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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 30 mai 2024, n° 23/02632

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Quentin Andre, Me Michel Baron, Me Lucile Matrand, Me Caroline Scolan, Me Thomas Carrera, Me Anne Tugaut

TJ Evreux, du 25 juill. 2023, n° 21/0334…

25 juillet 2023

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SCI ACAF a été constituée le 10 juin 1986 et ses associés initiaux ont été Monsieur [O], Madame [O] et Monsieur [L].

La SCI CCLB a été constituée le 24 juin 1986 entre Monsieur et Madame [O]. Elle a acquis sur la commune de [Localité 18] (Eure) une parcelle cadastrée section AW lieudit [Adresse 12] n°[Cadastre 3], [Cadastre 5], un fossé traversant ce terrain figurant sous le n° [Cadastre 7] de la même section, et lieudit [Adresse 20] n°[Cadastre 4].

Par acte authentique du 29 août 1986, la SCCV [17], souhaitant édifier un centre commercial, a été bénéficiaire d'un bail à construction d'une durée de 35 ans s'achevant le 29 août 2021 qui lui a été consenti par la SCI CCLB portant sur des parcelles situées à [Localité 18] lieudit [Adresse 12] n°[Cadastre 3], [Cadastre 5] et [Cadastre 7] et lieudit [Adresse 20] n°[Cadastre 4].

Monsieur [J] a acquis sur la commune de [Localité 18] trois parcelles cadastrées section AW lieudit [Adresse 13] ;[Cadastre 2] ;[Cadastre 6].

Par acte du 29 août 1986, la SCCV [17] a été bénéficiaire d'un bail à construction d'une durée de 35 ans s'achevant le 29 août 2021 qui lui a été consenti par M. [J] portant sur des parcelles situées à [Localité 18] lieudit [Adresse 13] et [Cadastre 2] et lieudit [Adresse 20] n°[Cadastre 6].

Le 3 septembre 1986, la SCCV [17] a cédé à la SCI ACAF la quote-part indivise des droits au bail sur les lots n° 6 à 20 du futur bâtiment commercial qui devait être construit et à compter de cette date, la SCI ACAF a pu consentir des baux commerciaux sur ces locaux.

Le 7 mai 1992, M. [J] a consenti à la SCI CCLB une promesse de vente du terrain qu'il avait donné à bail à construction à la SCCV [17], sous condition suspensive de paiement intégral du prix. Il a été prévu à l'acte que le prix de vente était de 2 134 277 francs payables à terme en vingt-deux annuités successives, la dernière le 7 mai 2018 et que ''l'acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter de la réalisation de la condition suspensive ci-après, laquelle sera réputée acquise par la constatation par acte authentique de la quittance du prix ci après fixé, et il en aura la jouissance à compter du même jour (...). Le 25 mai 2018, la réalisation de la condition suspensive a été constatée par acte authentique, la vente est devenue définitive par effet rétroactif, la SCI CCLB est devenue propriétaire du bien vendu à compter du 7 mai 1992, jour de la vente. Le 29 août 2021, la SCI CCLB est également devenue propriétaire des constructions édifiées sur le terrain par application de l'article L 251-2 du code de la construction et de l'habitation.

Les lots n° 14 et 15 ont été donnés à bail à des locataires successifs dont les époux [S] jusqu'en 2003, puis les consorts [R] jusqu'en mai 2013 et enfin les époux [Z] à compter du 1er juin 2015 pour une durée de 9 ans renouvelable à défaut de congé.

Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] exploitent un fonds de commerce de bar brasserie jeux cafétéria à l'enseigne ''[15]'' et ils bénéficient d'un bail commercial sur deux cases commerciales portant les n° 14 et 15 au sein du centre commercial ''[14]''.

Par courrier du 9 avril 2021, la SCI ACAF a informé Monsieur et Madame [Z] que leur bail commercial prenait fin le 29 août 2021 par l'effet du terme du bail à construction qui lui a été consenti par la SCI CCLB.

