CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 23 mai 2024, n° 23/17356
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
X
Défendeur :
20000 Lieux (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Vedadi-Carca, Me Etevenard, Me Roux
La société 20000 lieux, dont le directeur est M. [T], est une société spécialisée dans le repérage de lieux de tournages et la location de lieux privés pour le cinéma, la télévision, la publicité et l'évènementiel.
Mme [C] y a occupé le poste de directrice administrative et financière jusqu'au 17 janvier 2022, M. [H] celui de commercial jusqu'au 29 juillet 2022, M. [D] celui de photographe de la société jusqu'au 25 novembre 2022, et M. [X] celui de responsable commercial jusqu'au 31 août 2022.
Mme [C], et MM [D], [X] et [H] ont créé la société The place to see, immatriculée le 7 décembre 2022 qui a une activité de repérage, location-vente, fabrication (sous-traitance) de mobilier ou d'accessoires et d'organisation d'expositions.
C'est dans ce contexte que la société 20000 Lieux a présenté le 27 mars 2023 une requête auprès du président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile la désignation d'un commissaire de justice pour procéder à des mesures de saisie et de constat au domicile de M. [X] et « dans tous autres établissements et annexes de la société The place to see (') si cela s'avère utile à l'exécution de la mesure ».
Par ordonnance du 30 mars 2023, cette mesure a été accueillie et Me [J], commissaire de justice, désigné pour y procéder.
Les opérations de constat ont été exécutées le 31 mai 2023 au domicile de M. [X].
Par exploit délivré le 30 juin 2023, M. [X] a fait assigner la société 20000 Lieux aux fins, notamment, de rétractation de l'ordonnance sur requête du 30 mars 2023.
Par ordonnance contradictoire du 9 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :
- rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action ;
- rejeté la demande aux fins de rétractation de l'ordonnance rendue le 30 mars 2023 ;
- modifié l'ordonnance rendue le 30 mars 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris comme suit :
* dit qu'au lieu de « [V] [D] » il convient de lire « [N] [D] » ;
* supprime de la mission confiée à Me [J] les mots-clefs suivants : [Courriel 8],
[Courriel 6],
[Courriel 7],
[Courriel 9] ;
- ordonné en conséquence la restitution à M. [X] de tous les éléments séquestrés par Me [J] sur le fondement des seuls mots clés « [V] [D] », [Courriel 8], [Courriel 6], [Courriel 7], [Courriel 9] ;
- précisé en conséquence que si d'autres mots clés non supprimés de la mission du commissaire de justice figurent dans des documents où se trouvent également les mots clés supprimés, ces derniers ne pourront faire l'objet d'une restitution à M. [X] ;
- ordonné la mainlevée du séquestre pour le surplus des éléments appréhendés par le commissaire de justice désigné par l'ordonnance rendue le 30 mars 2023 lors de ses opérations de constat du 30 mai 2023 et actuellement séquestrés en son étude, et ordonné la communication de ces éléments à la société 20000 Lieux et pour information M. [X] ;
- dit que Me [J] dressera un premier procès-verbal des opérations de restitution des éléments séquestrés à M. [X] en raison de la modification de la mission et un second procès-verbal de communication du surplus des éléments séquestrés à la société 20000 Lieux ;
- condamné M. [X] à verser à la société 20000 Lieux la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- condamné M. [X] au paiement des dépens.
