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Décisions

CA Rennes, 7e ch. prud'homale, 23 mai 2024, n° 23/05588

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chan (SNC)

Défendeur :

Société de Franchise Noz (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ballereau

Conseillers :

Mme Charpentier, M. Guinet

Avocats :

Me Lhermitte, Me Peneau-Mellet

Cons. Prud'h. Rennes, du 11 sept. 2023

11 septembre 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS SFN, société franchise de Noz, exerce une activité de conseil, franchise et prestation de services auprès des entreprises. Elle a pour objectif de développer l'exploitation des magasins sous l'enseigne Noz (chaîne française de magasins de déstockage d'invendus généraliste qui compte plusieurs centaines de magasins en France).

Par contrat du 5 décembre 1997 renouvelable annuellement par tacite reconduction, la société SFN, franchiseur, a concédé à la SA Atlantis, franchisée, l'exploitation de son concept de franchise pour 32 villes, dont [Localité 2] en Ille-et-Vilaine.

Par contrat du 18 décembre 1997, la société Atlantis a donné à bail à la société Chan à titre de location gérance le fonds de commerce exploité à [Localité 2] sous la marque Noz, cette location portant notamment sur le droit au bénéfice du contrat de franchise et de prestations consenti par la société SFN. A la suite d'une fusion-absorption, c'est désormais la société Futura Finances qui a la qualité de bailleresse.

Pour la marque Noz, M. [I] [U] a occupé successivement les fonctions suivantes :

>Entre mars et fin 2015 : il a été salarié responsable magasin au sein de la SARL QUEST (magasin de [Localité 6]) ;

> Entre fin 2015 et novembre 2016 : il a été salarié responsable magasin au sein de la SARL REN2 (magasin de [Localité 7] / [Localité 9]) ;

>Entre décembre 2016 et avril 2017 : il a été salarié responsable magasin / animateur d'équipe au sein de la SNC CHAN (magasin de [Localité 2]) ;

>A compter de mai 2017 jusqu'à mai 2018 : il a été salarié responsable magasin itinérant au sein de la SAS SFN. Par accord tripartite en date du 25 août 2017, son contrat a été transféré à la société SFN Consulting ouest ;

>A compter de juin 2018 jusqu'au 5 mai 2019 : il a cessé d'être salarié pour devenir animateur de zone au sein de la SAS SFN sous le statut " Directeur Général " au sein de la SAS SFN ;

>A compter du 6 mai 2019 : il a été responsable magasin au sein de la SNC CHAN à [Localité 2] (Ille-et-Vilaine), sous le statut de " cogérant " aux côtés des SNC Screed & Co, Top Speak, et Top do-it, sociétés ayant leur siège social [Adresse 10] (53), soit la même adresse que la société SFN NOZ, et de Mme [D] [P], alors présidente de la société SFN NOZ, trois des associées étant les sociétés Altekama, Zephira et Bimota Finances, toutes immatriculées au Luxembourg.

A la suite de l'assemblée générale de la SNC Chan du 1er décembre 2020, il a été révoqué de sa fonction de cogérant pour plusieurs motifs invoqués dans une lettre du 16 novembre 2020 :

* non-respect des normes de sécurité et d'hygiène,

* non-respect des règles liés au protocole sanitaire Covid-19,

* absence de mise à jour du registre du personnel,

* manquement dans la tenu du livre de police des achats et ventes de métaux précieux,

* manque d'organisation et non-respect du concept Noz,

* non-respect de préconisations de la médecine du travail concernant une salariée.

***

Sollicitant la requalification de son mandat de cogérant en contrat de travail, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 08 octobre 2021 afin de voir :

- Débouter les sociétés SFN Noz et Chan de leurs demandes relatives à l'incompétence matérielle du conseil de prud'hommes

- Se déclarer compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail liant M. [U] aux sociétés SFN Noz et Chan.

