis et réitérés plusieurs années après le départ de Mme [FU] de la structure, ce qui permet d'écarter le risque de pressions de Mme [FU] sur les témoins.

Enfin, le comportement de M. [UJ] transparaît non seulement dans les témoignages des salariées mais également dans le ton agressif des mails adressés à Mme [FU], dans lesquels il ne conteste d'ailleurs pas les faits qui lui sont reprochés, mais réplique en critiquant le travail de Mme [FU] et son manque de loyauté à l'égard de l'association.

L'association les Pitchouns, qui conteste les accusations de harcèlement moral, produit plusieurs témoignages de personnes indiquant que M. [UJ], président bénévole, était très investi dans l'association et qu'il avait réussi à remonter l'association qui était en faillite à son arrivée, ce que Mme [FU] et Mme [Y] reconnaissaient également.

- Plusieurs membres du bureau et du conseil d'administration de l'association (attestations de Mme [JF] [R] du 26 septembre 2020, de Mme [XC] [Z] épouse [ZV] du 19 octobre 2020), ainsi que M. [W] [P], maire de [Localité 8] (attestation du 13 novembre 2020) témoignaient de leurs bonnes relations avec M. [UJ] lors des réunions de l'association et de l'absence de tout signalement de la part des directrices avant 2019.

- L'employeur produit également l'attestation de Mme [H] [NR] du 6 juillet 2023, ainsi que le courrier signé par 7 salariés de [9] (Mmes [C] [O], la directrice, [B] [MY], [VC] [GM] [RR], [KY] [SJ], [H] [NR], [G] [TJ], M. [J] [RJ]) le 6 juillet 2023

Ces salariés indiquent ne pas avoir de problème avec M. [UJ], président passionné et dévoué, ouvert aux demandes des salariés.

L'association les Pitchouns explique la dégradation des relations entre M. [UJ] et Mme [FU] par le fait qu'elle n'aurait pas supporté les critiques, pourtant justifiées, sur son travail.

- Lors de l'entretien d'évaluation au titre de l'année 2018, réalisé le 26 juillet 2019, par M. [UJ] et Mme [AG], trésorière, Mme [FU] estimait que l'année 2018 avait été compliquée tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel dans ses relations avec son personnel ainsi que le président. Elle reconnaissait certaines lacunes de sa part.

Il lui était reproché un taux d'occupation insuffisant (67%), un manque de patience et de correction à l'égard de parents, un manque d'encadrement du personnel qui faisait l'objet de rumeurs de maltraitance, des problèmes de propreté des locaux, un manque de rigueur, notamment dans les données adressées à la CAF.

Il était écrit que Mme [FU] s'était « complètement relâchée » en 2018, sans doute pour des raisons extra professionnelles, « ce qui n'était pas tolérable », qu' »elle n'avait pas été du tout à la mesure de son poste en 2018 et qu'il fallait qu'elle se ressaisisse rapidement en 2019 ».

M. [UJ] poursuivait ainsi : « elle semble parfois se comporter davantage en « déléguée du personnel » plutôt qu'en responsable de centre multi-accueil. Elle semble parfois oublier que son rôle de responsable de structure consiste à faire appliquer les directives du Bureau et à défendre les intérêts de l'association plutôt que de se comporter en syndicaliste ».

Mme [FU] refusait de signer cette évaluation.

- Mme [PR] [AG], trésorière depuis juin 2008 (attestation du 15 octobre 2020) confirmait que M. [UJ] avait fait part aux membres du bureau de son inquiétude quant à l'attitude de Mme [FU] sur son lieu de travail durant le dernier trimestre 2018 et le 1er trimestre 2019, cette dernière multipliant les appels téléphoniques personnels répétitifs sur son temps de travail ainsi que les absences. Son manque d'implication et de présence à son poste et auprès de son équipe étaient, selon elle, à l'origine des résultats catastrophiques du dernier trimestre 2018 et mettaient en cause la sécurité des enfants.

- M. [LY], membre du bureau, confirmait, dans son attestation du 19 août 2020, que des faits de maltraitance du personnel de [10] à l'égard des enfants, avaient été portés à sa connaissance par des stagiaires.

Les éléments du dossier ne permettent pas de faire la lumière sur ces accusations, ni de savoir si une enquête a été effectuée suite aux faits dénoncés.

Il est certain en revanche que les résultats du centre [10] en 2018 n'étaient pas bons, ce qui avait beaucoup inquiété M. [UJ] et entraîné la dégradation des relations avec Mme [FU].

