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Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 22 mai 2024, n° 23/02768

COLMAR

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

E

Défendeur :

William Sinclair Recrutement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Rhode

Avocats :

Me Auer, Me Harnist, Me Ludot, Me Montagnier

TJ Strasbourg, du 28 juin 2023, n° 23/02…

28 juin 2023

Vu l'ordonnance en date du 28 octobre 2022, rendue sur requête de la SAS William Sinclair Recrutement, ci-après également 'WSR', par laquelle le président de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg a autorisé la requérante, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, à faire procéder à des constats au domicile de M. [J] [E] ainsi qu'en tous locaux exploités par la société Hanson Search, ci-après également 'Hanson', à l'effet d'obtenir des preuves d'actes de concurrence déloyale, et désigné la SCP Benoît Demmerle - Anne Stalter pour y procéder, l'ordonnance ayant reçu exécution le 23 novembre 2022,

Vu l'assignation remise au greffe le 22 décembre 2022, par laquelle M. [J] [E] a saisi le président de la chambre commerciale d'un référé-rétractation contre l'ordonnance susvisée, et ce en présence du commissaire de justice désigné,

Vu l'ordonnance rendue le 28 juin 2023, à laquelle il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par laquelle le juge des référés commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg a statué comme suit :

'REJETONS la demande tendant à voir écarter des débats les pièces numéro 6 et 11 de monsieur [E] ;

DEBOUTONS monsieur [E] de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 28 octobre 2022 ;

DEBOUTONS monsieur [E] de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

DISONS que, sauf s'il est interjeté appel de la présente décision, le séquestre sera levé à l'expiration du délai d'appel ;

CONDAMNONS monsieur [E] aux dépens ;

CONDAMNONS monsieur [E] à payer à la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT une indemnité de 2 000 € (deux mille euros) en couverture de ses frais non compris dans les dépens ;

DEBOUTONS la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT de ses autres demandes ;

DECLARONS cette décision opposable à la SCP Demmerle Benoît et Stalter Anne ;

RAPPELONS que cette ordonnance est exécutoire par provision.'

Vu la déclaration d'appel formée par M. [J] [E] contre cette ordonnance et déposée le 4 juillet 2023,

Vu la constitution d'intimée de la SAS William Sinclair Recrutement en date du 24 juillet 2023,

Vu les dernières conclusions en date du 23 février 2024, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. [J] [E] demande à la cour de :

'Vu les articles 145 et 147 du code de procédure civile,

Vu les articles 493 et 497 du code de procédure civile,

Vu les articles 845 et 875 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu l'ordonnance sur requête rendue le 28 octobre 2022,

Vu les pièces versées aux débats,

DÉCLARER l'appel de Monsieur [J] [E] recevable et bien fondé ;

En conséquence,

INFIRMER l'ordonnance rendue par Madame le Président de la Chambre Commerciale du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG en date du 28 juin 2023 en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance du 28 octobre 2022 et en ce qu'elle a condamné Monsieur [E] aux dépens de l'instance et au paiement d'une indemnité de 2.000 € à la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT en couverture des frais non compris dans les dépens ;

Statuant à nouveau,

JUGER que les conditions des articles 145, 147, 493, 845 et 875 du code de procédure civile ne sont pas remplies en l'espèce pour qu'il puisse être sollicité par l'intimée des mesures d'instruction à l'encontre de Monsieur [E] par voie de requête non contradictoire ;

En conséquence,

RÉTRACTER l'ordonnance du 28 octobre 2022 en toutes ses dispositions ;

CONSTATER la nullité des opérations du Commissaire de Justice commis ;

FAIRE INTERDICTION à la SCP Benoit DEMMERLE - Anne STALTER et/ou tout autre Commissaire de Justice qui aurait été mandaté dans le cadre de la présente instance, de communiquer et/ou remettre à l'intimée se et/ou à son Conseil, pour quelque motif que ce soit, des documents et informations recueillies en exécution de l'ordonnance du 28 octobre 2022 ; au besoin ORDONNER leur restitution à Monsieur [J] [E] ;

