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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 29 mai 2024, n° 22/01642

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Orfevrerie Christofle (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Hatet-Sauval, Me Bourthoumieu, Me Allerit, Me Champagner Katz, Me Weil

T. com. Paris, du 29 nov. 2021, n° 20190…

29 novembre 2021

EXPOSE DU LITIGE

Créée en 1830, la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE (ci-après, CHRISTOFLE) est une Maison de luxe française qui indique offrir ses produits, créés dans ses ateliers en Normandie, via cinq univers : l'art du repas, le bar, la décoration, l'enfant, les bijoux et accessoires personnels.

La société italienne MARIO LUCA [F] PETERICH (ci-après, [F]) est spécialisée notamment dans la création, la fabrication et la vente de produits de décoration et d'art de la table élaborés en cristal synthétique imitant le cristal et le verre.

En septembre 2015, la société CHRISTOFLE a lancé une nouvelle collection dénommée « MOOD by CHRISTOFLE » dans laquelle figurait une ménagère en métal argenté moderne, présentée dans un écrin ovoïde, en métal argenté également. Cette collection a été élargie les années suivantes selon plusieurs déclinaisons : « MOOD PRECIOUS » et « MOOD GOLD » en 2016, avec des couverts recouverts de cuivre et d'or ; « MOOD COFFEE » en 2017 ouvrant la collection à un produit plus petit et moins onéreux contenant des cuillères à espresso ; « MOOD NOMADE » en 2018 dédiée à une utilisation outdoor. La collection a fait également l'objet d'éditions exclusives en 2018 et 2019 avec le concours d'artistes et de personnalités ([M] [L], [V] [G], [C] [P]').

A la fin de l'année 2017, la société [F] a lancé le produit « MAFALDA » présenté comme un écrin à couverts de forme ovoïde en deux versions : translucide et or.

Par lettre en date du 12 janvier 2018, la société CHRISTOFLE a mis en demeure la société [F] de cesser de commercialiser ses produits de forme ovoïde, et en particulier l'écrin à couvert dénommé « MAFALDA ».

La société CHRISTOFLE, soutenant que la vente de ces modèles est constitutive d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme, a attrait, par acte du 4 février 2019, la société GUSTI devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement rendu le 29 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société CHRISTOFLE de toutes ses demandes ;

- condamné la société CHRISTOFLE à verser à la société [F] la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- rappelé l'exécution provisoire de droit ;

- condamné la société CHRISTOFLE aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société CHRISTOFLE a interjeté appel de ce jugement le 18 janvier 2022.

La société [F] a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident tendant à voir juger irrecevables comme nouvelles en cause d'appel plusieurs demandes présentées par la société CHRISTOFLE. La société [F] s'est désistée de son incident et ce désistement a été accepté par la société CHRISTOFLE.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et transmises le 10 novembre 2023, la société CHRISTOFLE, appelante, demande à la cour de :

Vus les articles L.721-3 du code de commerce et 46 du code de procédure civile et l'article 7§2 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 (article 7§2),

Vu l'article 1240 (nouveau) et 1363 et suivants (nouveaux) du code civil,

Vu le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 29 novembre 2021,

- In limine litis :

- juger irrecevable la société [F] en son exception de procédure tendant à voir déclarer la cour d'appel de Paris territorialement incompétente,

- subsidiairement si la cour jugeait la société [F] recevable en son exception de procédure, juger la cour territorialement compétente pour connaître des demandes de la société CHRISTOFLE, et débouter la société [F] de ses prétentions contraires,

- in limine litis encore :

- débouter la société [F] de ses demandes tendant à voir déclarer la société CHRISTOFLE irrecevable en des demandes prétendument arguées de nouveauté en cause d'appel, en ce qu'elles tendraient prétendument à statuer sur l'intégralité du préjudice subi,

- débouter la société [F] de ses demandes tendant à voir déclarer la société CHRISTOFLE irrecevable en des demandes prétendument arguées de nouveauté en cause d'appel, en ce qu'elles tendraient prétendument à statuer sur la recevabilité à agir de la société CHRISTOFLE,

- au fond, à titre principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté [F] de la fin de non-recevoir qu'elle opposait aux justes demandes la société CHRISTOFLE,

- pour le surplus, réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :

- juger que la distribution et la promotion par [F] des produits MAFALDA, CATERINA, SERENA et POT-POURRI vendus sous sa marque, constituent des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la société CHRISTOFLE,

- en conséquence :

- ordonner à [F] de cesser de produire, commercialiser, distribuer et/ou faire la promotion, directement ou indirectement par l'intervention de tiers procédant de son fait, des produits MAFALDA, CATERINA, SERENA et POT-POURRI ainsi que de toute déclinaison desdits produits, et ce sous astreinte de 500 € par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner à [F] d'informer de l'arrêt intervenu, par courrier recommandé avec avis de réception, tous les distributeurs auxquels les produits litigieux ont déjà été vendus, et de faire retirer lesdits produits de la vente, [F] devant justifier de l'envoi de cette lettre dans un délai de 5 jours ouvrés à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 € par jour de retard passé ce délai,

- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir, pendant une période ininterrompue de 30 jours, d'une part sur la page d'accueil du site internet de [F] www.[07].it, et d'autre part, dans 5 journaux ou magazines au choix de la société CHRISTOFLE aux frais avancés de [F], sans que le coût de chaque insertion n'excède la somme de 5.000,00 € hors taxe, sous astreinte de 500 € par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner [F] à verser à la société CHRISTOFLE une somme globale de 500.000 € au titre des agissements parasitaires et de concurrence déloyale dont elle s'est rendue l'auteur et en réparation du préjudice ainsi causé à la société CHRISTOFLE,

- condamner [F] à payer à la société CHRISTOFLE une somme de 25.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, donc distraction au profit de Me HATET pour ceux la concernant,

- ordonner le remboursement par [F] à la société CHRISTOFLE de la somme de 8.000 € versée par cette dernière en exécution des condamnations prononcées par le jugement réformé au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et transmises le 4 janvier 2023, la société [F], intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

Vu le Règlement [Localité 14] II,

Vu l'article 1240 et suivants du code civil,

Vu les articles 46, 202 et 700 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

- in limine litis :

- déclarer la société CHRISTOFLE irrecevable en sa demande nouvelle tendant à statuer sur l'intégralité du préjudice subi comprenant celui résultant d'actes commis en dehors en dehors des limites du territoire national,

- déclarer la société CHRISTOFLE irrecevable en sa demande nouvelle tendant à statuer sur la recevabilité à agir de la société CHRISTOFLE,

- déclarer la cour d'appel de Paris territorialement incompétente pour connaître des actes commis en dehors des limites du territoire national,

- à titre principal :

- déclarer recevable et fondée la société [F] en ses demandes, et y faire droit,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau sur les demandes de la société [F] :

- dire la société [F] bien fondée en ses demandes et y faisant droit,

- condamner la société CHRISTOFLE à verser à la société [F] la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société CHRISTOFLE aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Eric ALLERIT, membre de la Selarl T.B.A, admis à se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les chefs non critiqués du jugement

La cour constate que le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [F] tirée de l'absence de droit à agir de la société CHRISTOFLE,

- rejeté également la demande de la société [F] tendant au rejet de plusieurs pièces de la société CHRISTOFLE.

Sur les demandes de la société CHRISTOFLE en concurrence déloyale et en parasitisme

Sur la matérialité des faits de concurrence déloyale et de parasitisme

La société CHRISTOFLE soutient qu'en lançant, en 2017, son produit « MAFALDA » et ses déclinaisons fin 2017, la société [F] a entendu se situer dans le sillage de sa collection « MOOD by CHRISTOFLE » pour capter indûment sa notoriété, outre celle de la marque CHRISTOFLE, et profiter ainsi des investissements très importants qui lui ont été consacrés. Elle fait valoir que sa collection « MOOD by CHRISTOFLE » est un produit inédit, novateur, décoratif et moderne, apportant une solution à une difficulté contemporaine liée à l'utilisation et au stockage des ménagères classiques trop volumineuses, qui augmente, de ce fait et de manière considérable, la désirabilité du produit et de la marque ; que la collection « MOOD by CHRISTOFLE » a été inspirée de produits CHRISTOFLE préexistants et déclinant le thème de l'oeuf mais qu'il n'existe aucun exemple, chez CHRISTOFLE ou chez ses concurrents, en 2015 comme aujourd'hui, de ménagères ou d'écrins comparables, au plan esthétique ou au plan conceptuel, d'un objet à la fois fonctionnel et décoratif ; que ce produit a nécessité des investissements importants et a accru la notoriété de la Maison CHRISTOFLE en suscitant de nombreux partenariats avec des personnalités du monde de la haute couture, de la musique et de la gastronomie ; que ces investissements massifs - un budget marketing de plus de 3 400 000 euros sur la période 2015/2019 - ont été couronnés de succès, puisque la collection « MOOD » a dégagé un chiffre d'affaires cumulé de 28.000.000 € sur la même période ; que l'intention parasitaire de [F] résulte (i) du fait qu'elle prétend avoir imaginé un « oeuf vide-poches » et non un écrin à couverts, ce qui se comprend dès lors que [F] ne distribue aucun couvert à son catalogue, (ii) du fait que la forme ovoïde choisie par CHRISTOFLE ne procède en aucun cas d'un impératif technique ou fonctionnel mais seulement d'un choix arbitraire esthétique, (iii) du fait qu'il n'existe aucun exemple antérieur d'un écrin à couverts sous cette forme, (iv) de la déclinaison du produit « MAFALDA » en une version dorée comme le « MOOD GOLD » de CHRISTOFLE, et ce, contre toute logique puisque la transparence du « cristal synthétique » et les couleurs vives, qui constituent la marque de fabrique de [F] et sur lesquelles cette société a basé sa communication, sont ainsi rendues totalement invisibles, (v) de la mise en avant par [F], non d'un simple récipient, mais ostensiblement d'un écrin à couverts faisant apparaître des couverts, (vi) du fait que fin 2017 et en 2018, au moment où CHRISTOFLE atteignait la plénitude de ses investissements marketing et de communication depuis plus de deux ans, [F] a saturé sa propre communication, dans les salons professionnels comme dans ses vitrines, avec l'image de son produit « MAFALDA », (vii) du fait que [F] a proposé de solder le litige en cessant de présenter le produit « MAFALDA » comme un écrin à couverts ou à argenterie, ce qui confirme qu'elle n'avait aucune ambition réelle de distribuer un écrin à couverts, le produit MAFALDA n'ayant donc pour raison d'être que d'exister dans le sillage de la collection « MOOD by CHRISTOFLE », (viii) du fait que le suivisme de [F] se poursuit au gré des campagnes menées par CHRISTOFLE pour promouvoir sa collection « MOOD by CHRISTOFLE » (en décembre 2021, lancement d'un écrin « MAFALDA » rouge après le lancement par CHRISTOFLE d'une version laquée rouge « MOOD RUBY »...).

La société CHRISTOFLE argue, par ailleurs, que les similarités volontairement entretenues par [F] à des fins parasitaires, entraînent en outre un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle qui, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, est de nature à profiter indument à [F], et en tous cas à préjudicier à CHRISTOFLE.

La société [F], soutient, s'agissant de la concurrence déloyale, que les différences de matière, de surface et de prix entre le produit « MAFALDA » et la ménagère « MOOD » de CHRISTOFLE suffisent à écarter le risque de confusion prétendu, ainsi que les premiers juges l'ont retenu ; qu'il en est de même en ce qui concerne les produits « CATERINA », « SERENA » et « POT-POURRI » de [F] qui ont, de surcroît, des fonctions différentes de celle de la ménagère « MOOD » ; qu'il est en effet impossible de confondre des oeufs en plastique commercialisés sous la marque « MARIO LUCA [F] [Localité 4] » avec un écrin exclusivement à couverts, en argent, cuivre, or rose ou à 24 carats proposé par la société CHRISTOFLE qui détient un savoir-faire d'orfèvre et est spécialisée dans le travail des métaux ; que [F] commercialise des produits en plastique multicolores créant un effet visuel de cristal ; que les sociétés ne sont pas en situation de concurrence ; que le fait que ses produits aient pu être commercialisés concomitamment aux produits de la collection « MOOD by CHRISTOLFE » n'est pas en soi constitutif d'un risque de confusion.

S'agissant du parasitisme, la société [F] argue que CHRISTOFLE ne rapporte pas la preuve d'une valeur économique individualisée de son produit dès lors qu'elle ne justifie d'aucun investissement de création, ni ne démontre l'existence d'investissements de communication et de marketing ; que n'est pas plus démontrée une faute intentionnelle de sa part dès lors que les à facette qu'elle a créés sont des créations originales inspirées du cadeau de mariage fait en 1992 par la comtesse de [Localité 12] à sa petite-fille, la princesse [R] [E], que pour créer les oeufs « MAFALDA », « CATERINA », « SERENA » et « POT-POURRI », elle s'est inspiré d'un oeuf appartenant à la famille d'[Localité 11] depuis des générations, que les oeufs à facettes ont été créés par [F] deux ans avant les dates revendiquées par l'appelante et sont inspirés par le cadeau de mariage précité, que le seul fait de commercialiser un produit en 2017 (deux ans après le produit « MOOD ») et non au moment de sa création en 2013, ne démontre en rien la recherche d'une économie au détriment de CHRISTOFLE mais relève d'une stratégie commerciale afin d'éviter la saturation du marché et s'explique en outre par le fait que M. [F] souhaitait utiliser l'oeuf « MAFALDA » dans le cadre d'un évènement organisé avec le maire de [Localité 4] de l'époque, dont le projet a été abandonné, que l'offre de produits dorés s'explique par le fait que [F] a depuis toujours utilisé des couleurs vives dans ses créations, y compris la couleur dorée, les oeufs litigieux s'inscrivant ainsi dans la continuité des produits [F], qu'elle n'a nullement repris les codes de communication de CHRISTOFLE ; qu'elle-même a consacré des investissements importants pour la promotion de l'oeuf « MAFALDA ».

Ceci étant exposé, la cour rappelle que la concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans l'article 1240 du code civil selon lequel 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer', doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas l'objet d'un droit de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou du service proposé, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

La caractérisation d'une faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel 1(Com., 7 septembre 2022, pourvoi n° 21-12.602 ; Com., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-20.504).

Par ailleurs, le parasitisme, également fondé sur l'article 1240 du code civil, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements. Il requiert la circonstance qu'à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Comme celle de concurrence déloyale, cette notion est appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par l'existence d'une captation parasitaire, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

Sur le parasitisme

La société CHRISTOFLE, qui est l'une des Maisons incarnant le luxe à la française, membre du Comité Colbert (ses pièces 2, 48), a lancé, en septembre 2015, une collection « MOOD by CHRISTOFLE », soit une ménagère en métal argenté présentée dans un écrin ovoïde, visant, selon l'appelante, au travers d'une pièce décorative de forme compacte et épurée, à moderniser les ménagères habituelles et à les rendre, dans un univers très haut de gamme, plus attirantes et plus fonctionnelles pour une nouvelle clientèle (ses pièces 3 et 4) :

La société [F] produit de nombreux exemples d'objets de forme ovoïde (ses pièces 23 à 28) qui sont des oeufs purement décoratifs (oeufs de Fabergé) ou des oeufs servant de porte-flacon de parfum, de porte-verres à liqueur, de caves à champagne, à whisky, à caviar, de présentoir pour de petits objets décoratifs, etc., et qui ne sont donc pas destinés à recevoir une ménagère, outre que certains de ces produits sont en verre ou en cristal et non pas en métal. Elle produit également la photographie d'un oeuf porte-couverts, ainsi que l'attestation en italien, traduite en anglais, de son propriétaire, de laquelle il ressort qu'il s'agit d'un jouet d'enfant (« I have inherited this egg from my mother ad it was one of her toys as a child, part of a doll kitchen set ») de la fin du 19ème siècle ou du début du 20ème siècle (sa pièce 32). La société intimée mentionne encore un oeuf en métal argenté apparaissant en arrière-plan dans une interview filmée de 1982 de [B] [J] de Savoie, qui aurait été offert à ce dernier comme cadeau de mariage (sa pièce 36), mais rien ne démontre qu'il s'agit d'un porte-couverts. La société CHRISTOFLE n'est donc pas utilement contredite quand elle affirme que sa ménagère présentée dans un écrin de forme ovoïde, quand bien même elle était inspirée de la forme d'un oeuf couramment utilisée comme contenant, et notamment de produits CHRISTOFLE préexistants déclinant le thème de l'oeuf (coquetier de 1860, oeuf de la paix de 1999, cadeau de naissance de 2007'), constituait, au moment de son lancement en 2015, un produit inédit.

La société CHRISTOFLE justifie que cette collection a fait l'objet d'une vaste communication et a connu une réelle notoriété : elle a été installée dans les boutiques de la Maison CHRISTOFLE et les vitrines de ses boutiques comme le produit iconique de la marque, aussi bien en France qu'à l'étranger (pièces 5, 8 et 12) ; elle a été récompensée par le prix de l'innovation EQUIP HOTEL 2016, catégorie « Art de la Table » (pièce 30) ; elle a été élargie au fil des années en plusieurs déclinaisons : « MOOD PRECIOUS » (couleurs cuivre et or rose) et « MOOD GOLD » (pièce revêtue d'or 24 carats) dès 2016, « MOOD COFFEE » (écrin plus petit et moins onéreux pour un set de 6 cuillères à expresso) en 2017 ; elle a donné lieu à des éditions exclusives par le biais de collaborations avec la Maison DIOR (« MOOD DIOR ») en mars 2016, avec [M] [L] (2018), avec le designer chinois CABBEEN en vue d'une déclinaison destinée au marché asiatique, avec [W] [G] (rappeur américain) et [C] [P] (chef cuisinier français) en 2019 (pièces 33, 10, 50, 11) ; elle a été également déclinée en une collection « MOOD SKYLINE » rendant hommage à des capitales étrangères ([Localité 12], [Localité 6], [Localité 9], [Localité 16]) (pièce 31) ; elle a fait l'objet de présentations et de commentaires dans la presse française et étrangère (revues de presse 2015/2018 ' pièces 13 à 16) et elle a donné lieu à une importante communication de la part de la société CHRISTOFLE sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram) (pièces 18, 32 et 51).

Le succès commercial de la collection « MOOD » est établi au vu d'une attestation d'expert-comptable mentionnant un chiffre d'affaires généré au cours de la période janvier 2015/ juin 2019 par les produits de ladite collection de 27 995 196 € sur les zones Brésil, Chine, « Geary's », Japon, Singapour et « Systems (hors retail Chine, Singapour, Japon) » (cette dernière zone incluant la France, selon la société CHRISTOFLE) (pièce 47).

La société CHRISTOFLE justifie en outre d'investissements conséquents en produisant une autre attestation d'expert-comptable faisant état de dépenses de marketing et communication consacrées à la collection « MOOD » d'un montant de 3 336 000 € au cours de la période janvier 2015/ juin 2019, dont 348 110 € pour la France (pièces 40 et 46). La pièce 17 de l'appelante fait état d'un montant moindre (2 457 033 €, dont 223 680 € pour la France), ce qui s'explique par le fait qu'elle porte sur une période plus courte (mai 2015/septembre 2018).

Il est ainsi démontré à suffisance que la collection « MOOD by CHRISTOFLE » constitue une valeur économique individualisée, fruit d'un savoir-faire, d'un travail de création et d'investissements.

Il est constant que l'oeuf « MAFALDA », litigieux en ce qu'il constitue, comme le produit « MOOD » de la société CHRISTOFLE, un porte-couverts, a été lancé par la société [F] en 2017, initialement dans une version en acrylique transparent et une version en acrylique doré :

Produit MAFALDA tel qu'apparaissant sur le site internet de la société [F] (pièce 20 CHRISTOFLE)

La société [F] se prévaut vainement de l'antériorité de son oeuf « MAFALDA » en produisant l'attestation de son président, M. [F], qui déclare que le processus de création de l'oeuf a commencé en 2013, inspiré principalement par un objet appartenant à l'une de ses connaissances, la princesse [R] [E], qui l'avait reçu en cadeau de mariage de sa grand-mère, la princesse d'[Localité 11] en 1992. L'oeuf évoqué dans cette attestation est, en effet, selon les propres mots de M. [F], « un vide-poches » et les croquis et, de fait, les photographies annexés à l'attestation ne font nullement apparaître plusieurs cavités destinées à recevoir des couverts telles qu'en comporte l'oeuf « MAFALDA » lancé en 2017.

La société [F] a annoncé sa présence sur les salons professionnels Maison & Objet de Paris et HOMI ([Localité 8]) de janvier 2018 au moyen de visuels mettant particulièrement en avant de l'oeuf MAFALDA lancé quelques mois auparavant (pièces 21 et 42 de l'appelante) :

La société CHRISTOFLE lui a alors adressé une lettre de mise en demeure en date du 12 janvier 2018 pour lui demander de cesser la commercialisation et la promotion de son produit. L'appelante produit l'attestation de Mme [Z], ancienne responsable marketing chez CHRISTOFLE, qui indique que lors du salon Maison & Objet de Paris de janvier 2018 auquel elle s'est rendue, le produit MAFALDA était présenté avec des salières et des poivriers, mais qu'une personne préposée sur le stand [F] lui avait indiqué spontanément qu'il s'agissait d'un présentoir à couverts.

Au cours de l'année 2018, la société [F] a communiqué, dans sa documentation commerciale et sur internet, en présentant littéralement le produit « MAFALDA » comme un « porte-couverts », celles des photographies qui le montrent fermé laissant au demeurant clairement voir, par transparence, des couverts disposés à l'intérieur (pièces 20, 23, 26, 27 (constat d'huissier), 37 et 41 CHRISTOFLE). Il n'est pas contesté que suite à une nouvelle mise en demeure de la société CHRISTOFLE en date du 7 juin 2018, la société [F], par courrier de son conseil du 18 juin suivant, a proposé de cesser de présenter le produit « MAFALDA » comme un écrin à couverts ou à argenterie. Elle a néanmoins persisté à mettre en avant un porte-couverts dans sa communication sur les réseaux sociaux (pièce 26). Le porte-couverts « MAFALDA » a été particulièrement mis en avant dans la communication de la société [F] comme cela ressort des deux visuels reproduits plus haut, mais également d'une grande affiche représentant sur toute sa surface les produits litigieux (les oeufs transparents fermés laissant apercevoir des couverts) présente au sein de l'aéroport de [Localité 4], des oeufs « MAFALDA » (un oeuf transparent et ouvert, garni de couverts ; l'autre doré, fermé) disposés dans la vitrine de la boutique [F] de [Localité 15] (pièce 23 appelante), d'articles dans la presse spécialisée (notamment, interview dans la revue de décoration Ideat (numéro consacré aux tendances de l'année 2019) dans laquelle le range-couverts « MAFALDA » est présenté par le dirigeant de la société [F] comme un « succès » - pièce 37 CHRISTOFLE) et de publications sur les réseaux sociaux.

La cour relève enfin que la version dorée de l'oeuf « MAFALDA », qui est opaque, se démarque du savoir-faire habituellement revendiqué par la société [F], basé sur l'utilisation à la fois d'un matériau imitant la transparence du cristal ou du verre, appelé « cristal synthétique », et de « couleurs très vives », ces caractéristiques reflétant « l'identité et l'esprit » de la Maison [F] (page 7 des conclusions de l'intimée), et que cette rupture dans les codes esthétiques de la société [F] accrédite la thèse de l'appelante selon laquelle cette dernière a entendu suivre également le « MOOD GOLD » revêtu d'or 24 carats sorti en 2016. La société [F] plaide qu'elle a toujours proposé des produits dorés en mettant au débat quelques visuels de produits mats dorés (ses pièces 19 à 19.2), mais pour lesquels il n'est pas permis de vérifier qu'ils appartiennent, comme elle l'affirme, à ses catalogues 2014 et 2015, antérieurs au lancement de la version dorée de « MAFALDA ».

L'ensemble de ces éléments conduit à considérer que la commercialisation de l'oeuf porte-couverts « MAFALDA » en 2017 par la société [F], alors que celle-ci prétend avoir créé un oeuf (qui n'est pas un range-couverts) dès 2013 et qu'elle ne proposait jusque là pas de couverts dans ses catalogues, visait à profiter du succès, pleinement avéré en 2017, de la collection « MOOD by CHRISTOFLE », engendré par le savoir-faire et les investissements de la société CHRISTOFLE, dont la ménagère de forme ovoïde, à la fois décorative et fonctionnelle, constituait un produit marquant une rupture dans le secteur des arts de la table.

L'intention parasitaire de la société [F] est ainsi établie.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a débouté la société CHRISTOFLE de ses demandes au titre du parasitisme.

Sur la concurrence déloyale

La société CHRISTOFLE soutient que les similarités volontairement entretenues par [F] à des fins parasitaires, entraînent en outre un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle. Elle fait valoir que le résultat de la recherche sur Google à partir des termes « range couverts oeuf » fait ressortir le produit « MAFALDA » avant-même le produit « MOOD by CHRISTOFLE » ; que les produits [F] sont commercialisés dans les mêmes grands magasins internationaux que les produits CHRISTOFLE (Lane Crawford à [Localité 5], [Localité 17] et [Localité 13], Bloomingdale à [Localité 10], Neiman Marcus aux États-Unis, Harrods à [Localité 6], Takashimaya à [Localité 18], le Bon marché à [Localité 12]) et présentés dans les mêmes grands hôtels internationaux (Four Seasons, etc..) ; que la circonstance que le matériau plastique du produit « MAFALDA » ne puisse être confondu avec le métal, argenté ou doré, du produit « MOOD By CHRISTOFLE » n'écarte pas le risque de confusion, ce risque résidant plus sûrement dans le fait qu'un client potentiel du produit « MOOD by CHRISTOFLE » décidera de ne pas l'acheter après avoir été mis au contact du produit « MAFALDA » de [F] (« un client déçu du matériau plastique du produit MARIO LUCA [F] qui lui serait présenté, ou même de l'existence d'un ersatz plastique, ne poursuivra pas sa démarche d'achat du produit onéreux car de très haute gamme MOOD by CHRISTOFLE »).

La société [F] demande la confirmation du jugement pour les motifs qu'il comporte.

La cour fait siens les justes motifs, en droit et en fait, par lesquels le tribunal a débouté la société CHRISTOFLE de ses demandes au titre de la concurrence déloyale, retenant que le risque de confusion n'était en l'espèce pas établi au regard des différences entre les produits « MAFALDA » et « MOOD » s'agissant des prix (l'oeuf « MAFALDA » de [F] est vendu 123 € alors que l'oeuf « MOOD » en métal argenté est vendu 1 100 € et le produit « MOOD COFFEE » (avec les petites cuillères) 330 €), des matières (acrylique / métal) et des « surfaces » (en ce que les oeufs de la collection « MOOD » ont une surface parfaitement lisse tandis que les oeufs de la société [F] présentent une découpe à facettes), ce risque de confusion étant encore moins démontré à l'égard des autres produits incriminés « CATERINA », « SERENA » et « POT-POURRI » qui ne sont pas des porte-couverts mais, respectivement, une salière/poivrier, une coupe à glace et un contenant pour pot-pourri. Il sera ajouté que l'argumentation de la société CHRISTOFLE selon laquelle le client potentiel du produit « MOOD by CHRISTOFLE » décidera de ne pas l'acheter après avoir été mis au contact du produit « MAFALDA » n'emporte nullement la conviction tant il est peu vraisemblable que les deux produits soient substituables dans l'esprit du client, la Maison CHRISTOFLE appartenant au secteur du luxe à la française au travers de son savoir-faire en matière d'orfèvrerie alors que la société [F], quand bien même elle se positionne sur un marché plutôt haut de gamme dans le secteur des arts de la table, est connue pour ses produits très colorés en « cristal synthétique ».

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les réparations

La société CHRISTOFLE soutient que la cour doit réparer l'entièreté de son préjudice, y compris au titre des faits commis hors de France ; qu'elle n'a nullement renoncé en première instance à obtenir la réparation de l'intégralité de son préjudice, y compris au titre de faits commis hors de France ; que l'exception d'incompétence soulevée en appel par la société [F] est irrecevable faute d'avoir été soulevée avant toute défense au fond ; qu'elle a engagé de lourds investissements de communication et de marketing pour le lancement, le développement et la promotion dans le monde entier de sa collection « MOOD by CHRISTOFLE » ; qu'à l'évidence, avec son produit « MAFALDA », [F] vise à capter indûment les bénéfices de ces investissements ; qu'en outre, la confusion générée par la proximité visuelle volontairement entretenue par [F] entre le produit « MAFALDA » et les produits « MOOD by CHRISTOFLE » a eu pour effet de banaliser la collection « MOOD by CHRISTOFLE » et de la dévaloriser aux yeux de son public naturel, qu'il s'agisse de la clientèle ciblée par les versions les plus exclusives de la collection (MOOD PRECIOUS, MOOD GOLD, MOOD FASHION), dont l'image luxueuse a été entamée par le produit MAFALDA et ses déclinaisons à bas coût, ou de la clientèle ciblée par la déclinaison MOOD COFFEE, plus accessible, destinée à l'univers du cadeau, dont l'intérêt aura forcément été dévalué par l'existence du produit litigieux situé dans une gamme tarifaire peu éloignée ; que ces banalisations valent également pour les futurs développements de la collection « MOOD by CHRISTOFLE », la préexistence des déclinaisons colorées du produit « MAFALDA » de [F], obérant par avance l'attractivité de futures déclinaisons et variations en teinte de la collection « MOOD by CHRISTOFLE » ; que l'atteinte portée à CHRISTOFLE touche plus globalement un des actifs les plus essentiels pour une société du domaine du luxe : ses codes de communication, qui permettent immédiatement au public de l'identifier ainsi que ses produits, et qui en l'espèce ont été dilués et dévalorisés pour permettre à [F] de bénéficier indûment du pouvoir attractif particulier de la collection « MOOD by CHRISTOFLE ».

La société [F] soulève in limine litis l'irrecevabilité des demandes de la société CHRISTOFLE en ce qu'elles tendent à obtenir réparation d'un préjudice qui résulterait de faits commis en dehors du territoire français et sont nouvelles en appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile, dès lors qu'à la lecture du jugement, de telles demandes ont été abandonnées oralement par CHRISTOFLE à l'audience de plaidoiries du tribunal de commerce. Subsidiairement, elle soulève l'incompétence territoriale de la cour pour connaître du préjudice résultant des actes commis en dehors du territoire français, faisant valoir qu'en application des dispositions du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la cour n'est compétente que pour connaître du dommage subi sur le territoire national. Sur le fond, elle fait valoir qu'elle a consacré d'importants investissements à la promotion de l'oeuf « MAFALDA » (4 430 587 € HT de frais engagés dans la création et la diffusion des produits pour la période 2013/2019) ; que les produits [F] ont acquis une excellente réputation auprès d'une clientèle variée de particuliers et de professionnels, sont exposés dans les hôtels et grands magasins et ont également été exposés dans des films, des événements cinématographiques et télévisuels en tant qu'investissements publicitaires ; qu'il ressort de la pièce adverse 47 que CHRISTOFLE n'est pas en mesure de justifier du chiffre d'affaires qu'elle aurait généré sur le territoire français avec les produits de la collection MOOD ; que CHRISTOFLE ne justifie ni de la perte de parts de marché, ni de la baisse de résultat consécutive au lancement du produit « MAFALDA » et de ses déclinaisons, à compter de novembre 2017, ni d'une captation de clientèle, ni de consommateurs trompés par le risque de confusion allégué ; que l'appelante ne justifie pas davantage d'une perte de rentabilité de ses investissements, alors qu'elle s'est vantée d'un succès portant sur la collection « MOOD » ; qu'elle ne justifie pas plus d'une baisse des ventes qui pourrait démontrer un préjudice causé par la banalisation ou dévalorisation du produit « MOOD » ; qu'au contraire, elle revendique un succès manifesté par un chiffre d'affaires cumulé de 28 000 000 euros ; que, de fait, chaque société ayant sa propre image, les produits de la collection « MOOD » de CHRISTOFLE n'ont pu être banalisés ou dévalorisés par ceux de la société [F] ; qu'en tout état de cause, la somme réclamée est disproportionnée au regard du chiffre d'affaires réalisé en France avec le produit « MAFALDA » (19 435, 27 euros HT pour la période du novembre 2017 au 31 décembre 2019) et du fait que le montant alloué au titre d'un préjudice subi par CHRISTOFLE ne saurait en toute hypothèse excéder le bénéfice réalisé par [F].

Sur l'irrecevabilité des demandes de la société CHRISTOFLE portant sur la réparation d'un préjudice résultant de faits commis hors de France et, subsidiairement, sur la compétence de cette cour pour en connaître

Pour soutenir que les demandes de réparation de la société CHRISTOFLE se rattachant à des faits commis hors de France sont nouvelles en cause d'appel, et partant irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile, la société [F] prétend que ces demandes ont été abandonnées en première instance, ainsi que l'indique le jugement dont appel.

Cependant, la société CHRISTOFLE établit qu'en première instance, la société [F] avait d'abord conclu à l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris (conclusions [F] n°1) avant de renoncer à cette exception d'incompétence (conclusions récapitulatives [F]). Elle expose qu'elle-même ayant maintenu, à toutes fins, ses écritures tendant à faire constater la compétence du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur ses demandes, elle a pris acte, lors de l'audience, sur l'invitation du tribunal, de ce que l'exception d'incompétence n'était plus soutenue par la défenderesse et de ce qu'il n'y avait donc plus lieu pour elle de solliciter de voir « constater la compétence territoriale et matérielle du le tribunal de commerce de Paris pour statuer sur la demande de la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE », ce qui explique la mention du jugement selon laquelle elle a abandonné oralement lors de l'audience cette demande. Les explications de la société CHRISTOFLE étant corroborées par les écritures de première instance de la société [F] qu'elle fournit, il ne peut être considéré qu'elle a renoncé en première instance à obtenir réparation de son préjudice en ce qu'il résulterait d'actes de concurrence déloyale et parasitaire commis en dehors du territoire français. Il s'en déduit que ses demandes en ce sens ne sont pas nouvelles en appel et sont donc recevables. La demande d'irrecevabilité de la société [F] sera rejetée.

Il se déduit de ce qui précède, la société [F] ayant renoncé en première instance à soulever l'incompétence du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur les demandes, notamment de réparation, de la société CHRISTOFLE, qu'elle est désormais irrecevable à soulever en appel cette incompétence, et ce en application de l'article 74 du code de procédure civile qui dispose que les exceptions (de procédure, dont font partie les exceptions d'incompétence) doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Sur le fond

La cour rappelle que lorsque les effets préjudiciables, en termes de trouble économique, d'actes de concurrence déloyale (au sens large, en ce compris les actes de parasitisme) sont particulièrement difficiles à quantifier, ce qui est le cas de ceux consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent - tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent pour celui-ci un avantage concurrentiel -, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes.

En l'espèce, comme il a été dit, la société CHRISTOFLE justifie d'investissements de marketing et communication consacrées à la collection « MOOD » à hauteur de 3 336 000 € au cours de la période janvier 2015/ juin 2019, dont 348 110 € pour la France (ses pièces 40 et 46).