L'association les Pitchouns a, à juste titre, fait observer que les critiques relevaient du pouvoir de direction de l'employeur, même si celles-ci pouvaient être mal perçues par le salarié.

Toutefois un faible taux d'occupation n'est pas nécessairement imputable à la seule défaillance de la directrice, il peut être multifactoriel.

Ainsi dans son audition devant les gendarmes le 16 juin 2021 Mme [Y] expliquait ce faible taux par les départs nombreux d'enfants à l'école et par des déménagements.

On peut également constater que Mme [MR], directrice de la crèche en 2023, faisait état d'un taux de remplissage de 65%.

En outre, à supposer que les griefs portés à l'encontre de Mme [FU] aient été justifiés, ces difficultés étaient manifestement conjoncturelles, liées aux problèmes de santé de ses parents, comme en témoigne l'excellente évaluation de l'année 2017, établie le 19 décembre 2017, dans laquelle Mme [FU] était qualifiée de travailleuse, honnête, motivée, avec une bonne mentalité et le sens des responsabilités, disponible, appréciée des parents et des membres du CA.

Le contraste entre les propos particulièrement élogieux de l'évaluation de 2017 et les critiques très sévères de l'année 2018 est frappant.

Alors que M. [UJ] avait connaissance des difficultés personnelles de Mme [FU] et qu'il avait reconnu l'année précédente ses qualités professionnelles, loin de faire preuve de la compréhension et de l'empathie évoquées par certains témoins, il a tenu à l'égard de Mme [FU] des mots très durs dans l'évaluation de 2018, allant même jusqu'à tenir des propos déplacés sur un prétendu comportement de syndicaliste, expliquant que Mme [FU] ait très mal vécu ces appréciations et ait refusé de la signer, certaines remarques étant inutilement blessantes et humiliantes, et excédant le droit de critique de l'employeur.

L'association les Pitchouns soutient que, depuis le départ de Mme [FU] la situation se serait apaisée à [10], preuve, selon elle, que les difficultés n'étaient pas imputables à M. [UJ] mais à Mme [FU].

- Elle produit le courrier signé le 29 mars 2023 par 6 salariées de [10] (Mmes [NY] [D], [N] [IM], [XV] [L] épouse [OR], [HM] [VV] épouse [FM], [T] [U]) qui font état d'une bonne entente et de relations sereines avec M. [UJ].

- Mme [HM] [FM], remplaçante de la directrice depuis novembre 2022 pendant son congé maternité, maintenait, aux termes de son attestation du 1er juin 2023, que les échanges réguliers avec M. [UJ] permettaient un travail constructif avec l'équipe.

- Si dans son audition devant les gendarmes le 16 juin 2021, Mme [Y] confirmait que la situation s'était apaisée, que M. [UJ] n'avait plus le même comportement quand il revenait dans la structure et qu'il n'avait pas de problème avec la nouvelle directrice, elle dénonçait la dégradation de la situation dans son dépôt de plainte le 21 juin 2023 à la gendarmerie.

Elle déclarait qu'à partir de septembre 2022 M. [UJ] avait recommencé à être désagréable avec elles, depuis qu'il avait eu connaissance du jugement du conseil de prud'hommes.

Les 26 janvier 2023 et 9 mars 2023, M. [UJ] leur avait dit en entretien qu'il comptait sur elles pour sauver l'association et leur avait demandé de faire une lettre qui pourrait l'aider à gagner son appel.

Mme [JY] et elle ayant refusé de signer, M. [UJ] le 9 juin s'était énervé, si bien que Mme [JY] avait fini par accepter de signer le courrier du 29 mars 2023. Mme [Y] persistant à refuser, M. [UJ], en haussant la voix, lui avait dit qu'elle voulait faire couler l'association.

Mme [Y] dénonçait également ces faits à l'inspection du travail.

Suite à ces faits, elle faisait l'objet d'un arrêt maladie à compter du mois de juin 2023.

Par courrier du 8 décembre 2023, le médecin du travail informait le médecin conseil de la sécurité sociale que cet arrêt était justifié par un syndrome anxieux, un épisode dépressif caractérisé, un stress post traumatique en lien avec sa situation de travail.

Les accusations de pressions étaient corroborées par le mail adressé le 20 novembre 2022 par Mme [AG], la trésorière, à Mmes [XV] [OR], [XV] [JY], [A] [YN] et [X] [Y], pour organiser des entretiens sur « le dossier de Mme [FU] dans le cadre de la procédure d'appel ».

