Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 28 mai 2024, n° 21/22033
PARIS
Arrêt
Autre
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 28 MAI 2024
(n°49 /2024 , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22033 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3OD
Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de Paris (3ème chambre) rendu le 14 octobre 2021 sous le numéro de RG 2020055834
APPELANTE
Société PT BANK CENTRAL ASIA TBK
société à responsabilité limitée de droit indonésien,
ayant son siège social : [Adresse 5])
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant : Me François AMELI, du cabinet CKR LAW, avocat au barreau de PARIS, toque : T02
INTIMEE
COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIE LLES ET FINANCIERES (PACIFICO)
société anonymé immatriculée a RCS de PARIS sous le numéro 362 500 274,
ayant son siège social : [Adresse 1],
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Ayant pour avocat plaidant : Me Augustin NICOLLE de l'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T01
INTERVENANTES FORCEES
Société JM COMMODITIES LIMITED
société de droit hongkongais,
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de HONG-KONG sous le n° 2308974,
ayant son siège social : [Adresse 3],
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés ès qualité audit siège,
Défaillante
Société PT EKUATOR KAPITAL ASIA
anciennement dénommée PT BUMI ENERGI SEJAHTERA,
société de droit indonésien,
immatriculée au registre des sociétés sous le n° 9120100160377,
ayant son siège social : [Adresse 4], (INDONESIE),
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés ès qualité audit siège
Défaillante
EN PRESENCE DE :
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 2]
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté par Monsieur François VAISSETTE, Avocat Général, qui a fait connaître son avis au cours de la procédure.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [P] [W] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
- rendu par défaut
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel interjeté le 14 décembre 2021 par la société PT BANK CENTRAL ASIA TBK (ci-après la « BCA »), banque de droit indonésien, contre un jugement réputé contradictoire rendu le 14 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Paris (3ème chambre), dans un litige l'opposant à la Compagnie de participations commerciales industrielles et financières ' PACIFICO (ci-après « Pacifico »), société de droit français.
2. Par ce jugement, le tribunal a :
- condamné la société BCA, non comparante, à payer à Pacifico la somme de 30 000 000 USD, assortie d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure,
- et l'a condamnée à payer 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
3. Le différend à l'origine de cette décision concerne un prêt de 30.000.000 USD consenti par Pacifico sous forme d'avance en compte courant ouvert dans les livres de la Banque BCA à la société de droit hong kongais JM Commodities (ci-après « JMC ») et à sa filiale indonésienne PT BES, dans le cadre d'un contrat d'association entre Pacifico et JMC et auquel BCA était étrangère, portant sur le financement d'achats pétroliers, ledit prêt portant intérêts au taux de 9% l'an.
4. Compte tenu des difficultés rencontrées par JMC, Pacifico lui a accordé tout d'abord des reports de l'échéance de remboursement, puis en a sollicité le remboursement et enfin en a poursuivi le recouvrement en obtenant une décision en référé rendue contradictoirement par le tribunal de commerce de Paris le 19 juillet 2019 qui a condamné JMC à payer par provision à Pacifico la somme de 30.000.000 USD correspondant au remboursement du prêt.
5. Ne parvenant pas, malgré les tentatives d'exécution, à recouvrer les sommes prêtées, Pacifico a porté plainte le 10 septembre 2019 pour suspicion de fraude et escroquerie dont elle estimait être victime de la part de JMC et de sa dirigeante, Madame [D], avec éventuellement des complicités de tiers.
6. Parallèlement, se prévalant d'une lettre de garantie prétendûment souscrite par la banque BCA détentrice des comptes courants de JMC et de PT BES, lettre datée du 18 avril 2019 au profit de Pacifico, pour le remboursement de l'avance en compte courant de 30 millions de dollars consentie par Pacifico à JMC et à sa filiale PT BES, Pacifico a assigné la Banque BCA suivant exploit du 9 décembre 2020 devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de ladite somme sur le fondement de cette seule lettre.
7. BCA a contesté la validité de cette lettre mais n'a pas comparu devant le tribunal de commerce.
8. C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 octobre 2021 qui a condamné BCA au paiement des sommes susvisées, décision dont BCA a interjeté appel, sollicitant l'infirmation totale de ladite décision.
9. Dans le cadre de la procédure d'appel, suivant exploits en date du 31 mai 2022, la société BCA a fait délivrer une assignation en intervention forcée à la société JMC et à la société PT Ekuator Kapital Asia, société de droit indonésien (PT BES), aux fins de voir :
- DÉCLARER recevable et fondée la demande d'intervention forcée présentée par PT Bank Central Asia Tbk à l'encontre de JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, dans le cadre de la présente procédure ;
- DECLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société PT Bank Central Asia Tbk, y faisant droit,
- INFIRMER le Jugement entrepris rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il :
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPA TIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPA TIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrerpar le greffe, Iiquidés àla somme de 74, 50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Statuant à nouveau,
- DECLARER la société PT Bank Central Asia Tbk exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, de la créance alléguée par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA d'un montant de 30.000.000 USD en principal, outre les intérêts contractuels y afférents ;
- CONDAMNER solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 10.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux, et financiers résultant pour la société PT Bank Central Asia Tbk de leurs agissements délictuels ;
- CONDAMNER la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 100.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- DÉBOUTER la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de l'intégraIité de ses demandes, 'ns et prétentions ;
- CONDAMNER PACIFICO, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer respectivement à la société PT Bank Central Asia TBK la somme de 80.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
10. Les deux sociétés intervenantes forcées JMC et PT BES ne se sont pas constituées.
11. La société PACIFICO a, par conclusions signifiées par RPVA le 22 mai 2023, indiqué qu'elle prenait acte des éléments nouveaux versés aux débats et demandait, à l'égard de BCA, de constater sa renonciation pure et simple aux causes du jugement dont appel, tout en maintenant ses demandes d'irrecevabilité des demandes de BCA à son encontre et de débouté ainsi que de condamnation de BCA aux frais irrépétibles, et en maintenant ses demandes à l'égard des deux sociétés tierces non comparantes appelées en intervention forcée.
12. Par décision du tribunal correctionnel de Paris en date du 6 juillet 2023, le caractère frauduleux de la lettre de garantie du 18 avril 2019 a été établi et le tribunal correctionnel a condamné la société JMC à une amende d'un million d'euros et sa dirigeante, Madame [D], à un emprisonnement délictuel de trois ans dont deux avec sursis probatoire pour des faits de faux en écriture, escroquerie et tentative d'escroquerie, a reçu les constitutions de partie civile de Pacifico et de BCA, a condamné Mme [D] à indemniser Pacifico de son préjudice matériel à hauteur de 1.039.821 euro, de son préjudice moral à hauteur de 15.000 euros, a condamné Madame [D] et la société JMC solidairement à payer à BCA la somme de 15.000 euros au titre de son préjudice moral et ordonné la publication de sa décision dans le magazine « les Echos ».
13. La clôture a été prononcée le 16 janvier 2024 et l'audience a été fixée au 19 février 2024.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2024, et signifiées par acte extra-judiciaire aux sociétés intervenantes forcées, BCA demande à la cour de bien vouloir :
Vu les articles 325 à 338, et 455 du Code de procédure civile,
Vu les articles 32-1, 654 et suivants, ainsi que 700 du même Code,
Vu les articles 1200 et suivants, et l'article 1240 du Code civil français,
Vu le Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
Vu le Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles
Vu le Règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 sur la compétence et la reconnaissance des décisions de justice
Vu les articles 1243 et suivants, et l'article 1340, ainsi que 1365 et 1366 du Code civil indonésien
Vu l'article 263 du Code pénal indonésien
Vu la consultation juridique de droit pénal indonésien du Professeur [X] [I]
Vu la consultation juridique de droit bancaire indonésien du Professeur [J] [T]
Vu l'article 2 du Decree of the Board of Directors of Bank Indonesia No. 23/88/KEP/DIR Year 1991 concerning Issuance of Guarantees
Vu l'article 40 de l'Act No. 7 Year 1992 concerning Banking as amended with Act No. 10 Year 1998 concerning Amendment of Act No. 7 Year 1992 concerning Banking
Vu l'article 31 de l'Indonesian Financial Services Authority Regulation No. 1/POJK.07/2013 concerning Consumer Protection in Financial Services Sector :
- Déclarer recevable et fondée la demande d'intervention forcée présentée par PT Bank Central Asia Tbk à l'encontre de JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, dans le cadre de la présente procédure ;
- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société PT Bank Central Asia Tbk, y faisant droit,
- Infirmer le Jugement entrepris rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il :
« - Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA. »
Statuant à nouveau,
- Prendre acte de la renonciation pure et simple de la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA au bénéfice et aux causes du Jugement dont appel ;
- Déclarer la société PT Bank Central Asia Tbk exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, de la créance alléguée par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA d'un montant de 30.000.000 USD en principal, outre les intérêts contractuels y afférents ;
- Déclarer recevables les demandes de dommages-intérêts présentées par la société PT Bank Central Asia Tbk ;
- Condamner solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 1.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux résultant pour la société PT Bank Central Asia Tbk de leurs agissements délictuels ;
- Condamner solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 421.564,52 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers concernant la perte de commissions sur les opérations de change et la privation de la possibilité de placement des fonds suite aux saisies pratiquées par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA auprès d'ING (Belgique), de JP Morgan et Unicrédit (Allemagne) ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 200.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 134.522,46 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense de ses droits en Belgique en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains d'ING ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 36.955,22 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense ses droits en Allemagne en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains de JP Mogran et Unicrédit ;
- Débouter la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de la demande de condamnation de la société PT Bank Central Asia Tbk au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner PACIFICO, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer solidairement à la société PT Bank Central Asia TBK la somme de 225.621,54 euros (à parfaire) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2024, précédemment notifiées par acte extra-judiciaire aux sociétés intervenantes forcées non-comparantes, PACIFICO demande à la cour, au visa des articles 564 du code de procédure civile et 1240 du code civil de :
In limine litis :
- Déclarer irrecevables, les demandes formées par la BCA au titre d'une amende civile et de dommages et intérêts à l'encontre de PACIFICO en ce qu'il s'agit de demandes nouvelles ;
Au fond :
Sur PT BES et JMC du fait de leur intervention forcée :
- Constater la défaillance de PT BES dans l'exécution des engagements souscrits par elle aux termes de l'Avenant 3 du 26 avril 2019 ;
- Condamner PT BES, solidairement avec JMC déjà définitivement condamnée par une Ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce en date du 19 juillet 2019, au paiement à PACIFICO d'une somme de 30.000.000 USD portant intérêts 14% à compter du 1er avril 2019, intérêts calculés d'après le nombre exact de jours écoulés, dont le premier est inclus et le dernier exclu, sur la base d'une année de 365 jours ;
Sur BCA :
- Constater la renonciation pure et simple de PACIFICO aux causes du Jugement dont appel, prononcé le 14 octobre 2021 par le Tribunal de commerce de Paris à l'encontre de la BCA ;
- Débouter la BCA de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de PACIFICO ;
Et, en tout état de cause,
- Condamner JMC et PT BES et la BCA à payer chacune à PACIFICO la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
16. A l'issue de l'audience, les parties ont été invitées par la cour à transmettre une note en délibéré sur la recevabilité de l'intervention forcée aux fins de condamnatin des sociétés JMC et PT BES, appelées en cause d'appel, non comparantes.
