CA Rennes, 3e ch. com., 28 mai 2024, n° 24/00475

Monsieur [N] [H] est un expert dans le domaine informatique et plus particulièrement en matière de développement de logiciels permettant d'optimiser les activités des entreprises.

Créée en 2015, la société ELLIXO est une société par actions simplifiée, spécialisée dans le développement logiciel, dont le siège social est sis à [Adresse 8]).

Ses quatre associés sont chacun pour un quart :

- M. [U] [T], Président de la société ELLIXO ;

- M. [E] [X], Directeur général de la société ELLIXO ;

- M. [P] [V], Directeur général de la société ELLIXO ;

- M. [O] [S], Directeur général de la société ELLIXO.

Créée en 2017 par Monsieur [N] [H] et la société ELLIXO, la société LIKSI est une société par actions simplifiée qui exerce une activité de développement logiciel et de conseil en architecture des systèmes informatiques.

La société LIKSI est présidée par la société ELLIXO, elle-même représentée par son Président, Monsieur [U] [T].

Lors de sa création, la société LIKSI avait un capital de 25.000 euros..

Par décision d'assemblée générale extraordinaire du 20 décembre 2018, les quatre associés de la société ELLIXO ont été nommés Directeurs généraux de la société LIKSI.

Un pacte d'associés a été conclu entre la société ELLIXO et Monsieur [N] [H], en date du 22 octobre 2019.

Ce pacte d'associés comprend une clause compromissoire.

Aux termes d'une assemblée générale extraordinaire du 24 février 2020, le capital social de la société LIKSI a été augmenté d'une somme de soixante-quinze mille euros (75.000 euros), par incorporation de réserves, afin de le porter à 100.000 euros, selon la répartition suivante :

Société ELLIXO 8.000 : 80 %

Monsieur [N] [H]: 2.000 : 20 %

TOTAL 10.000 : 100 %

La société ELLIXO est donc associée majoritaire de la société LIKSI, dont Monsieur [N] [H] est associé minoritaire. A cette date, la société ELLIXO est Présidente de la société LIKSI et Monsieur [N] [H] en est Directeur général.

Pièce n°7 : PV d'AGE du 24 février 2020.

A partir de 2021, les relations entre les associés de la société LIKSI sont peu à peu devenues conflictuelles. Au cours de l'année 2022, Monsieur [N] [H] a fait part à la société ELLIXO de sa volonté d'exercer une activité salariée en dehors de la société LIKSI et a proposé une fin amiable à ses fonctions. Ce départ volontaire a été agréé par les deux parties, régularisé par protocole d'accord en date du 30 septembre 2022 et entériné par une assemblée générale en date du 30 septembre 2022.

Le 29 décembre 2022, une assemblée générale extraordinaire de la société LIKSI a décidé le versement global de 220 000€ de primes pour ses quatre directeurs généraux, associés de la société ELLIXO, associé majoritaire de LIKSI.

M. [H] a voté contre cette décision.

Le 30 janvier 2023, une seconde assemblée générale extraordinaire de la société LIKSI a décidé une augmentation des rémunérations des quatre directeurs généraux de LIKSI.

M. [H] a voté contre cette décision.

Le I6 mars 2023, une troisième assemblée générale extraordinaire a décidé une augmentation de capital de la société LIKSI qui passait ainsi de 100.000 euros à 113.400 euros avec une prime d'émission unitaire de 140 euros par action.

M. [H] a voté contre cette décision.

Par acte introductif d'instance en date du 5 mai 2023 et du 12 mai 2023 M. [H] a assigné la société LIKSI et la société ELLIXO aux fins de voir :

- constater l'abus de majorité dont s'est rendu coupable la société ELLIXO,

- prononcer la nullité des décisions des assemblées générales de la société LIKSI suivantes, pour abus de majorité :

- AG extraordinaire du 29 décembre 2022 : versements de primes exceptionnelles aux dirigeants sociaux,

- AG extraordinaire du 30 janvier 2023 : augmentation de la rémunération des dirigeants sociaux,

- AG extraordinaire du 16 mars 2023 : augmentation de capital,

- ordonner les restitutions et remises en état consécutives,

- condamner la société ELLIXO au paiement de la somme de 75.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral subi par M. [H],

- subsidiairement, condamner la société ELLIXO à payer à M. [H] des dommages et intérêts réparant le préjudice financier consécutif à la dilution de sa participation dans le capital de la société LIKSI et ordonner une expertise pour l'évaluer,

- subsidiairement, prononcer la nullité des assemblées générales pour fraude, avec les mêmes conséquences.