FAIRE INTERDICTION à l'intimée de faire usage, pour quelque motif que ce soit, des documents et informations recueillies en exécution de l'ordonnance du 28 octobre 2022 ; au besoin ORDONNER leur restitution à Monsieur [J] [E] ;

CONDAMNER la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT au paiement d'une provision de 5.000,-€ à valoir sur les dommages et intérêts pour procédure abusive ;

DIRE que la somme portera intérêt au taux légal à compter de l'ordonnance à intervenir ;

CONDAMNER la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT au paiement d'une somme de 4.000,-€ au titre de la première instance et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens, y compris aux frais de Commissaire de Justice ainsi qu'aux frais de procès-verbaux de constat ;

CONDAMNER la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT à payer à Monsieur [E] la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles qu'il a exposé devant la procédure d'appel'

et ce, en invoquant, notamment :

- l'absence de preuve que son départ de la société WSR aurait été préparé ou anticipé, alors qu'il n'aurait eu aucun projet avec la société Hanson Search,

- l'absence de justification d'un motif légitime par l'intimée, alors que la clause de non-concurrence est d'interprétation stricte, supposant la preuve d'actes de concurrence en lien avec l'activité réelle de la société concernée, non caractérisés en l'espèce, au regard des documents adverses dont la pertinence et leur interprétation par l'intimée sont discutées, la société Hanson Search ayant une branche de recrutement très différente de celle de la société intimée et le concluant n'ayant lui-même pas accompli d'actes de concurrence, dont aucune preuve émanant de clients de la partie adverse ou de candidats ne serait produite, tandis que le courriel produit par la société intimée entre l'appelant et un candidat à l'embauche, daté du 27 avril 2023, serait hors période d'application de la clause litigieuse, durant laquelle aucun recrutement concurrent n'aurait été effectué par la société Hanson Search, qui n'aurait aucun siège social en France, ni bureau, ni établissement secondaire, l'argumentation adverse étant réfutée à ce titre, pour une activité dirigée exclusivement vers l'étranger, peu important le lieu d'exercice du concluant qui ne serait pas celui des clients et candidats prospectés,

- l'absence de démonstration de l'existence de circonstances exigeant une exception à la contradiction, tous les éléments invoqués par la société intimée pouvant être justifiés ou produits dans le cadre d'une procédure classique et respectueuse des droits de la défense, en l'absence de volonté de dissimulation de la part du concluant, démontrée dans le cadre du contradictoire, et ce alors que la partie adverse n'aurait pas établi qu'il était 'impossible de procéder autrement que par surprise', s'appuyant uniquement, sans expliciter la nature du risque qu'elle invoque ni les preuves sur lesquelles il repose, sur l'aspect volatile des supports utilisés, à l'exclusion de toutes circonstances particulières au cas d'espèce, et la preuve de la violation de la clause de non-concurrence ne constituant pas en elle-même une circonstance justifiant la dérogation au principe du contradictoire, la jurisprudence exigeant bien une analyse concrète des circonstances, et le rétablissement du contradictoire n'ayant pas permis au concluant, qui aurait subi les conséquences vexatoires des mesures, de faire valoir ses arguments avant leur exécution,

- un préjudice moral subi du fait de l'initiative particulièrement violente prise par la société intimée avec pour probable objectif, outre celui d'intimider et/ou de déstabiliser, de lui nuire.