Par courrier du 19 avril 2021 Monsieur et Madame [Z], par l'intermédiaire de leur conseil lui ont répondu que l'expiration du bail à construction ne pouvait avoir aucune incidence sur la poursuite du bail commercial dès lors qu'ils avaient été tenus dans l'ignorance de l'existence de ce bail à construction.

Le 16 août 2021, la SCI CCLB a confirmé à Monsieur et Madame [Z] que suite à l'expiration prochaine du bail à construction, ils seraient considérés comme occupants sans droit ni titre du local commercial au 29 août 2021.

Par acte du 18 novembre 2021, Monsieur et Madame [Z] ont fait citer la SCI CCLB devant le tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de faire consacrer leur droit au maintien dans les lieux dans le cadre du bail commercial en cours.

Par acte du mars 2022, la SCI CCLB a attrait en la cause la SCI ACAF.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état du 16 mai 2022.

Par jugement du 25 juillet 2023, le tribunal judiciaire d'Evreux a :

- débouté Monsieur et Madame [Z] de leur demande de souscription d'un nouveau bail commercial et de ses demandes accessoires,

- constaté l'occupation sans droit ni titre de Monsieur et Madame [Z] des locaux donnés à bail situés à [Localité 18] centre commercial [14] case n° 15 et 16,

- dit que Monsieur et Madame [Z] devront libérer les lieux au plus tard 30 jours après la signification du présent jugement,

- dit qu'à défaut la SCI CCLB pourra procéder à leur expulsion et à celle de tout occupant de leur chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique si besoin est ;

- rejeté la demande d'astreinte formée par la SCI CCLB,

- dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles L 433-1 et suivants et R 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,

- condamné in solidum Monsieur et Madame [Z] à payer à la SCI CCLB une indemnité d'occupation de 2837,48 euros TTC par mois non réglé à compter du 29 août 2021 et jusqu'à libération complète des lieux,

- condamné la SCI ACAF à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de

102 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné in solidum Monsieur et Madame [Z] et la SCI ACAF à payer à la SCI CCLB la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI ACAF à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de

3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,

- condamné la SCI ACAP aux dépens de l'instance,

- rappelé l'exécution provisoire de droit de la présente décision.

Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 27 juillet 2023 et par déclaration du 25 août 2023.

La société ACAF a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 août 2023.

Les trois procédures ont été jointes par ordonnances du 26 septembre 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 5 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Madame [I] [T] épouse [Z] et Monsieur [B] [Z] qui demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 25 juillet 2023 par le tribunal judiciaire d'Évreux, en ce qu'il a adopté les solutions suivantes, pour la résolution du litige les opposant aux SCI CCLB et ACAF ;

- débouté Monsieur et Madame [Z] de leur demande de souscription d'un nouveau bail commercial et de ses demandes accessoires,

- constaté l'occupation sans droit ni titre de Monsieur et Madame [Z] des locaux donnés à bail situés à [Localité 18] centre commercial [14] case n°15 et 16,

- dit que Monsieur et Madame [Z] devront libérer les lieux au plus tard 30 jours après la signification du présent jugement,

- dit qu'à défaut la SCI CCLB pourra procéder à leur expulsion et à celle de tout occupant de leur chef avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique si besoin est ;

- dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sen réglé conformément aux articles L 433-1 et suivants et R 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,

- condamné in solidum Monsieur et Madame [Z] à payer à la SCI CCLB une indemnité d'occupation de 2837,48 euros TTC par mois non réglé à compter du 29 août 2021 et jusqu'à libération complète des lieux,

- condamné la SCI ACAF à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de

102 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné in solidum Monsieur et Madame [Z] et la SCI ACAF à payer à la SCI CCLB la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI ACAF à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de

3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire.

