CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 24 mai 2024, n° 23/18652
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseiller :
Mme Le Cotty
Avocats :
Me Faria, Me Fellah
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Présidente de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Selon acte du 22 juillet 2020, M. et Mme [M] ont donné à bail commercial à Mme [L] [U] un local situé [Adresse 2], à [Localité 4] (Yonne), pour une activité de restaurant - vente de plats à emporter ou à consommer sur place.
Invoquant le non-paiement par la locataire de certains loyers et charges, ils ont, par acte du 26 octobre 2022, fait délivrer à Mme [L] [U] un commandement, visant la clause résolutoire stipulée dans le bail, de leur payer la somme de 20.128,79 euros, puis, en l'absence de suite donnée à ce commandement, l'ont fait assigner, par acte du 16 janvier 2023, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Sens aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, expulsion de la locataire et condamnation de cette dernière au paiement, à titre provisionnel, de l'arriéré locatif à hauteur de 26.650,51euros et d'une indemnité d'occupation d'un montant de 2.900,76 euros.
Par ordonnance contradictoire du 17 octobre 2023, le juge des référés a :
- constaté l'acquisition au 26 novembre 2022 de la clause résolutoire contenue dans le bail conclu entre les parties ;
- ordonné l'expulsion de Mme [L] [U] ainsi que celle de tous occupants de son chef avec, au besoin, l'assistance de la force publique et d'un serrurier, des lieux situés [Adresse 2], à [Localité 4] (Yonne) ;
- condamné, à titre provisionnel, Mme [L] [U] à payer à M. et Mme [M] les sommes de 26.650,51 euros au titre des loyers, indemnités d'occupation et charges impayés au 30 septembre 2023 et une indemnité d'occupation de 1.000 euros par mois à compter du 1er octobre 2023, jusqu'à la libération effective des lieux, remise des clés et état des lieux ;
- suspendu les effets de la clause résolutoire, dans les conditions suivantes :
- autorisé Mme [L] [U] à se libérer du paiement de sa dette de 26.650,51 euros par 23 versements mensuels de 110 euros, puis par un dernier paiement de 1.120,51 euros pour solde de la dette, le premier versement devant intervenir avant le 10 novembre 2023, et les suivants avant le dixième jour de chaque mois suivant ;
- rappelé que pendant ce délai, aucune majoration d'intérêts ou de pénalités ne pourra être encourue à raison du retard et que les poursuites seront suspendues ;
- dit qu'à défaut du versement d'une mensualité à son échéance, la totalité du solde sera immédiatement exigible et que la clause résolutoire produira ses pleins effets tels que prévus par le dispositif de l'ordonnance ;
- rejeté les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge des parties les ayant exposés.
Par déclaration du 22 novembre 2023, M. et Mme [M] ont interjeté appel de cette décision en critiquant ses dispositions relatives à la condamnation provisionnelle de Mme [L] [U] au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1.000 euros à compter du 1er octobre 2023, à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par dernières conclusions remises et notifiées le 26 janvier 2024, ils demandent à la cour de :
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné à titre provisionnel Mme [L] [U] à leur payer, à titre d'indemnité d'occupation, la somme de 1.000 euros par mois à compter du 1er octobre 2023, jusqu'à libération effective des lieux, remise des clés et état des lieux, rejeté leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à la charge des parties les ayant exposés ;
statuant à nouveau dans les limites de l'appel,
- condamner, à titre provisionnel, Mme [L] [U] à leur payer la somme de 2.900,76 euros par mois à compter du 1er octobre 2023 jusqu'à libération effective des lieux, remise des clés et état des lieux ;
- la condamner, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à leur payer une indemnité de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et une indemnité complémentaire de 2.500 euros pour ceux exposés en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance, incluant le coût du commandement de payer du 26 octobre 2022, et d'appel.
Par conclusions remises et notifiées le 6 février 2024, Mme [L] [U] demande à la cour, au visa des articles L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce et1343-5 du code civil, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
- constater l'existence d'une contestation sérieuse sur le montant de l'indemnité d'occupation prévue par la clause résolutoire contenue dans le bail commercial ;
- débouter les époux [M] de l'ensemble de leurs demandes ;
- dire que chaque partie conservera à sa charge ses frais et dépens exposés au titre de la procédure d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR
La cour n'est saisie que du montant de l'indemnité d'occupation qui serait due par Mme [L] [U] dans l'hypothèse où l'échéancier accordé ne serait pas respecté, sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens.
Sur la fixation de l'indemnité d'occupation
M. et Mme [M] critiquent la décision de première instance en ce que le premier juge a fixé le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle à la somme de 1.000 euros, charges comprises, sans indexation possible, alors que le juge des référés ne dispose pas du pouvoir de modérer une clause pénale et, au surplus, qu'il n'a pas établi le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale contractuelle par rapport au préjudice subi. Ils sollicitent la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme de 2.900,76 euros par mois à compter du 1er octobre 2023, égale au montant du loyer en principal, charges et taxes en sus, augmenté de 50 %, soit un montant conforme à l'indemnité contractuellement convenue.
Mme [L] [U] soutient que le montant de l'indemnité d'occupation prévue par la clause résolutoire insérée au bail commercial se heurte à une contestation sérieuse au regard du mauvais état des locaux et de l'impact de la crise sanitaire sur son activité.
L'indemnité d'occupation, de nature compensatoire et indemnitaire, assure la réparation du préjudice résultant pour le bailleur d'une occupation des lieux sans droit ni titre. Son montant fixé à titre provisionnel par le juge des référés n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de cette indemnité.
En l'espèce, le bail en date du 22 juillet 2020 prévoit, aux alinéas 3 et 4 de la clause résolutoire, que, 'si le preneur refusait d'évacuer les lieux après résiliation, (...) il serait en outre débiteur d'une indemnité d'occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majoré de 50 %'.
L'indemnité provisionnelle doit être en l'espèce fixée à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la complète libération des lieux, au montant non sérieusement contestable du loyer et des charges qui auraient été dus si le bail s'était poursuivi, hors de la majoration de 50 % réclamée par les bailleurs, cette majoration s'analysant en une clause pénale susceptible de revêtir un caractère manifestement excessif au sens de l'article 1231-5 du code civil et de donner lieu à modération par le juge du fond.
C'est donc au paiement d'une indemnité d'occupation de ce montant que Mme [L] [U] sera tenue à compter de la résiliation de plein droit du bail si l'échéancier accordé devait ne pas être respecté, l'ordonnance entreprise étant infirmée sur ce point.
Sur les frais et dépens
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement apprécié par le premier juge.
Il convient de laisser les dépens d'appel à la charge des parties les ayant exposés.
Aucune considération d'équité ne commande de prononcer une condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans la limite de l'appel,
Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé le montant de l'indemnité d'occupation provisionnelle due par Mme [L] [U] à compter du 1er octobre 2023, jusqu'à libération effective des lieux, remise des clés et état des lieux, à la somme de 1.000 euros par mois ;
Statuant à nouveau,
Fixe l'indemnité d'occupation provisionnelle au paiement de laquelle sera tenue Mme [L] [U] en cas de non-respect de l'échéancier accordé, au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférents, qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi ;
Confirme l'ordonnance en ses autres dispositions dont il a été relevé appel ;
Laisse les dépens d'appel à la charge des parties les ayant exposés ;
Rejette la demande de M. et Mme [M] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.