Vu les dernières conclusions en date du 23 février 2024, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS William Sinclair Recrutement demande à la cour de :

'Vu les articles 145, 494 et 495 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 15 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 445 du Code de Procédure Civile,

Vu la requête du 11 octobre 2022 et les pièces jointes,

Vu l'Ordonnance du 28 octobre 2022 rendue par Madame le Président de la Chambre commerciale du Tribunal Judiciaire de Strasbourg,

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

STATUANT AVANT DIRE DROIT

- A titre principal, écarter des débats les conclusions adverses et la pièce complémentaire n°15 communiquées le 23 février 2024 à la veille de l'audience dans un but dilatoire,

- A titre subsidiaire, permettre à la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT de répondre aux conclusions adverses par le biais d'une note en délibéré,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

- Déclarer l'appel de Monsieur [J] [E] mal fondé,

- Recevoir la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT en son argumentation et la juger bien-fondée,

- Juger que la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT justifie d'un motif légitime lui permettant à bon droit d'engager une procédure d'ordonnance sur requête et de circonstances justifiant le recours à une procédure non-contradictoire,

En conséquence,

- Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de Strasbourg du 28 juin 2023,

- Débouter Monsieur [J] [E] de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 28 octobre 2022 et de nullité des opérations du Commissaire de Justice commis,

- Débouter Monsieur [J] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Ordonner la main-levée du séquestre provisoire,

- Ordonner la communication du procès-verbal de constat établi par Maître [D] [X], Commissaire de Justice, associé au sein de l'Etude DEMMERLE-STATER, [Adresse 2], mandaté en vertu de l'ordonnance du 28 octobre 2022, et de l'ensemble des informations et documents collectés, à la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT,

Y ajoutant,

- Condamner Monsieur [J] [E] à verser à la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre le remboursement des frais du Commissaire de Justice à hauteur de 1.500 € TTC et d'informaticien à hauteur de 3.005 € TTC.

- Le condamner aux entiers dépens'

et ce, en invoquant, notamment :

- une stratégie dilatoire de M. [E] ayant communiqué 39 pages de nouvelles conclusions et de nouvelles pièces à la veille de l'audience,

- l'existence d'un motif légitime, démontré au stade de la requête, au regard des éléments de preuve que seraient le site de la société avec la mention '[Localité 3]', le profil 'Linkedin' de M. [E], localisé à '[Localité 6], France', et l'exercice d'une activité concurrente à [Localité 3] par la société 'Hanson Search [Localité 3]', l'argumentation adverse étant réfutée, dès lors qu'il n'aurait pas été nécessaire, pour la concluante, d'interroger ses clients, qui ne sont pas concernés par les problématiques de concurrence déloyale et n'auraient pas intérêt à lui fournir une attestation, outre que la société Hanson Search [Localité 3] aurait bien une activité concurrente de la concluante, à savoir le recrutement, peu importe les spécialités concernées, qui seraient au demeurant les mêmes que celles sur lesquelles interviendrait la concluante, cette activité en France posant la question de l'intervention géographique de M. [E], que les mesures prescrites auraient justement pour objet de confirmer,

- l'existence de circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, question 'clairement tranchée' par l'ordonnance initiale ayant repris les termes de la requête, 'particulièrement motivée' sur ce point, en rapportant la preuve concrète que M. [E] avait été embauché par une société concurrente et qu'il existait un risque très réel et important que lui et la société Hanson Search [Localité 3] ne procèdent au 'nettoyage' immédiat des serveurs informatiques afin de faire disparaître tous les éléments de preuve gênants, et de déperdition de la preuve, et ce alors que la jurisprudence reconnaîtrait que la démonstration de l'embauche d'un ancien salarié lié par une clause de non-concurrence par une société concurrente dans le cadre de la requête suffirait à caractériser un risque de déperdition, outre qu''aucun formalisme n'est requis dans la requête pourvu que des circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction' soient caractérisées dans la requête ou l'ordonnance, et que la procédure de rétractation permettrait, en tout état de cause, de rétablir le contradictoire,

- l'absence de préjudice subi par M. [E], auquel il appartiendrait d'en rapporter la preuve, ce qu'il ne ferait pas,

- la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fait droit à la demande reconventionnelle de la concluante de lever le séquestre.