Le médecin du travail, par courrier du 4 août 2023 alertait M. [UJ] sur la souffrance au travail de certains salariés de l'association.

Suite à la déclaration d'accident du travail du 9 juin 2023 de Mme [Y], une enquête de la CARSAT était réalisée le 16 octobre 2023 par 2 contrôleurs de sécurité.

Ceux-ci rencontraient 3 salariées (Mmes [XV] [JY], en poste depuis 2015, [NY] [D], en poste depuis 2022 et [V] [MR] directrice depuis 2021) ainsi que M. [UJ].

Toutes les trois se plaignaient du comportement de M. [UJ].

Mmes [JY] et [MR] reprochaient à M. [UJ] d'être omniprésent, de vouloir tout contrôler, de les dénigrer elle et leur travail, de les mettre sous pression, de faire du chantage à l'emploi et de solliciter de manière insistante des attestations pour la procédure d'appel.

Mme [D] exprimait son mal être face au comportement de M. [UJ] qui dénigrait Mme [JY] et lui faisait comprendre qu'elle pourrait prendre son poste.

Elles soulignaient en revanche un bon relationnel au sein de l'équipe malgré les tentatives de M. [UJ] de les mettre en concurrence.

Mme [MR], directrice de la crèche depuis 2021, expliquait que la situation avec M. [UJ] s'était dégradée depuis ses congés maternité et parental. Depuis, il venait tous les jours. Il la menaçait de licenciement si elle n'atteignait pas ses objectifs en améliorant le taux de remplissage. Il la faisait culpabiliser d'avoir pris un congé parental, il entrait sans frapper, faisant peur aux enfants, interpellait les salariés, tenait des propos misogynes et faisait des remarques sur le physique des salariées.

Elle n'en pouvait plus et pleurait en allant au travail.

Elle critiquait l'absence de fiche de poste au sein de la structure, ce qui permettait à M. [UJ] d'interférer dans son travail et l'absence de soutien des membres du bureau.

Mme [JY] expliquait que M. [UJ] n'avait pas supporté la mise en place du CSE.

Elle relatait que le 9 juin 2023, il lui avait demandé, ainsi qu'à Mme [Y] de signer le courrier contre Mme [FU]. Devant leur refus, il avait insisté 15 à 20 minutes. Enervé, il avait claqué un gros dossier sur la table et s'était mis à hurler. Sous la pression, elle avait fini par signer, contrairement à Mme [Y], prostrée et au bord des larmes. Mme [JY], se sentant coupable vis-à-vis de Mme [Y], avait refusé de donner sa carte d'identité, ce qui explique que le courrier du 23 mars 2023 ne soit pas accompagné de document d'identité de Mme [JY].

Les contrôleurs sécurité de la CARSAT constataient, lors des entretiens des actes d'intimidations verbales et physiques à l'égard des salariées entendues.

Lors de l'entretien avec M. [UJ], ce dernier était très énervé, se mettait à hurler.

Il relatait avoir des problèmes avec Mmes [JY] et [Y], les accusant de vouloir couler l'association et d'avoir de l'emprise sur les autres.

Il reconnaissait avoir fait une remarque à Mme [JY], membre titulaire du CSE, quand elle n'avait pas voulu signer une attestation en faveur de l'association, lui demandant si elle défendait les droits de Mme [FU] plutôt que ceux de l'association, ce qui confirme les pressions dénoncées par les salariées.

Il exprimait clairement vouloir se séparer de Mmes [Y] et [JY].

Le compte rendu d'enquête concluait à une forte dégradation des relations de travail, source de souffrance au travail, causée par l'ingérence du président, ses injonctions contradictoires envers les salariées, les mettant en porte à faux et en concurrence entre elles afin de pouvoir atteindre ses objectifs, son management patriarcal et autoritaire, le dénigrement des salariées, y compris en public, son omniprésence et son insistance, ses menaces à l'emploi créant au surplus un sentiment d'insécurité.

Par courrier du 24 novembre 2023 la CARSAT accusait par ailleurs M. [UJ] d'avoir, à l'issue d'une réunion du 10 novembre 2023, agressé et menacé verbalement la contrôleur sécurité qui était présente le 16 octobre 2023.

La CARSAT signalait le risque avéré et persistant d'atteinte à la santé des salariées et demandait à l'association de mettre en place des actions dans les deux mois.