- Constater que M. [U] était lié par un contrat de travail avec les sociétés Chan et SFN

Dès lors,

- Condamner de façon solidaire les sociétés Chan et SFN aux sommes suivantes :

- A titre de rappel de salaires à la somme de 10 796 euros outre 1079 euros de congés payés y

afférents ;

- Au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé la somme de 19 386 euros à titre principal

(avec un salaire moyen mensuel de 3 281 euros) à titre subsidiaire à la somme de 14 619,99 euros

(avec un salaire mensuel moyen de 2 436,66 euros) ;

- Constater que la rupture du contrat doit être analysée en licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Dès lors,

- Condamner de façon solidaire la société Chan et la SAS SFN aux sommes suivantes :

- A la somme de 3281 euros à titre principal et à titre subsidiaire la somme de 2 436,66 euros à titre

de dommages et intérêts au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;

- A titre de rappel de préavis à la somme de 9843 euros outre 984 euros de congés payés y afférents

à titre principal ou à la somme de 7 309,98 euros 730 euros de congés payés y afférents à titre

subsidiaire ;

- A la somme de 4 650,82 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

- Dire que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.

- Dire que les sommes à caractère non salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

- Condamner les mêmes à remettre à M. [U] un bulletin de salaire, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.

- Dire que le conseil de prud'hommes se réserve la possibilité de liquider cette astreinte.

- Condamner solidairement les sociétés Chan et SFN à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner solidairement les sociétés Chan et SFN aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.

La SNC Chan a demandé au conseil de prud'hommes de :

A titre liminaire et principal

- Dire et juger que M. [U] n'apporte pas la preuve qu'il aurait été titulaire d'un contrat de travail avec la société Chan à compter du 06 mai 2019 ;

- Se déclarer matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes ;

- Inviter M. [U] à mieux se pourvoir ;

- Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros.

A titre subsidiaire,

- Renvoyer l'examen du fond du dossier pour voir statuer ce que de droit sur les demandes de M. [U] et enjoindre à la société Chan de conclure au fond sur ces demandes

- Surseoir à statuer dans l'attente.

La SAS SFN a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Juger irrecevables et à tout le moins infondées les demandes de M. [U]

- Le débouter de toutes ses demandes

- A titre subsidiaire et en tout état de cause le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé et réduire à de plusjustes proportions l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Indemnité au titre del'article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros

- Dépens.

Par jugement en date du 11 septembre 2023, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit que M. [U] ne démontre pas l'existence d'un contrat de travail ou d'un lien de subordination ;

- S'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes

- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens

Pour statuer ainsi, le conseil de prud'homme a retenu que :

>les éléments quant aux traitements des heures, aux plans d'action, système de rémunération, qu'il produit, d'une part, pour certains ne le concernent pas directement et pour d'autres ne démontrent rien, si ce n'est un support, des directives et obligations qui ne sont que la conséquence de 1'application du contrat de franchise.

>s'agissant du contrôle des heures, les mails produits ne traduisent que la transmission des heures, nécessaire pour l'établissement de la paie, cette dernière étant externalisée auprès de la société SEN qui apporte ses services dans l'organisation et la gestion des ressources humaines tel que cela résulte du contrat de franchise.

>S'agissant des conditions de travail et embauches, les attestations produites, émanant de responsable de région dont la fonction même est d'assister notamment les gérants dans l'organisation et la gestion des ressources humaines, ne sont pas précises et circonstanciées pour caractériser l'absence de liberté de Monsieur [U] dans ce domaine.

>S'agissant des systèmes de rémunération, il ressort de ces mails seulement une transmission d'information et en aucun cas un pouvoir de la société SEN dans l'attribution ou suppression des primes de Mr [U]. En matière d'organisation du magasin, les audits et plans d'action communiqués, s'ils peuvent s'apparenter à des directives et les évaluations s'analyser en un contrôle de leur exécution, le respect de normes imposées par le franchiseur est de l'essence même du contrat de franchise et constitue la contrepartie de la notoriété de la marque dont bénéficie le franchisé.

>Concernant l'ouverture des magasins le dimanche, il en ressort une information d'avancement de leur demande auprès de la préfecture sans qu'il puisse être constaté que le gérant n'aura pas eu le pouvoir d'en décider autrement.