17. Par notes en délibéré en date du 1er mars 2024 et du 10 mars 2024, les parties ont fait connaître leurs positions sur la recevabilité de l'intervention forcée desdites sociétés tierces, rappelant que l'irrecevabilité de l'intervention forcée ne peut être soulevée d'office par la cour, les parties concernées ne l'ayant pas soulevée.
18. La cour renvoie aux écritures susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la renonciation de Pacifico aux causes du jugement du 14 octobre 2021
19. Par conclusions du 22 mai 2023, réitérées dans ses dernières conclusions du 8 janvier 2024, Pacifico demande à la cour de constater sa renonciation pure et simple aux causes du jugement attaqué, indiquant qu'elle renonce à mettre en jeu la responsabilité contractuelle de BCA fondée sur la « garantie » litigieuse.
20. Elle renonce ainsi à toutes les causes du jugement entrepris, à savoir à la condamnation de BCA à lui payer la somme de 30.000.000 USD, outre les intérêts et l'article 700 du code de procédure civile, couvrant ainsi toutes les causes résultant du jugement dont appel.
21. En réponse, BCA demande qu'il lui soit donné acte de cette renonciation et sollicite l'infirmation totale de la décision.
22. Elle demande à la cour de déclarer BCA exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JMC et PT BES de la créance alléguée par Pacifico d'un montant de 30.000.000 USD.
Sur ce,
23. Il résulte des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées.
24. En l'espèce, les chefs du jugement dévolus à la cour sont :
« l'infirmation ou la réformation du jugement en ce qu'il :
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50€ dont 12,20€ de TVA. »
25. L'objet du litige dont la cour est saisie est déterminé par cette demande d'infirmation et par les prétentions respectives des parties telles qu'énoncées dans le dispositif de leurs conclusions.
26. La société Pacifico, qui ne sollicite pas la confirmation du jugement querellé, ne soutient plus, à hauteur d'appel, ses demandes de condamnation fondées sur la responsabilité civile de cette banque, reconnaissant au contraire dans ses écritures que les éléments nouveaux versés aux débats « créent sérieusement un doute quant à la responsabilité quasi-délictuelle de la banque dans la constitution du préjudice ».
27. Elle renonce dans ses conclusions à toutes les causes du jugement de première instance, cette demande n'étant pas contestée.
28. Il y a lieu, dans ces conditions, d'infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions sousmises à la cour et, constatant l'abandon des demandes visant à voir reconnaître la responsabilité civile de BCA, dont rien ne permet de retenir qu'elle se trouverait engagée, de déclarer l'appelante non responsable du préjudice invoquée par Pacifico en première instance.
2) Sur la recevabilité des demandes formées par BCA contre Pacifico
29. Pacifico demande à la cour de dire que les demandes de BCA au titre de la procédure abusive, au titre de dommages et intérêts pour préjudice financier lié aux saisies réalisées en Allemagne et en Belgique et pour atteinte à sa notoriété, sont toutes irrecevables, car nouvelles, et qu'elles ne répondent pas aux exceptions prévues par les articles 564, 566 et 567 du code de procédure civile.
30. Elle soutient que le fait qu'une partie ait été ou non comparante en première instance ne la dispense pas d'établir que ses demandes nouvelles répondent aux conditions
prévues à l'article 564 du code de procédure civile pour être recevables.
31. Elle soutient qu'en l'espèce, ces conditions ne sont pas réunies au motif que :
- BCA ne peut faire valoir aucune compensation, ni aucun argument relatif aux prétentions adverses, dès lors que Pacifico a renoncé à tous les chefs du jugement,
- Les conditions liées à l'intervention d'un tiers ou à la survenance ou la révélation d'un fait ne sont pas d'avantage réunies. L'intervention forcée de JMC et de PT BES en appel pour des fautes qu'elles auraient commises est autonome et ne permet pas de former des demandes de dommages-intérêts contre Pacifico,
- Il ne peut être établi aucun lien entre l'intervention des tiers en appel et la production de pièces par BCA qui lui incombait pour démontrer l'usurpation de signature alléguée, ce qu'elle n'a délibérément pas fait en première instance,
- La BCA ne peut se prévaloir de ses propres défaillances pour former des demandes nouvelles en appel,
- La BCA ne peut valablement soutenir que le faux aurait été opposé pour la première fois en appel, alors que cet élément était déjà dans le débat devant le tribunal de commerce, la lettre de garantie contestée ayant été produite par Pacifico, et BCA ayant écrit que la lettre était un faux, mais BCA n'ayant simplement pas comparu pour le soutenir.
32. A ce titre, Pacifico rappelle que la Lettre de garantie arguée de faux a été produite en première instance, les premiers juges ayant fondé leur décision sur cette lettre, et que même si BCA n'a délibérément pas comparu, elle avait adressé des courriers au tribunal de commerce pour soutenir qu'il s'agissait d'un faux, ce qui démontre qu'aucun fait nouveau n'est survenu en cause d'appel, sauf la confirmation, par le juge correctionnel du faux avéré.
33. Pacifico soutient encore que les demandes de BCA sont irrecevables en application de l'article 566 du code de procédure civile, au motif qu'elle n'a formé aucune demande en première instance dans la mesure où elle n'a pas comparu à cette instance, et que les courriers qu'elle a adressés au tribunal ne permettaient pas de caractériser l'existence d'une prétention à laquelle les nouvelles demandes seraient l'accessoire ou la conséquence.
34. Pacifico soutient enfin que les demandes de BCA sont irrecevables sur le fondement de l'article 567 du code de procédure civile, qui concerne les demandes reconventionnelles.
35. Elle indique que pour qu'une demande reconventionelle soit recevable au regard de l'article 567 du code de procédure civile il faut que celle-ci présente un lien suffisant avec les prétentions originaires, ce qui n'est pas le cas car les demandes nouvelles de BCA ne présentent pas de lien avec les faits à l'origine du litige et avec le jugement de première instance, auxquelles les parties ont renoncé, mais relèvent de faits postérieurs, tels que l'exécution de la décision et les saisies pratiquées, la BCA invoquant un comportement fautif de Pacifico postérieur au jugement.
36. Elle fait enfin valoir qu'en tout état de cause au fond, les demandes sont mal fondées et mal dirigées.
37. BCA fait valoir en réponse que :
- N'ayant pas comparu devant le Tribunal de commerce et n'ayant pas constitué avocat dans le cadre de la procédure de première instance, le moyen d'irrecevabilité tiré des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile ne peut lui être opposé, la jurisprudence étant constante sur ce point, citant un arrêt de la cour de cassation du 18 mai 2016 et soutenant que l'arrêt de la deuxième chambre civile du 20 mai 2021 reste une exception, et n'a pas été publié au bulletin,
- Ses demandes de dommages-intérêts en raison des préjudices nés de la révélation de la production d'un faux sont recevables dès lors qu'elles sont en lien direct avec la connaissance qu'avait Pacifico dudit faux en première instance, compte tenu des échanges qui avaient eu lieu entre eux et compte tenu des courriers envoyés par BCA au tribunal de commerce, même si ce dernier n'en a pas tenu compte ; elle fait valoir que Pacifico ne peut tirer profit de sa propre turpitude et d'une tentative d'escroquerie au jugement, afin de faire échec aux demandes d'indemnisation de BCA,
- Ses demandes sont recevables car elles sont nées de l'intervention d'un tiers ; elle en veut pour preuve que l'intervention forcée de JMC et surtout de PT BES a permis à BCA de lever le secret bancaire et de produire la documentation achevant de démontrer le caratère frauduleux et falsifié de la Lettre de Garantie litigieuse et des certificats y afférents ;
- S'agissant de l'article 566 du code de procédure civile aux termes duquel les parties peuvent ajouter de nouvelles prétentions si elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément des demandes soumises au juge de première instance, il est établi que les demandes de dommages-intérêts présentées en appel par BCA sont l'accessoire des demandes visant au débouté des prétentions de Pacifico, et les préjudices qu'elle a subis sont la conséquence de la procédure initiée par Pacifico.
- En tout état de cause, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel sur le fondement de l'article 567 du code de procédure civile, et sa demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts résultant du comportement fautif de Pacifico constitue une demande reconventionnelle en lien avec la demande originaire.
38. La société BCA conteste que la production de la Lettre de Garantie en première instance ne change le fait que le faux a été produit pour la première fois en cause d'appel et ne constitue un fait nouveau.
39. De plus les mesures d'exécution forcée qui lui ont causé préjudice et pour l'indemnisation duquel BCA forme des demandes nouvelles ont été commises après la déclaration d'appel, alors que Pacifico disposait déjà de tous les éléments confirmant l'existence d'une fraude, alors qu'elle ne pouvait en demander l'indemnisation avant d'en avoir connaissance.
40. Elle fait en outre valoir que sur le fond, Pacifico est entièrement responsable d'une tentative d'escroquerie au jugement dont elle ne saurait s'exonérer par sa renonciation tardive aux causes du jugement.
Sur ce,
41. Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
42. Aux termes de l'article 566 de ce code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
43. Enfin, aux termes de l'article 567 dudit code, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
44. Il en résulte que toute prétention nouvelle est en principe irrecevable, sauf celles précisément énumérées par ces textes, que ce soit celles qui opposent compensation ou permettent de faire écarter les prétentions adverses ou pour faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, ou encore celles qui ne sont que l'accessoire, la conséquence ou le complément de la demande originaire, ou enfin les demandes reconventionnelles.
45. Il appartient à la cour saisie d'une fin de non-recevoir fondée sur ces dispositions d'examiner, au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 précités, si la demande est nouvelle, peu important à cet égard que l'appelante n'ait pas comparu en première instance.
