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Décisions

CA Rennes, 1re ch. civ., 27 mai 2024, n° 12/06442

RENNES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Grenke Location (Sté)

Défendeur :

Association départementale des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ferali

Conseillers :

M. Le Mercier, M. Martinez

Avocats :

Me De Fremond, Me Petit

TGI Rennes, du 1er févr. 2016

1 février 2016

FAITS ET PROCEDURE

Suivant un contrat de location de matériel (pièce n° 1 demandeur) signée le 28 janvier 2011 par M. [Z] [I], en sa qualité de directeur du « foyer [6] », établissement de l’association départementale des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine (l’ADIMC 35), la société Group Solvensys (la société Solvensys) a fourni du matériel de vidéosurveillance composé de 4 dômes extérieurs de marque Axis, 11 caméras de marque Axis, 2 « Axis station », 14 radars longue portée de marque Axis et un PC dédié de marque HP moyennant le paiement de 20 loyers trimestriels d’un montant de 4 233,84 € TTC.

Suivant un mandat du même jour signé par le directeur du foyer, la société Solvensys et la société Grenke location (la société Grenke), cette dernière a été mandatée pour l’encaissement des loyers.

Par un courrier recommandé avec accusé de réception signé le 20 juin 2012, la société Grenke a notifié à l’ADIMC 35 la résiliation anticipée du contrat et lui a demandé de verser une indemnité de 69 290,21 € au titre des loyers impayés.

Par acte du 27 novembre 2012, la société Grenke a fait assigner l’ADIMC devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins de paiement d’une somme de 69 290,21 €.

En parallèle, le 13 août 2012, l’ADIMC 35 a notifié à M. [Z] [I] son courrier de licenciement pour faute grave et le 15 novembre 2012, l’ADIMC 35 a déposé plainte contre l’ancien directeur pour des faits de faux et d’abus de confiance.

Par un jugement du 1er février 2016, le tribunal de grande instance de Rennes a prononcé un sursis à statuer dans l’attente de la décision du Procureur de la République de Rennes sur l’action publique relative à l’enquête pénale.

Le 9 novembre 2021, le Procureur de la République a émis un avis de classement de l’enquête pour autre poursuite ou sanction non pénale.

Le 2 mars 2022, l’ADIMC 35 a notifié des conclusions de reprise d’instance via le RPVA.

Par dernières conclusions, notifiées par RPVA le 8 juin 2023, la société Grenke demande de :

« -DECLARER la demande de la société GRENKE LOCATION recevable et bien fondée

-DEBOUTER l’association ADIMC de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

-CONDAMNER l’association ADIMC à payer à la société GRENKE LOCATION la somme principale de 69 290,21 € majorée des intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2012, date de la dernière sommation extrajudiciaire

-ORDONNER la capitalisation des intérêts

-CONDAMNER l’association ADIMC à restituer à la société GRENKE LOCATION l’ensemble du matériel objet du contrat de location, ayant trait à du matériel vidéosurveillance, comportant notamment 4 dômes extérieurs de marque AXIS, 11 caméras AXIS, 2 stations AXIS, 14 radars longue portée, 1 PC HP, sous astreinte comminatoire de 500 € par jour de retard après la signification du jugement à intervenir

-RESERVER au Tribunal le droit de liquider l’astreinte

A titre subsidiaire, en cas d’annulation du contrat de location :

-CONDAMNER l’association ADIMC à payer à la société GRENKE LOCATION la somme de 68 508,73 € correspondant au prix du matériel décaissé, avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir

-CONDAMNER l’association ADIMC à payer à la société GRENKE LOCATION la somme de 2 291,27 € correspondant à la perte de marge escomptée au titre du contrat de location

A titre infiniment subsidiaire, en cas d’annulation du contrat de location :

-DEBOUTER l’association ADIMC de toutes ses demandes, notamment la demande tenant au remboursement de la somme de 12 875,58 € correspondant aux loyers réglés

En tout état de cause :

-CONDAMNER l’association ADIMC à payer à la société GRENKE LOCATION une indemnité de 2 500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile avec intérêts au taux légal en sus

-CONDAMNER l’association ADIMC aux entiers frais et dépens de la procédure DECLARER et à tout le moins RAPPELER que le jugement à intervenir est exécutoire de droit par provision sans caution, au besoin moyennant caution

-ORDONNER la distraction des dépens par application de l’article 699 du Code de Procédure Civile au profit de Maître Dominique DE FREMOND, Avocat au Barreau de Rennes ;

Par conclusions, notifiées par RPVA le 21 mars 2023, l’ADIMC 35 demande de :

-Constater la nullité du contrat de location principal pour absence de personnalité morale de l’un des cocontractants, ou pour toute autre cause ;

-Débouter en conséquence la société GRENKE LOCATION de toutes ses demandes ;

-Condamner la société GRENKE LOCATION à payer à l’Association des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine la somme de 12 875,58 € en remboursement des sommes indûment versées, avec intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2013 ;

-Ordonner la capitalisation annuelle des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil ;

-Condamner la société GRENKE LOCATION à payer à l’Association des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

-Condamner la société GRENKE LOCATION à payer à l’Association des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine la somme de 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à ces dernières conclusions pour l'exposé des moyens.