Par déclaration du 24 octobre 2023, M. [X] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 5 mars 2024, M. [X] demande à la cour, au visa des articles 489, 496 et 497 du code de procédure civile, de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- prononcer la rétractation de l'ordonnance rendue le 30 mars 2023 en toutes ses dispositions, annuler les mesures d'instruction réalisées en exécution de ladite ordonnance, et relever le commissaire de justice désigné aux fins de son exécution de sa mission de séquestre, lui ordonnant de lui restituer sans délai l'intégralité des documents saisis ;
A titre subsidiaire,
- rétracter partiellement l'ordonnance rendue le 30 mars 2023, et modifier la mission du commissaire de justice désigné aux fins de son exécution aux fins d'effectuer une nouvelle recherche par mots-clefs parmi les documents placés sous séquestre provisoire, dans les conditions suivantes : en combinant les mots-clefs suivants :
*« 20000 LIEUX » ou « 20.000 lieux » ou « @20000lieux.com » ; ET
* « [P] [C] » ou « [N] [D] » ou « [B] [X] » ou « [Courriel 7] » ; ET
* un ou plusieurs mots-clés ou adresses électroniques figurant dans la pièce n°24 « Liste des propriétaires d'immeubles (lieux) travaillant avec la société 20000 Lieux » , et ;
* un ou plusieurs mots-clés ou adresses électroniques figurant dans la pièce n°25 « Liste des principaux clients de la société 20000 lieux », en limitant la recherche à la période comprise entre le 1er septembre 2022 et le 25 novembre 2022.
- déclarer nulle la saisie de tous les éléments prélevés en contradiction avec ces restrictions et ordonner la restitution de ces éléments ce dernier ;
A défaut de rétractation totale de l'ordonnance sur requête :
- déclarer la demande de maintien de séquestre recevable ;
- débouter la société 20000 lieux de l'irrecevabilité soulevée de ce chef ;
- maintenir le séquestre des éléments appréhendés par Me [J] et actuellement séquestrés en son étude ;
- ordonner qu'il soit procédé à un tri contradictoire de ces éléments séquestrés, en présence de Me [J], afin qu'il soit statué sur la communication desdits éléments la société 20000 lieux ;
- dire que le tri des pièces obtenues lors des opérations de constat par l'huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 R. 153-8 du code de commerce, fixer un calendrier cette fin et interdire la communication des pièces écartées à l'issue du tri ;
- faire injonction à la société 20000 lieux d'utiliser, à quelque fin que ce soit et devant quelque juridiction que ce soit, le procès-verbal de constat d'huissier dressé en application de l'ordonnance rendue le 30 mars 2023 ainsi que les pièces et informations recueillies par l'huissier instrumentaire ;
En tout état de cause,
- débouter la société 20000 lieux de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- condamner la société 20000 lieux au titre de l'article 700 du code de procédure civile lui verser 10.000 euros ;
- condamner la société 20000 lieux aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 mars 2024, la société 20000 Lieux demande à la cour, au visa des articles 54, 56, 145, 370, 495, 954 du code de procédure civile, L. 153-1 et suivants et R. 153-2 et suivants du code de commerce, de :
- déclarer irrecevables M. [X] et ses demandes ;
- confirmer l'ordonnance de référé-rétractation du 9 octobre 2023 du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions et rejeter la demande d'annulation et la demande d'infirmation de M. [X] ;
- débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- ordonner la communication des pièces saisies par le commissaire de justice instrumentaire en exécution de l'ordonnance du 31 mars 2023 ;
- condamner M. [X] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens de l'instance.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.
SUR CE,
Sur la demande en rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 30 mars 2023
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse. Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel saisie d'une ordonnance de référé statuant sur une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.
Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale. Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire et s'assurer que la mesure d'investigation ordonnée est proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce M. [X] soutient en substance que les conditions de l'article 145 du code de procédure civile ne sont pas réunies en ce que le motif légitime et la dérogation au principe du contradictoire ne sont pas établis, l'effet de surprise n'étant pas un critère valable et suffisant pour y déroger, et en ce que les faits ont été présentés de manière trompeuse. Il fait valoir encore que la mesure est inutile, la société 20000 Lieux disposant déjà des éléments prétendument utiles à une action et/ou aurait pu les obtenir dans le cadre d'autres procédures, alors que la société intimée a fait assigner au fond M. [X] afin d'obtenir une indemnisation du fait d'actes de concurrence déloyale, certains éléments saisis étant au surplus protégés par le secret des affaires.
La société 20000 lieux expose notamment que les conditions de l'article 145 du code de procédure civile sont bien réunies, alors que le motif légitime est établi, que la dérogation au principe du contradictoire est justifiée, et explicitée aux termes de la requête, que la présentation des faits n'a pas été faite de façon trompeuse, et que le secret des affaires n'empêche pas la réalisation de constat d'huissier sur requête.
sur le motif légitime
L'application de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constatée l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sans qu'il revienne au juge statuant en référé ou sur requête de se prononcer sur le fond.