M. [UJ] affirmait dans ses conclusions avoir déposé plainte contre les contrôleurs de la CARSAT mais ne communiquait aucun dépôt de plainte, étant observé que les contrôleurs de la CARSAT sont, sauf preuve du contraire, des témoins extérieurs et objectifs.

Ces éléments démontrent suffisamment les pressions exercées par M. [UJ], pour obtenir le courrier des salariées, ce qui ôte toute force probante au courrier signé le 23 mars 2023.

En outre, si les faits dénoncés en 2023 sont largement postérieurs au départ de Mme [FU], les faits décrits sont similaires à ceux relatés par Mme [FU], démontrant ainsi que difficultés relationnelles de M. [UJ] et avec les salariées de [10] et plus particulièrement avec les directrices, relèvent du mode de fonctionnement de M. [UJ], qui s'est répété avec Mmes [FU], [EU] et [MR] et qu'elles ne sont donc pas imputables à Mme [FU].

L'association les Pitchouns échoue ainsi à démontrer que le comportement intrusif et agressif de M. [UJ] aurait été justifié par les défaillances professionnelles de Mme [FU], que celle-ci aurait fait pression sur ses collègues pour qu'elles attestent et que les difficultés au sein de la structure auraient cessé depuis le départ de Mme [FU].

La cour retient, au vu de ce qui précède, l'existence d'une situation de harcèlement moral, qui a entraîné la dégradation de l'état de santé de Mme [FU], comme cela résulte des éléments médicaux et des témoignages.

Le fait que Mme [FU], en arrêt maladie, ait motivé sa demande de rupture conventionnelle le 17 juin 2020 par la volonté de se consacrer à d'autres projets professionnels, ne saurait occulter la réalité de ce contexte de harcèlement moral.

Le conseil de prud'hommes a, par des motifs pertinents, fixé la réparation de Mme [FU] à la somme de 3 000 euros, que la cour entend confirmer.

II Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut d'organisation des élections professionnelles :

L'association les Pitchouns soutient avoir respecté son obligation en organisant en 2018 des élections professionnelles, qui ont fait l'objet d'un procès-verbal de carence.

Elle conteste avoir refusé d'organiser en 2020 de nouvelles élections, arguant :

- de l'absence de demande officielle,

- du fait que M. [F], membre du conseil d'administration, n'est pas le représentant légal de l'association et que sa réponse n'engageait pas l'association,

- du fait que M. [F] avait seulement indiqué qu'il était préférable de différer la mise en place des élections,

- de l'absence de preuve d'un préjudice,

- du fait que la demande était motivée uniquement par la volonté de bénéficier du statut protecteur et non par conviction.

Mme [FU] réplique que les dispositions du code du travail ne prévoient ni formalisme particulier pour la demande d'organisation d'élections professionnelles, ni motif permettant à l'employeur de s'exonérer de son obligation.

Elle précise que M. [F], membre du bureau, était son interlocuteur dans l'association et que les prétextes fallacieux avancés sont constitutifs d'un délit entrave.

Selon Mme [FU] les salariées, en conflit avec le président, souhaitaient disposer de délégués du personnel, disposant d'une liberté de parole et d'action garantie par la protection offerte aux élus, pour les défendre collectivement, porter leur parole auprès du bureau et du conseil d'administration.

Le refus de l'association d'organiser les élections leur avait été préjudiciable dans ce conflit.

L'article L.2314-8 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 01 janvier 2018, dispose qu' « en l'absence de comité social et économique, l'employeur engage la procédure définie à l'article L. 2314-5 à la demande d'un salarié ou d'une organisation syndicale dans le mois suivant la réception de cette demande.

Lorsque l'employeur a engagé le processus électoral et qu'un procès-verbal de carence a été établi, la demande ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de six mois après l'établissement de ce procès-verbal. »

Deux procès-verbaux de carence pour tous les collèges du CSE ont été établis les 6 décembre 2018 et 3 janvier 2019.

Par mail du 14 janvier 2020 « l'équipe de [10] » a sollicité « la mise en place rapide de l'élection d'un représentant du personnel afin d'instaurer un lien entre les salariés des 2 sites et le conseil d'administration pour renouer au plus vite le dialogue ».

En l'absence de dispositions imposant un formalisme particulier, cette demande, formée plus de 6 mois après les procès-verbaux de carence, était régulière.