Le 8 juin 2023, la clôture a été ordonnée et l’affaire de plaidoirie a été fixée par la suite au 11 décembre 2023.

Motivation

MOTIFS

Sur la nullité du contrat :

La capacité de contracter est l’une des conditions essentielles pour la validité d’une convention selon l’ancien article 1108 devenu 1128 du code civil. Le défaut de capacité de contracter est une cause de nullité relative du contrat.

Sur ce fondement, l’ADIMC 35 soutient que l’établissement le « foyer [6] » ne disposait pas d’une personnalité morale propre et que son directeur, M. [I] n’avait pas de délégation de signature l’autorisant à représenter l’ADIMC 35 pour engager de telles dépenses. A cet égard, elle affirme que le document présenté comme une délégation de signature du 1er février 2011 est un faux qui a été dénoncé dans le cadre de l’enquête pénale. L’ADIMC 35 conteste l’existence d’un mandat apparent compte tenu de la fraude.

La société Grenke expose que les établissements d’une association ne sont pas autonomes et dépendent entièrement de l’association qui détient leurs biens et se trouve tenue de leurs dettes. En outre, elle soutient que M. [I] disposait bien d’une délégation pour engager des dépenses concernant le foyer de « [6] ». La société Grenke soutient que l’audition de l’ancienne directrice est insuffisante pour établir la falsification du document présenté. Elle rappelle le classement sans suite de l’enquête pénale pour contester la falsification du document. Enfin, elle fait état de plusieurs éléments pour se prévaloir de sa croyance légitime en l’existence d’un mandat apparent de M. [I] (poste de directeur, cachet de l’association, attestation de délégation de signature, exécution d’une partie du contrat).

En l’espèce, il n’est pas contesté que les conventions litigieuses ont été souscrites par M. [I], directeur du foyer de « [6] », et non par l’ADIMC 35.

Par ailleurs, il est admis par les parties que le foyer [6] ne constitue qu’un établissement de l’ADIMC 35 et n’a, de ce fait, pas de personnalité morale propre.

Au terme de l’article 15 des statuts de l’association du 26 novembre 2009 (pièce 1 – ADIMC 35), il est stipulé que le président assure la direction de l’association, (…) ordonnance les dépenses, représente l’association dans tous les actes de la vie civile et est investi de tout pouvoir à cet effet, et, que le trésorier est en charge notamment de tous paiement.

Le foyer [6] n’ayant pas de personnalité morale, il ne dispose pas de capacité juridique de contracter sauf délégation régulière et précise du président de l’ADIMC 35 valant représentation.

Dans son courrier de licenciement, l’ADIMC 35 reproche à M. [I] un manquement aux procédures internes d’autorisations d’engagements d’investissements financiers en précisant qu’il a, seul, engagé l’ADIMC 35 pour des montants dépassant sa délégation de signature. Ces éléments ont d’ailleurs été repris dans le dépôt de plainte.

Il se déduit de ces éléments que M. [I] disposait d’une délégation pour engager seul l’ADIMC 35 pour des dépenses d’un montant maximal de 15 000 €. Or, le coût total de la location du matériel s’élevait à plus de 97 000 €.

En outre, compte tenu des éléments de l’enquête pénale versée par l’ADIMC 35, il y a lieu de tenir le faux pour avéré.

Ainsi, la société Grenke verse en pièce n° 6, un document daté du 1 février 2011 à entête de l’association intitulé « délégation de signature » à M. [I] pour la gestion financière, les engagements de dépenses, le suivi du fonctionnement des structures et la gestion des ressources humaines des établissements qu’il dirige. Le document est signé sous l’indication « Mme La Présidente » mais avec le tampon du Foyer [6].

L’avis de classement du 9 novembre 2021 n’a pas été rendu au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée mais au motif qu’une suite administrative suffisante a été ordonnée aux faits que la procédure a permis d’établir.

En audition devant les enquêteurs, M. [I] a affirmé n’avoir jamais bénéficié d’accord écrit de la présidente de l’ADIMC 35 pour s’engager avec Solvensys et n’avoir jamais transmis de délégation de signature à Solvensys. Interrogé sur les résultats de la fouille de son ordinateur ayant révélé la présence du document vierge sans signature ni tampon, il n’a pas apporté d’explications.