En conséquence de cette infirmation, ils demandent à la cour :

A titre principal,

- dire que depuis le 29 août 2021, date de l'expiration du bail à construction qu'elle a consenti à la SCI ACAF, la SCI CCLB se trouve liée à Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] par un bail commercial régi par les dispositions des articles L.145-1 et suivants du code de commerce, d'une durée de neuf années à compter du 29 août 2021, portant sur un local commercial situé centre commercial [14] à [Localité 18], soit les cases n° 14 et 15 d'une surface de 116 m²,

- dire que les conditions de ce bail commercial sont identiques à celles du bail consenti le 1er juin 2015 par la SCI ACAF à Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z], sous réserve des dispositions légales et réglementaires impératives intervenues depuis cette date,

- dire que les conditions financières dudit bail resteront inchangées par rapport à celle du bail liant les époux [Z] à la SCI ACAF, soit :

* montant du loyer mensuel applicable pour la période annuelle du 1er novembre 2020 au 30 octobre 2021 : 1 807,59 euros HT par mois, outre une provision sur charges de 210 euros par mois, non soumise à TVA,

* application de la clause d'indexation sur l'indice des loyers au 1er novembre de chaque année,

* absence de soumission des charges à la TVA,

- ordonner à la SCI CCLB la délivrance de quittances de loyer au fur et à mesure de la perception des loyers et charges,

- ordonner la prise en charge par la SCI CCLB, bailleresse, du coût des diagnostics imposés au propriétaire (performance énergétique ; amiante ; état des risques et pollution),

- ordonner la prise en charge par la SCI CCLB, bailleresse, du coût de rédaction et des frais d'enregistrement du bail à intervenir,

- assortir l'obligation de régulariser ce bail d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, à charge de la SCI CCLB, et au profit de Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z], passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la SCI CCLB à payer aux époux [Z] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civil, ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

- condamner la SCI ACAF à payer à Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] la somme de 170 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de leur fonds de commerce,

- condamner la SCI ACAF à payer à Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] la somme de 32 371,15 euros au titre des travaux effectués dans les locaux, outre celle de 23 481,76 euros au titre des frais de licenciement,

- subordonner le départ de Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] des locaux qu'ils occupent, au règlement effectif de la somme qui sera mise à la charge de la SCI ACAF à titre de dommages et intérêts,

- condamner la SCI ACAF à payer à Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] épouse [Z] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 16 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la SCI CCLB qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 27 juillet 2023 par le tribunal judiciaire d'Evreux,

- débouter les Consorts [Z] et la société ACAF de toutes leurs demandes à l'encontre de la société CCLB,

- condamner in solidum Monsieur et Madame [Z] et la société ACAF au versement au bénéfice de la SCI CCLB d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première et d'appel que la SELARL Gray Scolan, Avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux-là concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 16 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la SCI ACAF qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SCI CCLB de sa demande de condamnation solidaire de la SCI ACAF et de Monsieur et Madame [Z] au titre d'une indemnité d'occupation,

- infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que pour le cas ou par impossible la responsabilité de la SCI ACAF serait retenue, la SCI CCLB sera condamnée à garantir celle-ci de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

- débouter Monsieur et Madame [Z] de toutes leurs demandes formulées à l'encontre de la SCI ACAF les jugeant mal fondées,

- débouter la SCI CCLB de toutes ses autres demandes formulées à l'encontre de la SCI ACAF les jugeant mal fondées,

- condamner tout succombant à payer à la SCI ACAF la somme de 10.000 euros (cinq mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le droit à régularisation d'un bail commercial entre Monsieur et Madame [Z] et la SCI CCLB à compter du 29 août 2021

Moyen des parties :

Monsieur et Madame [Z] soutiennent que :

* la SCI CCLB a renoncé à l'application des dispositions de l'article L.251-6 du code de la construction et de l'habitation et a pris l'engagement de maintenir dans les lieux tous preneurs à la date d'expiration du bail à construction ainsi que la poursuite des baux en cours à cette date ; cet engagement est repris dans tous les premiers baux commerciaux qui ont été retrouvés ;

* ils versent aux débats en cause d'appel le premier de tous les baux consentis le 26 octobre 1986 par la SCI ACAF aux époux [V], premier exploitant de la brasserie ''[15]'' qui comporte l'intervention de Monsieur [O], représentant la SCI CCLB, et l'engagement pris par cette SCI.

La SCI CCLB soutient que :

* le bail à construction est arrivé à échéance le 29 août 2021 ; la société ACAF devait rendre les locaux libres de tous occupants à cette date ;

* le bail consenti pour l'exercice de l'activité de pharmacien prévoyant le maintien dans les lieux après l'expiration du bail à construction est spécial et cette stipulation ne peut être étendue aux consorts [Z] ;

* le bail du 1er juin 2015 ne prévoit aucun engagement de la SCI CCLB qui n'est nullement partie à ce dernier ; il en est de même de l'acte de cession de fonds de commerce régularisé en 2008 ;

* les consorts [Z] ne démontrent pas la moindre préexistence d'un droit transmis ou transmissible de maintien dans leurs locaux à l'issue du bail à construction ;

* elle ignore tout des baux consentis par la société ACAF ; la clause applicable au seul bail [G] a été dupliquée sur les autres baux par pure erreur par le rédacteur de l'acte ; elle n'a jamais été appelée à l'acte par ACAF qu'elle n'a jamais signé ;

* le bail commercial ne confère aucun droit réel emportant droit de suite mais un droit personnel propre aux parties ; tout événement, et notamment la résiliation d'un bail ou un avenant, ont pu mettre un terme à cette stipulation qui n'a donc pas été reprise ;

* à supposer qu'un engagement ait été pris par la SCI CCLB, celui-ci étant illimité dans le temps, il a été dénoncé par la SCI CCLB à de nombreuses reprises ; il ne peut lui être opposé.

La société ACAF fait valoir que :

* la société CCLB dénature la commune intention des parties rédigée en des termes suffisamment généraux pour qu'ils ne soient pas circonscrits à la seule pharmacie alors que l'opération immobilière visait la construction d'un centre commercial et de sa galerie marchande ;

* la clause a une portée générale en direction de tous les preneurs de baux commerciaux au nombre desquels figure celui de Monsieur et Madame [Z].

Réponse de la cour :

L'article L 251-6 alinéa 1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version en vigueur du 8 juin 1978 au 2 juin 1990 dispose que ''Les servitudes passives, autres que celles mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 251-3, privilèges, hypothèques ou autres charges nées du chef du preneur et, notamment, les baux et titres d'occupation de toute nature portant sur les constructions, s'éteignent à l'expiration du bail.''

Le même article dans sa version en vigueur depuis le 27 mars 2014 prévoit que ''Les servitudes passives, autres que celles mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 251-3, privilèges, hypothèques ou autres charges nées du chef du preneur et, notamment, les baux et titres d'occupation de toute nature portant sur les constructions, s'éteignent à l'expiration du bail sauf pour les contrats de bail de locaux d'habitation.''

En application de ce texte, à l'expiration du bail à construction, tous les baux commerciaux portant sur les lieux sont éteints et cette règle est opposable aux preneurs commerciaux qu'ils aient connu ou non l'existence du bail à construction.

Par deux actes authentiques du 29 août 1986, la SCCV [17] a été bénéficiaire de deux baux de construction d'une durée de 35 ans s'achevant le 29 août 2021 qui lui ont été consentis par M. [J], d'une part, et par la SCI CCLB, d'autre part, portant sur des parcelles situées à [Localité 18] lieudit [Adresse 12] et lieudit [Adresse 20].

Par acte authentique du 3 septembre 1986, la SCCV [17] a cédé à la SCI ACAF la quote-part indivise des droits au bail sur les lots n° 6 à 20 du futur bâtiment commercial qui devait être construit et un centre commercial dit ''[14] '' a été édifié.

Par acte authentique du 7 mai 1992, M. [J] a consenti à la SCI CCLB une promesse vente sous condition suspensive, du terrain qu'il avait donné à bail à construction à la SCCV [17] et la condition s'est réalisée le 25 mai 2018.

Monsieur et Madame [Z] exploitent au sein de la galerie marchande un fonds de commerce de bar brasserie jeux cafétéria à l'enseigne [15] qu'ils ont acquis de Monsieur [R] le 1er novembre 2008.

Par acte sous seing privé du 1er juin 2015, la SCI ACAF a consenti à Monsieur et Madame [Z] le renouvellement du bail commercial pour une durée de neuf ans s'achevant le 31 mai 2024 sur les cases n°14 et 15 du centre commercial [14]. Ce renouvellement de bail succède à celui consenti à Monsieur [R] pour une durée de neuf années du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2013.

Ces actes relatifs au bail commercial ne mentionnent pas l'existence du bail à construction et l'expiration des titres d'occupation au 29 août 2021.

Monsieur et Madame [Z] versent aux débats des baux commerciaux conclus par la SCI ACAF avec un pharmacien, Madame [G] (cases 6,8 et 9), un coiffeur, Monsieur [E] (case 7) et un maroquinier, Monsieur [N] (case 19) auxquels est intervenue la SCI CCLB qui s'est engagée à maintenir les preneurs dans les lieux à l'expiration du bail à construction aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur.

Ils produisent également un acte enregistré le 10 mars 1997 aux termes duquel Madame [C] a cédé son fonds de commerce de papeterie et qui rappelle que la cédante bénéficiait d'un bail commercial sur la case commerciale n° 20 qui avait été consenti par la SCI ACAF à son auteur, la société Mot à Mot, le 6 novembre 1986. Cet acte mentionne l'engagement de la société CCLB à maintenir les preneurs dans les lieux à l'expiration du bail à construction aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur.

En cause d'appel, Monsieur et Madame [Z] produisent, d'une part, un acte de cession de fonds de commerce daté du 14 octobre 1991 aux termes duquel Monsieur et Madame [V] ont cédé à Monsieur et Madame [S] un fonds de commerce de bar brasserie jeux cafétéria connu sous le nom de [15] et d'autre part, le bail consenti le 28 octobre 1986 par la SCI ACAF à Monsieur et Madame [V].

Ce bail annexé à la minute de l'acte de cession reçu par le notaire le 14 octobre 1991 mentionne en page 8 la stipulation suivante :

'' SONT INTERVENUS AUX PRESENTES :

EXPOSE

Sur les terrains tels que définis ci-dessus, la SCCV [17] est titulaire de deux baux à construction, chacun d'une durée de 35 ans, dont l'un a été consenti par la société civile CCLB et l'autre par Monsieur [A] [J].

Selon les termes du contrat de bail à construction liant la société civile CCLB à la société SCCV [17], d'une part et du contrat de bail à construction liant M [J] à la SCCV [17] d'autre part, il a été convenu que la SCCV [17] pouvait, entre autres, céder tout ou partie de ses droits à des tiers de son choix, les cessionnaires devant alors s'engager directement envers le bailleur à l'exécution de toutes les conditions du bail à construction conclu entre eux, le cessionnaire se substituant alors purement et simplement au cédant dans ses droits et obligations à compter de l'achèvement du programme convenu.

En conséquence de quoi, à l'expiration du bail à construction tous baux, toute location ou convention d'occupation quelconque qui auraient été consentis par le bénéficiaire ou ses ayants cause devaient prendre fin de plein droit.

CECI EXPOSE, IL A ETE CONVENU CE QUI SUIT :

Conformément aux conventions de l'exposé ci-dessus, la SCI ACAF a acquis de la SCCV [17] une partie des droits du bail à construction et ce dans le but de construire un ensemble de cases commerciales qui s'intégreront entre les magasins INTERMARCHE et BRICOMARCHE.

Les locaux seront réservés à des activités de type commercial, libéral ou professionnel.

Les parties aux présentes, le preneur et le bailleur, ont demandé à la société civile CCLB représentée par M.[O] et à M. [J], propriétaires des deux terrains, d'intervenir à la signature des présentes.

Par la signature de son représentant légal, la société civile CCLB s'engage d'ores et déjà à maintenir dans les locaux sus-désignés, qui seront achetés par le bailleur, la SCI ACAF, les preneurs de tout baux, locations ou conventions d'occupation qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction.

De même, par sa signature, M. [J] s'engage d'ores et déjà à maintenir dans les locaux sus-désignés qui seront achetés par le preneur, la SCI ACAF, les preneurs de tout baux, location ou conventions d'occupation qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction.

A cette fin, et par les présentes, la CCLB et M [J] promettent de louer les locaux considérés dont ils seront devenus propriétaires à la date de l'expiration du bail à construction aux personnes physiques ou morales qui les occuperait encore à cette date.

Ils promettent en particulier aux preneurs de poursuivre les baux dont ces preneurs seront titulaires à cette époque aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur.''

Le bail du 28 octobre 1986 est annexé à la minute de l'acte de cession du fonds de commerce reçu par le notaire le 14 octobre 1991 et qui fait référence en page 3 au bail cédé.

Cet acte de vente du 14 octobre 1991, auquel est annexé le bail qui contient la clause ci-dessus mentionnée, a été enregistré le 22 octobre 1991 et il comporte outre la signature des époux [V], celle des acquéreurs et également celle de Monsieur [X] [D], clerc de notaire, qui représente Monsieur [O] intervenu à l'acte aux fins d'agréer la cession du droit au bail.

Il résulte des contrats de bail consentis par la SCI ACAF à Monsieur et Madame [V], à Monsieur et Madame [R], à Monsieur et Madame [Z] que le bail commercial mentionné dans ces actes est celui des cases commerciales 14 et 15 dans lesquelles Monsieur et Madame [Z] exploitent leur commerce de brasserie.

Par ailleurs, la clause ci-dessus est strictement identique à celles figurant :

- dans un contrat de bail commercial conclu entre la SCI ACAF et Mme [G], pharmacienne, signé le 19 novembre 1986 ;

- dans un contrat de bail commercial conclu entre la SCI ACAF et M. [N], maroquinier, signé le 7 novembre 1986 ;

- dans l'acte de cession de son fonds de commerce de papeterie par Madame [C] le 10 mars 1997.

L'acte de vente du 14 octobre 1991 auquel est annexé le bail du 28 octobre 1986 corrobore l'affirmation de la SCI ACAF, bailleur commercial selon laquelle la SCI CCLB s'était engagée à l'égard de tout preneur à bail commercial notamment des cases 14 et 15 correspondant aux locaux exploités par Monsieur et Madame [Z], à les maintenir dans les lieux. Cet acte de cession auquel est annexé le bail comporte la signature de Monsieur [D] et qui en a ainsi attesté la teneur et a donc force probante. Il en résulte expressément que la SCI CCLB s'est engagée à maintenir dans les locaux les preneurs de tous baux, locations ou conventions d'occupation qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction et a expressément promis, d'une part, de louer les locaux considérés dont elle sera devenue propriétaire à la date de l'expiration du bail à construction aux personnes physiques ou morales qui les occuperaient encore à cette date et, d'autre part, de poursuivre les baux dont ces preneurs seront alors titulaires aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux en vigueur.

Cet engagement à l'égard des preneurs se trouvant dans les lieux au 29 août 2021 n'était pas à durée indéterminée ou illimitée dans le temps comme soutenu par la SCI CCLB mais limité aux occupations en cours au 29 août 2021 et ne pouvait être dénoncé par la SCI CCLB.

Il est par ailleurs inexact d'affirmer que le seul engagement de la SCI CCLB ne concernait que l'activité de pharmacie dès lors que la SCI CCLB s'était également engagée pour une activité de maroquinier et pour l'activité de papeterie, presse.

Enfin, Monsieur et Madame [Z] sont titulaires du bail commercial du 1er juin 2015 leur conférant la qualité de preneur des lieux et ils étaient occupants en vertu de ce bail au 29 août 2021.

L'engagement étant pris à l'égard des preneurs qui occuperaient les locaux en question à la date d'expiration du bail à construction, il est également inexact d'affirmer que cet engagement n'a concerné que les seuls titulaires et cessionnaires du bail conclu entre la SCI ACAF et les époux [V] et qu'il ne constituerait qu'une garantie accessoire à ce seul contrat.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a :

- débouté Monsieur et Madame [Z] de leur demande de souscription d'un nouveau bail commercial et de ses demandes accessoires, constaté l'occupation sans droit ni titre de Monsieur et Madame [Z] des locaux donnés à bail et en toutes les dispositions qui en sont la conséquence.

Il sera jugé que Monsieur et Madame [Z] ont droit à la régularisation d'un bail commercial consenti par la SCI CCLB à compter du 29 août 2021. La SCI CCLB sera déboutée de ses demandes tendant à l'expulsion de sa locataire et au paiement d'une indemnité d'occupation.

Sur les conséquences de la reconnaissance du statut des baux commerciaux :

Moyens des parties

Monsieur et Madame [Z] font valoir que :

* le bail conclu entre la SCI ACAF et la requérante le 1er juin 2015 n'arrivera à échéance que le 30 mai 2024, mais la qualité de nouveau propriétaire de la SCI CCLB justifie que le nouveau bail prenne effet à compter du 29 août 2021 pour se terminer à pareille époque en 2030, conformément aux dispositions de l'article L.145-4 du code de commerce ;

* leur loyer s'élevait jusqu'en août 2021 à 1 807,59 euros HT par mois, outre une provision sur charges de 210 euros par mois, non soumise à TVA.

Réponse de la cour

Dans la mesure où Monsieur et Madame [Z] avaient droit à la poursuite de leur bail '' aux mêmes clauses et conditions que celles stipulées dans les baux qui seront en vigueur.'' à l'expiration du bail à construction soit le 29 août 2021, il convient de condamner la SCI CCLB à effectuer cette régularisation de bail portant sur un local commercial constitué de deux cases commerciales portant les n° 14 et 15 pour une superficie d'environ 116 mètres carrés (comme indiqué dans le bail du 1er juin 2015) et situé dans le centre commercial lieudit [14] à [Localité 18], et ceci avec effet au 29 août 2021. Ce bail sera régularisé aux mêmes clauses conditions et charges que le bail du 1er juin 2015 y compris celles relatives au montant du loyer sous réserve des dispositions légales et réglementaires impératives intervenues depuis cette date. Cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de trois mois au-delà de laquelle il sera à nouveau fait droit.

La SCI CCLB sera condamnée à prendre en charge le coût de rédaction et des frais d'enregistrement du bail à intervenir.

Sur les autres demandes

Il ressort des conclusions de Monsieur et Madame [Z] que ce n'est qu'à titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de souscription d'un nouveau bail à leur profit par la société CCLB qu'ils entendent engager la responsabilité de la société ACAF.

La cour ayant fait droit à la demande principale de Monsieur et Madame [Z], le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la SCI ACAF à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de 102 000 euros euros à titre de dommages et intérêts. La demande subsidiaire formée par Monsieur et Madame [Z] et les demandes de la SCI ACAF seront déclarées sans objet.

Enfin il convient de débouter la SCI CCLB de sa demande d'indemnité de procédure et de condamnation de Monsieur et Madame [Z] aux dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement du tribunal judiciaire d'Evreux en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

Dit que Monsieur [B] [Z] et Madame [I] [T] ont droit à la régularisation d'un bail commercial consenti par la SCI CCLB à compter du 29 août 2021 sur le local portant sur les deux cases commerciales n° 14 et 15 d'une superficie d'environ 116 mètres carrés au sein du centre commercial ''[14]'', à [Localité 18] ;

Condamne La SCI CCLB à effectuer cette régularisation avec effet au 29 août 2021, et ceci aux mêmes clauses, conditions et charges que le bail du 1er juin 2015 y compris celles relatives au montant du loyer, sous réserve des dispositions légales et réglementaires impératives intervenues depuis cette dernière date ;

Assortit cette condamnation d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et pour une durée de trois mois au-delà de laquelle il sera de nouveau fait droit ;

Ordonne la prise en charge par la SCI CCLB, bailleresse, du coût de rédaction et des frais d'enregistrement du bail à intervenir ;

Déboute la SCI CCLB de toutes ses demandes formées contre Monsieur et Madame [Z] ;

Déclare sans objet la demande subsidiaire formée par Monsieur et Madame [Z] et les demandes de la SCI ACAF ;

Y ajoutant :

Condamne la SCI CCLB aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SCI CCLB à payer à Monsieur et Madame [Z] la somme de

10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne la SCI CCLB à payer à la SCI ACAF la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.