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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 23 mai 2024, n° 22/05641

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arcis Toledano (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, M. Dusausoy

Avocats :

Me Pedroletti, Me Denizot, Me Revers, Me Caron

TJ Nanterre, du 22 août 2022, n° 22/0288…

22 août 2022

EXPOSÉ DES FAITS

Par acte sous seing privé du 1er mars 1988, la SCI Arcis Toledano a consenti à Mme [Y] [R] un bail commercial portant sur des locaux sis [Adresse 1] à [Localité 5] (92) aux fins d'y exploiter une officine de pharmacie, pour une période de 9 années à effet du 1er mai 1988 pour expirer le 30 avril 1997, moyennant un loyer en principal hors taxes et hors charges de 50.000 francs (7.622,45 €).

Le bail commercial a été renouvelé à deux reprises, le 4 mai 1998 à compter du 1er mai 1997 et le 16 mars 2007 à compter du 1er mai 2006, puis s'est poursuivi par tacite reconduction à compter du 1er mai 2015.

Par acte extrajudiciaire du 17 février 2016, Mme [R] a fait signifier à la SCI Arcis Toledano une demande de renouvellement du bail.

Par acte extrajudiciaire du 13 mai 2016, le bailleur a donné son accord au renouvellement à compter du 17 février 2016 en précisant qu'il souhaitait voir fixer le loyer annuel à 30.000 € HC et HT.

Faisant suite à son mémoire préalable notifié par LRAR du 13 février 2018, la SCI Arcis Toledano a, par acte du 7 février 2020, fait assigner Mme [R] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre, sollicitant de voir fixer le montant du loyer annuel à la somme de 25.000 € HT et HC à compter du 17 février 2016 et subsidiairement de désigner un expert.

Par jugement du 9 novembre 2020, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre a constaté le renouvellement du bail au 17 février 2016 et ordonné une expertise avant dire droit confiée à M.[J] [S].

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 24 janvier 2022.

Par jugement contradictoire du 22 août 2022, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre a :

- Fixé à 16.044,75 € par an HT/HC le montant du loyer du bail entre les parties renouvelé à compter du 17 février 2016, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano à payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [R] ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano aux dépens ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 7 septembre 2022, la société Arcis Toledano a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 5 décembre 2022, la société Arcis Toledano demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

- Infirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre le 22 août 2022 en ce qu'il a :

- Fixé à 16.044,75 € par an HT/HC le montant du loyer du bail entre les parties, renouvelé à compter du 17 février 2016, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano à payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [R] ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano aux dépens ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

Et statuant à nouveau,

- Juger, par application des articles L.145-33 et L.145-34 du code de commerce, que le loyer de renouvellement du bail dont s'agit à effet du 17 février 2016, doit être fixé à la valeur locative dans le cadre d'un renouvellement de bail à raison de la modification notable des facteurs locaux de commercialité intervenue au cours du bail expiré ;

- Fixer en conséquence le loyer du bail renouvelé au 17 février 2016 à un montant annuel de 25.800 € en principal, hors charges et hors taxes, dès lors que le loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative ;

- Juger que l'arriéré locatif portera intérêt au taux légal, de plein droit à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts en conformité des dispositions de l'article 1154 du code civil devenu 1343-2 ;

- Condamner Mme [R] au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de l'avocat soussigné sur le fondement de l'article 699 du même code.

Par dernières conclusions notifiées le 15 février 2023, Mme [R] demande à la cour de :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Nanterre le 22 août 2022 en ce qu'il a :

- Fixé à 16.044,75 € par an HT/HC le montant du loyer du bail entre les parties, renouvelé à compter du 17 février 2016, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano à payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [R] ;

- Condamné la SCI Arcis Toledano aux dépens ;

- Rejeté toute autre demande ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Fixer en conséquence, le montant du loyer renouvelé à compter du 17 février 2016 à 16.044,75 € par an HT/HC, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées ;

En tout état de cause,

- Condamner la SCI Arcis Toledano à payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SCI Arcis Toledano aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

