Livv
Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 28 mai 2024, n° 23/04413

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Martin de la Moutte, Mme Norguet

Avocat :

Me Dejean

CA Toulouse n° 23/04413

27 mai 2024

Faits et procédure :

Le 8 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulouse a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de [R] [Z], agriculteur à Longages (31) en désignant la Selas Egide, prise en la personne de [I] [S] en qualité de mandataire judiciaire. La date de cessation des paiements a été fixée au 1er septembre 2022.

La date de cessation des paiements a été refixée au 8 mai 2021 par jugement du tribunal judiciaire du 11 avril 2023.

Le 23 mai 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse a ordonné le renouvellement de la période d'observation pour une durée de 6 mois à compter du 9 mai 2023, soit jusqu'au 8 novembre 2023 et renvoyé l'affaire pour nouvel examen à l'audience du 10 octobre 2023.

Par requête en date du 28 septembre 2023, la Selas Egide a sollicité la conversion de la procédure en liquidation judiciaire.

Le 6 octobre 2023, [R] [Z] a sollicité du procureur de la République son accord pour qu'il soit procédé à une prolongation exceptionnelle de la période d'observation.

Par mention au dossier du 6 octobre 2023, le procureur de la République, s'appuyant sur le rapport déposé par le mandataire judiciaire le 15 septembre 2023, a émis un avis défavorable à cette prolongation exceptionnelle sollicitant la conversion en liquidation judiciaire du redressement ouvert au bénéfice de [R] [Z].

La mandataire judiciaire a souligné le montant du passif dans son rapport pour indiquer que le redressement de l'entité ne lui paraissait pas possible.

Après renvoi de l'audience au 14 novembre 2023, le conseil de [R] [Z] a fait part de nouvelles propositions de plan de redressement et sollicité à nouveau une prolongation exceptionnelle de la période d'observation, à laquelle le Ministère Public s'est à nouveau opposé par écrit.

Le mandataire judiciaire a déposé un nouveau rapport le 30 octobre 2023 dans lequel il évaluait le passif à une somme comprise entre 368 000 euros et 447 000 euros outre les intérêts. La situation comptable annuelle au 31 novembre 2022 était déficitaire et le débiteur avait effectué des prélèvements personnels excédant les capacités de l'exploitation.

[R] [Z] présentait un plan de redressement se déroulant sur 11 ans s'appuyant sur une transformation intégrale de son mode de production et la recherche d'un emploi d'appoint à l'extérieur. Il avançait pouvoir réaliser une vente possible de terres en 2029 pour 70 000 euros.

Le mandataire judiciaire a émis un avis réservé sur les perspectives de redressement découlant du plan proposé mais ne s'est pas opposé à une prolongation exceptionnelle de la période d'observation, tout comme le juge commissaire dans son rapport du 8 novembre 2023.

Par jugement du 12 décembre 2023, le tribunal, tirant les conséquences de l'absence de demande du procureur de la République aux fins de prolongation exceptionnelle de la période d'observation, a converti la procédure de redressement judiciaire de [R] [Z] en liquidation judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 8 mai 2023 et désigné la Selas Egide, en la personne de Me [C] [X] en qualité de mandataire liquidateur.

Par déclarations en date du 20 décembre 2023 et du 18 janvier 2024, [R] [Z] a relevé appel du jugement du tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de le voir réformé en intégralité.

La jonction des deux numéros RG correspondant aux deux déclarations d'appel sous le seul numéro de RG 23-4416 a été ordonnée le 22 mars 2024.

L'ordonnance de clôture a été rendue en date du 29 avril 2024.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 6 février 2024, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, et dans lesquelles [R] [Z] sollicite :

l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la conversion de la procédure de redressement judiciaire de [R] [Z] en liquidation judiciaire, statuant à nouveau, que soit ordonnée la poursuite de l'activité de [R] [Z], que soit ordonnée la prorogation exceptionnelle de la période d'observation pour 6 mois supplémentaires, qu'il soit statué ce que de droit quant aux dépens de l'instance.

Malgré une signification régulière des conclusions de l'appelant par voie d'huissier, délivrée à personne morale le 20 février 2024, la Selas Egide n'a pas constitué avocat et n'a pas conclu.

Dans son avis notifié par RPVA le 22 mars 2024, le Ministère Public sollicite l'infirmation de la décision rendue et la prolongation exceptionnelle de la mesure de redressement judiciaire prononcée le 8 novembre 2022 au bénéfice de [R] [Z] en considérant comme réelles les perspectives de redressement faites par le débiteur sur la base du plan défini par l'expert agricole.

MOTIFS

Sur la prolongation exceptionnelle du redressement judiciaire de [R] [Z]

Aux termes des articles L. 621-3 et L. 631-7 du code de commerce, le jugement de redressement judiciaire ouvre une période d'observation d'une durée maximale de 6 mois,qui peut être renouvelée une fois, pour une durée maximale de 6 mois, par décision motivée à la demande de l'administrateur, du débiteur ou du ministère public. La durée maximale de la période d'observation mentionnée au premier alinéa de l'article L. 621-3 peut être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République par décision spécialement motivée du tribunal pour une durée maximale de six mois.

La cour rappelle qu'en première instance, le mandataire judiciaire a émis un avis réservé sur les perspectives de redressement découlant du plan proposé mais ne s'est pas opposé à une prolongation exceptionnelle de la période d'observation, tout comme le juge commissaire dans son rapport du 8 novembre 2023.

Le mandataire ne s'est pas constitué et n'a pas conclu à hauteur d'appel.

Le projet de plan de redressement produit par [R] [Z] s'appuie sur une analyse technique de l'expert agricole [B] [N], lequel recommande la réorientation du type d'exploitation exercé par [R] [Z] vers une agriculture biologique. Dans sa note complémentaire du 8 décembre 2023, l'expert appuie le plan de redressement de [R] [Z] sur « la mise en place d'une culture pluriannuelle génératrices d'aides PAC très importantes » découlant du placement de la commune de [Localité 3] en « zone de captage prioritaire pour l'eau potable » en 2023 et une politique importante d'aides à la réorientation des agriculteurs conventionnels situés sur ce secteur.

L'expert indique que la réception de ces aides permettrait à [R] [Z] sur les 5 premières années de la réorientation de son exploitation de se garantir un revenu, à la condition de trouver une activité complémentaire annexe, et d'assurer un dégagement de résultats non tributaires des aléas climatiques ou des erreurs humaines et ne nécessitant ni achat, ni location de matériel pour l'exploitant, lui permettant donc un remboursement assuré du plan sur ces mêmes premières années.

Le prévisionnel produit sur 12 ans par [B] [N] conclut à la possibilité de rembourser un passif de 439 102 euros, étant rappelé que dans son rapport de situation au 30 octobre 2023, le mandataire a évalué le passif de l'exploitation à une somme comprise entre 368 000 euros et 447 000 euros outre les intérêts. Malgré cela, l'expert prévoit le dégagement d'une trésorerie de 293 449 euros sur la même période afin de parer à tout imprévu, notamment fiscal.

[R] [Z] indique avoir commencé à mettre en place ces recommandations en recourant à l'assolement et à l'augmentation du nombre de ses parcelles dédiées à la luzerne et à l'herbe. Ce faisant, il dit avoir déjà constaté une réduction de ses charges opérationnelles de presque la moitié.

La comptabilité versée par [R] [Z] au titre de l'exercice clos au 30 novembre 2023 montre une amélioration de sa situation comptable et financière avec un résultat positif de 23 401 euros et un EBE de 19 160 euros (contre -50 082 euros et ' 44 364 euros en fin d'exercice 2022). La cour note qu'il a diminué drastiquement les prélèvements privés opérés sur l'exploitation (-8 812 euros contre ' 203 436 euros à fin 2022). Le fonds de roulement et la trésorerie nette globale restent cependant encore négatifs en fin d'année 2023 même si la trésorerie nette s'établit à 35 583 euros.

En cause d'appel, le Ministère Public demande la prolongation exceptionnelle de la période d'observation du redressement judiciaire de [R] [Z] au vu des perspectives réelles de redressement de l'exploitation.

Il s'ensuit que le redressement de [R] [Z] n'est pas manifestement impossible et qu'un plan par voie de continuation doit pouvoir être mis en place. Le jugement ayant prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire sera donc infirmé, sauf en ce qu'il a ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.

En application de l'article L. 661-9 du code de commerce, la cour ouvrira une nouvelle période d'observation de trois mois afin de renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Toulouse en vue de permettre la poursuite des opérations de redressement, l'élaboration d'un plan et la consultation des créanciers.

Sur les frais irrépétibles,

Les dépens de la présente instance sont passés en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

Vu les réquisitions en ce sens de Monsieur L'Avocat général,

Dit n'y avoir lieu de prononcer la liquidation judiciaire de l'exploitation de [R] [Z],

Vu l'article L. 661-9 du code de commerce, ouvre une nouvelle période d'observation de trois mois à compter du présent arrêt,

Maintient la désignation des organes de la procédure,

Renvoie les parties et l'affaire devant le tribunal judiciaire de Toulouse pour la poursuite des opérations de redressement judiciaire, notamment l'adoption d'un plan de redressement qui, après circularisation aux créanciers de la procédure, devra lui être soumis dans les plus brefs délais,

Dit que les dépens d'appel seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.