Vu les débats à l'audience du 26 février 2024,

Vu la note en délibéré de la société William Sinclair Recrutement en date du 4 mars 2024,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

La cour observe au préalable que, dès lors que la partie intimée a été autorisée à produire une note en délibéré à la suite du dépôt par l'appelante de conclusions en date du 23 février 2024, il n'y a pas lieu d'écarter des débats lesdites conclusions, ainsi que la pièce nouvelle produite par M. [E], dans la mesure où le respect de la contradiction a pu, ainsi, être assuré.

Sur la demande principale en rétractation :

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, l'article 147 du même code précisant que le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, et l'article 812, devenu 845 dudit code, prévoyant que le président du tribunal de grande instance, désormais tribunal judiciaire, peut ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement, l'article 875 du même code le prévoyant pareillement s'agissant du président du tribunal de commerce.

Selon l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, en présence de circonstances autorisant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, l'application des articles 494 et 495 du code précité impliquant, en outre, que la requête doit être motivée, comporter l'indication précise des pièces invoquées et doit être remise en copie ainsi que l'ordonnance, elle-même motivée, à la personne qui en supporte l'exécution.

Et selon l'article 17 du code précité, lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu'une mesure soit ordonnée à l'insu d'une partie, celle-ci dispose d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, l'article 496 du même code prévoyant que, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance, et l'article 497 de ce code autorisant le juge à modifier ou rétracter son ordonnance même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

Ainsi, le référé afin de rétractation, qui n'est soumis ni à la condition d'urgence, ni à l'absence de contestation sérieuse, permet à la partie à l'insu de laquelle une mesure urgente a été ordonnée de disposer, par application des dispositions qui viennent d'être rappelées, d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, dans le respect du principe du contradictoire.

Dans ce cadre, il convient également de rappeler que la cour d'appel saisie d'une décision ayant rétracté, fût-ce partiellement, une ordonnance sur requête, ne peut se prononcer que dans les limites de la saisine du juge de la requête, mais se trouve investie des attributions du juge qui l'a rendue et doit alors statuer sur les mérites de la requête.

Et le requérant initial conserve la charge de justifier le bien-fondé de sa requête, sans avoir, lorsque la requête est fondée, comme en l'espèce, sur des griefs tirés d'agissements de concurrence déloyale ou de parasitisme, à établir avec certitude les faits de concurrence déloyale qu'il invoque, pour peu qu'il justifie, au jour de la requête, d'un motif légitime impliquant que soient caractérisés des éléments objectifs rendant ces faits, et le litige susceptible d'en découler, plausibles.

À cet égard, si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi (2ème Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-11.987, publié au Bulletin).

Par ailleurs, si le juge de la rétractation doit, pour apprécier l'existence du motif légitime requis par l'article 145 du code de procédure civile, se placer au jour du dépôt de la requête initiale, en considération des éléments existant à cet instant et non à la date à laquelle le premier juge s'est prononcé, ni à celle à laquelle la cour statue, le contentieux de la demande en rétractation ne se limite, pour autant, pas à l'examen des seuls éléments connus au moment de la requête ayant servi de fondement à l'ordonnance initiale (voir, notamment, 2ème Civ., 7 juillet 2016, pourvoi n° 15-21.579, Bull. 2016, II, n° 188).

L'application des dispositions précitées implique encore que le juge ne peut pas faire droit à une requête sans avoir recherché et constaté que la mesure sollicitée supposait une dérogation exceptionnelle à la règle du contradictoire, étant précisé que 'les circonstances susceptibles de motiver une dérogation au principe de la contradiction doivent résulter de l'ordonnance sur requête, et ne peuvent se justifier a posteriori lors de l'examen de la demande en rétractation'.

Ainsi, le juge, saisi d'une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et dans l'ordonnance, de circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement. Et il résulte des articles 145 et 493 du code de procédure civile que 'le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction' et que 'dès lors [qu'une] cour d'appel avait constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les raisons de déroger au principe du contradictoire et que l'ordonnance se bornait à indiquer que la société requérante justifiait de circonstances exigeant que la mesure ne soit pas ordonnée contradictoirement, elle en avait exactement déduit que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation a posteriori et que l'ordonnance devait être rétractée' (2ème Civ., 3 mars 2022, pourvoi n° 20-22.349, publié au Bulletin).

Il est également jugé de manière constante que le juge saisi d'une requête doit rechercher de manière concrète si les circonstances de l'espèce justifient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction. La simple affirmation ne suffit pas.

En l'espèce, si M. [E] entend, tout d'abord, contester l'existence d'un motif légitime de nature à autoriser la société WSR à solliciter des mesures d'instruction dans les conditions prévues et encadrées par les dispositions ci-dessus rappelées, à défaut, selon lui, d'actes de concurrence qui lui soient imputables, en tout cas sur la période en cause et dans le cadre strict de son obligation de non-concurrence, ou même à la société Hanson Search, ayant recours à ses services, compte tenu, selon lui, de la spécificité de son activité de recrutement, de son absence d'implantation en France et de l'orientation de son activité vers d'autres pays, ce que réfute la société WSR qui invoque l'exercice d'une activité concurrente, d'ailleurs sur les mêmes secteurs qu'elle et en France, interrogeant sur le champ d'intervention de M. [E], la cour rappelle que, quels que soient d'ailleurs les motifs et les circonstances de son départ de la société WSR, M. [E] était tenu vis-à-vis de la société WSR d'une obligation de non-concurrence en vertu d'une clause du contrat de travail l'ayant lié à cette société, et plus particulièrement d'un avenant contractuel du 14 décembre 2020, dont il n'appartient pas à la cour dans le présent litige d'apprécier la validité, mais qui stipule une interdiction applicable 'pendant une durée d'une année', à compter 'du jour du départ effectif de Monsieur [J] [E]', cette interdiction portant sur une activité concurrente de celle qu'il exerçait au sein de la Société WSR, l'avenant l'obligeant, en outre et notamment, 'à ne pas s'intéresser, directement ou indirectement, notamment en qualité d'associé, dirigeant, salarié ou indépendant, à tout commerce ou activité pouvant concurrencer l'activité qu'il exerçait au sein de la société William Sinclair Recrutement', le texte de la clause précisant encore que 'compte-tenu de l'activité exercée par la société WILLIAM SINCLAIR RECRUTEMENT et de l'implantation de ses agences actuelles ou futures, cette interdiction sera applicable pendant une durée d'une année sur tout le territoire de l'Île-de-France et sur celui du département du Bas-Rhin'.

Or, M. [E] a quitté la société WSR à la fin de l'année 2021, consécutivement à une démission en date du 10 novembre 2021, se voyant dispenser partiellement de préavis à compter du 1er janvier 2022.

Il indique ensuite avoir commencé à collaborer 'quelques mois plus tard', via sa société NG Smart Consulting, immatriculée le 11 avril 2022 à son domicile strasbourgeois, ayant pour objet le 'recrutement, conseil en ressources humaines, formation' avec un client unique, à savoir la société Hanson Search, ayant son siège au Royaume-Uni et plus précisément à Londres.

À cet égard, il y a lieu de rappeler que la société WSR, dont le siège est à [Localité 3] (17ème), a pour activité, aux termes de ce qui figure sur son extrait kbis, 'd'exercer l'activité de consultant et de conseils dans les domaines de la gestion d'entreprise. De former et de conseiller dans tous les aspects de la gestion, de la direction du secrétariat et des fonctions administratives liées à la comptabilité, la gestion, la finance, le juridique, la fiscalité. Dans les domaines de l'organisation, des ventes, du marketing, de la publicité, et du commercial. Dans les domaines de l'ingénierie informatique, technique, bâtiments, géologie, pétrole', ce qui constitue un champ d'activité, certes circonscrit à certains domaines mais en pratique relativement large au regard de la multiplicité des domaines concernés mais aussi du caractère assez large de certains d'entre eux, l'objet statutaire correspondant, pour autant, à l'activité de la société telle qu'elle peut être appréhendée par la consultation de son site internet, ainsi qu'elle a été effectuée par huissier et comprenant une description détaillée (p. 87 du constat) des compétences professionnelles couvertes.