Si le cadre contractuel de la relation entre les parties est révélateur d'un état de "dépendance", il ne saurait suffire a caractériser le lien de subordination.

M. [U] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 26 septembre 2023.

Par requête en date du 29 septembre 2023, M. [U] sollicitait du Premier président de la cour d'appel de Rennes l'autorisation d'assigner à jour fixe la SNC Chan et la SAS SFN.

Par ordonnance en date du 03 octobre 2023, le président de chambre délégué du Premier président de la cour d'appel de Rennes a autorisé M. [U] à assigner les sociétés le 19 mars 2024.

Par acte d'huissier daté du 09 octobre 2023, M. [U] a assigné les SNC Chan et SAS SFN devant la 7ème chambre de la cour d'appel de Rennes à l'audience du 19 mars 2024.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 21 février 2024, M. [U] demande à la cour d'appel de :

- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rennes en date du 11 septembre 2023 en ce qu'il :

- Dit que M. [U] ne démontre pas l'existence d'un contrat de travail ou d'un lien de subordination ;

- Se déclare incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes

- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.

- Dès lors statuant à nouveau et infirmant le jugement rendu le 11 septembre 2023 par le conseil de prud'hommes de Rennes :

- Dire et juger M. [U] était lié par un contrat de travail avec les sociétés SNC Chan et SAS SFN

- Dire et juger la juridiction prud'homale compétente pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail liant M. [U] aux sociétés SAS SFN et SNC Chan et les conséquences y afférentes ;

Dès lors, infirmant la décision rendue

- Condamner solidairement les sociétés SNC Chan et SAS SFN au paiement des sommes suivantes :

- A titre de rappel de salaires à la somme de 10 796 euros outre 1079 euros de congés payés y afférents ;

- Au titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé la somme de 19 386 euros à titre principal

(avec un salaire moyen mensuel de 3281 euros) à titre subsidiaire à la somme de 14 619,99

euros (avec un salaire mensuel moyen de 2436,66 euros) ;

- Constater que la rupture du contrat doit être analysée en licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Dès lors,

- Condamner solidairement les sociétés SNC Chan et la SAS SFN au paiement des sommes suivantes :

- A la somme de 3281 euros à titre principal et à titre subsidiaire la somme de 2436,66 euros à titre de dommages et intérêts au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;

- A titre de rappel de préavis à la somme de 9843 euros outre 984 euros de congés payés y afférents (à titre principal) ou à la somme de 7309,98 euros 730 euros de congés payés y afférents (à titre subsidiaire) ;

- A la somme de 4650,82 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement ;

- Dire que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice.

- Dire que les sommes à caractère non salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

- Ordonner aux sociétés SNC Chan et SAS SFN de remettre à M. [U] un bulletin de salaire, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- Débouter les sociétés SNC Chan et SAS SFN de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner solidairement les sociétés Chan et SFN à verser la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner solidairement les sociétés Chan et SFN aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 février 2024, la SNC Chan demande à la cour d'appel de :

- Dire l'appel formé par M. [U] infondé.

En conséquence,

- Confirmer le jugement du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions

- Débouter M. [U] de toutes ses demandes.

Subsidiairement,

- Renvoyer l'examen du fond du dossier pour voir statuer ce que de droit sur les demandes de M. [U] à la connaissance du conseil de prud'hommes de Rennes.

En tout état de cause

- Condamner M. [U] à verser à la SNC Chan la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner le même aux entiers dépens.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 février 2024, la SAS SFN demande à la cour d'appel de :

- Dire l'appel formé par M. [U] infondé

En conséquence,

- Confirmer le jugement du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions

- Débouter M. [U] de toutes ses demandes

Subsidiairement,

- Renvoyer l'examen du fond du dossier pour voir statuer ce que de droit sur les demandes de M. [U] à la connaissance du conseil de prud'hommes de Rennes.

En toute hypothèse,

- Condamner M. [U] à verser à la société SFN la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner le même aux entiers dépens.