1/ Sur la demande de déplafonnement du loyer

La SCI Arcis Toledano soutient que le tribunal aurait dû faire droit à sa demande de déplafonnement du loyer en s'appuyant sur le rapport de l'expert qui avait retenu une modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré. Elle explique qu'entre le 1er mai 2006 et le 17 février 2016, l'expert a relevé plusieurs modifications des facteurs locaux de commercialité, à savoir l'accroissement de la population municipale de 6,7%, l'augmentation du revenu moyen par habitant et l'apparition de nouvelles constructions dans un périmètre de 400 mètres autours des locaux loués. Elle affirme qu'en sus de ces éléments, l'expert a omis de prendre en compte les importants projets d'aménagement mis en place depuis les années 2000 concernant la place de [Adresse 4] et la création d'un écoquartier, la [Adresse 7], composé de logements sociaux ou en accession libre, d'un groupe scolaire, d'un centre de loisirs, d'un foyer pour jeunes travailleurs et d'une résidence pour apprentis, outre des bureaux et commerces. Elle estime que ces modifications présentent indéniablement un intérêt favorable pour les activités de la locataire dans la mesure où elles permettent d'accroître le flux de chalands.

Mme [R] répond qu'il n'existe pas de motif de déplafonnement du loyer et conteste l'analyse de l'expert judiciaire qui a retenu des critères non évolutifs pour conclure à une modification des facteurs locaux de commercialité. Elle explique que quatre critères sur les cinq retenus par l'expert n'ont pas évolué depuis le renouvellement du bail commercial en 2007. Concernant le premier critère dit de commercialité, Mme [R] estime qu'un quartier qui est demeuré inchangé ces dix dernières années ne peut être qualifié de dynamique. Sur le deuxième critère relatif à la densité commerciale, elle souligne que le graphique produit par l'expert démontre que, contrairement à ce qu'il indique, la densité commerciale n'a pas évolué depuis 2003. Sur le troisième critère portant sur les constructions nouvelles, elle conteste le nouvel argument de la SCI Arcis Toledano concernant la [Adresse 7] en ce que d'une part, il n'a pas été soulevé dans le cadre de l'expertise et en ce que d'autre part, le quartier en question, dans lequel sont déjà implantées plus de dix pharmacies, se situe à plus d'un kilomètre des locaux loués. Sur le quatrième critère relatif aux transports en commun, elle reproche à l'expert d'avoir constaté l'existence de transports sans démontrer une évolution du réseau ces dix dernières années justifiant un déplafonnement du loyer. Concernant le cinquième et dernier critère, à savoir l'évolution de la population, elle explique que si la population locale a augmenté de 6,7% en 10 ans, cela est conforme à la moyenne nationale et n'est pas suffisant pour caractériser une modification notable des facteurs locaux de commercialité, d'autant que le niveau de vie des habitants est inférieur à la moyenne du département. Enfin, elle soutient qu'il n'est pas démontré une incidence favorable de ces critères sur son local et elle précise que depuis 2014, elle subit une baisse de son chiffre d'affaires de 200.000 € par an.

*****

L'article L.145-34 du code de commerce dispose que :

'A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L.112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

(...)

En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L.145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.'

Il résulte de cette disposition que le déplafonnement du loyer peut être prononcé en cas de modification notable d'un des quatre critères visés à l'article L.145-33 du code de commerce, dont le critère 'des facteurs locaux de commercialité'.

Selon l'article R.145-6 du code de commerce, 'les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire'.

La modification des facteurs locaux de commercialité doit présenter un caractère notable et avoir une incidence favorable sur l'activité exercée dans les locaux loués.

Elle doit, par ailleurs, être intervenue au cours du bail échu, éventuellement en cours de tacite reconduction et au plus tard au moment de la prise d'effet du nouveau bail, soit en l'espèce entre le 1er mai 2006 - date de prise d'effet du bail renouvelé - et le 17 février 2016 - date de la demande de renouvellement.

La charge de la preuve de cette modification notable susceptible d'écarter la règle du plafonnement pèse sur le bailleur qui demande le déplafonnement du loyer.