La circonstance que la société [F] a elle-même investi dans la promotion et la communication consacrées au produit « MAFALDA », à hauteur de 4 430 587 € pour la période 2013/2019 - montant qui doit donc être relativisé en ce qu'il porte sur une période beaucoup plus large que celle correspondant à la seule promotion du produit litigieux, qui n'a été commercialisé qu'à compter de la fin de l'année 2017, alors qu'il a été dit que l'oeuf créé en 2013, selon l'attestation de M. [F], n'était pas destiné à être un porte-couverts mais un « vide-poches » -, ne saurait en tout état de cause écarter le parasitisme, l'appropriation du résultat des frais engagés par la société CHRISTOFLE pour la promotion de sa collection « MOOD » ayant, à tout le moins, permis à la société [F] de réaliser des économies sur le budget consacré au développement de ses propres produits, ce qui constitue un avantage indu.

Comme il a été dit, la société CHRISTOFLE a réalisé un chiffre d'affaires de 27 995 196 € au cours des exercices 2015/2019 sur ses collections MOOD, dont 22 968 581 € sur une zone dite « Systems (hors retail Chine, Singapour, Japon) » incluant notamment la France (pièce 47).

La société [F] fournit une attestation d'expert-comptable indiquant qu'elle-même a réalisé un chiffre d'affaires de 19 435,27 € avec les ventes du produit « MAFALDA » et ses déclinaisons pour la période novembre 2017/fin décembre 2019, en France. Le chiffre d'affaires pour les autres pays du monde n'est pas fourni mais il résulte des pièces versées au dossier que la société [F], société italienne, outre une boutique en France située à [Localité 15], dispose de plusieurs boutiques en Italie ([Localité 4], [Localité 8], [Localité 14], Ile d'Elbe') et commercialise ses produits sur internet. Un article de Fashion Network de septembre 2018 indique que la société vend également ses produits aux Etats-Unis, en Europe, au Moyen-Orient, en Turquie, au Japon et en Australie, ainsi qu'au Nigeria, au Maroc et en Afrique du Sud, la marque étant distribuée dans plus de 1 000 « magasins continents ». Comme il a été dit, le produit « MAFALDA » est présenté par la société [F] elle-même comme un « succès ».

Aucun élément n'est fourni par les parties quant aux taux de marge brute pratiqués sur les produits considérés.

Malgré les différences constatées entre les produits en litige, qui tiennent essentiellement au fait que les produits CHRISTOFLE se situent résolument dans le secteur du luxe (ainsi, le produit « MOOD by CHRISTOFLE » est vendu 1 100 €, le « MOOD GOLD » 11 500 €), ce qui n'est pas le cas des produits [F] beaucoup plus accessibles (le produit « MAFALDA » est vendu 123 €), les actes de parasitisme ont entraîné une certaine banalisation de la collection « MOOD », du fait que le produit de rupture de la société CHRISTOFLE, à savoir une ménagère présentée dans un objet ovoïde décoratif, fruit d'un savoir-faire et d'investissements qui ont été en partie détournés, existe aussi désormais proposé par la société [F], y compris dans une gamme de prix peu éloignée, le produit CHRISTOFLE « MOOD COFFEE » étant proposé au prix de 330 €.

Au vu de ces éléments, la cour retiendra que le préjudice subi par la société CHRISTOFLE du fait des agissements parasitaires constatés sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts.

Il ne sera pas fait droit à la demande d'interdiction sollicitée, la faute ayant consisté pour la société [F] à profiter du savoir-faire et des investissements de la société CHRISTOFLE pour lancer et promouvoir son produit « MAFALDA » diffusé à compter de 2017 étant désormais consommée et le préjudice en résultant étant réparé par les dommages et intérêts alloués par le présent arrêt.

Pour cette raison, le préjudice de la société CHRISTOFLE étant suffisamment réparé, il ne sera pas fait droit au surplus des demandes de réparation (information des distributeurs aux fins de retrait de la vente des produits litigieux, publication).

Sur la demande de remboursement de la société CHRISTOFLE des sommes versées en exécution du jugement

Le présent arrêt, infirmatif du jugement déféré, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution de ce jugement, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande formée par la société appelante de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société [F], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me HATET pour ceux la concernant, ce dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant infirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société [F] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société CHRISTOFLE peut être équitablement fixée à 25 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et ce, pour la première instance et l'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Dit recevable l'ensemble des demandes présentées en appel par la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE,

Dit que la société MARIO LUCA [F] PETERICH est irrecevable à soulever en appel l'incompétence de la cour d'appel de Paris pour connaître des demandes de la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE tendant à la réparation de son préjudice en ce qu'il résulterait de faits commis hors de France,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société MARIO LUCA [F] PETERICH tirée de l'absence de droit à agir de la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE, rejeté la demande de la société [F] tendant au rejet de plusieurs pièces de la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE et débouté la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE de ses demandes au titre de la concurrence déloyale,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que la société MARIO LUCA [F] PETERICH a commis des actes de parasitisme au préjudice de la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE,

Condamne la société MARIO LUCA [F] PETERICH à payer la somme de 100 000 € à la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

Condamne la société MARIO LUCA [F] PETERICH aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me HATET, pour ceux la concernant, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société MARIO LUCA [F] PETERICH à payer à la société ORFEVRERIE CHRISTOFLE la somme de 25 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes plus amples ou contraires.