***

L'affaire a été fixée à l'audience du 19 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, il sera rappelé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Si la SAS SFN développe dans les motifs de ses dernières conclusions du 29 février 2024 (page 17 et suivantes) des moyens tendant à l'irrecevabilité des pièces communiquées par M. [U], elle ne formule, dans le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, aucune demande relative à ce titre.

Partant, la cour n'examinera pas cette demande.

1- Sur la compétence de la juridiction prud'homale

Pour infirmation du jugement, M. [U] rappelle les dispositions de l'article L1411-1 du code du travail et soutient qu'afin de statuer sur la compétence ou l'incompétence de la juridiction prud'homale, il y a lieu de statuer sur l'existence d'un contrat de travail entre les parties

Les sociétés SFN et Chan répliquent que si le conseil de prud'hommes avait compétence pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail, il en était dépourvu pour statuer sur les demandes indemnitaires s'il ne rejetait pas l'exception d'incompétence ; or, le l'appelant ne formule pas de demande de rejet de l'exception d'incompétence de sorte que la cour n'est pas saisie d'une demande de débouté ou de rejet.

En application de l'article L.1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail et il lui appartient à ce titre, dans le cas où il n'existe pas de contrat de travail

apparent, de rechercher si les éléments constitutifs en sont réunis.

La question soumise en l'espèce à la juridiction prud'homale relève donc bien de sa compétence matérielle, de sorte que l'exception d'incompétence matérielle doit être rejetée et il y a lieu, en application de l'article 568 du code de procédure civile, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'évoquer l'ensemble des demandes, sur lesquelles les parties ont conclu.

2- Sur l'existence d'un contrat de travail

M. [U] expose les dispositions (L.7321-2 du code du travail) sur les gérants de succursales, et rappelle la jurisprudence de la cour de cassation selon laquelle, dès lors que les conditions cumulatives énoncées à l'article L.7321-2 du code du travail sont réunies [approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif par le fournisseur, vente dans un local agréé ou fourni par le fournisseur, conditions de vente et de prix imposées au franchisé], quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du code du travail sont applicables, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'un lien de subordination.

Pour autant, il ne revendique pas à son bénéfice le statut de gérant succursale et ne fournit aucune pièce en ce sens.

Par ailleurs, si M. [U], soutient en une phrase que " le groupe Noz s'immisce en permanence par le biais de ses directeurs ou de ses société supports dans la gestion des magasins Noz présentés faussement comme des sociétés indépendantes " (page 18 de ses conclusions), il ne cherche pas à caractériser une situation de co-emploi se traduisant par une immixtion permanente de la société Noz dans la société Chan, entraînant la perte totale d'autonomie de cette dernière et n'articule aucun moyen à cet égard. En tout état de cause, la société Chan ne fait pas partie du groupe Noz et n'est pas une filiale de la société Noz - étant rappelé :

> qu'un groupe est constitué par une société, dite société-mère, qui :

o détient plus de 50 % du capital d'une autre société, appelée filiale ou

o contrôle directement ou indirectement une autre société ou

o détient directement ou indirectement une fraction des droits de vote supérieure à 40

% et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient une fraction supérieure ou

o désigne la majorité des membres des organes d'administration de direction ou de surveillance pendant deux exercices successifs ou

o est en capacité d'exercer une influence dominante en vertu d'un contrat ou de clauses statutaires ;

>et que les réseaux de franchises et de concessions ne sont pas intégrés dans cette définition.

Il revient donc à la cour d'examiner exclusivement l'existence ou non d'un lien de subordination juridique entre M. [U] d'une part et les société CHAN et SFN d'autre part pour la période courant à compter du 6 mai 2019, date à laquelle il a été nommé co-gérant de la société Chan, jusqu'à révocation le 1er décembre 2020, par l'assemblée générale de la société Chan.

Pour infirmation à ce titre, l'appelant fait valoir que son statut de co-gérant de la société CHAN à compter du 6 mai 2019, était purement fictif et qu'il était privé de toute prérogative de gestion au sein du magasin NOZ de [Localité 2] de sorte qu'il exerçait une prestation de travail sous la subordination des dirigeant de la société SFN.

Il expose que la société SFN NOZ dirige les magasins NOZ, dont celui de [Localité 2] (SNC Chan, chaque magasin franchisé étant exploité par une société différente), par le biais de ses directeurs généraux et sociétés chargés des services supports [RH, paie, service juridique, comptabilité'], répartis par régions, en l'occurrence la société Screed & Co pour la Bretagne, le tout sous le contrôle d'un Comité Opérationnel Réseau à dimension nationale, basé à [Localité 3] (Mayenne) situé au lieu du siège social de la société SFN.

Il soutient qu'il n'avait ainsi aucun pouvoir décisionnaire sur les embauches des salariés, que la société SFN NOZ contrôlait la paie des salariés du magasin, leurs conditions de travail et d'embauche, qu'il devait effectuer des reportings obligatoires avec des deadlines à respecter ainsi que des ouvertures les dimanches et en nocturne, que le groupe NOZ disposait d'un pouvoir de sanction résultant de la suppression de primes sans motif et de sa révocation du magasin.

A titre principal, la SNC Chan fait valoir que M. [U] ne prétend pas avoir été sous un lien de subordination juridique avec la société Chan mais soutient uniquement que la société lui versait une rémunération. La société indique qu'elle lui versait une rémunération de mandataire et qu'en l'absence de lien de subordination pendant l'exécution de son mandat de gérant, il y a lieu de confirmer le jugement.

A titre subsidiaire, la société Chan fait valoir que l'appelant n'ayant pas demandé à la cour d'évoquer le fond en vertu de l'article 88 du code de procédure civile, la cour ne pourra aucunement connaitre du fond et devra renvoyer le litige devant le conseil de prud'hommes si elle infirmait le jugement.

Pour sa part, la SAS SFN expose que M. [U] n'indique pas la date à partir de laquelle il prétend avoir été dans une relation de subordination mais qu'il se réfère à la période postérieure au 06 mai 2019 correspondant à la période où il était gérant de la société Chan et qu'il ne produit aucune pièce lui permettant de voir reconnaître un lien de subordination avec la société SFN pour la période antérieure à sa nomination de cogérant.

Elle fait valoir que M. [U] échoue à rapporter la preuve d'un lien de subordination juridique avec la société SFN qui n'est pas la société Screed & Co. Elle précise que " compte tenu du développement important de la franchise Noz, la société SFN a externalisé à la société Screed & Co une partie de son activité et lui a confié la force opérationnelle du contrôle de la franchise Noz."

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération. Trois critères permettent de caractériser l'existence d'un contrat de travail : une prestation, une rémunération et un lien de subordination.

Le lien de subordination se définit comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

En l'absence d'écrit ou d'apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d'en rapporter la preuve, par tous moyens.

C'est par un faisceau d'indices, révélant l'exercice de contraintes imposées pour l'exécution du travail, que le lien de subordination - entendu comme une subordination juridique et non comme une subordination économique-, est caractérisé, et, notamment par : le pouvoir de donner des directives et d'en contrôler l'exécution, le pouvoir disciplinaire, le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. Ces indices n'ont pas à être simultanément constatés. Ils sont essentiellement modulables en fonction du type de situation que le juge entend appréhender, à qui il appartient de rechercher parmi les éléments du litige ceux qui caractérisent un lien de subordination.

L'appréciation des faits et preuves conduisant à la reconnaissance d'un lien de subordination relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Par ailleurs, si la conclusion d'un contrat de franchise n'exclut pas, en soi, la création et la reconnaissance d'un lien de subordination entre le franchiseur et le franchisé, encore faut-il que ce rapport de subordination dans l'exécution des travaux soit avéré, car la relation qui résulte d'un contrat de franchisage et qui comporte inévitablement une part de dépendance économique pouvant entrer dans les prévisions de l'article L7321-2 du code du travail, n'implique pas nécessairement un état de subordination juridique.