La SCI Arcis Toledano s'appuie sur le rapport de l'expert judiciaire qui a estimé qu'il y avait une modification des facteurs locaux de commercialité sur la période du 1er mai 2006 au 17 février 2016 justifiant un déplafonnement du loyer.

Il convient d'analyser les différents facteurs locaux de commercialité étudiés par l'expert :

(i) L'évolution de la population :

L'expert a retenu, dans son rapport, que la population de la ville de [Localité 5] avait augmenté de 6,7% entre 2006 et 2016 et que le revenu moyen avait enregistré une évolution régulière sur les dernières années.

Mais il a également souligné que la population est plus jeune que la moyenne des autres villes de France et que le revenu moyen est inférieur à la moyenne de la région, de sorte que l'incidence favorable de cette modification sur le commerce de pharmacie de l'intimée, dont la clientèle est majoritairement âgée, n'est pas démontrée.

(ii) Les constructions nouvelles :

L'expert a observé que, dans un rayon de 400 mètres, aucune extension n'avait été enregistrée, que 1.658 m² de surfaces neuves avaient été créées dont 82,5% de commerces et que le changement de destination des lieux avait été insignifiant. Il a conclu que cette évolution était peu significative.

Le bailleur conteste cette analyse et estime qu'il convient de prendre en compte le réaménagement du quartier de [Adresse 4] et la création de la [Adresse 7] pour déterminer le nombre de constructions nouvelles.

La cour constate que l'expert a, de manière classique, limité la zone de chalandise au secteur immédiat du local, à savoir un rayon de 400 mètres, et que les constructions invoquées par le bailleur n'entrent pas dans le périmètre déterminé par l'expert et soumis à la discussion des parties dans le cadre de l'expertise.

En tout état de cause, le bailleur ne démontre pas l'impact favorable des ces constructions sur le commerce de pharmacie de l'intimée alors que plusieurs pharmacies ont été ouvertes dans ces nouveaux quartiers.

(iii) Les transports en commun :

Si l'expert a indiqué dans son rapport les moyens de transport proches de la pharmacie (à savoir des lignes de bus et une gare du RER A), il ne précise pas si ceux-ci ont évolué pendant la période concernée, à savoir entre 2006 et 2016.

Par ailleurs, il n'est pas démontré un impact favorable de ces transports sur le commerce de la locataire alors que notamment, comme le relève celle-ci, une pharmacie concurrente est située en face de la gare de RER A attirant les usagers de ce transport en commun.

Enfin, la cour note que tant l'expert judiciaire que les deux experts amiables mandatés par les parties ont noté une difficulté de stationnement pour accéder au local.

(iv) La commercialité :

L'expert judiciaire a estimé que la ville de [Localité 5] est l'une des villes les plus dynamiques de France mais il a également précisé qu'entre 2006 et 2016 le nombre de commerces au niveau de la [Adresse 6] où est située la pharmacie de l'intimée est resté inchangé.

Il ajoute que la pharmacie bénéficie d'une bonne visibilité commerciale sur la place mais n'explique pas en quoi ce facteur aurait été modifié entre 2006 et 2016.

Enfin, il communique un graphique sur lequel l'évolution de la densité commerciale reste pratiquement identique entre 2003 et 2020.

Il résulte de ces constatations que le caractère notable de cette modification n'est pas caractérisé et que son incidence favorable sur le commerce de pharmacie n'est pas démontrée par le bailleur et l'expert.

Par conséquent, en l'absence de démonstration par l'appelante de modifications notables des facteurs locaux de commercialité et de l'impact favorable de ces modifications sur l'activité exercée dans les locaux loués, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de déplafonnement du loyer et fixé le montant du loyer renouvelé à compter du 17 février 2016, par application de l'indexation, à 16.044,75 € par an HT et HC, les autres clauses et conditions du bail expiré restant inchangées.

2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé du chef des dépens et des frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la SCI Arcis Toledano sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera, en outre, condamnée à verser à Mme [R] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 août 2022 par le tribunal judiciaire de Nanterre ;

Y ajoutant,

Condamne la SCI Arcis Toledano aux dépens d'appel ;

Condamne la SCI Arcis Toledano à payer à Mme [R] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.