La société ELLIXO a soulevé l'incompétence des tribunaux judiciaires en raison de la clause compromissoire présente dans le pacte d'associés du 22 octobre 2019.

Par jugement du 11 janvier 2024, le tribunal de commerce de Rennes :

- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal arbitral instauré par la clause compromissoire stipulée au pacte d'associés,

- a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- a débouté la société ELLIXO de sa demande de frais irrépétibles,

- a condamné M. [H] aux dépens.

Autorisé par ordonnance du 30 janvier 2024, Monsieru [H], appelant de ce jugement, a assigné à jour fixe par actes des 07 et 08 février 2024 les sociétés ELLIXO et LIKSI.

Aux termes de ces assignations et de ses conclusions du 19 mars 2024, M. [H] demande à la Cour de :

A titre liminaire :

DÉCLARER Monsieur [N] [H] recevable et bien fondé en son appel et ses demandes, et y faire droit,

INFIRMER le jugement du 11 janvier 2024 du Tribunal de commerce de Rennes (RG n°2023F00163) en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société ELLIXO de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau :

DÉBOUTER les sociétés ELLIXO et LIKSI de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

JUGER que le Tribunal de commerce est compétent pour trancher l'ensemble du litige et des demandes formées par Monsieur [N] [H] à l'encontre de la société LIKSI et de la société ELLIXO ;

RENVOYER le litige devant le Tribunal de commerce pour qu'il soit statué sur les demandes formulées par Monsieur [N] [H] à l'encontre de la société LIKSI et de la société ELLIXO ;

RENVOYER le litige devant le Tribunal de commerce de Rennes autrement composé ou le Tribunal de commerce de Paris ;

CONDAMNER la société LIKSI et la société ELLIXO, solidairement, à verser à Monsieur [H] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société LIKSI et la société ELLIXO aux entiers dépens.

Et, dans l'hypothèse où la Cour d'appel évoquerait le fond de l'affaire,

À titre principal de :

CONSTATER l'abus de majorité dont s'est rendue coupable la société ELLIXO ;

PRONONCER la nullité des décisions d'assemblée générale de la société LIKSI suivantes :

- Assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 2022 décidant du versement de primes exceptionnelles aux dirigeants sociaux de la société LIKSI;

- Assemblée générale extraordinaire du 30 janvier 2023 décidant de l'augmentation des rémunérations des dirigeants sociaux de la société LIKSI;

- Assemblée générale extraordinaire du 16 mars 2023 décidant l'augmentation de capital de la société LIKSI ;

Avec tout conséquence de droit, entraînant toute restitution utile ;

ORDONNER les restitutions et remises en état conséquentes aux nullités prononcées sous astreinte journalière de 500 euros à compter de la signification du jugement à intervenir ;

CONDAMNER la société ELLIXO au versement de 75 000 euros à Monsieur [N] [H] au titre du préjudice moral subi ;

Subsidiairement, si la nullité des assemblées générales n'était pas retenue, CONDAMNER la société ELLIXO au paiement à Monsieur [N] [H] d'un préjudice financier correspondant à la dilution de la participation de Monsieur [N] [H] dans la société LIKSI, soit 2,36% de la société LIKSI et, pour évaluer la valeur de la société LIKSI :

ORDONNER une expertise

A titre subsidiaire de :

CONSTATER la fraude dont s'est rendue coupable la société ELLIXO ;

PRONONCER la nullité des décisions d'assemblée générale de la société LIKSI suivantes :

- Assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 2022 décidant du versement de primes exceptionnelles aux dirigeants sociaux de la société LIKSI;

- Assemblée générale extraordinaire du 30 janvier 2023 décidant de l'augmentation des rémunérations des dirigeants sociaux de la société LIKSI;

- Assemblée générale extraordinaire du 16 mars 2023 décidant l'augmentation de capital de la société LIKSI ;

Avec tout conséquence de droit, entraînant toute restitution utile ;

ORDONNER les restitutions et remises en état conséquentes aux nullités prononcées sous astreinte journalière de 500 euros à compter de la signification du jugement à intervenir ;

CONDAMNER la société ELLIXO au versement de 75 000 euros à Monsieur [N] [H] au titre du préjudice moral subi ;

Subsidiairement, si la nullité des assemblées générales n'était pas retenue, CONDAMNER la société ELLIXO au paiement à Monsieur [N] [H] d'un préjudice financier correspondant à la dilution de sa participation dans la société LIKSI, soit 2,36% de la société LIKSI et, pour évaluer la valeur de la société LIKSI, :

ORDONNER une expertise

En tout état de cause,

CONDAMNER la société ELLIXO à verser à Monsieur [N] [H] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société ELLIXO aux entiers dépens de l'instance ;

DIRE n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la décision.

Par conclusions du 15 mars 2024, les sociétés ELLIXO et LIKSI ont demandé à la Cour de:

Il est demandé à la Cour d'Appel de Rennes de bien vouloir :

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Rennes ;

- Condamner Monsieur [N] [H], à verser à la SAS ELLIXO, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens.

A titre subsidiaire et si la Cour considérait la clause compromissoire inapplicable :

- Renvoyer l'affaire devant le tribunal de Commerce de RENNES.

A titre PLUS subsidiaire et si la Cour évoquait le fond de l'affaire :

- Mettre la société ELLIXO en demeure de conclure sur le fond.

La Cour a demandé que lui soit transmise l'assignation ayant saisi le tribunal de commerce de Rennes et l'acte, signifié le 05 et le 12 mai 2023, a été versé aux débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'article 1448 du code de procédure civile dispose que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

L'assignation ayant saisi le tribunal de commerce de Rennes contient des demandes visant à la constatation d'un abus de majorité commis par la société ELLIXO et au prononcé de la nullité des décisions d'assemblée générale de la société LIKSI des 29 décembre 2022, 30 janvier 2023 et 16 mars 2023 sur ce fondement.

L'abus de majorité est une décision sociale portant atteinte à l'intérêt social et provoquant une rupture intentionnelle d'égalité entre les associés, dans le seul but de procurer un avantage à l'associé majoritaire.

En l'espèce, M. [H] soutient que les décisions contestées ont pour seul objet d'aboutir à une moindre valorisation de ses parts sociales de la société LIKSI, dans un contexte où il lui est demandé de les céder.

Le pacte d'associé de la société LIKSI, conclu entre M. [H] et la société ELLIXO a pour objet 'd'organiser, en complément des statuts, les relations des associés au sein de la société, et de stipuler notamment une obligation d'activité professionnelle, un droit de préemption, un droit de sortie conjointe et une obligation de cession au profit et/ou à la charge des associés'.

Il en résulte un objet général d'organisation des relations entre les associés en complément des statuts, le terme 'notamment' ajouté par la suite démontrant que les stipulations précises stipulées ensuite ne sont pas limitatives.

La clause compromissoire dit que 'toute contestation qui s'élèveraient entre les parties relativement au présent pacte seront soumises à un tribunal arbitral'.

Compte tenu du caractère général de l'objet du pacte d'associé et de la nature des prétentions de M. [H], fondées sur une rupture intentionnelle de l'égalité entre les associés, la clause compromissoire n'est pas manifestement inapplicable au litige.

Il est exact que la société LIKSI n'est pas signataire du pacte et que la concernant, le litige est indivisible.

Toutefois, la seule constatation d'une indivisibilité ne suffit pas à faire obstacle au jeu de la convention d'arbitrage.

Le jugement déféré est confirmé.

M. [H], qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.

Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement déféré.

Condamne M. [H] aux dépens d'appel.

Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.