Le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est admis, à condition que le salarié exerce des fonctions techniques distinctes du mandat, dans le cadre d'un lien de subordination à l'égard de l'employeur. Le lien de subordination nécessaire à l'existence du contrat de travail ne peut pas être caractérisé par les directives que le mandataire peut recevoir des associés, du président ou du conseil d'administration de la société et qui sont, par hypothèse, liées à l'exercice normal de son mandat social.

Au cas présent, M. [U] avait la qualité de co-gérant non associé non salarié de la société Chan, mandataire social rémunéré par cette société sur une base mensuelle brute de 2.310 euros, à compter du 6 mars 2019 et jusqu'à sa révocation le 1er décembre 2020.

Pour établir l'existence d'un lien de subordination à l'égard de la Société de Franchise Noz, M. [U] fait valoir que :

- SFN entretient la confusion entre le statut de salarié et celui de gérant ; elle invite même les salariés à évoluer vers le statut de gérant mandataire par le biais d'un guide réalisé par la société INEO-Noz (ses pièces n°21 à 23) et à démissionner de leur fonction de salarié ; la société INEO est un satellite de l'univers Noz dont le siège se trouve à la même adresse que SFN et assure les fonctions du groupe relatives aux ressources humaines ;

- que ce soit en qualité de salarié entre 2016 et 2017 ou en tant que " cogérant " prétendument indépendant, il exerçait les mêmes fonctions de responsable d'établissement au même magasin à [Localité 2] et dans les mêmes conditions de subordination ;

- en tant que co-gérant, il n'avait aucun pouvoir décisionnaire sur l'embauche de salariés comme en attestent M. [Y] (qui a dirigé et coordonné l'action des animateurs de la société Sreed & Co laquelle réalise pour SFN la mission support d'animation des magasins franchisés, se situe sur le " campus Noz " à [Localité 3] (53) et se trouve être aussi co-gérante de la société Chan v. pièce n°54) selon lequel, l'accord du Comag [réunion des animateurs Sreed & Co qui centralise et unifie leurs actions sur les magasin] était nécessaire afin de recruter CDD-CDI dans les différentes enseignes Noz (sa pièce n°10) et M. [V] (ancien salarié de la société Screed & Co. ; sa pièce n°11) ; pire, il était incité à ne pas recruter afin de ne pas dépasser le quota d'heures de 108 h / semaine pour l'ensemble du personnel du magasin, gérant compris, sous peine de déclassement du magasin et de sanction pécuniaire (sa pièce n°46) ;

- SFN exerce un contrôle extrêmement étroit :

>un contrôle sur la paie des salariés du magasin en contraignant tous les salariés à inscrire les heures travaillées sur le logiciel SAP (sa pièce n°27), données traitées par Mme [A] " Gestionnaire RH Univers Noz ", qui faisait suivre aux animateurs de zone, lesquels relançaient M. [U] si le logiciel n'était pas correctement renseigné, à grand renfort de deadlines (pièce n°29), pouvoir de contrôle sur la paie encore accentué au moment de la crise sanitaire ;

>un contrôle du temps de travail du cogérant : il devait rentrer dans un tableau chaque semaine ses heures travaillées et ses heures d'absence (sa pièce n°27) de manière à ce que SFN puisse vérifier sa présence en magasin ; il était relancé par un animateur Screed & Co s'il omettait de le faire ; sa durée de travail était fixée à 39 heures invariablement ;

>un contrôle sur les conditions de travail et d'embauche des salariés comme en témoigne le courriel de Mme [A] sur le chômage partiel des salariés avec enfants dont les écoles sont fermées pendant la crise sanitaire ;

>un contrôle sur les jours d'ouverture et leur amplitude : injonction de M. [R], animateur de zone, d'ouvrir le dimanche de janvier (pièce n°16) sans consultation ni avis préalable du gérant : " Nous vous informons que votre magasin sera ouvert les dimanches du mois de janvier 2021. En cas de besoin, nous vous remercions svp de vous rapprocher de votre référent Comag.

En ce qui concerne les horaires d'ouverture, c'est sur une base de 10 h 00 - 18 h 00. " ; incitation à ouvrir en nocturne avec prière de faire retour sur " les raisons du refus de participer à nocturne et week-end " des co-gérants (sa pièce n°49) ;

>un contrôle sur l'activité du magasin :

* M. [Y] atteste ainsi : " Des mails quotidiens sont envoyés aux divers magasins du réseau avec des reportings à envoyer obligatoires ou des actions à mener avec des preuves photos demandées, que ces magasins soient tenus par du personnel en CDI ou en cogérance ; le Comag, à plusieurs reprises a effectué des audits sans avoir informé le co-gérant du magasin Noz de [Localité 2] au préalable, venant délibérément lorsque M. [U] était absent. " et M. [V] témoigne que " Concernant les responsables de magasin co-gérant chez Noz, une évaluation trimestrielle avec un classement était réalisée " à l'aide d'une check-list comportant 68 critères répartis en 7 catégories à vérifier (propreté, réception, sécurité, RH' v. sa pièce n°12) le tout conduisant à l'attribution d'une note de " performance du pôle " à chaque visite de l'animateur de Pôle ; lorsqu'un critère n'était pas rempli un plan d'action [constat

* les gérants devaient établir des audits mensuels et bimensuels sur une interface dédiée, en répondant à une série de questions avec photographies jointes et des relances leur étaient adressées en cas de retard (pièces n°43,44,45) ; ainsi, au moment de la mise en place du protocole sanitaire : " Avant ouverture assurez-vous que le nouveau protocole sanitaire soit bien mis en place et que vos paniers soient à disposition de vos clients ['] merci de nous faire un retour ce matin pour dire que tout est affiché. " (Pièce n°36) ;

* il devait également remplir un tableau de bord mensuel " TDM " : courriel du 24 juin 2020 : " Merci de faire vos rvn tdm et de rattraper votre retard urgemment " ;

* lorsqu'un incident survenait avec un client, il était signalé au groupe Noz (Sreed & Co) et un animateur revenait vers lui en donnant des instructions : courriel de [W] [E] ([Courriel 4] Screed & Co - Noz) du 25 juin 2020 (pièce 39) : " Bonjour [I], Des clients se sont plaints d'un comportement non commerçant et autoritaire de la part d'un encadrant vendredi soir et samedi. Je présume que ce n'est pas toi au vu de tes plannings mais peux-tu me donner des explications stp ' Nom des personnes et pourquoi on se retrouve à avoir ce genre de mail sur l'agressivité des encadrants envers des EMP sur la surface de ventes. Ce qui me fait dire qu'il faudrait sûrement revoir ta planification et faire au moins deux fermetures par semaine et 1 samedi par mois afin de maîtriser discours plus commerçant. Je te laisse en échanger avec [O] et [T] lors de leurs passages cette semaine. (') " ;

* chaque remboursement de produit à un client était contrôlé par Sreed & Co - SFN, M. [U] devant systématiquement demander une autorisation pour effectuer ces retours ; ainsi, le courriel adressé à [T] [R] de Sreed & Co le 27 novembre 2020 : " Bonjour, produit acheté hier en bon état (table en fer forgé), en un seul morceau. La cliente le ramène ce matin, pied cassé à la base du maintien plateau et m'a demandé de voir avec vous. Le service client botte en touche et me demande de voir avec vous. Me validez-vous ce retour' Cordialement, [I]. " Réponse le jour-même : " Bonjour [I], Je te remercie pour ton message. Je t'invite effectivement à donner suite à la demande du client en effectuant le retour. " ;

* la casse au sein du magasin était contrôlée par SFN Noz qui exigeait un reporting et contrôlait la production de tableaux réguliers ;

- SFN exerce un pouvoir de sanction :

>par le biais de la rémunération du co-gérant et en particulier sur ses primes pour tantôt le gratifier, tantôt le sanctionner (ses pièces n°14 et 46)

* octroi ou retrait de diverses primes (primes de pouvoir d'achat brut salarié / net salarié ; prime prenant en compte Agirc/Arcco ; primi simili Macron brut) et le critère de sélection dépend de la réalisation ou non des objectifs fixés ; M. [U] en a été exclu sans explication suite à des vérifications des responsables de zones ;

* suppression discrétionnaire de la prime sur la contribution en fonction du chiffre d'affaires Les magasins sont classés sur la base d'un pourcentage de rentabilité nette du magasin. Un récapitulatif sur 12 mois glissants est ainsi réalisé sur lequel figure les pourcentages et les primes attribués aux différents magasins (pièce n°17).

Sur le classement entre juillet 2019 et juin 2020, on peut constater que le magasin de Monsieur [U] situé à [Localité 2] est classé 101 ème et a réalisé un chiffre d'affaires HT de 165 375 € - prime versée indifféremment aux responsables de magasins qu'ils soient salariés ou sous statut de cogérant, laquelle n'a pas été versée en décembre 2020 " suite à la crise sanitaire les résultats financiers du réseau se sont fortement dégradés " ;

* courriel de M. [H] de Screed & Co du 20 novembre 2020 : " (') Certains d'entre vous ont saisi plus de 150 heures. Juste pour info le CA que nous faisons actuellement ne permettra pas d'écraser vos FP. Aussi, tous ceux qui dépasseront les 108 heures se retrouveront mal classés dans la contribution. Pour ceux qui ont dépassé les 150 heures, je pense que vous risquez de perdre de 50 à 100 places de contribution. C'est votre choix et vous l'assumerez. Pour ces mêmes magasins, je vous invite d'ores et déjà à prévenir vos équipes qu'ils risquent dans les prochains mois de perdre leurs contributions en leur indiquant que c'est de votre volonté. "

>qui s'est manifesté par sa révocation par courrier du 16 novembre 2020 qui s'apparente à un licenciement déguisé et qui fait suite à un audit de contrôle, étant observé que les trois associées de la société Chan (les sociétés Altekama, Zephira et Bimota Finances) étaient représentées lors de l'assemblée générale du 1er décembre 2020, par la même personne, M. [B] [F], exerçant alors les fonctions de directeur général de la société SFN.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, qui montrent que M. [U], en qualité de cogérant de la société Chan exploitant le magasin enseigne Noz de [Localité 2], devait se plier à des directives tatillonnes à l'extrême et à un contrôle particulièrement sourcilleux conduisant à vérifier régulièrement et de façon permanente l'exécution des ordres et directives donnés, notamment par le biais de visites, audits, consultations de documents, plannings ou reportings divers, avec le pouvoir de sanctionner le gérant-mandataire en cas de manquement par le biais de rétrogradation dans le classement des magasins Noz, de la diminution ou de la suppression de primes et par la résiliation du contrat, M. [U] n'établit pas cependant qu'il était lié à la société Chan ou à la société SFN par un contrat de travail.

En effet,

- d'une part, son argumentation ne concerne que la société SFN et il ne caractérise aucun lien de subordination à l'égard de la société Chan ;

- d'autre part, pour démontrer un lien de subordination à l'égard de la société SFN, il produit exclusivement des courriels émanant de la société Screed & Co, laquelle, pour être une filiale de la société SFN, n'en est pas moins juridiquement distincte de cette dernière, quand bien même la société SFN reconnaît en page 22 de ses conclusions que " Compte tenu du développement important de la franchise NOZ, la société SFN a externalisé à la société SCREED & CO une partie de son activité et a lui confié la force opérationnelle du contrôle de la franchise NOZ. C'est donc la société SCREED & CO qui accompagne et assiste les sociétés franchisées NOZ dans le cadre de leur développement commercial et qui contrôle le respect du concept NOZ par les sociétés franchisées. "

Or, aucune demande n'est dirigée contre la société Screed & Co, faute pour M. [U] de l'avoir jamais appelée à la cause.

Par voie de conséquence, M. [U] ne peut qu'être débouté de la totalité de ses demandes. Le jugement est confirmé.

3- Sur les dépens et frais irrépétibles

Partie perdante, M. [U] est condamné aux dépens d'appel. Par voie de conséquence, il est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la société SFN et à la société Chan la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposés en appel. Elles sont déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

- Confirme la jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions ;

- Déboute M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Déboute les sociétés SFN et Chan de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [U] aux dépens d'appel.