Par ailleurs, en audition, l’ancienne présidente de l’association a réaffirmé que le document est un faux et que sa signature n’est pas la sienne. A cet égard, il est indéniable que la signature figurant au P.V d’audition diffère manifestement de celle de la délégation de signature et il est curieux que le tampon de l’établissement foyer de [6] figure sur le document et non celui de l’ADIMC 35.

Dans ces conditions, M. [I] ne disposait d’aucune délégation de signature régulière pour engager l’ADIMC 35 dans un contrat de location de matériel de vidéosurveillance pour coût global de près de 97 000 €.

S’agissant de la croyance légitime de la société Grenke à l’existence d’un mandat apparent de M. [I], celle-ci ne peut qu’être écartée compte tenu du fait que l’ADIMC 35 doit être regardée comme étant entièrement étrangère à l’apparence de pouvoir de M. [I] dès lors que celui-ci résulte d’une fraude de la seule initiative de ce dernier.

La capacité de contracter de M. [I] pour le compte de l’ADIMC 35 n’est pas établie compte tenu des éléments du dossier.

Il y a lieu de prononcer la nullité du contrat

Il n’est pas utile de statuer sur les autres nullités.

La société Grenke est déboutée de sa demande principale en paiement

Sur les conséquences de la nullité :

La nullité relative entraine l’anéantissement rétroactif du contrat. Les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion.

Les comptes de l’ADIMC 35 ont été débités pour un montant total de 12 875,58 € avant que M. [I] n’adresse un courrier se plaignant d’un défaut de livraison du matériel le 8 septembre 2011 (pièce n° 6 et 7 ADIMC 35). Sa demande de restitution des sommes est fondée du fait de sa qualité de tiers lésé.

La société Grenke est condamnée à restituer à l’ADIMC 35 la somme indûment perçue de 12 875,58 €. Il ne peut être fait droit aux demandes subsidiaires de la société Grenke qui ne ferait que priver d’effet l’annulation du contrat en condamnant l’ADIMC 35 au paiement d’une somme équivalente à la demande principale.

L’ADIMC 35 ne peut être condamnée à restituer le matériel à la société Grenke compte tenu de sa qualité de tiers lésé n’ayant pas reçu la chose livrée. A cet égard, la mauvaise foi de M. [I] sera rappelée à la lumière de éléments suivants. Le bon de livraison du 3 février 2011 a été signée par M. [I] avec le tampon du foyer [6] (pièce n° 2), il s’est plaint par la suite d’un défaut de livraison du matériel et l’enquête pénale a permis de mettre à jour une facture curieuse au nom d’une SCI appartenant à M. [I] d’un montant de 8 000 € adressée au fournisseur de matériel Solvensys à une date contemporaine du contrat de location.

S’agissant des intérêts moratoires, l’ADIMC 35 les sollicitent à compter du 23 mai 2013, date de ses premières conclusions en défense.

Néanmoins, compte tenu des particularités de la présente procédure avec un sursis à statuer qui a duré près de 6 ans, il y a lieu de les ordonner à compter de la reprise d’instance du 2 mars 2022 avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

Sur les dommages-intérêts :

L’ADIMC 35 demande le versement de 5 000 € de dommages intérêts, sans préciser sur quel fondement, en indiquant qu’elle a subi un préjudice moral du fait de la société Grenke en sa qualité de participante, au moins par négligence, si ce n’est pas complicité, d’un système de corruption de décideurs financiers.

Il est indéniable que l’ADIMC 35 a subi un préjudice moral lié à l’exécution d’un contrat obtenu par fraude. En revanche, la société Grenke n’a pas commis de manquement à l’origine de ce préjudice. Elle a elle-même été trompée par les manœuvres de M. [I] notamment par la transmission d’une fausse délégation de signature.

En l’absence de faute de la société Grenke, la demande de dommages-intérêts est rejetée.

Sur les demandes accessoires :

La société Grenke, partie perdante, est condamnée aux dépens de l’instance ainsi qu’à une somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l’ancienneté et de la nature du litige, il y a lieu d’ordonner d’office l’exécution provisoire.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal,

PRONONCE la nullité du contrat de location signé le 4 février 2011 par la société Grenke location et M. [I] ;

CONDAMNE la société Grenke à verser à l’association départementale des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine la somme de 12 875,58 € à titre de restitution ;

DEBOUTE la société Grenke location de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la société Grenke aux dépens de l’instance ;

CONDAMNE la société Grenke à verser à l’association départementale des infirmes moteurs cérébraux d’Ille-et-Vilaine la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l’exécution provisoire ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes.