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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 28 mai 2024, n° 23/05753

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sweet Donuts (SASU)

Défendeur :

Domofrance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Fonrouge, Me Camara, Me Maillot

TJ Bordeaux, du 2 oct. 2023, n° 23/01360

2 octobre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte en date du 1er octobre 2015, la société Domofrance a donné à bail commercial à la SARL Hersan des locaux situés [Adresse 2], à usage d'annexe du restaurant, pour une durée de neuf ans à compter du 1er octobre 2015 moyennant le paiement d'un loyer annuel de 5877 euros hors-taxes et hors charges, payable mensuellement, révisable chaque année outre une provision sur charges de 132 euros hors-taxes.

Les parties ont conclu un avenant avec effet au 1er novembre 2020, par lequel le preneur était autorisé à exercer l'activité de vente sur place ou à emporter de restauration rapide, hors préparation culinaire nécessitant l'existence d'un système d'extraction pour bain d'huile et friture, petite épicerie, vente de produits alimentaires utilisés au restaurant; le montant du loyer annuel étant fixé désormais à 9500 euros hors-taxes et hors charges soit 791,66 euros hors-taxes et hors charges par mois.

Par acte du 9 novembre 2021, la société Hersan a cédé son droit au bail à la société Sweet donuts.

Par acte du 10 décembre 2021, la société Martin et la société Dubois ont conclu un avenant au bail commercial du 1er octobre 2015, constatant la substitution du preneur.

Le 15 avril 2022, les parties ont convenu que la dette locative d'un montant de 2977,51 euros serait apurée en huit échéances consécutives d'un montant de 310,22 euros par mois, en plus des loyers courants, après règlement d'une première échéance de 495,71 euros le 29 avril 2022.

Par acte de commissaire de justice du 16 février 2023, la société Martin a fait signifier à la société Dubois un commandement visant la clause résolutoire du bail commercial réclamant paiement de la somme principale de 3990,62 euros au titre de l'arriéré de loyers et charges.

Puis, par acte du 26 mai 2023, la société Martin a fait assigner la société Dubois devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux en constatation de la résiliation de plein droit du bail commercial condamnation au paiement provisionnel de l'arriéré de loyers et charges et expulsion.

Le défendeur n'a pas comparu.

Par ordonnance réputée contradictoire du 2 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a statué comme suit :

Constate l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant la SA Domofrance et la SASU Sweet Donuts ;

Dit qu'à compter du 16 mars 2023 la SASU Sweet Donuts est devenue redevable d'une indemnité mensuelle d'occupation ;

Ordonne à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de la présente ordonnance l'expulsion de la SASU Sweet Donuts , de ses biens et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2] et ce avec le concours éventuel de la force publique et d'un serrurier ;

Condamne la SASU Sweet Donuts à payer à SA Domofrance :

au titre des loyers et charges dûs au 16 mars 2023 la somme provisionnelle de 4.596,33 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du commandement de payer délivré le 16 février 2023 ;

au titre de l'indemnité d'occupation la somme de 985.71 euros par mois à compter du 1er avril 2023

Autorise la SA Domofrance à faire transporter dans tout lieu qui lui plaira les meubles éventuellement laissés par le preneur dans les lieux loués après son départ et ce aux frais, risques et périls de la SASU Sweet Donuts ;

Condamne la SASU Sweet Donuts à payer à la SA Domofrance la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA Domofrance de ses plus amples demandes ;

Condamne la SASU Sweet Donuts aux dépens qui comprendront le coût du commandement de payer du 16 février 2023 et les frais de délivrance et d'état d'inscription.

Par déclaration au greffe du 19 décembre 2023, la société Sweet Donuts a relevé appel de l'ordonnance de référé.

L'affaire a été fixée à bref délai par ordonnance du président de chambre du 5 janvier 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 26 mars 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Sweet Donuts demande à la cour de :

Vu l'article L.145-41 du code de commerce,

Vu l'ordonnance de référé du tribunal Judiciaire de Bordeaux du 2 octobre 2023

Vu les pièces versées au débat,

Dire recevable et bien-fondée la société Sweet Donuts en ses moyens et demandes,

Débouter la société Domofrance en ses moyens fins et prétentions ;

En conséquence,

Réformer l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 2 octobre 2023, en ce qu'il a :

Réformer l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 2 octobre 2023, en ce qu'il a :

Constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant SA Domofrance et la SASU Sweet Donuts,

Dit qu'à compter du 16 mars 2023, la SASU Sweet Donuts est devenue redevable d'une indemnité mensuelle d'occupation,

Ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la SASU Sweet Donuts, de ses biens et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2] et ce, avec le concours éventuel de la force publique et d'un serrurier,

Condamné la SASU Sweet Donuts à payer à SA Domofrance :

au titre des loyers et charges dus au 16 mars 2023, la somme provisionnelle de 4.596,33 euros majorée de intérêts au taux légal à compter du commandement de payer délivré le 16 février 2023,

au titre de l'indemnité d'occupation, la somme de 985,71 euros par mois à compter du 1er avril 2023,

Autorisé SA Domofrance à faire transporter dans tout lieu qui lui plaira les meubles éventuellement laissés par le preneur dans les lieux loués après son départ, et ce aux frais, risques et périls de la SASU Sweet Donuts.

Condamné la SASU Sweet Donuts à payer à SA Domofrance la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté la SA Domofrance de ses plus amples demandes. Condamné la SASU Sweet Donuts aux dépens, qui comprendront le coût du commandement de payer du 16 février 2023 et les frais de délivrance et d'état d'inscription.

Annulation, réformation de la décision

Statuant de nouveau,

Suspendre les effets de la clause résolutoire du bail commercial liant la société Domofrance à la société Sweet Donuts ;

Ramener le quantum de la condamnation de la société Sweet Donuts au paiement de la somme de 1.732,75 euros au titre des loyers et charges dus au 26 mai 2024 ;

Ordonner le paiement de la créance de loyer de 1.732,75 euros due au 26 mai 2024, selon les modalités suivantes :

A compter du 5 du mois suivant la décision à intervenir, un premier versement de 137,75 euros ; puis le versement mensuel de 145 euros sur 11 mois.

Dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dire que chacune des parties conservera ses frais et dépens.

Ordonner la révocation de la clôture et son rabat au jour des plaidoiries.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 23 février 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SA Domofrance demande à la cour de:

Vu l'article 1 728 du code civil

Vu l'article L.145-41 du code de commerce

Vu le contrat de bail liant les parties

Déclarer irrecevables la demande de suspension de la clause résolutoire ainsi que celle de délai de paiement,

Confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle :

Constate l'acquisition de la clause résolutoire,

Dit qu'à compter du 16 mars 2023 la SASU Sweet Donuts est redevable d'une indemnité mensuelle d'occupation,

Ordonne la restitution volontaire des lieux,

Condamne la SASU Sweet Donuts à payer à Domofrance les loyers impayés et charges dus au 16 mars,

Constater que la somme due au 22 Février 2024 est de 11 237,49 euros,

Réformer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande relative à l'indemnité

d'occupation,

Statuant à nouveau:

Condamner la SASU Sweet Donuts à payer à Domofrance les sommes suivantes :

Une somme mensuelle égale à 3 fois le montant du loyer à titre d'indemnité d'occupation à compter du 30 novembre jusqu'à libération effective des lieux et remise des clés ;

La somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la SASU aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais de commandement, ainsi que de délivrance et d'état d'inscription.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- Dès lors que la société Martin n'a pas entendu répliquer aux conclusions notifiées par la société Dubois le 26 mars 2024, il n'y a pas lieu à révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le même jour.

Sur la demande tendant à voir ordonner la suspension du jeu de la clause résolutoire:

2- Au visa de l'article 1343-5 du Code civil et de l'article L. 145- 41 du code de commerce, la société Dubois expose quelle est recevable et bien fondée à solliciter en cause d'appel la suspension du jeu de la clause résolutoire et le rééchelonnement de sa dette de loyer, dont le montant s'élevait seulement à 1732,75 euros au 26 mai 2024.

3- Au visa de l'article 564 du code de procédure civile, la société Martin demande à la cour, en premier lieu, de déclarer irrecevable, comme nouvelle en cause d'appel, la prétention de la société Dubois (non comparante en première instance), tendant à voir ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire et à obtenir des délais de paiement.