M. [E] entend faire valoir que la société Hanson Search 'est spécialisée dans le recrutement des consultants en communication et affaires publiques et ne prospecte pas de clients ou candidats pour des métiers de ressources humaines, métiers juridiques, commerciaux etc.' qui concernerait plus précisément des profils liés aux métiers de la communication, tout en reconnaissant que certains profils concernés peuvent être spécialisés en finance pour ce qui concerne le domaine de la communication financière.

Or, comme l'a justement relevé le premier juge, le cabinet Hanson Search se présente sur son site internet comme 'un cabinet de conseil international primé en recherche de cadres, qui recherche des talents exceptionnels avec passion et professionnalisme dans les domaines du marketing, de la communication et du commerce', métiers également compris dans le domaine d'intervention de la société WSR.

Si M. [E] entend préciser que les annonces identifiées par la société WSR comme se situant en France, concernent des postes de 'directeur de compte' (en charge, comme le rappelle l'intimée, de la 'relation client') ou 'consultant dans le domaine de la mode', 'la communication financière' ou encore 'la communication de crise', qui, à son sens, ne relèveraient pas des compétences de la société WSR, il convient d'observer, même si, contrairement à ce qu'affirme la société WSR, toute activité de recrutement n'est pas interdite à M. [E] par la clause de non-concurrence, que les champs d'activité des deux sociétés ne sont ni exclusifs, ni incompatibles entre eux de sorte qu'elles se trouvent, au-delà du simple fait que toutes les sociétés en cause sont spécialisées dans le recrutement, dans un véritable rapport de concurrence. Quant au relevé d'activité dont se prévaut M. [E] (pièce n° 9 de l'appelant), dont rien ne permet de s'assurer de l'exhaustivité, il se réfère à des termes anglo-saxons désignant de façon plus ou moins précise des fonctions d'encadrement ou de consultant (ex. : 'Public Affairs Senior Consult', 'Head of External Comms', 'Senior SEA Manager', 'Senior Consultant'), sans apparaître de nature à remettre en cause à suffisance les conclusions auxquelles il vient d'être parvenu.

Et quant au respect du champ géographique de la clause de non-concurrence, tel que celui-ci a été rappelé ci-dessus, si la domiciliation de M. [E] est sans emport sur ce point, c'est à juste titre que le juge de première instance a relevé que le site internet de la société Hanson Search mentionnait, en date du 26 septembre 2022, comme constaté par huissier, l'existence de bureaux à [Localité 3], plus précisément au rond-point [Adresse 5], ce que vient corroborer l'extrait kbis à jour au 9 octobre 2022 mentionnant la société Hanson Search comme ayant un établissement secondaire à cette adresse. De ce point de vue, les échanges de courriels, exclusivement en langue anglaise non traduite, produits par M. [E], entre la société Hanson Search et une société Regus datant de 2016 et 2017 et apparaissant faire état de la volonté de la société Hanson Search de ne pas renouveler sa domiciliation en France, et plus précisément à [Localité 3], ne permettent pas d'expliquer pourquoi cette adresse figure encore non seulement sur le kbis, mais également sur le site internet de cette entreprise plus de cinq ans après. La publication de six annonces à destination d'un public français ou en tout cas pour des postes à pourvoir en France, voire plus précisément à [Localité 3], même s'agissant d'un document édité, comme le fait remarquer M. [E], le 13 février 2023, viennent corroborer l'existence d'une activité de la société Hanson en France, s'agissant d'annonces qui ont bien été publiées en 2022, soit pendant la période de validité de la clause et même antérieurement au dépôt de la requête.

Le site internet de la société Hanson, peu important qu'il ne comporte qu'une version anglaise (traduite par l'huissier) qui ne suffit pas à en circonscrire géographiquement le public, présente, en outre, M. [E], sans restriction aucune, comme 'consultant principal', apportant 'plus de cinq ans d'expérience dans le recrutement et le conseil en gestion des talents en France et au-delà des frontières'. Le profil 'Linked In' de M. [E], tel qu'édité en date du 10 octobre 2022 le présente, lui, comme 'Principal Consultant EU [Localité 6] Grand Est, France'.