Par mail du 25 janvier 2020, M. [DB] [F], membre du bureau, a répondu qu'ils avaient discuté de leur demande à la réunion du bureau la semaine précédente, que le bureau était tout à fait d'accord pour mettre en place une telle élection mais que cela représentait une charge de travail importante pour les membres du bureau qui étaient déjà focalisés sur la construction de la nouvelle organisation et sur la sortie de crise.

Dès lors que la direction de l'association ne justifie pas avoir organisé d'élections suite à la demande des salariées et n'a donc pas respecté son obligation, peu importe que M. [F] représente ou non l'association, l'absence de réponse s'analyse également comme un refus fautif.

Le préjudice pour Mme [FU] et les autres salariées de [10] a été d'autant plus important que cette demande s'inscrivait dans un contexte de conflit collectif et, qu'en l'absence de délégué du personnel, les salariées ont été désavantagées dans les discussions avec le bureau et le conseil d'administration, ce qui a affaibli leur action.

Le conseil de prud'hommes a justement réparé ce préjudice par l'octroi d'une somme de 500 euros de dommages et intérêts, qui sera confirmée.

III Sur la demande de résiliation judiciaire :

L'association les Pitchouns, qui se défend de tout manquement à ses obligations, s'oppose à la demande de résiliation judiciaire.

Mme [FU] fonde sa demande de résiliation judiciaire par le refus de l'employeur d'organiser des élections professionnelles et par les faits de harcèlement moral dont elle a été victime, ces manquements graves justifiant que la résiliation judiciaire ait les effets d'un licenciement nul.

Comme cela a été exposé précédemment, Mme [FU] a été victime de 2018 jusqu'à son arrêt maladie en mars 2020 de faits répétés de harcèlement moral de la part de M. [UJ], président de l'association.

Les mesures prises par l'association pour faire cesser ces faits, à savoir écarter pendant deux mois M. [UJ] de la structure, ont été manifestement insuffisantes.

Alors que M. [F] avait invoqué la construction d'une nouvelle organisation comme motif pour différer l'organisation des élections de représentants du personnel, aucune mesure n'a été prise à l'issue de ces deux mois, notamment aucune fiche de poste n'a été réalisée pour définir et délimiter les rôles respectifs des directrices et du président, comme l'a déploré Mme [MR] au cours de l'entretien avec la CARSAT.

Le harcèlement moral ainsi que l'inaction de la direction de l'association, qui a manqué à son obligation de sécurité à l'égard des salariés, constituent des manquements graves justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [FU] à la date de son licenciement, le 27 novembre 2020.

La résiliation judiciaire étant la résultante des faits de harcèlement moral, le jugement déféré ayant dit que la résiliation judiciaire produirait les effets d'un licenciement nul sera confirmé.

IV Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis :

En vertu des dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail, Mme [FU], qui avait plus de 2 ans d'ancienneté, a droit, compte tenu de la résiliation judiciaire, à une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

Son salaire moyen en 2019 s'élevait à 2416,93 euros brut, soit une indemnité compensatrice de préavis de 4 833,86 euros brut, outre 483,38 euros brut de congés payés y afférents.

Le jugement sera dès lors infirmé sur le quantum.

V Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul

En vertu des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est entaché d'une nullité, le juge octroie au salarié une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [FU] avait 5 ans d'ancienneté au moment de son licenciement. Agée de 50 ans, elle justifie de la perception de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 25 février 2021, ainsi que du suivi d'une formation [5] pour la création d'entreprise, du 20 janvier au 19 avril 2021, et de contacts avec l'[6] pour un titre pro peintre en bâtiment, avec la perspective de créer à terme son entreprise.

Au regard de ces éléments le jugement déféré sera confirmé.

VI Sur le remboursement des allocations chômage :

Les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de quatre mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

VII Sur les dépens et les frais irrépétibles:

En qualité de partie succombante, l'association les Pitchouns sera condamnée aux entiers dépens et condamnée à payer à Mme [FU], la somme de 1 000 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré sauf sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne l'association les Pitchouns à payer à Mme [M] [FU] la somme de 4833,86 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, outre 483,38 euros brut de congés payés y afférents,

Y ajoutant,

Condamne l'association les Pitchouns à rembourser aux organismes intéressés les indemnités chômage versées à Mme [FU] dans la limite de quatre mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

Condamne l'association les Pitchouns aux entiers dépens d'appel,

Condamne l'association les Pitchouns à payer à Mme [FU] la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE