CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 mai 2024, n° 21/17982
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
JM Services Clés (SAS)
Défendeur :
Hôtel de (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Ranoux-Julien
Avocats :
Me Zeglin, Me Courbon Tchoulev, Me Jauffret, Me Herrou
La société Hôtel de [Adresse 8] exploite un hôtel classé cinq étoiles à [Localité 7].
Le 27 mai 2004 la société Hôtel de [Adresse 8] a conclu un contrat de prestation de services avec la société Jean-Marc Services Clés portant sur la mise à disposition de voituriers bagagistes pour les clients de l'hôtel, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction.
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2013, la société Jean-Marc Services Clés a été placée en redressement judiciaire et par jugement du 30 octobre 2013, le tribunal a arrêté un plan de cession au profit de la société MJM, avec possibilité de substitution.
La société MJM a été substituée dans les droits et obligations résultant de cette cession par la société JM Services Clés.
La société Hôtel de [Adresse 8] a accepté le devis de la société JM Services Clés en date du 20 novembre 2013, portant sur les prestations auparavant assurées par la société Jean-Marc services Clés, et fixant la rémunération mensuelle de sa prestation à la somme de 11 481,60 euros TCC.
Par lettre recommandée du 2 juillet 2019, la société Hôtel de [Adresse 8] a informé la société JM Services Clés de la résiliation du contrat avec effet au 3 août 2019.
Par acte du 29 septembre 2020, la société JM Services Clés a assigné la société Hôtel de [Adresse 8] devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et du débauchage d'un salarié.
Par jugement du 13 octobre 2021 le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la société Hôtel de [Adresse 8] a rompu brutalement le contrat,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 7200 euros, au titre de la rupture brutale des relations contractuelles,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 5000 euros, pour débauchage de personnel,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 1000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA. "
Par déclaration du 14 octobre 2021, la société JM Services Clés a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Dit que la société Hôtel de [Adresse 8] a rompu brutalement le contrat,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 7 200 euros, au titre de la rupture brutale des relations contractuelles,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 5 000 euros pour débauchage de personnel,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2024, la société JM Services Clés demande, au visa de l'article L. 442-1 du code de commerce, de :
- Rejeter l'argumentation de l'Hôtel de [Adresse 8] visant à considérer que la Cour n'est pas saisie des demandes de la société JM Services Clés,
- Juger la résiliation du contrat de prestation de services conclu entre l'Hôtel de [Adresse 8] et la société JMS Services Clés comme brutale ;
- Juger que l'Hôtel de [Adresse 8] s'est rendu coupable de débauchage déloyal des salariés de la société JM Services Clés ;
- Condamner l'Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 89 938 euros au titre du préjudice subi du fait du caractère brutal de la rupture ;
- Condamner l'Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 20 000 euros au titre du débauchage fautif des salariés de la société JM Services Clés ;
- Condamner l'Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner l'Hôtel de [Adresse 8] aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel.
Par ses dernières conclusions notifiées le 24 janvier 2024, la société Hôtel de [Adresse 8] demande, au visa des articles L. 442-1 et L. 642-7 du code de commerce, des articles 1103 et 1240 du code civil, des articles 1237-3 du code du travail et des articles 56 "ancien", 514-3 et 695 et suivants du code de procédure civile, de :
A titre principal :
- Constater n'être saisie d'aucune demande de la société JM Services Clés, la déclaration d'appel du 14 octobre 2021 étant dénuée de tout effet dévolutif ;
- Déclarer irrecevables les conclusions de la société JM Services Clés du 17 janvier 2024 par application de l'article 910 du code de procédure civile.
Subsidiairement et à titre incident :
- Infirmer le jugement rendu le 13 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
* Juger que la rupture par la société Hôtel de [Adresse 8] de ses relations commerciales avec la société JM Services Clés n'était pas brutale ;
* Juger que la société JM Services Clés ne rapporte pas la preuve qu'elle a subi un préjudice du fait de cette rupture ;
* Juger que la société Hôtel de [Adresse 8] ne s'est rendue responsable d'aucun débauchage de salariés de la société JM Services Clés ;
* Juger que la demande indemnitaire de la société JM Services Clés sur ces motifs est infondée et non étayée ;
A titre très subsidiaire, si la cour considérait insuffisant le préavis d'un mois, au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce :
- Juger que la société JM Services Clés ne justifie pas du préjudice subi tel que défini par la jurisprudence ;
- Juger, à défaut, que le préavis que la société Hôtel de [Adresse 8] aurait dû accorder à la société JM Services Clés ne saurait être supérieur à trois mois, étant rappelé qu'un mois de préavis a déjà été effectué ;
A titre infiniment subsidiaire :
- Juger que le préavis que la société Hôtel De [Adresse 8] aurait dû accorder à la société JM Services Clés ne saurait être supérieur à cinq mois, étant rappelé qu'un mois de préavis a déjà été effectué ;
A titre très infiniment subsidiaire :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 13 octobre 2021 dans toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
- Débouter la société JM Services Clés de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société JM Services Clés à payer à la société Hôtel de [Adresse 8] une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2024.
Par note en délibéré du 2 mai 2024, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office portant sur la recevabilité devant la cour de la demande de la société Hôtel de [Adresse 8] tendant à déclarer irrecevables les conclusions déposées par la société JM Services Clés le 17 janvier 2024, relevant de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état, au regard de l'article 914 du code de procédure civile.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
- Sur la recevabilité de la demande de la société Hôtel de [Adresse 8] tendant à déclarer irecevables les conclusions de la société JM services Clés du 17 janvier 2024 :
Selon l'article 910 du code de procédure civile, l'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.
Aux termes de l'article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :
- prononcer la caducité de l'appel ;
- déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel ; les moyens tendant à l'irrecevabilité de l'appel doivent être invoqués simultanément à peine d'irrecevabilité de ceux qui ne l'auraient pas été ;
- déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 ;
- déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l'article 930-1.
Les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d'appel peut, d'office, relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci.
Les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, sur la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909,910, et 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal.
La société Hôtel de [Adresse 8] soutient n'avoir pas saisi le conseiller de la mise en état compte tenu de la proximité de la date de l'audience de plaidoirie. Elle considère que le conseiller de la mise en état était dessaisi dans la mesure où l'affaire avait fait l'objet d'une fixation.
L'ordonnance de clôture de l'instance est en date du 25 janvier 2024, le conseiller de la mise en état n'était donc pas dessaisi le 24 janvier 2024, jour de la notification par RPVA des conclusions de la société Hôtel de [Adresse 8] tendant à voir constater l'irrecevabilité des conclusions de la société JM Services Clés.
N'ayant pas saisi le conseiller de la mise en état, seul compétent pour statuer sur l'irrecevabilité des conclusions de la partie adverse jusqu'à la clôture de l'instruction, la société Hôtel de [Adresse 8] n'est plus recevable à contester devant la cour la recevabilité des conclusions de la société JM Services Clés.
La demande de la société Hôtel de [Adresse 8] sera déclarée irrecevable.
- Sur l'étendue de la saisine de la cour :
La société Hôtel de [Adresse 8] affirme que la déclaration d'appel de la société JM Services Clés du 14 octobre 2021 est privée d'effet dévolutif, en ce qu'elle ne précise pas les chefs de jugement critiqués et ne comporte aucun renvoi exprès à une annexe. Elle affirme que les conclusions du 17 janvier 2024 sont irrecevables.
La société JM Services Clés réplique qu'elle a interjeté appel en joignant à sa déclaration une annexe datée du 14 octobre 2021 et reprenant l'ensemble des chefs du jugement critiqués.
L'article 901 4° du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'à peine de nullité, la déclaration d'appel comprend "les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".
Aux termes de l'article 562 : "l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible."
En l'espèce, la déclaration d'appel de la société JM Services Clés reçue au greffe le 15 octobre 2021 ne mentionne pas les chefs du jugement critiqués, en revanche, y est jointe un document intitulé " déclaration d'appel devant la cour d'appel de Paris ", en date du 14 octobre 2021, qui indique que l'appel porte sur l'ensemble des dispositions du jugement en ce qu'il a :
"- Dit que la société Hôtel de [Adresse 8] a rompu brutalement le contrat,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 7200 euros, au titre de la rupture brutale des relations contractuelles,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à verser à la société JM Services Clés la somme de 5000 euros, pour débauchage de personnel,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 1000 euros, au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,
- Condamné la société Hôtel de [Adresse 8] aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA."
Il est de principe que la circonstance que la déclaration d'appel ne renvoie pas expressément à une annexe comportant les chefs de jugement critiqués ne peut donner lieu à la nullité de l'acte en application de l'article 114 du code de procédure civile et ne saurait davantage, en application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, priver la déclaration d'appel de son effet dévolutif, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi (2e Civ., 7 mars 2024, pourvoi n° 22-23.522).
L'acte d'appel de la société JM Services Clés n'est donc pas privé d'effet dévolutif.
- Sur la rupture brutale des relations commerciales :
La société JM Services Clés soutient que ses relations commerciales avec la société Hôtel de [Adresse 8] sont établies depuis le 27 mai 2004, le contrat initial conclu avec la société Jean-Marc Services Clés ayant été transmis lors de la cession du fonds. Elle conteste que la société Hôtel de [Adresse 8] ait résilié ce contrat en 2013 et avoir conclu un nouveau contrat le 1er janvier 2014. Elle affirme que la brutalité de la rupture résulte de l'insuffisance de la durée du préavis au regard des relations commerciales antérieures. Selon elle, l'Hôtel de [Adresse 8] aurait dû, compte tenu de la continuité du flux d'affaires entre les deux sociétés, lui accorder un préavis minimum de dix-huit mois. Elle invoque un préjudice d'un montant de 89 938 euros.
La société Hôtel de [Adresse 8] réplique que le contrat liant les sociétés Hôtel de [Adresse 8] et Jean Marc Services Clés n'a pas été transmis à la société JM Services Clés par l'effet du jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 octobre 2013. Elle fait valoir que ce n'est que le 1er janvier 2014, à la signature du nouveau contrat avec la société JM Services Clés, que les deux parties sont entrées en relation contractuelle, que dès lors, le respect du préavis contractuel d'un mois est suffisant, ajoutant que la société JM Services Clés ne démontre pas l'existence de son préjudice.
Conformément aux dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce :
"II. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."
Il appartient à la société JM Services Clés se prétendant victime d'une rupture brutale des relations commerciales, de démontrer d'une part l'existence de relations commerciales établies et d'autre part, la brutalité de la rupture.
- Sur l'existence d'une relation commerciale établie :
Le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 octobre 2013, arrêtant le plan de cession, ne vise pas expressément le contrat du 27 mai 2004 conclu entre les sociétés Hôtel de [Adresse 8] et Jean Marc Services Clés, puisqu'il ne liste comme éléments repris les seuls éléments suivants :
"- Actifs incorporels : marques et logos Jean Marc Services, Services Clés et Référence ainsi que la clientèle.
- Eléments corporels [']
- Contrats de téléphonie (fixe et mobile)".
Le plan de cession mentionne cependant, parmi les éléments repris, la "clientèle" de la société Jean Marc Services, clientèle dont faisait partie la société Hôtel de [Adresse 8] et l'offre du plan de reprise JM Services Voituriers comporte une annexe 7 "liste des établissements repris" parmi lesquels figure la société Hôtel de [Adresse 8].
En l'absence de preuve de la transmission du courrier qu'elle verse aux débats, la société Hôtel de [Adresse 8] ne démontre pas avoir résilié le contrat la liant à la société Jean Marc Services par lettre du 19 novembre 2013. La société Hôtel de [Adresse 8] n'établit pas davantage avoir conclu un nouveau contrat le 1er janvier 2014 avec la société JM Services Clés, le document qu'elle verse aux débats n'étant ni daté, ni signé par les parties.
Après la cession, les relations commerciales existantes depuis 2004 avec la société Jean Marc Services Clés ont été conservées sans interruption de service et selon les mêmes modalités, à l'exception du prix qui, après négociation, a été révisé à la baisse.
Il convient de relever à ce titre que par courrier en date du 4 novembre 2013, la société JM Services Clés a informé la société Hôtel de [Adresse 8] de son rachat de l'entreprise Jean-Marc Services Clés et de sa volonté de poursuivre la relation commerciale en lui garantissant "une prestation de service stabilisée". Ce courrier précise que l'ancien gérant de la société Jean-Marc Services Clés, M. [L], reste l'interlocuteur de la société Hôtel de [Adresse 8] dans l'exécution des prestations, puisqu'il est noté que celui-ci "poursuivra son action commerciale et d'encadrement des personnels affectés aux établissements et s'assurera d'une continuité de service".
Par ailleurs, le contrat initial du 27 mai 2004, conclu entre la société Hôtel de [Adresse 8] et la société Jean Marc Services Clés et le contrat que la société Hôtel de [Adresse 8] dit avoir conclu avec la société JM Services Clés le 1er janvier 2014 ont un objet strictement identique, à savoir la prise en charge des véhicules des clients, la prise en charge de leurs bagages et leur accompagnement dans leur chambre, et ce, du lundi au dimanche, de 7h à 23h.
Dans les deux contrats, les engagements du prestataire sont similaires :
- Dans le contrat de 2004 : "satisfaire complètement et totalement à la prestation en respectant toutes les conditions contractuelles ; porter toute son attention, affecter les moyens nécessaires à la bonne réalisation de la prestation, au respect des règles et des usages ; demander au bénéficiaire toute information utile, lui soumettre les choix".
- Dans le contrat de 2014 : "satisfaire le client en respectant l'ensemble des conditions contractuelles ; affecter tous les moyens nécessaires à la bonne réalisation de la prestation, dans le respect des règles et usages en la matière ; soumettre au client toutes informations utiles permettant d'améliorer la qualité de la prestation fournie".
Enfin, les règles de gestion du personnel ne sont pas modifiées, puisqu'il est indiqué dans les deux contrats que le prestataire fera "exclusivement appel à ses propres proposés, lesquels demeureront sous sa responsabilité et autorité".
L'ensemble de ces éléments établit l'intention de la société Hôtel de [Adresse 8] de poursuivre la relation commerciale avec la société JM Services Clés dans la continuité de celle engagée en 2004 avec la société Jean Marc Services Clés, la seule renégociation tarifaire ne suffisant pas à écarter le caractère permanent et stable de la relation.
Il en résulte que la relation commerciale avait une durée, au jour de la rupture notifiée par lettre du 2 juillet 2019, de 15 années.
- Sur le caractère brutal de la rupture :
En cas de rupture d'une relation commerciale établie, le caractère brutal résulte notamment de la durée insuffisante du préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.
Par courrier du 2 juillet 2019, la société Hôtel de [Adresse 8] a informé la société JM Services Clés qu'elle mettait fin au contrat à effet au 3 août 2019, soit avec un préavis d'un mois.
La société JM Services Clés verse aux débats le rapport du cabinet d'expertise comptable Alcyon qui indique que le chiffre d'affaires facturé à la société Hôtel de [Adresse 8] s'est élevé à la somme de 120 250 euros HT au titre de l'année 2018 alors que le chiffre d'affaires global de la société JM Services Clés s'est élevé cette année-là à la somme de 1 047 177 euros, soit 11,48 % du chiffre d'affaires global.
Au vu de la durée des relations commerciales établies, le délai de préavis d'un mois est manifestement insuffisant et caractérise le caractère brutal de la rupture. Il incombait à la société Hôtel de [Adresse 8] de respecter un préavis de 12 mois afin de permettre à la société JM services Clés de réorganiser son activité compte tenu de la continuité du flux d'affaires entre les deux sociétés.
- Sur le préjudice de la société JM Services Clés :
Il est établi que seul le préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation doit être indemnisé, et non celui résultant de la rupture elle-même.
Ce préjudice sera évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n'a pas été exécutée. La marge brute s'analyse comme étant la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
Le fait que l'un des salariés affectés à l'Hôtel de [Adresse 8], M. [F], ait pu être réaffecté dès le 5 septembre 2019 sur un autre site est indifférent, le préjudice résultant de la rupture devant être analysé au jour où celle-ci survient, sans égard aux éléments postérieurs.
Il est par ailleurs démontré que 3 salariés étaient affectés par la société JM Services Clés à l'Hôtel de [Adresse 8], le courriel adressé par la société JMJ Services Clés à la société Hôtel de [Adresse 8] le 19 juin 2019 attestant que le remplacement de M. [T], qui avait quitté l'entreprise le 16 avril 2019, était pourvu : "Comme promis, veuillez trouver je vous prie en pièce jointe la v3 du planning bagagiste pour l'Hôtel de [Adresse 8] intégrant les deux jours de formation de [R]. Comme vu ensemble, il sera présent le jeudi 13 juin de 11h à 19h de sorte qu'il puisse faire connaissance avec ses deux principaux futurs collègues potentiels et voir comment les choses se déroulent à la fois sur un shift le matin et sur un shift de l'après-midi. Il reviendra le lendemain pour faire un shift du matin avec [O]. Vous nous direz ensuite si vous pensez que [R] convient à vos standards et nous déroulerons le nouveau planning afférent."
La société JM Services Clés verse aux débats l'analyse du cabinet d'expertise comptable Alcyon qui atteste que la marge brute que la société JM Services Clés réalise pour la prestation de la société Hôtel de [Adresse 8] est de 59 959 euros au titre de l'année 2019. Il est démontré que le coût annuel des salaires chargés des trois salariés du site s'élève à la somme de 60 041 euros, pour un chiffre d'affaires annuel de 120 000 euros HT (120 000 - 60 041= 59 959).
Cette analyse est en cohérence avec les liasses fiscales 2018 et 2019 ainsi qu'au regard des montants des salaires figurant sur les bulletins de paie des salariés sur les 13 derniers mois précédents la rupture, le fait que des heures supplémentaires soient ponctuellement réalisées ne modifiant pas significativement le coût de la charge salariale.
Le préjudice subi par la société JM Services Clés sur une année de préavis nécessaire est par conséquent d'un montant de 59 959 euros. L'indemnité s'élève, pour 11 mois de préavis (un mois de préavis ayant déjà été effectué), à la somme de 54 962 euros.
Il convient en conséquence, par voie d'infirmation, de condamner la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 54 962 euros.
- Sur le débauchage d'un salarié :
La société JM Services Clés allègue que la société Hôtel de [Adresse 8], bien que liée par une clause de non sollicitation, a débauché ou tenté de débaucher ses salariés en poste sur le site. Elle affirme que M. [T] a démissionné de la société JM Services Clés le 19 mars 2019 avec effet au 16 avril 2019, pour être immédiatement embauché par la société Hôtel de [Adresse 8]. Elle réclame, sur le fondement de l'article L 1237-3 du code du travail, l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 20 000 euros.
La société Hôtel de [Adresse 8] réplique que le tribunal de commerce n'était pas compétent pour appliquer cette disposition. Elle affirme qu'aucune faute de M. [T] n'est démontrée, alors que la responsabilité de l'article L. 1237-3 du code du travail, prévoit une responsabilité solidaire entre l'employeur et l'employé outre que ce salarié n'était plus employé par la société JM Services Clés lorsqu'elle l'a embauché.
L'article L. 1237-3 du code du travail dispose :
"Lorsqu'un salarié ayant rompu abusivement un contrat de travail conclut un nouveau contrat de travail, le nouvel employeur est solidairement responsable du dommage causé à l'employeur précédent dans les cas suivants :
1° S'il est démontré que le nouvel employeur est intervenu dans la rupture ;
2° Si le nouvel employeur a engagé un salarié qu'il savait déjà lié par un contrat de travail ;
3° Si le nouvel employeur a continué d'employer le salarié après avoir appris que ce dernier était encore lié à un autre employeur par un contrat de travail. Dans ce cas, sa responsabilité n'est pas engagée si, au moment où il a été averti, le contrat de travail abusivement rompu par le salarié était venu à expiration, soit s'il s'agit de contrats à durée déterminée par l'arrivée du terme, soit s'il s'agit de contrats à durée indéterminée par l'expiration du préavis ou si un délai de quinze jours s'était écoulé depuis la rupture du contrat".
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait ayant causé un dommage à autrui oblige celui par lequel le dommage est arrivé à le réparer.
Deux salariés affectés à l'Hôtel de [Adresse 8] affirment que la société Hôtel de [Adresse 8] leur a proposé un emploi par dans les jours précédents la rupture.
M. [P] atteste : "Je soussigné [N] [P], certifie sur l'honneur avoir été embauché en CDI comme voiturier bagagiste par la société JM Services Clés le 01/ /2018 pour travailler à l'hôtel de [Adresse 8], sis [Adresse 2]. J'ai travaillé du 01/03/2018 au 02/08/2019 à l'Hôtel de [Adresse 8], date à laquelle le contrat entre la société JM Services Clés et l'Hôtel de [Adresse 8] s'est arrêté brutalement et sans que nous ayons été tenus officiellement informés en amont (annonce officielle conjointe Hôtel de [Adresse 8] / JM Services Clés : le 29 juillet 2019). Il y avait bien sûr des rumeurs et comme j'ai été approché officiellement début juin 2019 par la direction ([K]) pour être repris directement comme salarié de l'Hôtel au même poste (voiturier-bagagiste), il semblait possible qu'un tel évènement finisse par arriver. [K] m'a proposé une poste à 169h00 par mois et m'a laissé un week-end pour réfléchir et donner ma réponse. J'ai choisi de décliner l'offre."
M. [F] atteste également : "Je soussigné Monsieur [F] [O] atteste par la présente que je suis salarié de la société JM Services Clés et que j'étais en poste à l'hôtel de [Adresse 8] à temps plein depuis le 02/05/14. J'ai été approché par [K], l'assistante de direction de l'Hôtel de [Adresse 8], début juin et elle m'a indiqué que l'hôtel allait reprendre le service voiturier en direct et elle m'a proposé d'être embauché directement par l'hôtel une fois que j'aurai donné ma démission à mon employeur. J'ai refusé cette proposition et aujourd'hui je me retrouve affecté à un autre site du fait de la fin du contrat de voiturier-bagagiste avec l'Hotel de [Adresse 8]."
Le troisième salarié affecté à l'hôtel de [Adresse 8], M. [X], a démissionné de la société JM Service Clés le 19 mars 2019 avec effet au 16 avril 2019. Il atteste que, suite à sa démission, il a été employé d'abord à l'hôtel Les [Adresse 6], puis été embauché le 3 août 2019 par Hôtel de [Adresse 8], au poste de responsable voiturier/bagagiste.
Le contrat de travail de M. [X] était parvenu à expiration puisqu'il avait exécuté le préavis figurant à son contrat et qu'un délai de plusieurs mois s'est écoulé entre sa démission et son embauche par la société Hôtel de [Adresse 8], entrecoupé d'un emploi auprès d'une autre société.
Le caractère abusif de la rupture de son contrat de travail par M. [X] n'est pas démontré, ni la faute de la société Hôtel de [Adresse 8].
La société JM services Clés ne démontre par aucune pièce que la perte de son salarié lui ait causé un préjudice.
Il convient par conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 5 000 euros, et de rejeter la demande de la société JM Services Clés.
- Sur les autres demandes
Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application. Partie perdante, la société Hôtel de [Adresse 8] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les entiers dépens d'appel.
L'équité commande qu'elle soit condamnée à payer à la société JM Services Clés la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Constate être saisie de la déclaration d'appel de la société JM Services Clés du 14 janvier 2021,
Déclare irrecevable la demande de la société Hôtel de [Adresse 8] tendant à déclarer irrecevables les écritures déposées le 17 janvier 2024 par la société JM Services Clés ;
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a dit que la société Hôtel de [Adresse 8] avait rompu brutalement la relation commerciale, et condamné la société Hôtel de [Adresse 8] aux dépens, et à payer à la société JM Services Clés la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 54 962 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Rejette la demande d'indemnisation de la société JM Services Clés au titre d'un débauchage de personnel ;
Condamne la société Hôtel de [Adresse 8] aux dépens d'appel ;
Condamne la société Hôtel de [Adresse 8] à payer à la société JM Services Clés la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société Hôtel de [Adresse 8] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.