En l'espèce, il est constant que Mme [C], MM. [X] [H] et [D] anciens salariés de la société 20000 lieux ont créé en décembre 2022 la société The place to see dont l'objet social est similaire.
Il est tout aussi constant qu'il n'existe aucune exclusivité entre la société 20000 lieux, les propriétaires des lieux et ses clients et que le contrat de travail de M. [X] ne comportait aucune cause de non-concurrence.
Il doit être précisé ce qui n'est pas réellement contesté que M. [X] a démissionné de la société 20000 lieux avec effet au 31 août 2022, que Mme [C] a fait l'objet d'un licenciement économique au cours de la même année, avec effet au 17 janvier 2022, que M. [H] a bénéficié d'une rupture conventionnelle au 25 novembre 2022, sa démission étant motivée par la dégradation des relations de travail et notamment le " mépris total " de son employeur pour ses droits d'auteur, ce qui a justifié un contentieux prud'hommal engagé le 3 mars 2023.
Il convient de préciser que la société 20000 lieux a présenté le 14 février 2023 une requête auprès du président du tribunal de commerce de Bobigny aux fins d'obtenir sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile la désignation d'un commissaire de justice pour procéder à des mesures de saisies et constat au domicile de M. [D], ce qui lui a été accordé par ordonnance du 31 mars 2023. Le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny saisi en rétractation a rejeté cette demande par ordonnance rendue le 29 juin 2023 , la cour d'appel ayant confirmé ladite ordonnance sur ce point par arrêt du 5 avril 2024.
La société 20000 lieux a enregistré au cours de l'année 2022, quatre départs dont trois démissions. Ces trois démissions ont suivi le licenciement pour motif économique de Mme [C], survenu en début d'année 2022, ces salariés s'étant réunis pour créé la société The place to see, immatriculée en décembre 2022, peu de temps après le départ de M. [D].
Mme [M], responsable commerciale de la société, indique dans une attestation du 26 janvier 2023 avoir participé à un déjeuner d'équipe le 1er février 2022 et avoir assisté à une discussion au cours de laquelle MM. [D] et [X], encore salariés à ce moment, et Mme [C], récemment licenciée, ont évoqué le souhait de « recréer ensembles une société concurrente », qu'à cette occasion, Mme [C] a mentionné l'idée d'utiliser ses indemnités dans le but de recréer un site internet, M. [D] ayant ajouté « vouloir profiter de son temps de travail pour prendre des photos avec des angles différents lors de ses repérages dans le but de les réutiliser dans le futur pour une nouvelle société ».
Cette attestation est confirmée par Mme [W], salariée également de la société requérante.
Ces deux attestations, cependant, émanent de deux salariées de la société 20000 lieux, ce qui ne peut qu'atténuer leur force probante, alors que M. [X] conteste avoir été présent à ce déjeuner, bien qu'elles soient corroborées aussi par une attestation de M. [I], stagiaire de la société. M [X] sur ce point produit une attestation de son épouse, Mme [U] [X] qui certifie que le jour de ce déjeuner son époux était resté à leur domicile, la force probante de cette attestation étant, de la même manière nécessairement, atténuée.
En revanche, il est fait état par la société 20000 lieux de procès-verbaux mentionnant le transfert d'agendas Google de la société 20000 lieux comportant les coordonnées de clients, le référencement de leur bien et les rendez-vous prévus, ledit agenda ayant été extrait depuis l'année 2015, jusqu'en 2022, ce que M. [X] ne conteste pas in fine, expliquant que les clients de la société 2000 lieux seraient « connus des acteurs expérimentés du secteur et notamment des fondateurs de The place to see ». Il convient de relever que le fichier compressé de ces données a été cependant créé en décembre 2022 et le site internet de la société The place to see a été mis en ligne, avec photos des lieux figurant dans le catalogue de la société 20000 lieux dès le 5 décembre 2022, la société The place to see n'étant pas encore immatriculée.
Le comparatif des sites internet produit permet d'ailleurs de relever que les lieux figurant sur ce site proviennent du fichier de la société 20000 lieux, et que les photographies ont bien été prises par M. [D],
La société 20000 lieux produit encore la copie d'un courriel du 2 décembre 2022, soit dans un moment proche des débuts d'activité de la société The place to see, émanant de M. [F] qui indique qu'il souhaite « arrêter sa mise à disposition » et demande qu'il soit fait le nécessaire pour que le lieu qu'il possède n'apparaisse plus dans le catalogue.
M. [A], prestataire internet de la société requérante pour la société La fille indique pour sa part dans l'attestation produite que M. [X] disposait des accès techniques aux fichiers de la société 20000 lieux après son départ, lui permettant d'intervenir sur le contenu.
Quant à Mme [E], celle-ci écrit par ailleurs dans une attestation produite par M. [X] lui-même qu'elle a rencontré M. [D] au sein de la société 20000 lieux, que celui-ci l'a recontactée le 14 décembre 2022 pour expliquer qu'il ne faisait plus partie des effectifs de cette société et qu'il avait fondé avec M. [X] notamment la société The place to see, souhaitant que [1] fasse partie de leur catalogue, Mme [E] indiquant avoir signé un mandat non exclusif avec la société The place to see le 17 décembre 2022 et accueilli un tournage en février 2023.
Mme [O], réalisatrice, atteste pour sa part avoir effectué avec son équipe de tournage un repérage à [1] à [Localité 10] ( 93) pour le choix d'un lieu à utiliser le 16 décembre 2022 comme décor, indiquant que lors des négociations, le directeur de [1] et sa coordonnatrice ont précisé avoir été contactés en avril 2022 par la société 20000 lieux afin de s'inscrire dans leur fichier, « [N] » (M. [D]) ayant pris les photos ayant mentionné qu'ils devaient aussi s'inscrire chez « [B] » (M. [X]) de la société The place to see, le contrat de location ayant été finalement conclu avec cette société. Il n'est produit sur ce point aucune pièce pour contredire ces témoignages.
Si l'ensemble de ces éléments et leur chronologie ne peuvent suffire à caractériser des actes de concurrence déloyale voire de parasitisme, ils constituent néanmoins des indices suffisamment sérieux permettant de démontrer, de ce chef, l'existence d'un motif légitime pour justifier la mesure d'instruction sollicitée.
Il est rappelé qu'agissant sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société appelante n'a pas à rapporter, à ce stade de la procédure, la preuve de ce que l'action envisagée serait fondée, la mesure d'instruction sollicitée étant destinée à établir la nature et d'étendue des comportements déloyaux imputés à M. [X] ainsi que l'ampleur du trouble subi, étant relevé que la société 20000 lieux produit un attestation de son expert-comptable mentionnant qu'elle a subi une baisse de chiffres d'affaires au cours des dix premiers mois de l'année 2023, soit après le départ des quatre salariés qui ont créé la société The place to see.
Par ailleurs, la déloyauté de la société 20000 lieux dans la présentation des faits, telle qu'alléguée par M. [X] n'est pas établie, et se trouve sans incidence sur l'existence du motif légitime.
Enfin la saisine depuis l'exécution de la mesure d'instruction de la juridiction du fonds à l'encontre de M. [X] est tout autant sans effets sur l'existence d'un tel motif.
Ainsi, et sans qu'il soit utile de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, notamment sur l'existence contestée des droits de M. [D] sur les photographies du site de la société 20000 lieux, cette dernière justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d'instruction afin d'améliorer sa situation probatoire pour le procès qu'elle a engagé à l'encontre de M. [X], notamment lequel n'apparaît pas manifestement voué à l'échec.
sur la dérogation au principe de la contradiction
Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L'éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.
Aux termes de la requête, la société 20000 lieux a justifié la dérogation au principe de la contradiction par le risque de dépérissement des preuves et la nécessité de créer un effet de surprise seul garant de l'efficacité de la mesure sollicitée. L'ordonnance qui y fait droit, tenant compte des éléments développés par la requérante, retient que les circonstances exigent pour la préservation des preuves dont il est sollicité la mise à disposition que les mesures ne soient pas prises contradictoirement.
Au cas présent, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu'elles étaient nécessaires pour établir l'existence des agissements déloyaux suspectés de la part des anciens salariés de la société requérante et l'étendue du préjudice subi.
Ainsi, au regard des agissements de M. [X] notamment suspecté par la société appelante de se livrer à des actes de concurrence déloyale, il apparaissait justifié, dans un souci de plus grande efficacité de la mesure d'instruction, de procéder de manière non contradictoire.
sur le caractère proportionné de la mesure
M. [X] soutient à titre principal sur ce point que la mesure ordonnée est trop large, les investigations sont excessives, dans son objet et dans le temps et porte une atteinte disproportionnée à la protection des secrets d'affaires et au droit à la vie privée, et à titre subsidiaire, que les mots-clés ne permettent pas de respecter le secret des affaires ni sa vie privée, de sorte qu'une rétractation partielle doit être prononcée.
La société 20000 lieux soutient pour sa part que la mesure ordonnée n'est pas trop large, la requête et l'ordonnance étant mesurées, que la combinaison de mots clefs sollicitée à titre subsidiaire par M. [X] conduirait à empêcher la remontée de tout élément pertinent et à priver de toute utilité le constat réalisé, la véritable finalité de ce dernier étant de retarder la remise des fichiers saisis pour retarder l'action en concurrence déloyale.
Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass., 2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n°20-14.309, publié).Au cas présent, tout d'abord, il est pertinent de procéder à des investigations à compter du départ de Mme [C] soit à compter du 15 janvier 2022.
Par ailleurs, l'ordonnance sur requête précise que le commissaire de justice pourra accéder « aux ordinateurs fixes ou portables de M. [X] ainsi qu'à ses téléphones mobiles personnels ou professionnels » et plusieurs mots clés concernent la messagerie utilisée par les fondateurs de la société The place to see. C'est à ce titre que le premier juge a exclu de la mesure ordonnée les mots clés suivants : franck@theplacetoosee ; arthur@theplacetoosee ; balthazar@the placetoosee ; julia@theplacetoosee.
La société 20000 Lieux acceptant expressément ce chef de décision, il y a lieu de considérer que la mesure a été par ailleurs limitée dans son objet par l'indication de mots clés à utiliser seuls ou combinés, à savoir :
- Nom et adresse électronique de la société 20000 lieux et de son dirigeant,
- Mots « Nas » et « back office » dont il n'est pas contesté qu'ils font référence à la société intimée,
- Noms et adresses électroniques d principaux clients de la société 20000 lieux et des propriétaires de biens travaillant avec elle.
Elle tend en effet uniquement à la vérification d'éléments susceptibles d'établir les démarchages, et détournements suspectés.
Elle est circonscrite quant aux clients visés par d'éventuels actes de concurrence déloyale, une liste précise de clients étant établie.
Enfin, étant circonscrite aux faits litigieux, elle ne s'apparente pas à une mesure d'investigation générale mais est proportionnée et nécessaire au regard du but poursuivi.
S'agissant des restrictions sollicitées par M. [X], y compris à titre subsidiaire, il doit être relevé que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, ainsi que le prévoit l'article R. 153-6 du code de commerce qui autorise la communication des pièces lorsqu'elles sont nécessaires à la solution du litige, alors même qu'elles sont susceptibles de porter atteinte à un secret des affaires.
En outre, M. [X] ne précise pas en quoi, selon lui, les pièces saisies seraient protégées au titre du secret des affaires au sens de l'article L. 151-1 du code de commerce, ni en quoi elles revêtiraient une valeur commerciale du fait de leur caractère secret (article L. 151-1, 2°) ou en quoi elles feraient l'objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ( article L. 151-1, 3°).
Enfin, le respect de la vie privée ne constitue pas, en lui-même, un obstacle à l'application de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure ordonnée repose sur un motif légitime et qu'elle est nécessaire et proportionnée à la protection des droits du requérant.
S'agissant au cas présent de la protection de la vie privée, et de l'atteinte au secret professionnel, l'ordonnance sur requête exclue expressément « toutes les correspondances échangées avec un avocat et tout document intitulé « personnel », « perso » ou « privé ». Au demeurant, au cours de l'exécution de la mesure, l'expert informatique ce qui n'est pas discuté a supprimé tous les messages échangés avec Mme [X], qui exerce la profession d'avocat, ainsi que tous les messages avec les avocats de M. [X] et de la société The place to see et les messages labellisés perso ou privés.
La mesure ordonnée, circonscrite dans le temps et dans l'objet, ainsi qu'il a été précédemment constaté, constitue ainsi la seule mesure permettant à l'intimée de se constituer des éléments de preuve en vue d'un procès futur, sans qu'elle ne porte une atteinte illégitime aux droits des personnes concernées par la mesure d'instruction et, tenant compte de l'objectif poursuivi, concilie le droit au respect de la vie privée de ces dernières et du secret professionnel et le droit à la preuve de la société 20000 lieux.
Sur la mainlevée du séquestre et la procédure de tri
La société 20000 lieux expose que les demandes de M. [X] tendant à voir maintenir le séquestre, et organiser la procédure de tri contradictoire en cause d'appel sont irrecevables en ce qu'elles constituent des demandes nouvelles, qui n'ont pas été présentées devant le premier juge.
Elles sont selon elle d'autant plus irrecevables qu'elles figurent au dispositif des écritures de M. [X] sans être invoquées dans la discussion, et enfin elles ne sont pas légitimes, le périmètre des investigations ayant été réduit par le premier juge.
M. [X] pour sa part indique qu'il est indispensable que le séquestre soit maintenu jusqu'à ce qu'il soit procédé à un examen contradictoire des pièces saisies, une telle demande n'étant pas nouvelle en ce qu'elle tend aux mêmes fins que celles sollicitées en première instance.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En revanche, il résulte de l'article 565 du même code que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En outre, selon l'article 566, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Ces demandes tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir la restitution des pièces saisies, lequel a ordonné la mainlevée de la mesure de séquestre. Elles sont donc recevables à ce titre.
Par ailleurs, M. [X] demande expressément, dans le dispositif de ses dernières écritures à titre subsidiaire, le maintien de la mesure de séquestre et l'organisation de la procédure de tri, ces demandes liant la cour.
Selon l'article R. 153-1 du code de commerce, lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires. Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10.
Au cas présent, les pièces saisies ont été placées sous séquestre provisoire et le premier juge dans son ordonnance frappée d'appel du 9 octobre 2023 a ordonné la levée du séquestre, sans organiser la procédure de tri.
Force est de constater que M. [X] fait certes état du secret des affaires, mais uniquement à l'appui de la demande de rétractation, ainsi que l'a apprécié le premier juge, alors qu'il ne le caractérise pas, demeurant exclusivement sur les aspects théoriques du dit secret.
Dans ces conditions, alors que l'atteinte au secret des affaires n'est pas caractérisée, et que la mesure ordonnée ne porte pas une atteinte illégitime aux droits des personnes concernées par la mesure d'instruction comme jugé plus haut, il y a lieu d'ordonner la mainlevée du séquestre confirmant l'ordonnance querellée sur ce point, et de rejeter la demande tendant à voir organiser la procédure de tri, l'atteinte portée au secret des affaires n'étant pas caractérisée ni même alléguée à l'appui de cette demande.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens
Le sort des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile a été exactement apprécié par le premier juge.
L'appelant, partie perdante, sera tenu aux dépens d'appel, et condamné à payer à la société 20000 lieux la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 9 octobre 2023,
Y ajoutant,
Déclare recevables les demandes formées par M. [X] tendant à voir maintenir la mesure de séquestre et organiser la procédure de tri mais rejette ces demandes,
Condamne M. [X] aux dépens d'appel ;
Le condamne à payer à la société 20000 lieux la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande fondée sur ces dispositions.