Elle ajoute que le premier juge a constaté à juste titre la résiliation de plein droit du bail puisqu'après un virement de 4835 euros intervenu le 24 avril 2023, soit plus de deux mois après un commandement de payer, la dette locative n'a cessé de croître pour atteindre la somme de 11'237,49 euros au 23 février 2024.

Sur ce:

Concernant la recevabilité:

4- Selon les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

5- La demande de la société Sweet Donuts, non comparante en première instance, tendant à l'octroi de délais et à la suspension du jeu de la clause résolutoire, ainsi qu'à la réduction de la condamnation provisionnelle mise à sa charge doit être déclarée recevable, bien que nouvelle en cause d'appel, dès lors qu'elle tend à voir écarter les prétention adverses du bailleur.

Concernant le bien-fondé de la demande:

6- Selon les dispositions de l'article L.145-1 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixée.

7- Selon les dispositions de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment.

8- Par acte du 16 février 2023, la société Martin a fait signifier à la société Sweetdonuts un commandement visant la clause résolutoire du bail (article 16 du contrat de bail commercial non modifié par les appelants ultérieurs), rappelant les dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, et réclamant paiement de la somme principale de 3990,62 euros au titre de l'arriéré de loyers et charges échus au 14 février 2023.

9- Le montant de l'arriéré à la date du commandement n'est pas contesté par la société appelante.

10- La société Dubois ne justifie pas avoir payé, dans le délai d'un mois qui lui était imparti, une somme autre que celle de 380 euros, au titre du virement imputé en crédit de son compte le 14 mars 2023.

11- Ainsi que le fait valoir à juste titre l'appelante, un règlement très conséquent d'un montant de 4835 euros a été réalisé par ses soins le 24 avril 2023 par virement, ramenant à 747,04 euros le montant de l'arriéré alors exigible.

À la date de l'assignation, le 26 mai 2023, l'arriéré s'élevait ainsi à 1732,75 euros.

12- Toutefois, l'appelente ne justifie pas d'autres versements postérieurs au 24 avril 2023, et ne conteste pas le décompte produit par le bailleur, dont il ressort que l'arriéré au 31 janvier 2024 s'élevait à 11237.49 euros.

13- Il apparaît ainsi que les efforts dont fait état la société Sweet Donuts pour diversifier ses points de vente et développer ses partenariats, ne lui ont pas permis de retrouver une trésorerie suffisante.

14- L'appelante n'a par ailleurs produit au débat ni bilan, ni liasse fiscale, ni prévisionnel, de nature à démontrer sa capacité de retour à meilleur fortune, et de paiement d'une somme de 137.75 euros par mois en sus du loyer courant, alors qu'elle n'a réglé aucun loyer depuis plus d'un an.

15- Il convient dès lors de rejeter la demande de délais et de suspension du jeu de la clause résolutoire, et de confirmer l'ordonnance sur le principe de la résiliation de plein droit du bail à compter du 16 mars 2023.

16- Par ailleurs, l'appelante n'a formé aucune contestation à l'encontre de la demande en paiement d'une indemnité d'occupation égale à trois fois le montant du loyer, conformément aux stipulations du bail (page 14).

Il sera en conséquence fait droit à l'appel incident de la société Domofrance, sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

17- Il y a lieu, en équité, de rejeter la demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par la société Domofrance, au titre de ses frais irrépétibles d'appel. La condamnation prononcée sur ce fondement par le premier juge sera en revanche confirmée.

Partie perdante, la société Sweet Donuts supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Déclare sans objet la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

Infirme l'ordonnance, sur le montant de l'indemnité d'occupation mise à la charge de la société Sweet Donuts, à compter du 1er avril 2023,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Sweet Donuts à payer à la société Domofrance une indemnité d'occupation égale à trois fois le montant du loyer exigible à la date de la résiliation du bail,

Déclare recevables, mais mal fondées, les demandes formées par la société Sweet Donuts, tendant à la suspension des effets de la clause résolutoire et à l'octroi de délais de paiement,

Confirme l'ordonnance pour le surplus de ses dispositions,

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sweet Donuts aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.