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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 14 mai 2024, n° 22/03108

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Prefiloc Capital (SAS)

Défendeur :

FL Location (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocats :

Me Auffret de Peyrelongue, Me Rodrigues

T. com. Bordeaux, du 16 mai 2022, n° 202…

16 mai 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Prefiloc Capital est spécialisée dans le financement et la location de matériel destiné aux professionnels.

Se fondant sur des contrats de location financière en date des 1er et 7 juillet 2020, concernant le financement de systèmes d'encaissement vendus et livrés par la société Popina, la société Prefiloc a, par acte du 30 décembre 2021, fait assigner la SASU FL Location devant le tribunal de commerce de Bordeaux, après vaines mises en demeure, en sollicitant sa condamnation au paiement du solde exigible de ces deux contrats, après résiliation.

La société FL Location n'a pas comparu devant le tribunal.

Par jugement réputé contradictoire du 16 mai 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux :

Débouté la société Prefiloc Capital SAS de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné la société Prefiloc Capital SAS aux dépens.

Le tribunal a retenu qu'en considération du procédé utilisé et des documents fournis, et de l'absence de preuve d'un début d'exécution du contrat, la preuve n'était pas rapportée de l'indentité du signataire, ni du consentement du gérant de la société FL Location.

Par déclaration au greffe du 28 juin 2022, la société Prefiloc a relevé appel du jugement, en ses chefs expressément critiqués.

Par conclusions notifiées par message électronique en date du 12 décembre 2022, la société FL Location a soulevé la caducité de l'appel et l'irrecevabilité des conclusions de la société Prefiloc Capital au motif que l'annexe à la déclaration d'appel ne lui aurait pas été signifiée.

Par ordonnance du 28 mars 2023, le conseiller de la mise en état n'a pas conclu à la caducité de la déclaration d'appel et a précisé qu'il appartiendra à la cour de statuer sur l'éventuelle absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel du 28 juin 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 23 mai 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Prefiloc Capital demande à la cour de :

Vu les articles 1366 et 1367 du code civil ;

Vu les conditions générales du contrat de location, et notamment l'article 9 ;

Vu la jurisprudence ;

Vu les pièces versées au débat.

juger la société Prefiloc Capital recevable et bien fondée en ses demandes

juger que le contrat objet du présent litige a été résilié 8 jours après la mise en demeure restée vaine ;

En conséquence,

infirmer le jugement du 16 mai 2022 rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

condamner la société FL Location à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 24.511,97 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date du 1er impayé

condamner la société FL Location à restituer à la société Prefiloc Capital l'intégralité du matériel, dans un délai de 72 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;

débouter la société FL location de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

condamner la société FL Location à payer à la société Prefiloc Capital la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamner la société FL Location aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement pourra être opéré par Maître Océanne Auffret de Peyrelongue, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 31 mai 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société FL Location demande à la cour de :

Vu les articles 31 et 32 du CPC,

Vu les articles 9, 1103, 1366 et 1367 du code civil,

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu les articles 562 et 901 du code de procédure civile

Vu les articles 4 et 8 de l'arrêté du 20 mai 2020, modifié par l'arrêté du 25 février 2022,

juger que la déclaration d'appel de la société Prefiloc Capital du 28 juin 2022 est dépourvue d'effet dévolutif,

se déclarer en conséquence non valablement saisie,

Au fond, si la cour devait se considérer valablement :

À titre principal :

déclarer irrecevables les prétentions de la Sas Prefiloc Capital,

À titre subsidiaire :

confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 mai 2022,

débouter la Sas Prefiloc Capital de toutes ses demandes,

En tout état de cause :

condamner la Sas Prefiloc Capital à payer à la SASU FL Location la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure,

condamner la Sas Prefiloc Capital à payer à la SASU FL Location la somme de 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la SAS Prefiloc Capital aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur le moyen tiré de l'absence d'effet dévolutif de l'appel:

1- Se fondant sur les dispositions des articles 562'et 901 du code de procédure civile, et sur les dispositions de l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel, la société FL Location soutient que la déclaration d'appel du 28 juin 2022 n'a pu produire d'effet dévolutif puisqu' elle ne vise aucun chef du jugement critiqué, et qu'elle ne fait pas mention d'un document annexe contenant les chefs de jugement critiqués.