Il est vrai que le courriel daté du 27 avril 2023, faisant référence à des échanges antérieurs entre M. [E] et un candidat à l'embauche est postérieur à la fois à la saisine du juge de la requête et à la période de validité de la clause de non-concurrence, de sorte qu'il ne peut être pris en considération, même à titre confortatif.

Pour autant, au vu des éléments objectifs dont la cour dispose par ailleurs, il apparaît que M. [E] se trouvait être, durant la période de validité de la clause de non-concurrence, le consultant principal d'une société, fût-elle étrangère, ayant une activité en France, et notamment à [Localité 3], ce qui, en l'absence, par ailleurs d'éléments permettant de s'assurer que l'activité de M. [E] pour le compte de la société Hanson Search aurait été expressément limitée ou cantonnée à certains profils très précis ou à certains secteurs géographiques, et donc à contredire les éléments précités, suffit à rendre plausible l'exercice d'une activité concurrente à celle de la société WSR dans les secteurs géographiques et d'activité couverts par la clause de non-concurrence liant M. [E] et durant la période de validité de cette clause.

Concernant la motivation de la dérogation au principe du contradictoire, la cour observe que la motivation de la requête, reprise, comme l'indique M. [E] lui-même par le juge de la requête, caractérise de manière suffisamment claire, précise et concrète, au regard des circonstances de la cause, et notamment de la nature des éléments concernés, qui sont précisément énoncés, ainsi que de celle des faits reprochés à M. [E] et des risques encourus en relation avec de tels faits, qui sont expressément mentionnés et explicités dans le contexte de l'affaire et en particulier dans la perspective du possible litige à venir au fond.

Dès lors, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a retenu que la nécessité de déroger au principe du contradictoire était justifiée au stade de la requête.

Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [E] :

M. [E] sollicite, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la condamnation de la société WSR à lui payer, à titre de provision sur dommages et intérêts, la somme de 5 000 euros, pour procédure abusive.

Cela étant, il n'établit pas, au-delà de toute contestation sérieuse, que la société WSR aurait agi à son encontre de manière fautive, et plus particulièrement, il ne démontre à suffisance aucune mauvaise foi ou erreur grossière de la partie adverse, de surcroît au regard de l'issue du litige au principal,

Dès lors, en confirmation de l'ordonnance entreprise sur ce point, la demande de dommages-intérêts de M. [E] sera rejetée.

La confirmation de la décision dont appel justifie qu'il soit procédé à la levée du séquestre provisoire et à la communication du procès-verbal de constat dans les conditions précisées au dispositif.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

M. [E], succombant pour l'essentiel, sera tenu des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation de l'ordonnance déférée sur cette question.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de l'appelant une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 3 000 euros au profit de l'intimée, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions de la décision déférée de ce chef.

En l'absence d'élément nouveau à hauteur de cour, l'ordonnance sera également confirmée en ce qui concerne le sort des frais liés à la mesure d'exécution, étant observé que la société WSR demande à la cour une confirmation intégrale, tout en demandant à la cour de statuer par ajout sur ce point pourtant déjà tranché par le premier juge.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 28 juin 2023 par le juge des référés commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg,

En conséquence,

Ordonne la main-levée du séquestre provisoire, et la communication du procès-verbal de constat établi par Maître [D] [X], Commissaire de Justice, associé au sein de l'Etude Demmerle-Stalter, [Adresse 2], mandaté en vertu de l'ordonnance du 28 octobre 2022, et de l'ensemble des informations et documents collectés, à la SAS William Sinclair Recrutement,

Y ajoutant,

Condamne M. [J] [E] aux dépens de l'appel,

Condamne M. [J] [E] à payer à la SAS William Sinclair Recrutement la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [J] [E].