46. En l'espèce, il n'est pas contesté que BCA n'a pas comparu en première instance sur les demandes originaires dont Pacifico avait saisi le tribunal de commerce, et auxquelles ce dernier a fait intégralement droit, à savoir:
«- CONDAMNER la BCA au paiement d'une somme de 30.000.000 USD en principal et de 7.064.589,04 USD correspondant aux intérêts échus à PACIFICO ;
- CONDAMNER la BCA au paiement d'une somme de 50.000 euros (à parfaire) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. »
47. BCA a interjeté appel de cette décision le 14 décembre 2021, demandant l'infirmation des chefs du jugement critiqué.
48. Par ses conclusions d'appelante notifiées par RPVA le 12 mai 2022, et réitérées dans ses dernières conclusions du 8 janvier 2024, BCA a ajouté plusieurs prétentions à sa demande d'infirmation du jugement, en sollicitant :
- La condamnation solidaire de Pacifico et des deux sociétés intervenantes forcées à payer à BCA la somme de 1.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux résultant pour la BCA de leurs agissements délictuels ;
- La condamnation solidaire de Pacifico et des deux sociétés intervenantes forcées à payer à BCA la somme de 421.564,52 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers concernant la perte de commissions sur les opérations de change et la privation de la possibilité de placement des fonds suite aux saisies pratiquées par Pacifico auprès d'ING (Belgique), de JP Morgan et Unicrédit (Allemagne) ;
- La condamnation de Pacifico à payer à BCA la somme de 200.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- La condamnation de Pacifico à payer à BCA la somme de 134.522,46 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense de ses droits en Belgique en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains d'ING ;
- La condamnation de Pacifico à à payer à BCA la somme de 36.955,22 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense ses droits en Allemagne en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains de JP Mogran et Unicrédit. »
49. La société Pacifico soutient que ces demandes sont nouvelles et qu'elles ne remplissent pas les conditions posées par les articles 564 et suivants du code de procédure civile pour être recevables, ce que BCA conteste, estimant que l'ensemble des demandes formulées résulte de la révélation du faux en appel qui était déjà sous-jacente en première instance.
50. Le tribunal de commerce a rendu un jugement réputé contradictoire, en l'absence de BCA, en relevant que :
- « la BCA, qui n'a pas conclu, a transmis au tribunal, pour sa défense, deux courriers en date des 19 février et 31 mai 2021 », (')
- « à l'audience en date du 28 juin 2021 après avoir pris acte de ce que seul le demandeur est présent, le défendeur, bien que régulièrement convoqué ne s'est pas constitué, et n'est ni présent ni représenté, le juge chargé d'instruire l'affaire, par application de l'article 472 du code de procédure civile, a entendu le demandeur seul, mis l'affaire en délibéré, clos les débats et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021, reporté au 14 octobre 2021» (')
- « BCA, défenderesse, dans ses courriers transmis au tribunal, fait valoir que :
' Les documents contractuels auxquels Pacifico fait référence sont faux, qu'elle n'a rien signé avec cette dernière,
' Quelqu'un aurait même falsifié les certificats émanant de la banque
' Elle a déposé plainte à la police de Jakarta »
51. Le tribunal a indiqué que l'argumentation de BCA transmise par courrier ne pouvait être prise en considération en son absence, et il a fait droit aux demandes de Pacifico, telles qu'elles lui étaient présentées, condamnant BCA à payer à Pacifico la totalité des sommes demandées, considérant que la lettre de garantie du 18 avril 2019 prévoyait que Pacifico pourrait disposer librement des fonds de PT BES et que cet engagement n'était pas contesté.
a) Sur la compensation
52. Aucune des demandes nouvelles de BCA rappelées ci-dessus n'oppose compensation aux prétentions originaires de Pacifico auxquelles elle a en tout état de cause renoncé.
b) Sur la révélation d'un fait
53. BCA soutient que ses demandes sont recevables par l'effet de la survenance ou la révélation d'un fait, conditions de recevabilité prévues par l'article 564 du code de procédure civile.
54. Elle invoque notamment la révélation du faux en appel, justifiant sa demande de dommages-intérêts en raison des « conséquences dommageables qu'aura eu pour elle l'invocation de la lettre de garantie litigieuse caractéristique d'un faux devant le Premier juge » (§286 de ses conclusions).
55. Elle considère que la cour ne doit pas se laisser convaincre que la production devant le tribunal de commerce des lettres et documents qu'elle avait envoyés, qualifiant de faux la lettre de garantie, l'empêcherait de soutenir que le faux ne serait réellement apparu qu'en appel. En effet, la fraude commise par Pacifico en première instance n'a pas permis de révéler le faux et a entrainé les premiers juges à se laisser convaincre par les « man'uvres » de Pacifico. Ils ont ainsi retenu à tort que la lettre de garantie n'était pas contestée et pouvait donner lieu à condamnation, ce qui justifie que soit recevable en appel la révélation du faux établie par les écritures devant la cour et par le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris du 6 juillet 2023.
56. Or, BCA ne peut tout à la fois soutenir que le faux était dans le débat devant les premiers juges et soutenir qu'il n'est survenu qu'en appel, alors qu'elle prétend que les premiers juges étaient parfaitement informés du caractère falsifié du document produit en première instance grâce aux courriers envoyés, mais qu'ils se sont laissé abuser par Pacifico, et en déduire que le document argué de faux sur lequel les premiers juges ont fondé leur décision constituerait la révélation d'un fait en appel, ce d'autant qu'il résulte des propres conclusions de BCA dès le 12 mai 2022 qu'elle ne conteste pas avoir écrit au sujet du faux, les parties reproduisant dans leurs conclusions devant la cour le contenu exhaustif des lettres écrites par BCA, évoquant le faux dès la première instance, ce qui est en contradiction avec l'allégation de la survenance de ce fait en appel.
57. De plus, les parties indiquent toutes deux avoir déposé des plaintes pénales pour faux et escroquerie en France et en Indonésie, avant même la décision du tribunal de commerce du 14 octobre 2021 (plainte de BCA du 18 mars 2020, plaintes de Pacifico des 10 septembre 2019 et 13 décembre 2019), ce qui démontre que l'allégation de faux était déjà dans le débat, les parties ayant échangé sur ces faits avant le jugement critiqué.
58. Il ne peut dès lors être soutenu que les demandes de BCA seraient fondées sur la révélation d'un fait, alors que l'existence et la justification du faux allégué ont été portées devant les premiers juges dès le début de la procédure, quand bien même ceux-ci ont estimé que la pièce arguée de faux n'était pas contestée.
59. La condition de la révélation d'un fait n'est dès lors pas remplie pour justifier de la recevabilité des demandes nouvelles.
c) sur l'intervention d'un tiers
60. S'agissant de l'intervention d'un tiers qui justifierait la recevabilité des demandes nouvelles en appel, BCA soutient que « l'intervention forcée de JMC et de PT BES a permis à BCA de lever le secret bancaire et de produire la documentation achevant de démontrer le caractère frauduleux et falsifié de la Lettre litigieuse et des certificats y afférents » (§294 P. 53 des conclusions de BCA).
61. Or, il résulte de la procédure que BCA a formulé ses demandes nouvelles en cause d'appel dans ses premières conclusions du 12 mai 2022, avant même d'avoir assigné en intervention forcée les sociétés JMC et PT BES qui n'étaient pas parties en première instance et qui n'ont été appelées en intervention forcée que par exploits d'huissier du 31 mai 2022, leur notifiant lesdites demandes nouvelles déjà formulées, sans que l'intervention des tiers n'en soit la cause.
62. La chronologie invoquée par BCA ne permet pas de justifier que l'intervention de tiers soit à l'origine des nouvelles demandes qui ont été formulées en appel, la découverte de la manupulation des soldes des comptes bancaires détenus dans les livres de BCA n'étant pas justifiée par l'intervention postérieure desdits tiers, mais par l'accès de BCA aux informations bancaires dont elle a fait état dans ses conclusions antérieures à l'intervention.
d) Sur le caractère accessoire des demandes
63. S'agissant des conditions fixées par l'article 566 du code de procédure civile, BCA soutient que ses demandes de dommages-intérêts constituent le nécessaire accessoire de sa demande visant au débouté des prétentions de Pacifico et que les préjudices subis par BCA sont la conséquence directe de la procédure initiée à son encontre par Pacifico.
64. Or, par l'effet de la renonciation, Pacifico ne forme aucune prétention contre BCA en cause d'appel, à part l'irrecevabilité et le débouté des demandes nouvelles et l'article 700 du code de procédure civile, et BCA ne forme aucune demande visant au débouté des prétentions originaires de Pacifico.
65. Aucune demande ne peut par conséquent en être le nécessaire accessoire.
e) Sur les demandes reconventionnelles
66. S'agissant des conditions fixées par l'article 567 du code de procédure civile, tendant à voir qualifier de demandes reconventionnelles les demandes indemnitaires de BCA, il est constant que pour être recevables, les demandes reconventionnelles doivent avoir un lien suffisant avec les prétentions originaires.
67. En l'espèce, BCA forme des demandes en paiement de sommes correspondant à des frais engagés postérieurement au jugement par BCA dans le cadre de l'exécution du jugement critiqué, pour la défense de ses droits relatifs à des saisies opérées par Pacifico pour l'exécution provisoire de la décision en Belgique et en Allemagne.
68. Or, s'agissant de sommes engagées postérieurement au jugement pour contester l'exécution de celui-ci et notamment des saisies devant le JEX ou son équivalent dans ces pays, ces procédures n'ont aucun lien avec les prétentions originaires de Pacifico et ne peuvent être qualifiées de demandes reconventionnelles.
69. BCA forme enfin une demande de dommages intérêts pour procédure abusive sur la base du comportement fautif allégué de Pacifico en première instance qui a maintenu ses demandes originaires de condamnation contre BCA devant le tribunal alors qu'elle avait parfaitement connaissance du faux allégué.
70. L'exercice d'une action en justice peut être susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur, et une demande d'indemnisation à raison de la faute commise en première instance est alors recevable en appel si elle est en lien direct et suffisant avec la faute alléguée résultant de la conduite de la procédure elle-même.
71. Tel peut être le cas lorsque l'abus de procédure allégué concerne la première instance, à laquelle une partie n'était pas comparante et n'a pu s'en prévaloir, la demande nouvelle formulée en appel au titre de la procédure abusive et la demande de paiement d'une amende civile à ce titre étant dès lors recevables.
3)Sur le bien fondé de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
72. BCA demande une indemnité de 200.000 € pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, ainsi qu'une condamnation au paiement d'une amende civile.
73. Elle soutient que:
- Pacifico savait parfaitement que BCA était tierce au contrat avec JMC;
- L'action introduite par Pacifico à l'encontre de BCA devant le tribunal de commerce n'avait pour but que de faire supporter à cette dernière le poids d'une dette qui ne lui revenait pas, alors que Pacifico savait que le document sur lequel elle fondait sa demande était un faux, ce qui a ét été confirmé par le jugement du tribunal correctionnel en date du 6 juillet 2023 ;
- Pacifico n'a communiqué sa plainte que tardivement et a néanmoins poursuivi ses demandes devant les premiers juges en toute conscience du caractère frauduleux du document qu'elle invoquait ;
- La dissimulation devant les premiers juges et l'instrumentalisation de ceux-ci démontre l'abus de procédure et une escroquerie au jugement ;
- Il résulte des courriels du 13 novembre 2019 et du 29 janvier 2020 que Pacifico a eu confirmation avant le début de l'instance, du caractère frauduleux de la Lettre et des contestations par BCA ;
- Le fait que Pacifico ait pu avoir des doutes sur l'implication de préposés de BCA est sans effet sur sa connaissance du caractère frauduleux de la lettre ;
- Pacifico ne peut pas s'exonérer en alléguant un prétendu manque de diligence de BCA dans sa gestion du secret bancaire à l'égard de PT BES, ou de son omission de geler les comptes de PT BES. Elle confirme qu'elle était liée par le secret bancaire et ne pouvait fournir des informations à Pacifico, produisant une consultation juridique justifiant que BCA a respecté la réglementation bancaire locale, confortée par un courrier de l'Autorité des Services Financiers Indonésiens relatif à la protection très stricte du secret bancaire.
