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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 28 mai 2024, n° 23/05603

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Doosan Infracore Europe SRO (Sté)

Défendeur :

Acierinox Matériel (SAS), Sofemat (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barlow

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocats :

Me Schwab, Me Kleiman, Me Ribaut, Me Jeanmougin, Me Cohen

CA Paris n° 23/05603

27 mai 2024

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre une ordonnance de référé rendue le 9 juin 2021 par le président du tribunal de commerce de Rouen dans un litige opposant la société Acierinox Matériel SAS (« Acierinox ») aux sociétés Doosan Infracore Europe s.r.o. (« Doosan »), devenue HD Hyundai Infracore Europe s.r.o., et Sofemat SAS.

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur la résiliation d'un contrat comprenant une clause compromissoire par lequel Doosan, société tchèque spécialisée dans la construction de matériel de travaux publics, a confié à Acierinox, société française ayant pour objet le commerce de gros interentrepirse, la distribution exclusive de ses produits dans la région de Normandie jusqu'au 31 décembre 2022.

3. Courant 2020, Doosan a avisé Acierinox de son intention de modifier le contrat afin de lui retirer les trois départements de Basse Normandie et lui confier le département d'Eure et Loire. Elle a par la suite précisé vouloir attribuer les départements de Basse Normandie à la société Sofemat à compter du 1er janvier 2021.

4. Par courrier du 16 novembre 2020, Acierinox a fait connaître à Doosan son refus de toute modification du contrat et lui a réclamé la somme de 784 000 euros pour la perte de commissions à raison de ventes consenties directement par Doosan à la société Beauloc implantée dans la Manche.

5. Par courrier du 1er décembre 2020, Doosan a avisé Acierinox qu'elle entendait résilier le contrat moyennant un préavis de six mois prenant fin le 6 juin 2021 conformément aux stipulations de l'article 18.2 de cette convention.

6. Invoquant des manquements et une résiliation fautive du contrat, Acierinox a assigné Doosan et la société Sofemat devant le juge des référés du tribunal de commerce de Rouen afin qu'il fasse défense à Doosan de collaborer avec Sofemat, qu'il ordonne la production de pièces et qu'il condamne Doosan au paiement d'une provision.

7. Doosan ayant soulevé une exception d'incompétence, le président du tribunal de commerce a, par l'ordonnance querellée, statué en ces termes :

« Nous déclarons matériellement compétent.

Nous déclarons territorialement incompétent au profit du juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Nazaire et renvoie les parties devant cette juridiction.

Vu les articles 82 et 84 du code de procédure civile,

Disons qu'en l'absence d'appel dans le délai de quinze jours à compter de la réception de la notification de l'ordonnance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, adressée aux parties, l'entier dossier sera soumis à la juridiction désignée.

Réservons l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamnons la société ACIERINOX MATERIEL aux entiers dépens de la présente ordonnance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 108,36€. »

8. Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Rouen du 24 novembre 2021.

9. Par arrêt du 1er mars 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, sauf en ce qu'il déclare le président du tribunal de commerce matériellement compétent pour connaître des demandes formées par la société Acierinox tendant à la communication d'une liste certifiée des matériels vendus en Basse Normandie par la société Sofemat et la société Doosan pour la période du 1er janvier au 1er juin 2021. Elle a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris afin qu'il soit statué sur le surplus.

10. Cette cassation a été prononcée au visa des articles 1449 et 1506 du code de procédure civile, la Cour retenant que :

« 12. Selon le premier de ces textes auquel renvoie le second, applicable en matière d'arbitrage international, l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

13. Il résulte de ces textes qu'en appel comme en première instance, le juge doit, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, se placer à la date à laquelle il statue.

14. Pour dire que le président du tribunal de commerce était matériellement compétent pour connaître des demandes tendant au prononcé de mesures provisoires ou conservatoires, l'arrêt énonce qu'en application de l'article 1449 du code de procédure civile, il appartient à la société Acierinox de démontrer l'existence de l'urgence s'agissant des mesures d'interdiction et de provision et que cette urgence doit s'apprécier au moment où le premier juge a statué.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

11. Doosan, devenue HD Huynday Infracore Europe, a saisi la cour d'appel de Paris par déclaration du 22 mars 2023.

12. La société Sofemat, à laquelle la déclaration de saisine a été signifiée le 6 juin 2023 et le 4 septembre 2023, conformément à l'article 1037-1 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.

13. La procédure renvoyée devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire n'ayant pas fait l'objet d'un sursis à statuer, le président de cette juridiction, statuant par ordonnance du 25 avril 2023, s'est déclaré matériellement compétent et, constatant l'existence de contestations diverses et sérieuses, et le caractère non urgent contraire à la procédure de référé, a dit n'y avoir lieu à référé. Cette décision a fait l'objet d'un recours, actuellement pendant devant la cour d'appel de Rennes.

14. Les relations entre Acierinox et Doosan ont par ailleurs fait l'objet des procédures et décisions suivantes :

- Saisi par Acierinox d'une demande tendant à voir déclarer abusive la rupture du contrat par Doosan, le tribunal de commerce de Rennes, statuant par jugement du 3 mars 2022, s'est déclaré incompétent en raison de la clause compromissoire figurant dans le contrat. La cour d'appel de Paris a confirmé cette décision le 28 septembre 2022. Le pourvoi formé par Acierinox a été rejeté le 24 janvier 2024.

- Par ordonnance du 24 octobre 2023, le tribunal de commerce de Nantes statuant en référé s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes d'Acierinox tendant à la diffusion d'une note commerciale à ses distributeurs et à la fourniture par Doosan d'un accès à ses données techniques. Cette décision a été confirmée en appel le 16 avril 2024.

15. La clôture a été prononcée le 26 mars 2024 et l'affaire appelée à l'audience du 2 avril 2024 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2024, Doosan, devenue HD Hyundai Infracore Europe demande à la cour de bien vouloir :

Vu le Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit « Bruxelles I Bis »,

Vu les articles 78, 86, 88, 1447, 1448, 1449 et 1506 du Code de procédure civile,

Vu l'article 2059 du Code civil,

Vu les articles L. 151-1 et suivants du Code de commerce,

Vu la clause compromissoire,

À titre principal,

- JUGER que la société ACIERINOX MATÉRIEL ne justifie pas de l'urgence des mesures sollicitées ;

- JUGER que les demandes formées par la société ACIERINOX MATÉRIEL ne constituent pas des mesures provisoires et conservatoires ;

En conséquence,

- INFIRMER l'ordonnance de référé rendue le 9 juin 2021 par le Président du Tribunal de commerce de Rouen en ce que celui-ci s'est déclaré matériellement compétent ;

Statuant à nouveau,

- SE DÉCLARER et déclarer le juge des référés matériellement incompétent, au profit de la juridiction arbitrale ;

- RENVOYER la société ACIERINOX MATÉRIEL à mieux se pourvoir ;

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL à payer au Trésor Public la somme de 3.000€ par application des dispositions des articles 559 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL à payer à la société HD HYUNDAI INFRACORE EUROPE s.r.o. la somme de 70.000€ (soixante-dix mille euros) par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ACIERINOX MATÉRIEL aux entiers dépens ;

À titre subsidiaire, si la Cour devait confirmer l'ordonnance entreprise et confirmer la compétence matérielle du juge des référés, et si la société ACIERINOX MATÉRIEL sollicitait l'évocation du litige,

- JUGER qu'il ne peut être fait droit à une demande d'évocation du litige ;

- RENVOYER l'affaire devant la Cour d'appel de Rennes, territorialement compétente.

17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2024, Acierinox demande à la cour de bien vouloir :

Vu les dispositions des articles 1449, 872 et 873 du code de procédure civile et 1103, 1104 et 1193 du code civil

Vu les pièces versées aux débats

Vu l'absence de saisine de la juridiction arbitrale

Vu la demande de mesure conservatoire

Vu l'urgence

Vu l'absence de contestation sérieuse

- DEBOUTER DOOSAN et SOFEMAT de l'ensemble de leurs demandes

- CONFIRMER l'ordonnance du juge des référés du tribunal de Commerce de Rouen en ce qu'il a retenu la compétence matérielle de la juridiction étatique sur le fondement de l'article 1449 du code de procédure civile.

Se déclarer matériellement compétent et ordonner l'évocation de l'affaire

En conséquence

- CONDAMNER DOOSAN INFRACORE EUROPE sro à payer à titre provisionnel à la société ACIERINOX MATERIEL la somme de 8.120.161 € représentant la perte en marge commerciale enregistrée à la suite des ventes directes de matériel à la société BEAULOC ou à titre subsidiaire la somme de 4.351.763,00 € correspondant à la marge spécifique du client BEAULOC sur les années précédentes

A titre subsidiaire, pour le cas où la Cour refuserait l'évocation de l'affaire

- RENVOYER l'affaire devant la cour d'Appel de Rennes actuellement saisie de l'appel de l'ordonnance du 25 avril 2023 rendue par le tribunal de commerce de Saint Nazaire pour statuer sur la demande de provision de la société ACIERINOX MATERIEL

- CONDAMNER la société DOOSAN Infracore Europe à payer à la société ACIERINOX MATERIEL la somme de 20.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- La CONDAMNER dans les mêmes conditions aux entiers dépens.

III /MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur la compétence du juge des référés

18. Doosan conclut à l'incompétence du juge des référés pour connaître des demandes restant en débat devant la cour en faisant valoir que :

- la clause compromissoire insérée dans le contrat de distribution n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable, de sorte que les conditions restrictives à la compétence du juge étatique énoncées à l'article 1449 du code de procédure civile trouvent à s'appliquer ;

- en l'espèce, ces conditions ne sont pas satisfaites, les mesures sollicitées par Acierinox n'étant pas justifiées par l'urgence et ne présentant pas un caractère provisoire ni conservatoire ;

- la notion de mesure provisoire ou conservatoire doit être appréciée à l'aune de la définition donnée à l'article 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis », applicable au litige ;

- la Cour de justice de l'Union européenne définit ces mesures de manière autonome comme « destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond », la Cour de cassation ayant adopté cette position ;

- la demande d'Acierinox de voir condamner Doosan à payer à titre provisionnelle une somme représentant la perte en marge commerciale enregistrée à la suite des ventes directes de matériel à une société tierce ou à titre subsidiaire une somme correspondant à la marge spécifique de cette société sur les années précédentes ne réalise pas ces conditions, Acierinox ne poursuivant pas le rétablissement d'une situation de fait ou de droit mais l'indemnisation d'un préjudice ;

- cette société ne démontre pas, avec l'évidence requise en référé, une atteinte manifeste à ses droits ;

- la condition prétorienne, qui impose que le demandeur saisisse par ailleurs le tribunal compétent au fond afin qu'il reconnaisse les droits revendiqués, n'est pas davantage satisfaite, Acierinox n'ayant encore jamais saisi un tribunal arbitral et ayant même reconnu dans des conclusions qu'une fois la provision obtenue, elle en resterait là ;

- la condition d'urgence, qui s'apprécie au jour où le juge statue, même en cause d'appel, n'est pas réalisée dès lors que, cinq ans après les faits, Acierinox n'a toujours pas initié de procédure arbitrale, que cette société ne rencontre pas de difficultés économiques et qu'aucun risque d'irrecouvrabilité de la créance n'est caractérisé.

19. Acierinox conclut à la compétence du juge des référés pour se prononcer sur les demandes qui lui sont soumises en soutenant que :

- les dispositions de l'article 1449 du code de procédure civile conservent la compétence du juge étatique pour ordonner en cas d'urgence des mesures conservatoires ou provisoires ;

- ces conditions se trouvent en l'espèce réunies ;

- Doosan ne peut valablement se prévaloir de la notion de mesure provisoire ou conservatoire au sens des dispositions de l'article 35 du Règlement Bruxelles I bis, cet article n'ayant pas vocation à s'appliquer, les jurisprudences invoquées en ce sens n'étant pas pertinentes ;

- les mesures sollicitées constituent des mesures conservatoires et provisoires par excellence au sens de l'article 873 et suivants du code de procédure civile ;

- la demande d'interdiction de vente vise à mettre fin à une atteinte manifeste au contrat d'exclusivité ;

- la demande de paiement d'une provision, qui n'est pas interdite par la clause compromissoire, ne mettra pas fin au litige ni à la volonté d'Acierinox de saisir la juridiction arbitral pour obtenir réparation de ses préjudices économiques ;

- l'urgence se trouve établie par les agissements d'Infracore Europe, qui caractérisent un trouble manifestement illicite portant atteinte aux droits d'Acieninox ;

- ces agissements caractérisent une volonté de nuire qui pénalise Acierinox, qui doit être rétablie dans ses droits ;

- il existe en outre des risques quant au recouvrement de la créance ;

- il n'y a pas de contestation sérieuse s'agissant de la provision, le juge n'ayant pas à interpréter le contrat.

20. La cour renvoie aux conclusions susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE :

21. La cour relève, à titre liminaire, qu'en vertu de l'arrêt de cassation du 1er mars 2023, sa saisine est circonscrite aux seules demandes de la société Acierinox visant au prononcé par le juge des référés de mesures provisoires ou conservatoires, à l'exclusion des demandes de communication de pièces relevant de l'article 145 du code de procédure civile.

22. Acierinox invoque au soutien de ces prétentions la violation d'engagements nés du contrat de distribution signé avec la société Doosan le 10 juillet 2018, qui stipule sous son article 22 une clause compromissoire ainsi formulée :

'22.3 (Arbitration). Any dispute, controversy or claim arising out of or relating to this Agreement or the Sales Contracts, or the breach, termination or invalidity thereof, shall be finally settled under the Rules of Arbitration of the International Chamber of Commerce by one or more arbitrators appointed in accordance with the saide Rules. The seat of arbitration shall be Rotterdam, the Netherlands. The langage to be used in the arbitral proceedings shall be English.'

Traduction libre :

« 22.3 (Arbitrage). Tout litige, controverse ou réclamation découlant du présent contrat ou des contrats de vente, ou s'y rapportant, ou toute violation, résiliation ou invalidité de ceux-ci, sera définitivement réglé conformément au règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce même règlement. Le siège de l'arbitrage sera Rotterdam, Pays-Bas. La langue utilisée dans la procédure d'arbitrage sera l'anglais. ».

23. Selon l'article 1448 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international en vertu de l'article 1506 du même code, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

24. Conformément à l'article 1449 dudit code, également applicable à l'arbitrage international, l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait toutefois pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage.

25. Il n'est, en l'espèce, nullement soutenu que la clause compromissoire précitée serait manifestement nulle ou inapplicable. Il est par ailleurs acquis qu'aucun tribunal arbitral n'a été saisi par les parties. La compétence du juge des référés est dès lors subordonnée à la double condition que les mesures sollicitées présentent un caractère provisoire ou conservatoire et qu'elles se trouvent justifiées par une situation d'urgence qu'il convient d'apprécier à la date à laquelle le juge statue et dont il appartient à Acierinox de rapporter la preuve.

26. La cour relève à cet égard que si cette société se prévaut d'un trouble manifestement illicite résultant de l'atteinte portée par Doosan à ses droits, par la violation des termes du contrat signé par les parties en 2018, l'exclusivité ainsi revendiquée a pris fin le 31 décembre 2022, terme fixé par cette convention, de sorte que, même à le supposer établi, le trouble invoqué ne peut être considéré comme persistant ' raison pour laquelle Acierinox ne sollicite plus, à hauteur d'appel, le prononcé d'une mesure d'interdiction sous astreinte, seule restant en débat une demande de provision.

27. Cette demande, qui vise à réparer des pertes de marge commerciale à raison de ventes consenties par Doosan à la société Beauloc, se rapporte à des faits intervenus entre 2020 et 2022. Elle n'a pas pour objet de mettre fin à un trouble actuel mais poursuit une finalité compensatoire, le grief développé par Acierinox tenant au détournement de sa clientèle et à la volonté de nuire dont ferait preuve l'intimée à son endroit n'étant soutenu par aucun élément postérieur à 2022.

28. Acierinox ne démontre pas, par ailleurs, que les actes qu'elle impute à Doosan la placeraient dans une situation irrémédiablement compromise. À les supposer liées au présent contentieux, les difficultés économiques avancées ne permettent en effet pas de considérer que la continuité de son exploitation se trouverait compromise.

29. Elle n'établit pas davantage un risque avéré d'irrecouvrabilité de la créance revendiquée, la reprise de Doosan par Hyundai et les transformations juridiques de cette société étant à cet égard insuffisantes, de même que l'allégation, purement hypothétique, selon laquelle Hyundai pourrait à terme distribuer les machines produites par Doosan sous sa propre marque.

30. Il apparaît, dans ces conditions, que l'urgence requise par l'article 1449 du code de procédure civile pour justifier la compétence du juge étatique n'est pas établie.

31. Il y a lieu, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions soumises à la cour et de dire le juge des référés incompétent, en renvoyant les parties à se mieux pourvoir.

B. Sur la demande de condamnation pour procédure abusive

32. La société Doosan, à laquelle Acierinox ne répond pas sur ce point, sollicite la condamnation de cette dernière au paiement d'une amende civile de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile, en invoquant la caractère abusif de la procédure d'appel.

33. Il résulte de ces dispositions qu'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés. Cette amende, perçue séparément des droits d'enregistrement de la décision qui l'a prononcée, ne peut être réclamée aux intimés.

34. Acierinox ayant en l'espèce la qualité d'intimée, ces dispositions n'ont pas vocation à lui être appliquées, en quoi, la demande formée par Doosan de ce chef doit être rejetée.

C. Sur les frais et dépens

35. La société Acierinox, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, les demandes qu'elle forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.

36. Elle sera condamnée à payer à la société HD Hyundai Infracore Europe, venant aux droits de Doosan la somme de 20 000 euros en application du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Infirme l'ordonnance de référé rendue le 9 juin 2021 par le Président du Tribunal de commerce de Rouen en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau,

2) Déclare le juge des référés incompétent pour connaître des demandes de la société Acierinox relevant de la présente procédure ;

3) Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

4) Condamne la société Acierinox Matériel SAS à payer à la société HD Hyundai Infracore Europe s.r.o. la somme de vingt-mille euros (20 000,00 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Rejette toutes les demandes plus amples ou contraires des parties ;

6) Condamne la société Acierinox Matériel SAS aux dépens.