CA Reims, 1re ch. civ., 28 mai 2024, n° 23/00768
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Actiretraite (SAS)
Défendeur :
Conectia Telecom (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mehl-Jungbluth
Conseillers :
Mme Maussire, Mme Mathieu
Avocats :
Me Legras, Me Pitoun, Me Lacroix, Me Bailleul, Me Belaud
La société Actiretraite [Localité 5] exploite un EHPAD à [Localité 5] (Aube).
La société Conectia Telecom, anciennement Convercom-Convertel, a notamment pour activité la location aux entreprises de matériels téléphoniques ainsi que leur maintenance.
Par acte d'huissier délivré le 30 novembre 2022, la société Conectia Telecom a fait assigner la société Actiretraite [Localité 5] devant le tribunal de commerce de Troyes aux fins de la voir condamner au paiement de deux factures datées du 10 juin 2022 (l'une pour le matériel fourni et les prestations d'installation pour un montant de 17 766 euros et l'autre pour l'indemnité de résiliation anticipée du contrat pour un montant de 8 380,80 euros) outre des frais irrépétibles.
La défenderesse n'a pas comparu.
Par jugement réputé contradictoire du 14 mars 2023, le tribunal a :
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia Telecom la somme de 26 146,80 euros ttc assortie des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 6 septembre 2022,
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia Telecom la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] aux dépens.
Par déclaration reçue le 5 mai 2023, la société Actiretraite [Localité 5] a formé appel de ce jugement.
Une proposition de médiation a été faite aux parties mais seule l'appelante y a répondu favorablement.
Par conclusions notifiées le 1er août 2023, la société Actiretraite [Localité 5] demande à la cour de :
Vu le jugement du tribunal de commerce de Troyes du 14 mars 2023,
Vu les articles 31, 32, 48, 90 et 122 du code de procédure civile,
Vu les articles 1199 et 1156 du code civil,
Vu l'article L. 441-9 du code de commerce,
Vu l'article 242 nonies A du code général des impôts,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les explications qui précèdent et les pièces versées aux débats,
- dire et juger la société Actiretraite [Localité 5] recevable et bien fondée en ses demandes,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Troyes du 14 mars 2023 des chefs suivants :
- constaté le défaut de la société Actiretraite [Localité 5],
- reçu la société Conectia Telecom en ses demandes et la déclare bien fondée,
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia Telecom la somme en principal de 26 146,80 euros ttc assortie des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 6 septembre 2022,
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia Telecom la somme 1 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Actiretraite [Localité 5] aux entiers dépens de l'instance,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 60.22 euros dont 10.04 euros de tva ;
Exposé du litige
Et statuant à nouveau,
- déclarer incompétent le tribunal de commerce de Troyes,
En conséquence,
- déclarer la cour d'appel de Reims incompétente,
- renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Paris en application de l'article 90 du code de procédure civile,
- juger irrecevables les demandes de la société Conectia Telecom, faute de droit à agir contre la société Actiretraite [Localité 5] en application des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile,
- débouter la société Conectia Telecom de l'intégralité de ses prétentions, fins et demandes,
- débouter la société Conectia Telecom de toutes demandes plus amples ou contraires,
- condamner la société Conectia Telecom à payer la société Actiretraite [Localité 5] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Conectia Telecom aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 24 octobre 2023, la société Conectia Telecom demande à la cour de :
Vu les articles 1104, 1156 et 1242 du code civil,
Vu les éléments produits aux débats,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Troyes du 14 mars 2023,
- se déclarer compétente pour statuer sur le présent litige,
- débouter la société Actiretraite [Localité 5] de toutes ses demandes, fins de non- recevoir, fins et conclusions,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- condamner la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia la somme de 5000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Motivation
MOTIFS DE LA DECISION :
1° L'exception d'incompétence soulevée par la société Actiretraite [Localité 5]:
L'article 42 du code de procédure civile dispose que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
Aux termes de l'article 43 du même code, le lieu où demeure le défendeur s'entend pour une personne morale du lieu où celle-ci est établie.
Une partie peut renoncer unilatéralement à la clause attributive de juridiction malgré l'opposition de son cocontractant dès lors que cette clause est stipulée dans son seul intérêt (com 14 juin 2016 n° 15-11.338).
L'appelante soutient in limine litis que le tribunal de commerce de Troyes et par conséquent la cour d'appel de Reims sont terrorialement incompétents dans la mesure où le contrat de vente prévoit dans ses conditions générales que le tribunal de commerce du Val de Marne est seul compétent pour connaître du litige et qu'il en est de même pour le contrat de maintenance qui donne compétence au tribunal de commerce du lieu d'établissement du fournisseur soit le tribunal de commerce de Créteil.
La clause attributive de compétence territoriale prévue dans les contrats est stipulée dans le seul intérêt de la société Conectia et elle pouvait donc y renoncer en assignant la société Actiretraite [Localité 5] devant le tribunal de commerce de Troyes, juridiction naturelle de la défenderesse en raison du lieu où celle-ci est établie.
L'exception d'incompétence doit par conséquent être écartée.
2° L'irrecevabilité à agir de la société Conectia soulevée par la société Actiretraite [Localité 5] :
L'article 32 du code de procédure civile dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Aux termes de l'article 1156 du code civil, l'acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
Lorsqu'il ignorait que l'acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité.
L'inopposabilité comme la nullité de l'acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représentant l'a ratifié.
L'appelante soutient que la société Conectia Telecom est irrecevable à agir à son encontre dès lors que :
- le devis et le contrat de maintenance dont se prévaut Conectia sont adressés à «MAISON DU PAYS » et signés par « MAISON DE RETRAITE » sans aucun «cachet»,
- le devis et le contrat de maintenance dont se prévaut Conectia sont signés
« électroniquement » par Madame [X] [I], qui n'a pas le pouvoir pour représenter la société Actiretraite [Localité 5] ni engager la société Actiretraite [Localité 5] auprès des tiers, laquelle ne les a jamais ratifiés ni acceptés (pièce n°4),
- les factures n°260082 du 10 juin 2022 d'un montant de 17 766 euros ttc au titre de la fourniture et mise en service de matériel et n°260083 du 10 juin 2022 d'un montant de 8 380,80 euros ttc sont libellées au nom de « MAISON DE RETRAITE», (pièces n°3, n°8 et n°9),
- la mise en demeure du 7 juillet 2022 est adressée à « BRIDGE GROUPE », société radiée depuis le 24 septembre 2020.
L'intimée lui oppose à juste titre qu'elle ne peut sans se contredire soulever une exception d'incompétence sur le fondement des conditions générales acceptées, reconnaissant ainsi expressément être liée contractuellement à la société Conectia, et dans un second temps affirmer qu'elle ne serait pas son cocontractant.
Il convient néanmoins de répondre à l'argumentaire développé par l'appelante à l'appui de sa fin de non-recevoir.
Tout d'abord, il y a lieu de relever qu'aux termes de l'extrait kbis versé aux débats, le nom commercial d'Actiretraite [Localité 5] est la Maison du Pays de [Localité 5], que la société en cause est un établissement accueillant des personnes âgées et qu'elle est donc une maison de retraite, peu important que tous ces noms soient alternativement utilisés dans les documents contractuels dès lors qu'il n'existe aucune incertitude sur l'identité de la débitrice et sur son lieu d'établissement (elle est domiciliée [Adresse 1] à [Localité 5]).
Par ailleurs, il est indifférent qu'aucun cachet ne figure sur les contrats de fourniture de matériel et de maintenance qui ont été signés, l'apposition d'un tampon ne valant pas signature d'un contrat.
Enfin, les documents ont été signés le 17 décembre 2021 par Mme [I], qui est la directrice de l'EHPAD, sa signature en ayant été authentifiée.
Les parties sont en relations d'affaires depuis 2013 ; les contrats précédents, qui ont été exécutés sans difficultés pendant plusieurs années, ont été souscrits par la société Actiretraite [Localité 5] et la maison de retraite de [Localité 5] les 21 juin et 27 novembre 2013 et ils ont été signés par le directeur de l'époque M. [S], de sorte que la société Conectia pouvait légitimement croire que Mme [I] en sa qualité de directrice comme l'était à l'époque M. [S] avait le pouvoir d'engager la société Actiretraite [Localité 5].
Cette croyance légitime en ce qu'elle apparaît raisonnable par la société Connectia en un mandat apparent qui est source de droit pour elle étant suffisamment démontrée par la qualité de la personne s'étant engagée pour le compte de cette société - elle est à la tête de l'établissement - ainsi que par l'ancienneté des relations d'affaires unissant les parties, la société Conectia, qui était donc dispensée de vérifier les limites exactes de ses pouvoirs, justifie de son droit à agir à l'encontre de la société Actiretraite [Localité 5].
3° L'exécution des contrats :
L'appelante soutient que les contrats lui sont inopposables dans la mesure où :
- il y a une absence de signature du devis et du contrat de maintenance par la société Actiretraite [Localité 5], les documents ayant été adressés à "MAISON DU PAYS" et signés par "[X] [I]" pour "MAISON DE RETRAITE" sans qu'aucun cachet commercial ne soit apposé ni la qualité du signataire précisée, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'elle est tiers au contrat,
- Mme [I] est dépourvue de pouvoir pour représenter la société Actiretraite [Localité 5], celle-ci étant la directrice de l'EHPAD la Maison du Pays de [Localité 5] et non la représentante légale de la société Actiretraite [Localité 5] qui est seule représentée par son président, la société Bridge E.N.G (article 1156 du code civil).
Il a été jugé que Mme [I], directrice de l'établissement, a valablement engagé son représenté, la société Actiretraite [Localité 5] en vertu de la théorie du mandat apparent.
Les contrats conclus par le mandataire apparent doivent être exécutés par le prétendu mandant et tous leurs effets sont par conséquent opposables à ce dernier.
Il est relevé au surplus que la SARL Actiretraite [Localité 5]-Maison du Pays a accusé réception sans réserve du matériel le 4 février 2022, qu'elle l'a par conséquent accepté et qu'elle a utilisé les installations téléphoniques à compter de leur mise en service et ce jusqu'au 6 octobre 2022 (pièces n° 4 et 12) manifestant ainsi à tout le moins sa volonté d'exécuter le contrat jusqu'à ce qu'elle conteste avec une certaine incohérence sa qualité de cocontractante le 21 mars 2022.
* La facture n° 260082 du 10 juin 2022 pour un montant de 17 766 euros :
Cette facture, qui correspond au matériel téléphonique, a été adressée à la Maison de retraite de [Localité 5], dont la dénomination correspond à celle de la société Actiretraite [Localité 5] ; elle est conforme aux dispositions de l'article
L 441-9 du code de commerce, et elle est restée impayée malgré plusieurs mises en demeure régulièrement adressées à l'établissement les 6 septembre et 25 octobre 2022, peu important dès lors qu'une mise en demeure ait été adressée le 7 juillet 2022 à une société radiée, la société Bridge Groupe à [Localité 4].
La décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Actiretraite [Localité 5] au paiement de cette facture.
* La facture n° 260083 du 10 juin 2022 pour un montant de 8 380,80 euros :
Cette facture correspond au montant de l'indemnité due au titre de la résiliation anticipée du contrat de maintenance du matériel téléphonique.
L'appelante soutient que son courrier de contestation du 21 mars 2022 ne peut être considéré comme une résiliation anticipée et que la clause n° 11 du contrat de maintenance tel que visée par le tribunal ne prévoit pas en tout état de cause d'indemnité pour résiliation anticipée.
Sur le premier point, il ressort de l'examen de ce courrier (sa pièce n° 4) que la société Actiretraite [Localité 5] ne se considère pas comme étant engagée à l'égard de la société Conectia, ce qui s'entend comme une volonté de ne pas exécuter le contrat et par conséquent comme une demande implicitement mais nécessairement contenue de résiliation anticipée du contrat de maintenance adossé au contrat principal.
Par ailleurs, c'est par une simple erreur de plume que le tribunal a visé l'article 11 des conditions générales du contrat de maintenance puisque c'est l'article 14 des mêmes conditions et plus particulièrement l'article 14-2 qui prévoit l'indemnité de résiliation anticipée du contrat.
La facture est par conséquent également due à ce titre.
La décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Actiretraite [Localité 5] au paiement de cette facture.
4° L'article 700 du code de procédure civile :
La décision sera confirmée.
Succombant en son appel, la société Actiretraite [Localité 5] ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.
L'équité commande en revanche qu'il soit alloué à la société Conectia la somme de 2 000 euros.
5° Les dépens :
La décision sera confirmée.
La société Actiretraite [Localité 5] sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Rejette l'exception d'incompétence soulevée par la société Actiretraite [Localité 5].
Déclare recevables les demandes formées par la société Conectia à l'encontre de la société Actiretraite [Localité 5].
Confirme le jugement rendu le 14 mars 2023 par le tribunal de commerce de Troyes en toutes ses dispositions.
Y ajoutant ;
Condamne la société Actiretraite [Localité 5] à payer à la société Conectia la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Actiretraite [Localité 5] de sa demande formée à ce titre.
Condamne la société Actiretraite [Localité 5] aux dépens de l'instance d'appel.