- Pacifico ne peut légitimer son action contre BCA en invoquant le défaut de comparution de BCA et en soutenant qu'elle aurait pu contester simplement avoir émis cette lettre, ce qu'elle a fait par lettre et par courriels.
74. Elle fait valoir que des circonstances peuvent caractériser un abus de droit quand bien même la partie aurait triomphé en première instance, et qu'en l'espèce, l'abus de droit est manifeste, dès lors que Pacifico ne doit son succès qu'à l'escroquerie au jugement à laquelle elle s'est livrée en obtenant la condamnation de BCA sur le fondement d'un document dont elle avait elle-même dénoncé le caractère frauduleux auprès du procureur de la République plus d'une année avant l'introduction de son instance.
75. Pacifico, en réponse, soutient que celui qui triomphe, même partiellement dans son action, ne peut être condamné à une amende civile et à des dommages-intérêts pour abus de son droit d'agir en justice.
76. A titre surabondant, Pacifico soutient qu'aucune faute n'est caractérisée à son égard, que c'est BCA qui a fait le choix de ne donner aucune suite aux multiples démarches de Pacifico pour se défendre de l'escroquerie dont elle était victime, que BCA était très proche de la société PT BES, et qu'elle aurait dû agir plus vite, par exemple en gelant les actifs de ses clientes, ce qu'elle n'a pas fait, alors qu'il s'est avéré que PT BES avait eu un rôle central dans l'escroquerie.
77. Elle fait valoir que :
- C'est au regard de l'attitude de BCA que Pacifico a eu des inquiétudes légitimes sur l'implication éventuelle de la banque, ou de ses employés.
- Elle n'avait aucune certitude sur le caractère frauduleux de la Lettre. La rédaction de la plainte pénale déposée en 2019 manifestait l'incertitude de Pacifico. De plus BCA lui a opposé le secret bancaire pour ne pas répondre à ses demandes.
- Contrairement à ce que soutient BCA, l'assignation contenait en annexe des correspondances entre les parties où il était fait mention des plaintes en France et en Indonésie.
- La plainte pénale pour escroquerie au jugement déposée le 23 septembre 2022 par BCA n'a donné aucune suite.
- Le comportement de la BCA n'était pas cohérent concernant le secret bancaire : si celui-ci était opposable à Pacifico alors la Lettre était valable, a défaut de validité le secret bancaire était inopposable.
Sur ce,
78. L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.
79. En l'espèce, la société BCA sera déboutée de sa demande à ce titre, à défaut pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque faute ou légèreté blâmable de la part de la société Pacifico en première instance, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, en l'absence de comparution de BCA, qui, régulièrement assignée, n'a pas déféré à la convocation et n'a pas donné suite à la décision de renvoi de l'audience par les premiers juges pour lui permettre faire valoir ses droits.
80. Ne peut être en outre être tenue pour fautive l'assignation délivrée par Pacifico à la Banque détentrice des comptes sur lesquels se trouvaient les fonds de ses débiteurs, nonobstant le doute qu'elle a pu avoir sur l'allégation de faux de la lettre de garantie dont elle entendait se prévaloir à l'encontre de BCA, dès lors que cette dernière a opposé un refus de répondre à toute question sur l'éventualité d'une fraude dont elle-même serait également victime, en se retranchant derrière le secret bancaire, l'ignorance dans laquelle était tenue Pacifico ne pouvant être constitutive d'une faute, ni démontrer une quelconque tentative d'escroquerie au jugement.
81. A ce titre, il n'est pas contesté, et le jugement de première instance en fait mention, que Pacifico a elle-même versé aux débats devant les premiers juges les courriers de BCA relatifs aux allégations de faux invoquées, ainsi que des lettres de Pacifico faisant état des plaintes déposées, ce qui ne permet pas de retenir une quelconque tentative de dissimulation de la part de Pacifico destinée à tromper le tribunal.
82. Enfin, Pacifico ayant renoncé à se prévaloir de la décision de première instance, avant même d'avoir acquis la certitude d'avoir été elle-même victime d'une fraude orchestrée par JMC et Madame [D], justifie s'être vu reconnaitre la qualité de victime, tout comme BCA, dans le cadre du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris.
83. Les conditions d'une tentative d'escroquerie au jugement ou de procédure abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile invoquée par BCA ne sont dès lors pas réunies.
84. Il y a lieu de rejeter les demandes de dommages-intérêts à ce titre, ainsi que la demande de prononcé d'une amende civile.
4) Sur les demandes formées par BCA et par Pacifico contre les intervenants forcés non comparants
85. BCA demande la condamnation solidaire de Pacifico, JMC et PT BES pour le paiement de dommages intérêts à hauteur de 1.000.000 € pour les préjudices d'image et moraux et 421.564,52 € pour le montant global de sa perte financière résultant des agissements délictuels des trois intimés, en soutenant que la procédure initiée fautivement par Pacifico trouvait sa cause dans la résistance abusive opposée par les deux débiteurs véritables, de cette créance, JMC et PT BES, qu'elle a assignés en intervention forcée, sur le fondement de la responsabilité délictuelle en application du droit indonésien, en vertu de l'article 3 du Règlement (CE) n°864/2007.
86. Elle ajoute que la renonciation tardive de Pacifico à se prévaloir du bénéfice et des causes du jugement ne saurait effacer les conséquences dommageables que la procédure de première instance a engendrées pour BCA.
87. Pacifico ne conteste pas l'application du droit indonésien à ces demandes, qu'il conteste au fond et dont il a soutenu qu'elles étaient irrecevables à son égard.
88. Pacifico forme une demande de condamnation de PT BES à lui payer, solidairement avec JMC, déjà condamnée par une ordonnance de référé du 19 juillet 2019, la somme de 30.000.000 USD outre les intérêts au taux de 14% à compter du 1er juillet 2019.
Sur ce,
89. En application des dispositions de l'article 472 du code de proce'dure civile, lorsqu'en l'absence du de'fendeur ou de l'intime' ou de l'intervenant force', il est statue' sur le fond des demandes du demandeur ou de l'appelant ou du demandeur a' l'intervention force'e, le juge ne peut faire droit a' ces demandes qu'autant qu'il les estime re'gulie'res, recevables et bien fonde'es.
90. En l'espèce, les sociétés intervenantes forcées ne se sont pas constituées.
91. S'agissant des demandes de BCA formée contre JMC et PT BES, solidairement avec Pacifico, la cour ayant déclaré irrecevables toutes les demandes nouvelles de BCA, y compris celle formées solidairement contre Pacifico, JMC et PT BES, ladite irrecevabilité est opposable aux défendeurs solidaires sur ces demandes et la cour n'est saisie d'aucune autre demande au fond à l'encontre des deux intervenantes forcées.
92. Il en résulte que toutes les demandes formées par BCA contre les sociétés JMC et PT BES sont elles-mêmes irrecevables.
93. S'agissant de la demande de Pacifico en paiement de la somme de 30.000.000 USD à l'encontre de PT BES, demande nouvelle en appel formée contre un intervenant forcé non comparant, il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux rappelés ci-dessus sur le fondement des dispositions des articles 564 et suivants, et par application de l'article 472 susmentionné, de la déclarer irrecevable pour n'être ni une demande en compensation, ni l'accessoire, ni une demande reconventionnelle de l'une quelconque des demandes formées par BCA ou Pacifico dans le cadre de la présente instance ou qui présente un lien suffisant avec ladite instance ou soit justifiée par l'intervention d'un fait en appel ou l'intervention d'un tiers.
94. La société Pacifico elle-même indique dans ses conclusions que « l'intervention forcée de JMC et de PT BES n'implique pas de nouvelles questions susceptibles d'asseaoir les demandes de dommages et intérêts formées à l'encontre de Pacifico. Dans l'hypothèse où la responsabilité de JMC et PT BES devait être retenue, ce serait sur le fondement de fautes commises par ces dernières, sans aucun lien avec les prétendues fautes alléguées à l'encontre de Pacifico » (conclusions Pacifico p.23).
95. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de mettre à la charge desdits intervenants les dépens de la présente instance ou des indemnités au titre des frais irrépétibles.
96. La BCA qui succombe en toutes ses demandes nouvelles conservera la charge intégrale de ses frais irrépétibles.
97. Pacifico a été contrainte d'engager des frais irrépétibles supplémentaires pour se défendre en appel à toutes les demandes nouvelles formées par BCA malgré la renonciation pure et simple de Pacifico à toutes ses demandes et l'acceptation par cette dernière d'une infirmation totale de la décision des premiers juges, ce qui justifie que BCA succombant sur ces demandes prenne à sa charge la moitié des dépens et se voit condamnée à payer à Pacifico une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 25.000 euros.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1)Donne acte à la société Pacifico de sa renonciation aux causes du jugement dont appel,
2) Infirme en conséquence la décision du tribunal de commerce du 14 octobre 2021 en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
3) Déclare les demandes de BCA irrecevables, à l'exception de la demande de dommages intérêts pour procédure abusive et aux fins d'amende civile,
4) Déboute la société BCA de ses demandes de dommages-intérêts et de condamnation à une amende civile,
5) Déclare la demande en paiement de la société Pacifico contre la société PT BES irrecevable,
6) Déboute la société BCA de toutes ses demandes d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
7) Fait masse des dépens ;
8) Condamne la société BCA et la société Pacifico aux dépens d'appel par moitié.
9) Condamne la société BCA à payer à la société Pacifico une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 CHAMBRE 16
ARRET DU 28 MAI 2024
(n°49 /2024 , 18 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/22033 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3OD
Décision déférée à la Cour : Jugement du tribunal de commerce de Paris (3ème chambre) rendu le 14 octobre 2021 sous le numéro de RG 2020055834
APPELANTE
Société PT BANK CENTRAL ASIA TBK
société à responsabilité limitée de droit indonésien,
ayant son siège social : [Adresse 5])
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant : Me François AMELI, du cabinet CKR LAW, avocat au barreau de PARIS, toque : T02
INTIMEE
COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIE LLES ET FINANCIERES (PACIFICO)
société anonymé immatriculée a RCS de PARIS sous le numéro 362 500 274,
ayant son siège social : [Adresse 1],
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Ayant pour avocat plaidant : Me Augustin NICOLLE de l'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T01
INTERVENANTES FORCEES
Société JM COMMODITIES LIMITED
société de droit hongkongais,
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de HONG-KONG sous le n° 2308974,
ayant son siège social : [Adresse 3],
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés ès qualité audit siège,
Défaillante
Société PT EKUATOR KAPITAL ASIA
anciennement dénommée PT BUMI ENERGI SEJAHTERA,
société de droit indonésien,
immatriculée au registre des sociétés sous le n° 9120100160377,
ayant son siège social : [Adresse 4], (INDONESIE),
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés ès qualité audit siège
Défaillante
EN PRESENCE DE :
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 2]
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté par Monsieur François VAISSETTE, Avocat Général, qui a fait connaître son avis au cours de la procédure.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [P] [W] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
- rendu par défaut
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
* I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel interjeté le 14 décembre 2021 par la société PT BANK CENTRAL ASIA TBK (ci-après la « BCA »), banque de droit indonésien, contre un jugement réputé contradictoire rendu le 14 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Paris (3ème chambre), dans un litige l'opposant à la Compagnie de participations commerciales industrielles et financières ' PACIFICO (ci-après « Pacifico »), société de droit français.
2. Par ce jugement, le tribunal a :
- condamné la société BCA, non comparante, à payer à Pacifico la somme de 30 000 000 USD, assortie d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure,
- et l'a condamnée à payer 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
3. Le différend à l'origine de cette décision concerne un prêt de 30.000.000 USD consenti par Pacifico sous forme d'avance en compte courant ouvert dans les livres de la Banque BCA à la société de droit hong kongais JM Commodities (ci-après « JMC ») et à sa filiale indonésienne PT BES, dans le cadre d'un contrat d'association entre Pacifico et JMC et auquel BCA était étrangère, portant sur le financement d'achats pétroliers, ledit prêt portant intérêts au taux de 9% l'an.
4. Compte tenu des difficultés rencontrées par JMC, Pacifico lui a accordé tout d'abord des reports de l'échéance de remboursement, puis en a sollicité le remboursement et enfin en a poursuivi le recouvrement en obtenant une décision en référé rendue contradictoirement par le tribunal de commerce de Paris le 19 juillet 2019 qui a condamné JMC à payer par provision à Pacifico la somme de 30.000.000 USD correspondant au remboursement du prêt.
5. Ne parvenant pas, malgré les tentatives d'exécution, à recouvrer les sommes prêtées, Pacifico a porté plainte le 10 septembre 2019 pour suspicion de fraude et escroquerie dont elle estimait être victime de la part de JMC et de sa dirigeante, Madame [D], avec éventuellement des complicités de tiers.
6. Parallèlement, se prévalant d'une lettre de garantie prétendûment souscrite par la banque BCA détentrice des comptes courants de JMC et de PT BES, lettre datée du 18 avril 2019 au profit de Pacifico, pour le remboursement de l'avance en compte courant de 30 millions de dollars consentie par Pacifico à JMC et à sa filiale PT BES, Pacifico a assigné la Banque BCA suivant exploit du 9 décembre 2020 devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de ladite somme sur le fondement de cette seule lettre.
7. BCA a contesté la validité de cette lettre mais n'a pas comparu devant le tribunal de commerce.
8. C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 14 octobre 2021 qui a condamné BCA au paiement des sommes susvisées, décision dont BCA a interjeté appel, sollicitant l'infirmation totale de ladite décision.
9. Dans le cadre de la procédure d'appel, suivant exploits en date du 31 mai 2022, la société BCA a fait délivrer une assignation en intervention forcée à la société JMC et à la société PT Ekuator Kapital Asia, société de droit indonésien (PT BES), aux fins de voir :
- DÉCLARER recevable et fondée la demande d'intervention forcée présentée par PT Bank Central Asia Tbk à l'encontre de JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, dans le cadre de la présente procédure ;
- DECLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société PT Bank Central Asia Tbk, y faisant droit,
- INFIRMER le Jugement entrepris rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il :
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPA TIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPA TIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrerpar le greffe, Iiquidés àla somme de 74, 50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Statuant à nouveau,
- DECLARER la société PT Bank Central Asia Tbk exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, de la créance alléguée par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA d'un montant de 30.000.000 USD en principal, outre les intérêts contractuels y afférents ;
- CONDAMNER solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 10.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux, et financiers résultant pour la société PT Bank Central Asia Tbk de leurs agissements délictuels ;
- CONDAMNER la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 100.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- DÉBOUTER la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de l'intégraIité de ses demandes, 'ns et prétentions ;
- CONDAMNER PACIFICO, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer respectivement à la société PT Bank Central Asia TBK la somme de 80.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
10. Les deux sociétés intervenantes forcées JMC et PT BES ne se sont pas constituées.
11. La société PACIFICO a, par conclusions signifiées par RPVA le 22 mai 2023, indiqué qu'elle prenait acte des éléments nouveaux versés aux débats et demandait, à l'égard de BCA, de constater sa renonciation pure et simple aux causes du jugement dont appel, tout en maintenant ses demandes d'irrecevabilité des demandes de BCA à son encontre et de débouté ainsi que de condamnation de BCA aux frais irrépétibles, et en maintenant ses demandes à l'égard des deux sociétés tierces non comparantes appelées en intervention forcée.
12. Par décision du tribunal correctionnel de Paris en date du 6 juillet 2023, le caractère frauduleux de la lettre de garantie du 18 avril 2019 a été établi et le tribunal correctionnel a condamné la société JMC à une amende d'un million d'euros et sa dirigeante, Madame [D], à un emprisonnement délictuel de trois ans dont deux avec sursis probatoire pour des faits de faux en écriture, escroquerie et tentative d'escroquerie, a reçu les constitutions de partie civile de Pacifico et de BCA, a condamné Mme [D] à indemniser Pacifico de son préjudice matériel à hauteur de 1.039.821 euro, de son préjudice moral à hauteur de 15.000 euros, a condamné Madame [D] et la société JMC solidairement à payer à BCA la somme de 15.000 euros au titre de son préjudice moral et ordonné la publication de sa décision dans le magazine « les Echos ».
13. La clôture a été prononcée le 16 janvier 2024 et l'audience a été fixée au 19 février 2024.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
14. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2024, et signifiées par acte extra-judiciaire aux sociétés intervenantes forcées, BCA demande à la cour de bien vouloir :
Vu les articles 325 à 338, et 455 du Code de procédure civile,
Vu les articles 32-1, 654 et suivants, ainsi que 700 du même Code,
Vu les articles 1200 et suivants, et l'article 1240 du Code civil français,
Vu le Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles
Vu le Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles
Vu le Règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 sur la compétence et la reconnaissance des décisions de justice
Vu les articles 1243 et suivants, et l'article 1340, ainsi que 1365 et 1366 du Code civil indonésien
Vu l'article 263 du Code pénal indonésien
Vu la consultation juridique de droit pénal indonésien du Professeur [X] [I]
Vu la consultation juridique de droit bancaire indonésien du Professeur [J] [T]
Vu l'article 2 du Decree of the Board of Directors of Bank Indonesia No. 23/88/KEP/DIR Year 1991 concerning Issuance of Guarantees
Vu l'article 40 de l'Act No. 7 Year 1992 concerning Banking as amended with Act No. 10 Year 1998 concerning Amendment of Act No. 7 Year 1992 concerning Banking
Vu l'article 31 de l'Indonesian Financial Services Authority Regulation No. 1/POJK.07/2013 concerning Consumer Protection in Financial Services Sector :
- Déclarer recevable et fondée la demande d'intervention forcée présentée par PT Bank Central Asia Tbk à l'encontre de JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, dans le cadre de la présente procédure ;
- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société PT Bank Central Asia Tbk, y faisant droit,
- Infirmer le Jugement entrepris rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il :
« - Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA. »
Statuant à nouveau,
- Prendre acte de la renonciation pure et simple de la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA au bénéfice et aux causes du Jugement dont appel ;
- Déclarer la société PT Bank Central Asia Tbk exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera, de la créance alléguée par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA d'un montant de 30.000.000 USD en principal, outre les intérêts contractuels y afférents ;
- Déclarer recevables les demandes de dommages-intérêts présentées par la société PT Bank Central Asia Tbk ;
- Condamner solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 1.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux résultant pour la société PT Bank Central Asia Tbk de leurs agissements délictuels ;
- Condamner solidairement la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 421.564,52 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers concernant la perte de commissions sur les opérations de change et la privation de la possibilité de placement des fonds suite aux saisies pratiquées par la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA auprès d'ING (Belgique), de JP Morgan et Unicrédit (Allemagne) ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 200.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 134.522,46 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense de ses droits en Belgique en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains d'ING ;
- Condamner la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA, à payer à la société PT Bank Central Asia Tbk la somme de 36.955,22 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense ses droits en Allemagne en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains de JP Mogran et Unicrédit ;
- Débouter la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de la demande de condamnation de la société PT Bank Central Asia Tbk au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter la société Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières PACIFICO SA de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner PACIFICO, JM Commodities Limited et PT Ekuator Kapital Asia, anciennement dénommée PT Bumi Energi Sejahtera à payer solidairement à la société PT Bank Central Asia TBK la somme de 225.621,54 euros (à parfaire) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2024, précédemment notifiées par acte extra-judiciaire aux sociétés intervenantes forcées non-comparantes, PACIFICO demande à la cour, au visa des articles 564 du code de procédure civile et 1240 du code civil de :
In limine litis :
- Déclarer irrecevables, les demandes formées par la BCA au titre d'une amende civile et de dommages et intérêts à l'encontre de PACIFICO en ce qu'il s'agit de demandes nouvelles ;
Au fond :
Sur PT BES et JMC du fait de leur intervention forcée :
- Constater la défaillance de PT BES dans l'exécution des engagements souscrits par elle aux termes de l'Avenant 3 du 26 avril 2019 ;
- Condamner PT BES, solidairement avec JMC déjà définitivement condamnée par une Ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce en date du 19 juillet 2019, au paiement à PACIFICO d'une somme de 30.000.000 USD portant intérêts 14% à compter du 1er avril 2019, intérêts calculés d'après le nombre exact de jours écoulés, dont le premier est inclus et le dernier exclu, sur la base d'une année de 365 jours ;
Sur BCA :
- Constater la renonciation pure et simple de PACIFICO aux causes du Jugement dont appel, prononcé le 14 octobre 2021 par le Tribunal de commerce de Paris à l'encontre de la BCA ;
- Débouter la BCA de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de PACIFICO ;
Et, en tout état de cause,
- Condamner JMC et PT BES et la BCA à payer chacune à PACIFICO la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
16. A l'issue de l'audience, les parties ont été invitées par la cour à transmettre une note en délibéré sur la recevabilité de l'intervention forcée aux fins de condamnatin des sociétés JMC et PT BES, appelées en cause d'appel, non comparantes.