2- La Société Prefiloc Capital réplique que sa déclaration d'appel a bien produit un effet dévolutif et souligne en premier lieu, au visa des articles 74 et 112 du code de procédure civile, que le moyen tiré de la prétendue absence d'effet dévolutif de l'appel constitue une exception de nullité qui comme telle, aurait dû être soulevée avant les premières conclusions sur le fond notifiées le 12 décembre 2022.

Elle ajoute en se fondant sur les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile, que ce moyen doit être déclaré irrecevable, comme méconnaissant le principe de concentration des moyens.

Elle fait valoir ensuite, au visa de l'article 114 du code de procédure civile, que la société FL Location ne démontre pas le grief qui lui aurait été causé par l'absence de signification de l'annexe de la déclaration d'appel dès lors qu'elle a été en mesure de conclure à trois reprises en formant un incident.

Elle expose enfin que sa déclaration d'appel est parfaitement valide et n'encourt aucune caducité quand bien même l'annexe n'a pas été signifiée.

Sur ce:

3- Selon les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile 'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.'

4- La prétention tendant à voir juger que la déclaration d'appel du 28 juin 2022 n'a pas produit d'effet dévolutif aurait dû être présentée devant la cour dans les premières conclusions au fond de l'intimée, dans le délai prévu à l'article 909 du code de procédure civile.

5- Or, la société FL Location n'a présenté cette prétention que dans son troisième jeu de conclusions, notifiées par message électronique du 11 mai 2023.

6- Il en résulte que cette demande doit être déclarée irrecevable.

7- Surabondamment, il sera relevé que la déclaration d'appel du 28 juin 2022, postérieure au décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et à l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel, à laquelle était jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constituait l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique, et même en l'absence de renvoi exprès à l'annexe dans le corps de la déclaration d'appel, de sorte que l'effet dévolutif a bien joué (en ce sens, avis de la Cour de cassation, 8 juillet 2022, n° 22-70.005).

Sur la recevabilité des demandes de la société Prefiloc Capital:

8- Au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, la société FL Location soutient que les demandes en paiement de la société Prefiloc Capital sont irrecevables, pour défaut d'intérêt à agir.

Elle expose en effet que les pièces produites par la société Prefiloc Capital ne démontrent nullement qu'elle ait financé un quelconque contrat entre la société Popina et la société FL location.

9- Se fondant sur les conditions générales du contrat, et sur les factures communiquées, la société Préfiloc Capital réplique qu'elle a parfaitement qualité à agir puisqu'elle intervient en qualité de loueur après s'être assurée de l'installation des matériels par le fournisseur.

Sur ce:

10- Selon les dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée.

11- Selon les dispositions de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

12- La société Prefiloc Capital produit aux débats l'extrait Kbis du RCS de Bordeaux, qui fait état de son activité de location financière, d'achat, vente, location de tous biens meubles et négoces matériels informatiques, technologiques.

Les contrats de location longue durée datés des 1er et 7 juillet 2020 désignent la société FL Location comme locataire, la société Prefiloc Capital comme loueur et la société Popina comme fournisseur des matériels loués.

L'appelante a en outre communiqué les devis et factures établis le 31 juillet 2020 par la société Popina à l'ordre de la société Prefiloc Capital, pour la fourniture d'un système d'encaissement d'une valeur de 10227.26 euros TTC et d'une borne d'une valeur de 268.18 euros TTC. La seule circonstance que ces factures ne comportent ni cachet ni signature n'est pas de nature à rendre irrecevable l'action en paiement de la société Prefiloc Capital, en qualité de loueur.

L'article 3 des conditions générales applicables aux deux contrats de location financière stipule bien que pour le paiement des loyers, le locataire autorise le loueur à émettre des avis de prélèvement payé par le débit de son compte.

Le mandat de prélèvement autorise expressément la société Prefiloc Capital en qualité de créancier à envoyer des instructions à la banque de la locataire pour débiter son compte.

13- Au vu de l'ensemble des éléments précités, la société Prefiloc Capital justifie de son intérêt et de sa qualité à agir en paiement des sommes exigibles au titre de ces contrats de location financière.

La fin de non-recevoir sera donc écartée.

Sur le fond:

14- La société intimée conteste être valablement engagée, et soutient qu'elle n'a ni signé les deux contrats qui lui sont opposés, ni reçu le matériel; et que l'adresse mentionnée sur les contrats n'est pas celle de son siège social.

Elle fait valoir qu'un tiers de mauvaise foi a commis des manoeuvres délictuelles, par suite d'une absence totale de vérification de la part du fournisseur et du loueur.

15- La société appelante réplique que les contrats ont bien été signés de manière électronique par le gérant de la société FL Location selon la procédé sécurisé DocuSign sur la base des renseignements donnés par la cliente; que le matériel a bien été installé, comme le prouve le bon de livraison; que des lettres de mise en demeure ont bien été adressées au gérant de la société, et réceptionnées par ce dernier, qui n'a émis aucune contestation.

Elle ajoute qu'en toutes hypothèses, la société appelante se trouverait engagée en raison d'un mandat apparent.

Sur ce:

16- Il résulte de l'article 1719 du code civil, applicable en matière de louage de chose mobilière, que la société Prefiloc Capital devait rapporter la preuve de l'exécution de son obligation de délivrance.

17- L'article 1er des conditions générales du contrat stipule par ailleurs que le procès-verbal de livraison signé du locataire et du fournisseur consacre la bonne exécution de la transaction et autorise le loueur à régler la facture du fournisseur, le paiement emportant date du contrat et engagement définitif du locataire de l'exécuter.

18- Le bon de livraison n°17482 daté du 3 juillet 2020 versé au débat par l'appelante (sa pièce 10) ne peut constituer la preuve de l'exécution de son obligation de délivrance, au titre des deux contrats des 1er et 7 juillet 2020, dès lors que l'adresse qui s'y trouve mentionnée ([Adresse 1]) ne correspond pas à celle du siège social de la société FL Location, à savoir [Adresse 2], au vu des indications figurant à l'extrait Kbis de cette société (étant précisé que cette société ne dispose pas d'autre établissement).

Au surplus, ce bon de livraison ne comporte ni signature du représentant légal de la société FL Location, ni d'un préposé, ni cachet commercial.

En outre, il n'existe pas de bon d'installation.

19- Par ailleurs, la signature manuscrite de M. [K] [O], président de la SASU FL Location, ne figure sur aucun des deux contrats versés au débat (lesquels mentionnent également l'adresse du [Adresse 1]).

Le contrat du 1er juillet a été signé via un lien adressé sur une adresse de messagerie dont l'authenticité n'a pas été vérifiée.

Le contrat du 7 juillet a été signé de manière manuscrite, après envoi d'un lien sur la même messagerie, par un paraphe apposé sur un périphérique mobile, dont l'allure générale, malhabile, hésitante et la partie finale ne correspondent en rien au paraphe de M. [O], telle qu'il figure sur le passeport qui lui a été délivré le 7 aout 2018 par la préfecture de l'Essonne.

La société intimée est donc fondée à soutenir qu'un tiers de mauvaise foi a pu fournir des renseignements exacts, concernant le nom de son gérant, et son numéro de RCS, grâce à des sites ouverts au public.

20- La seule circonstance que la société FL Location n'a pas protesté lors de la réception de mises en demeure adressées à son siège social ne saurait valoir renonciation au droit de se prévaloir de l'absence d'obligation valable à son encontre.

21- La société appelante ne peut utilement se prévaloir de la théorie du mandat apparent dès lors que sa croyance aux pouvoirs du prétendu mandataire de la société FL Location n'était pas légitime, au vu des pièces dont elle disposait.

En effet, son cocontractant a donné une indication d'adresse qui n'était pas celle du siège social de la société FL Location, ce qu'une simple vérification avec l'extrait Kbis permettait de constater. De même, le non-conformité de la signature pouvait être observée au vu de la copie de passeport.

22- Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Prefiloc Capital.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive:

23- La société FL ne justifie pas avoir fait part à la société Prefiloc des différents éléments de sa contestation avant de recevoir assignation, et par ailleurs elle n'a pas comparu devant le premier juge.

En conséquence elle ne rapporte pas la preuve d'un abus de droit d'ester en justice imputable à la société Prefiloc Capital.

Elle ne démontre pas en outre avoir subi un préjudice distinct de celui qui est indemnisé sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

24- Elle sera donc déboutée de sa demande en paiement la somme de 10'000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires:

25- Il est équitable d'allouer à la société FL location une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, la société Prefiloc Capital supportera les dépens de première instance et d'appel ainsi que ses frais irrépétibles.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Déclare irrecevable la demande de la société FL Location, tendant à voir juger que la déclaration d'appel formée par la société Prefiloc Capital le 28 juin 2022 est dépourvue d'effet dévolutif,

Déclare les demandes de la société Préfiloc Capital recevables,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Préfiloc Capital à payer à la société FL location la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Préfiloc Capital aux dépens d'appel.