17. Par notes en délibéré en date du 1er mars 2024 et du 10 mars 2024, les parties ont fait connaître leurs positions sur la recevabilité de l'intervention forcée desdites sociétés tierces, rappelant que l'irrecevabilité de l'intervention forcée ne peut être soulevée d'office par la cour, les parties concernées ne l'ayant pas soulevée.
18. La cour renvoie aux écritures susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la renonciation de Pacifico aux causes du jugement du 14 octobre 2021
19. Par conclusions du 22 mai 2023, réitérées dans ses dernières conclusions du 8 janvier 2024, Pacifico demande à la cour de constater sa renonciation pure et simple aux causes du jugement attaqué, indiquant qu'elle renonce à mettre en jeu la responsabilité contractuelle de BCA fondée sur la « garantie » litigieuse.
20. Elle renonce ainsi à toutes les causes du jugement entrepris, à savoir à la condamnation de BCA à lui payer la somme de 30.000.000 USD, outre les intérêts et l'article 700 du code de procédure civile, couvrant ainsi toutes les causes résultant du jugement dont appel.
21. En réponse, BCA demande qu'il lui soit donné acte de cette renonciation et sollicite l'infirmation totale de la décision.
22. Elle demande à la cour de déclarer BCA exempte de toute responsabilité et de toute dette au titre du défaut de paiement par JMC et PT BES de la créance alléguée par Pacifico d'un montant de 30.000.000 USD.
Sur ce,
23. Il résulte des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées.
24. En l'espèce, les chefs du jugement dévolus à la cour sont :
« l'infirmation ou la réformation du jugement en ce qu'il :
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk, à verser à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES - PACIFICO la somme de 30 000 000 USD, assorti d'un taux d'intérêt annuel de 14%, à compter du 7 juin 2019, date de la première lettre de mise en demeure ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk à payer à la SA COMPAGNIE DE PARTICIPATIONS COMMERCIALES INDUSTRIELLES ET FINANCIERES PACIFICO la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL de droit indonésien PT BANK CENTRAL ASIA Tbk aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50€ dont 12,20€ de TVA. »
25. L'objet du litige dont la cour est saisie est déterminé par cette demande d'infirmation et par les prétentions respectives des parties telles qu'énoncées dans le dispositif de leurs conclusions.
26. La société Pacifico, qui ne sollicite pas la confirmation du jugement querellé, ne soutient plus, à hauteur d'appel, ses demandes de condamnation fondées sur la responsabilité civile de cette banque, reconnaissant au contraire dans ses écritures que les éléments nouveaux versés aux débats « créent sérieusement un doute quant à la responsabilité quasi-délictuelle de la banque dans la constitution du préjudice ».
27. Elle renonce dans ses conclusions à toutes les causes du jugement de première instance, cette demande n'étant pas contestée.
28. Il y a lieu, dans ces conditions, d'infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions sousmises à la cour et, constatant l'abandon des demandes visant à voir reconnaître la responsabilité civile de BCA, dont rien ne permet de retenir qu'elle se trouverait engagée, de déclarer l'appelante non responsable du préjudice invoquée par Pacifico en première instance.
2) Sur la recevabilité des demandes formées par BCA contre Pacifico
29. Pacifico demande à la cour de dire que les demandes de BCA au titre de la procédure abusive, au titre de dommages et intérêts pour préjudice financier lié aux saisies réalisées en Allemagne et en Belgique et pour atteinte à sa notoriété, sont toutes irrecevables, car nouvelles, et qu'elles ne répondent pas aux exceptions prévues par les articles 564, 566 et 567 du code de procédure civile.
30. Elle soutient que le fait qu'une partie ait été ou non comparante en première instance ne la dispense pas d'établir que ses demandes nouvelles répondent aux conditions
prévues à l'article 564 du code de procédure civile pour être recevables.
31. Elle soutient qu'en l'espèce, ces conditions ne sont pas réunies au motif que :
- BCA ne peut faire valoir aucune compensation, ni aucun argument relatif aux prétentions adverses, dès lors que Pacifico a renoncé à tous les chefs du jugement,
- Les conditions liées à l'intervention d'un tiers ou à la survenance ou la révélation d'un fait ne sont pas d'avantage réunies. L'intervention forcée de JMC et de PT BES en appel pour des fautes qu'elles auraient commises est autonome et ne permet pas de former des demandes de dommages-intérêts contre Pacifico,
- Il ne peut être établi aucun lien entre l'intervention des tiers en appel et la production de pièces par BCA qui lui incombait pour démontrer l'usurpation de signature alléguée, ce qu'elle n'a délibérément pas fait en première instance,
- La BCA ne peut se prévaloir de ses propres défaillances pour former des demandes nouvelles en appel,
- La BCA ne peut valablement soutenir que le faux aurait été opposé pour la première fois en appel, alors que cet élément était déjà dans le débat devant le tribunal de commerce, la lettre de garantie contestée ayant été produite par Pacifico, et BCA ayant écrit que la lettre était un faux, mais BCA n'ayant simplement pas comparu pour le soutenir.
32. A ce titre, Pacifico rappelle que la Lettre de garantie arguée de faux a été produite en première instance, les premiers juges ayant fondé leur décision sur cette lettre, et que même si BCA n'a délibérément pas comparu, elle avait adressé des courriers au tribunal de commerce pour soutenir qu'il s'agissait d'un faux, ce qui démontre qu'aucun fait nouveau n'est survenu en cause d'appel, sauf la confirmation, par le juge correctionnel du faux avéré.
33. Pacifico soutient encore que les demandes de BCA sont irrecevables en application de l'article 566 du code de procédure civile, au motif qu'elle n'a formé aucune demande en première instance dans la mesure où elle n'a pas comparu à cette instance, et que les courriers qu'elle a adressés au tribunal ne permettaient pas de caractériser l'existence d'une prétention à laquelle les nouvelles demandes seraient l'accessoire ou la conséquence.
34. Pacifico soutient enfin que les demandes de BCA sont irrecevables sur le fondement de l'article 567 du code de procédure civile, qui concerne les demandes reconventionnelles.
35. Elle indique que pour qu'une demande reconventionelle soit recevable au regard de l'article 567 du code de procédure civile il faut que celle-ci présente un lien suffisant avec les prétentions originaires, ce qui n'est pas le cas car les demandes nouvelles de BCA ne présentent pas de lien avec les faits à l'origine du litige et avec le jugement de première instance, auxquelles les parties ont renoncé, mais relèvent de faits postérieurs, tels que l'exécution de la décision et les saisies pratiquées, la BCA invoquant un comportement fautif de Pacifico postérieur au jugement.
36. Elle fait enfin valoir qu'en tout état de cause au fond, les demandes sont mal fondées et mal dirigées.
37. BCA fait valoir en réponse que :
- N'ayant pas comparu devant le Tribunal de commerce et n'ayant pas constitué avocat dans le cadre de la procédure de première instance, le moyen d'irrecevabilité tiré des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile ne peut lui être opposé, la jurisprudence étant constante sur ce point, citant un arrêt de la cour de cassation du 18 mai 2016 et soutenant que l'arrêt de la deuxième chambre civile du 20 mai 2021 reste une exception, et n'a pas été publié au bulletin,
- Ses demandes de dommages-intérêts en raison des préjudices nés de la révélation de la production d'un faux sont recevables dès lors qu'elles sont en lien direct avec la connaissance qu'avait Pacifico dudit faux en première instance, compte tenu des échanges qui avaient eu lieu entre eux et compte tenu des courriers envoyés par BCA au tribunal de commerce, même si ce dernier n'en a pas tenu compte ; elle fait valoir que Pacifico ne peut tirer profit de sa propre turpitude et d'une tentative d'escroquerie au jugement, afin de faire échec aux demandes d'indemnisation de BCA,
- Ses demandes sont recevables car elles sont nées de l'intervention d'un tiers ; elle en veut pour preuve que l'intervention forcée de JMC et surtout de PT BES a permis à BCA de lever le secret bancaire et de produire la documentation achevant de démontrer le caratère frauduleux et falsifié de la Lettre de Garantie litigieuse et des certificats y afférents ;
- S'agissant de l'article 566 du code de procédure civile aux termes duquel les parties peuvent ajouter de nouvelles prétentions si elles sont l'accessoire, la conséquence ou le complément des demandes soumises au juge de première instance, il est établi que les demandes de dommages-intérêts présentées en appel par BCA sont l'accessoire des demandes visant au débouté des prétentions de Pacifico, et les préjudices qu'elle a subis sont la conséquence de la procédure initiée par Pacifico.
- En tout état de cause, les demandes reconventionnelles sont recevables en appel sur le fondement de l'article 567 du code de procédure civile, et sa demande de condamnation au paiement de dommages-intérêts résultant du comportement fautif de Pacifico constitue une demande reconventionnelle en lien avec la demande originaire.
38. La société BCA conteste que la production de la Lettre de Garantie en première instance ne change le fait que le faux a été produit pour la première fois en cause d'appel et ne constitue un fait nouveau.
39. De plus les mesures d'exécution forcée qui lui ont causé préjudice et pour l'indemnisation duquel BCA forme des demandes nouvelles ont été commises après la déclaration d'appel, alors que Pacifico disposait déjà de tous les éléments confirmant l'existence d'une fraude, alors qu'elle ne pouvait en demander l'indemnisation avant d'en avoir connaissance.
40. Elle fait en outre valoir que sur le fond, Pacifico est entièrement responsable d'une tentative d'escroquerie au jugement dont elle ne saurait s'exonérer par sa renonciation tardive aux causes du jugement.
Sur ce,
41. Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
42. Aux termes de l'article 566 de ce code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
43. Enfin, aux termes de l'article 567 dudit code, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
44. Il en résulte que toute prétention nouvelle est en principe irrecevable, sauf celles précisément énumérées par ces textes, que ce soit celles qui opposent compensation ou permettent de faire écarter les prétentions adverses ou pour faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, ou encore celles qui ne sont que l'accessoire, la conséquence ou le complément de la demande originaire, ou enfin les demandes reconventionnelles.
45. Il appartient à la cour saisie d'une fin de non-recevoir fondée sur ces dispositions d'examiner, au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 précités, si la demande est nouvelle, peu important à cet égard que l'appelante n'ait pas comparu en première instance.
46. En l'espèce, il n'est pas contesté que BCA n'a pas comparu en première instance sur les demandes originaires dont Pacifico avait saisi le tribunal de commerce, et auxquelles ce dernier a fait intégralement droit, à savoir:
«- CONDAMNER la BCA au paiement d'une somme de 30.000.000 USD en principal et de 7.064.589,04 USD correspondant aux intérêts échus à PACIFICO ;
- CONDAMNER la BCA au paiement d'une somme de 50.000 euros (à parfaire) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. »
47. BCA a interjeté appel de cette décision le 14 décembre 2021, demandant l'infirmation des chefs du jugement critiqué.
48. Par ses conclusions d'appelante notifiées par RPVA le 12 mai 2022, et réitérées dans ses dernières conclusions du 8 janvier 2024, BCA a ajouté plusieurs prétentions à sa demande d'infirmation du jugement, en sollicitant :
- La condamnation solidaire de Pacifico et des deux sociétés intervenantes forcées à payer à BCA la somme de 1.000.000 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices d'image, moraux résultant pour la BCA de leurs agissements délictuels ;
- La condamnation solidaire de Pacifico et des deux sociétés intervenantes forcées à payer à BCA la somme de 421.564,52 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers concernant la perte de commissions sur les opérations de change et la privation de la possibilité de placement des fonds suite aux saisies pratiquées par Pacifico auprès d'ING (Belgique), de JP Morgan et Unicrédit (Allemagne) ;
- La condamnation de Pacifico à payer à BCA la somme de 200.000 euros de dommages-intérêts au titre de l'abus de procédure outre une amende civile de 10.000 euros ;
- La condamnation de Pacifico à payer à BCA la somme de 134.522,46 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense de ses droits en Belgique en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains d'ING ;
- La condamnation de Pacifico à à payer à BCA la somme de 36.955,22 euros (à parfaire) correspondant aux frais engagés par la BCA pour la défense ses droits en Allemagne en raison de saisies engagées sur ses comptes de correspondant entre les mains de JP Mogran et Unicrédit. »
49. La société Pacifico soutient que ces demandes sont nouvelles et qu'elles ne remplissent pas les conditions posées par les articles 564 et suivants du code de procédure civile pour être recevables, ce que BCA conteste, estimant que l'ensemble des demandes formulées résulte de la révélation du faux en appel qui était déjà sous-jacente en première instance.
50. Le tribunal de commerce a rendu un jugement réputé contradictoire, en l'absence de BCA, en relevant que :
- « la BCA, qui n'a pas conclu, a transmis au tribunal, pour sa défense, deux courriers en date des 19 février et 31 mai 2021 », (')
- « à l'audience en date du 28 juin 2021 après avoir pris acte de ce que seul le demandeur est présent, le défendeur, bien que régulièrement convoqué ne s'est pas constitué, et n'est ni présent ni représenté, le juge chargé d'instruire l'affaire, par application de l'article 472 du code de procédure civile, a entendu le demandeur seul, mis l'affaire en délibéré, clos les débats et dit que le jugement sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021, reporté au 14 octobre 2021» (')
- « BCA, défenderesse, dans ses courriers transmis au tribunal, fait valoir que :
' Les documents contractuels auxquels Pacifico fait référence sont faux, qu'elle n'a rien signé avec cette dernière,
' Quelqu'un aurait même falsifié les certificats émanant de la banque
' Elle a déposé plainte à la police de Jakarta »
51. Le tribunal a indiqué que l'argumentation de BCA transmise par courrier ne pouvait être prise en considération en son absence, et il a fait droit aux demandes de Pacifico, telles qu'elles lui étaient présentées, condamnant BCA à payer à Pacifico la totalité des sommes demandées, considérant que la lettre de garantie du 18 avril 2019 prévoyait que Pacifico pourrait disposer librement des fonds de PT BES et que cet engagement n'était pas contesté.
a) Sur la compensation
52. Aucune des demandes nouvelles de BCA rappelées ci-dessus n'oppose compensation aux prétentions originaires de Pacifico auxquelles elle a en tout état de cause renoncé.
b) Sur la révélation d'un fait
53. BCA soutient que ses demandes sont recevables par l'effet de la survenance ou la révélation d'un fait, conditions de recevabilité prévues par l'article 564 du code de procédure civile.
54. Elle invoque notamment la révélation du faux en appel, justifiant sa demande de dommages-intérêts en raison des « conséquences dommageables qu'aura eu pour elle l'invocation de la lettre de garantie litigieuse caractéristique d'un faux devant le Premier juge » (§286 de ses conclusions).
55. Elle considère que la cour ne doit pas se laisser convaincre que la production devant le tribunal de commerce des lettres et documents qu'elle avait envoyés, qualifiant de faux la lettre de garantie, l'empêcherait de soutenir que le faux ne serait réellement apparu qu'en appel. En effet, la fraude commise par Pacifico en première instance n'a pas permis de révéler le faux et a entrainé les premiers juges à se laisser convaincre par les « man'uvres » de Pacifico. Ils ont ainsi retenu à tort que la lettre de garantie n'était pas contestée et pouvait donner lieu à condamnation, ce qui justifie que soit recevable en appel la révélation du faux établie par les écritures devant la cour et par le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris du 6 juillet 2023.
56. Or, BCA ne peut tout à la fois soutenir que le faux était dans le débat devant les premiers juges et soutenir qu'il n'est survenu qu'en appel, alors qu'elle prétend que les premiers juges étaient parfaitement informés du caractère falsifié du document produit en première instance grâce aux courriers envoyés, mais qu'ils se sont laissé abuser par Pacifico, et en déduire que le document argué de faux sur lequel les premiers juges ont fondé leur décision constituerait la révélation d'un fait en appel, ce d'autant qu'il résulte des propres conclusions de BCA dès le 12 mai 2022 qu'elle ne conteste pas avoir écrit au sujet du faux, les parties reproduisant dans leurs conclusions devant la cour le contenu exhaustif des lettres écrites par BCA, évoquant le faux dès la première instance, ce qui est en contradiction avec l'allégation de la survenance de ce fait en appel.
57. De plus, les parties indiquent toutes deux avoir déposé des plaintes pénales pour faux et escroquerie en France et en Indonésie, avant même la décision du tribunal de commerce du 14 octobre 2021 (plainte de BCA du 18 mars 2020, plaintes de Pacifico des 10 septembre 2019 et 13 décembre 2019), ce qui démontre que l'allégation de faux était déjà dans le débat, les parties ayant échangé sur ces faits avant le jugement critiqué.
58. Il ne peut dès lors être soutenu que les demandes de BCA seraient fondées sur la révélation d'un fait, alors que l'existence et la justification du faux allégué ont été portées devant les premiers juges dès le début de la procédure, quand bien même ceux-ci ont estimé que la pièce arguée de faux n'était pas contestée.
59. La condition de la révélation d'un fait n'est dès lors pas remplie pour justifier de la recevabilité des demandes nouvelles.
c) sur l'intervention d'un tiers
60. S'agissant de l'intervention d'un tiers qui justifierait la recevabilité des demandes nouvelles en appel, BCA soutient que « l'intervention forcée de JMC et de PT BES a permis à BCA de lever le secret bancaire et de produire la documentation achevant de démontrer le caractère frauduleux et falsifié de la Lettre litigieuse et des certificats y afférents » (§294 P. 53 des conclusions de BCA).
61. Or, il résulte de la procédure que BCA a formulé ses demandes nouvelles en cause d'appel dans ses premières conclusions du 12 mai 2022, avant même d'avoir assigné en intervention forcée les sociétés JMC et PT BES qui n'étaient pas parties en première instance et qui n'ont été appelées en intervention forcée que par exploits d'huissier du 31 mai 2022, leur notifiant lesdites demandes nouvelles déjà formulées, sans que l'intervention des tiers n'en soit la cause.
62. La chronologie invoquée par BCA ne permet pas de justifier que l'intervention de tiers soit à l'origine des nouvelles demandes qui ont été formulées en appel, la découverte de la manupulation des soldes des comptes bancaires détenus dans les livres de BCA n'étant pas justifiée par l'intervention postérieure desdits tiers, mais par l'accès de BCA aux informations bancaires dont elle a fait état dans ses conclusions antérieures à l'intervention.
d) Sur le caractère accessoire des demandes
63. S'agissant des conditions fixées par l'article 566 du code de procédure civile, BCA soutient que ses demandes de dommages-intérêts constituent le nécessaire accessoire de sa demande visant au débouté des prétentions de Pacifico et que les préjudices subis par BCA sont la conséquence directe de la procédure initiée à son encontre par Pacifico.
64. Or, par l'effet de la renonciation, Pacifico ne forme aucune prétention contre BCA en cause d'appel, à part l'irrecevabilité et le débouté des demandes nouvelles et l'article 700 du code de procédure civile, et BCA ne forme aucune demande visant au débouté des prétentions originaires de Pacifico.
65. Aucune demande ne peut par conséquent en être le nécessaire accessoire.
e) Sur les demandes reconventionnelles
66. S'agissant des conditions fixées par l'article 567 du code de procédure civile, tendant à voir qualifier de demandes reconventionnelles les demandes indemnitaires de BCA, il est constant que pour être recevables, les demandes reconventionnelles doivent avoir un lien suffisant avec les prétentions originaires.
67. En l'espèce, BCA forme des demandes en paiement de sommes correspondant à des frais engagés postérieurement au jugement par BCA dans le cadre de l'exécution du jugement critiqué, pour la défense de ses droits relatifs à des saisies opérées par Pacifico pour l'exécution provisoire de la décision en Belgique et en Allemagne.
68. Or, s'agissant de sommes engagées postérieurement au jugement pour contester l'exécution de celui-ci et notamment des saisies devant le JEX ou son équivalent dans ces pays, ces procédures n'ont aucun lien avec les prétentions originaires de Pacifico et ne peuvent être qualifiées de demandes reconventionnelles.
69. BCA forme enfin une demande de dommages intérêts pour procédure abusive sur la base du comportement fautif allégué de Pacifico en première instance qui a maintenu ses demandes originaires de condamnation contre BCA devant le tribunal alors qu'elle avait parfaitement connaissance du faux allégué.
70. L'exercice d'une action en justice peut être susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur, et une demande d'indemnisation à raison de la faute commise en première instance est alors recevable en appel si elle est en lien direct et suffisant avec la faute alléguée résultant de la conduite de la procédure elle-même.
71. Tel peut être le cas lorsque l'abus de procédure allégué concerne la première instance, à laquelle une partie n'était pas comparante et n'a pu s'en prévaloir, la demande nouvelle formulée en appel au titre de la procédure abusive et la demande de paiement d'une amende civile à ce titre étant dès lors recevables.
3)Sur le bien fondé de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
72. BCA demande une indemnité de 200.000 € pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, ainsi qu'une condamnation au paiement d'une amende civile.
73. Elle soutient que:
- Pacifico savait parfaitement que BCA était tierce au contrat avec JMC;
- L'action introduite par Pacifico à l'encontre de BCA devant le tribunal de commerce n'avait pour but que de faire supporter à cette dernière le poids d'une dette qui ne lui revenait pas, alors que Pacifico savait que le document sur lequel elle fondait sa demande était un faux, ce qui a ét été confirmé par le jugement du tribunal correctionnel en date du 6 juillet 2023 ;
- Pacifico n'a communiqué sa plainte que tardivement et a néanmoins poursuivi ses demandes devant les premiers juges en toute conscience du caractère frauduleux du document qu'elle invoquait ;
- La dissimulation devant les premiers juges et l'instrumentalisation de ceux-ci démontre l'abus de procédure et une escroquerie au jugement ;
- Il résulte des courriels du 13 novembre 2019 et du 29 janvier 2020 que Pacifico a eu confirmation avant le début de l'instance, du caractère frauduleux de la Lettre et des contestations par BCA ;
- Le fait que Pacifico ait pu avoir des doutes sur l'implication de préposés de BCA est sans effet sur sa connaissance du caractère frauduleux de la lettre ;
- Pacifico ne peut pas s'exonérer en alléguant un prétendu manque de diligence de BCA dans sa gestion du secret bancaire à l'égard de PT BES, ou de son omission de geler les comptes de PT BES. Elle confirme qu'elle était liée par le secret bancaire et ne pouvait fournir des informations à Pacifico, produisant une consultation juridique justifiant que BCA a respecté la réglementation bancaire locale, confortée par un courrier de l'Autorité des Services Financiers Indonésiens relatif à la protection très stricte du secret bancaire.
- Pacifico ne peut légitimer son action contre BCA en invoquant le défaut de comparution de BCA et en soutenant qu'elle aurait pu contester simplement avoir émis cette lettre, ce qu'elle a fait par lettre et par courriels.
74. Elle fait valoir que des circonstances peuvent caractériser un abus de droit quand bien même la partie aurait triomphé en première instance, et qu'en l'espèce, l'abus de droit est manifeste, dès lors que Pacifico ne doit son succès qu'à l'escroquerie au jugement à laquelle elle s'est livrée en obtenant la condamnation de BCA sur le fondement d'un document dont elle avait elle-même dénoncé le caractère frauduleux auprès du procureur de la République plus d'une année avant l'introduction de son instance.
75. Pacifico, en réponse, soutient que celui qui triomphe, même partiellement dans son action, ne peut être condamné à une amende civile et à des dommages-intérêts pour abus de son droit d'agir en justice.
76. A titre surabondant, Pacifico soutient qu'aucune faute n'est caractérisée à son égard, que c'est BCA qui a fait le choix de ne donner aucune suite aux multiples démarches de Pacifico pour se défendre de l'escroquerie dont elle était victime, que BCA était très proche de la société PT BES, et qu'elle aurait dû agir plus vite, par exemple en gelant les actifs de ses clientes, ce qu'elle n'a pas fait, alors qu'il s'est avéré que PT BES avait eu un rôle central dans l'escroquerie.
77. Elle fait valoir que :
- C'est au regard de l'attitude de BCA que Pacifico a eu des inquiétudes légitimes sur l'implication éventuelle de la banque, ou de ses employés.
- Elle n'avait aucune certitude sur le caractère frauduleux de la Lettre. La rédaction de la plainte pénale déposée en 2019 manifestait l'incertitude de Pacifico. De plus BCA lui a opposé le secret bancaire pour ne pas répondre à ses demandes.
- Contrairement à ce que soutient BCA, l'assignation contenait en annexe des correspondances entre les parties où il était fait mention des plaintes en France et en Indonésie.
- La plainte pénale pour escroquerie au jugement déposée le 23 septembre 2022 par BCA n'a donné aucune suite.
- Le comportement de la BCA n'était pas cohérent concernant le secret bancaire : si celui-ci était opposable à Pacifico alors la Lettre était valable, a défaut de validité le secret bancaire était inopposable.
Sur ce,
78. L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.
79. En l'espèce, la société BCA sera déboutée de sa demande à ce titre, à défaut pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque faute ou légèreté blâmable de la part de la société Pacifico en première instance, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, en l'absence de comparution de BCA, qui, régulièrement assignée, n'a pas déféré à la convocation et n'a pas donné suite à la décision de renvoi de l'audience par les premiers juges pour lui permettre faire valoir ses droits.
80. Ne peut être en outre être tenue pour fautive l'assignation délivrée par Pacifico à la Banque détentrice des comptes sur lesquels se trouvaient les fonds de ses débiteurs, nonobstant le doute qu'elle a pu avoir sur l'allégation de faux de la lettre de garantie dont elle entendait se prévaloir à l'encontre de BCA, dès lors que cette dernière a opposé un refus de répondre à toute question sur l'éventualité d'une fraude dont elle-même serait également victime, en se retranchant derrière le secret bancaire, l'ignorance dans laquelle était tenue Pacifico ne pouvant être constitutive d'une faute, ni démontrer une quelconque tentative d'escroquerie au jugement.
81. A ce titre, il n'est pas contesté, et le jugement de première instance en fait mention, que Pacifico a elle-même versé aux débats devant les premiers juges les courriers de BCA relatifs aux allégations de faux invoquées, ainsi que des lettres de Pacifico faisant état des plaintes déposées, ce qui ne permet pas de retenir une quelconque tentative de dissimulation de la part de Pacifico destinée à tromper le tribunal.
82. Enfin, Pacifico ayant renoncé à se prévaloir de la décision de première instance, avant même d'avoir acquis la certitude d'avoir été elle-même victime d'une fraude orchestrée par JMC et Madame [D], justifie s'être vu reconnaitre la qualité de victime, tout comme BCA, dans le cadre du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris.
83. Les conditions d'une tentative d'escroquerie au jugement ou de procédure abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile invoquée par BCA ne sont dès lors pas réunies.
84. Il y a lieu de rejeter les demandes de dommages-intérêts à ce titre, ainsi que la demande de prononcé d'une amende civile.
4) Sur les demandes formées par BCA et par Pacifico contre les intervenants forcés non comparants
85. BCA demande la condamnation solidaire de Pacifico, JMC et PT BES pour le paiement de dommages intérêts à hauteur de 1.000.000 € pour les préjudices d'image et moraux et 421.564,52 € pour le montant global de sa perte financière résultant des agissements délictuels des trois intimés, en soutenant que la procédure initiée fautivement par Pacifico trouvait sa cause dans la résistance abusive opposée par les deux débiteurs véritables, de cette créance, JMC et PT BES, qu'elle a assignés en intervention forcée, sur le fondement de la responsabilité délictuelle en application du droit indonésien, en vertu de l'article 3 du Règlement (CE) n°864/2007.
86. Elle ajoute que la renonciation tardive de Pacifico à se prévaloir du bénéfice et des causes du jugement ne saurait effacer les conséquences dommageables que la procédure de première instance a engendrées pour BCA.
87. Pacifico ne conteste pas l'application du droit indonésien à ces demandes, qu'il conteste au fond et dont il a soutenu qu'elles étaient irrecevables à son égard.
88. Pacifico forme une demande de condamnation de PT BES à lui payer, solidairement avec JMC, déjà condamnée par une ordonnance de référé du 19 juillet 2019, la somme de 30.000.000 USD outre les intérêts au taux de 14% à compter du 1er juillet 2019.
Sur ce,
89. En application des dispositions de l'article 472 du code de proce'dure civile, lorsqu'en l'absence du de'fendeur ou de l'intime' ou de l'intervenant force', il est statue' sur le fond des demandes du demandeur ou de l'appelant ou du demandeur a' l'intervention force'e, le juge ne peut faire droit a' ces demandes qu'autant qu'il les estime re'gulie'res, recevables et bien fonde'es.
90. En l'espèce, les sociétés intervenantes forcées ne se sont pas constituées.
91. S'agissant des demandes de BCA formée contre JMC et PT BES, solidairement avec Pacifico, la cour ayant déclaré irrecevables toutes les demandes nouvelles de BCA, y compris celle formées solidairement contre Pacifico, JMC et PT BES, ladite irrecevabilité est opposable aux défendeurs solidaires sur ces demandes et la cour n'est saisie d'aucune autre demande au fond à l'encontre des deux intervenantes forcées.
92. Il en résulte que toutes les demandes formées par BCA contre les sociétés JMC et PT BES sont elles-mêmes irrecevables.
93. S'agissant de la demande de Pacifico en paiement de la somme de 30.000.000 USD à l'encontre de PT BES, demande nouvelle en appel formée contre un intervenant forcé non comparant, il y a lieu, pour les mêmes motifs que ceux rappelés ci-dessus sur le fondement des dispositions des articles 564 et suivants, et par application de l'article 472 susmentionné, de la déclarer irrecevable pour n'être ni une demande en compensation, ni l'accessoire, ni une demande reconventionnelle de l'une quelconque des demandes formées par BCA ou Pacifico dans le cadre de la présente instance ou qui présente un lien suffisant avec ladite instance ou soit justifiée par l'intervention d'un fait en appel ou l'intervention d'un tiers.
94. La société Pacifico elle-même indique dans ses conclusions que « l'intervention forcée de JMC et de PT BES n'implique pas de nouvelles questions susceptibles d'asseaoir les demandes de dommages et intérêts formées à l'encontre de Pacifico. Dans l'hypothèse où la responsabilité de JMC et PT BES devait être retenue, ce serait sur le fondement de fautes commises par ces dernières, sans aucun lien avec les prétendues fautes alléguées à l'encontre de Pacifico » (conclusions Pacifico p.23).
95. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de mettre à la charge desdits intervenants les dépens de la présente instance ou des indemnités au titre des frais irrépétibles.
96. La BCA qui succombe en toutes ses demandes nouvelles conservera la charge intégrale de ses frais irrépétibles.
97. Pacifico a été contrainte d'engager des frais irrépétibles supplémentaires pour se défendre en appel à toutes les demandes nouvelles formées par BCA malgré la renonciation pure et simple de Pacifico à toutes ses demandes et l'acceptation par cette dernière d'une infirmation totale de la décision des premiers juges, ce qui justifie que BCA succombant sur ces demandes prenne à sa charge la moitié des dépens et se voit condamnée à payer à Pacifico une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 25.000 euros.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1)Donne acte à la société Pacifico de sa renonciation aux causes du jugement dont appel,
2) Infirme en conséquence la décision du tribunal de commerce du 14 octobre 2021 en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
3) Déclare les demandes de BCA irrecevables, à l'exception de la demande de dommages intérêts pour procédure abusive et aux fins d'amende civile,
4) Déboute la société BCA de ses demandes de dommages-intérêts et de condamnation à une amende civile,
5) Déclare la demande en paiement de la société Pacifico contre la société PT BES irrecevable,
6) Déboute la société BCA de toutes ses demandes d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
7) Fait masse des dépens ;
8) Condamne la société BCA et la société Pacifico aux dépens d'appel par moitié.
9) Condamne la société BCA à payer à la société Pacifico une somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,