CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 mai 2024, n° 20/16585
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
SCI Papillon (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Recoules
Conseillers :
Mme Leroy, Mme Girousse
Avocats :
Me Delaisser, Me Didier Nakache, Me Rachel Nakache
FAITS ET PROCEDURE
Par acte du 3 décembre 1999, Madame [P] [B], aux droits de laquelle se trouve la SCI Papillon, a renouvelé pour neuf années à compter du 3 décembre 1999 et jusqu'au 3 décembre 2008, le bail commercial consenti à Monsieur [H] [C] portant sur des locaux situés [Adresse 2] (93), pour exercer l'activité de " confection en cuir et tissus ". Par avenant du 24 octobre 2005, les parties ont convenu de porter le montant du loyer annuel à 1.229 €. Le bail s'est poursuivi par tacite reconduction au-delà du 3 décembre 2008.
Par acte d'huissier du 31 mai 2017, la SCI Papillon a donné congé à Monsieur [H] [C] pour le 31 décembre 2017, avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 10.000 euros.
Par acte du 13 mars 2018, Monsieur [H] [C] a fait assigner la société SCI Papillon devant le tribunal judiciaire de Bobigny sur le fondement de l'article L. 145-14 du code de commerce aux fins principalement de voir fixer l'indemnité d'éviction qui lui serait due.
Par jugement du 24 octobre 2018, le tribunal judiciaire de Bobigny a notamment dit que le bail commercial consenti à Monsieur [H] [C], portant sur des locaux sis [Adresse 2] (93), a pris fin le 31 décembre 2017 par l'effet du congé signifié le 31 mai 2017 par la SCI Papillon; fixé provisoirement le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur [H] [C] à la SCI Papillon depuis le 1er janvier 2018, dans l'attente de son éventuelle détermination par le tribunal, à une somme égale au montant du loyer en cours, charges et taxes en sus selon ce qui est prévu au bail expiré ; ordonné une expertise confiée à Monsieur [W] [T] sur le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement due par la SCI Papillon et de l'indemnité d'occupation éventuellement due par Monsieur [H] [C].
Le rapport d'expertise a été déposé le 26 septembre 2019.
Par jugement du 4 mars 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a :
- fixé à 15.000 euros le montant de l'indemnité d'éviction due par la SCI Papillon à Monsieur [H] [C] ;
- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur [H] [C] à la SCI Papillon à la somme de 2.430 euros par an à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à complète restitution des lieux ;
- dit que les sommes déjà versées depuis le 1er janvier 2018 par Monsieur [H] [C] en contrepartie de l'occupation des lieux seront déduites de la créance d'indemnité d'occupation du bailleur ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la SCI Papillon à verser à Monsieur [H] [C] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que les dépens de l'instance ainsi que les frais d'expertise seront supportés par la SCI Papillon.
Par déclaration du 17 novembre 2020, Monsieur [H] [C] a interjeté appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 janvier 2024.
MOYENS ET PRETENTIONS
Dans ses dernières conclusions déposées le 5 octobre 2023, Monsieur [H] [C], appelant, demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 4 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;
- fixer le montant de l'indemnité d'éviction due par la SCI Papillon à Monsieur [H] [C] à la somme de 45 000,00 euros ;
- fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par Monsieur [H] [C] à la SCI Papillon à la somme de 1 595,28 euros par an à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à complète restitution des lieux ;
- condamner la SCI Papillon à payer à Monsieur [H] [C] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Papillon aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 24 février 2021, la SCI Papillon, intimée, demande à la Cour de :
- débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes comme étant infondées ;
Statuant à nouveau,
- valider le congé du 31 mai 2017 ;
- résilier le bail commercial de M. [H] [C] ;
- ordonner l'expulsion de M. [C] et de tous occupants de son chef, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- juger que l'indemnité d'éviction, en principal et accessoires, due à M. [C] est de 15.000 euros;
- condamner M. [C] au paiement d'une indemnité d'occupation de 2.700 euros par an à compter du 1er janvier 2018 jusqu'à son départ effectif des lieux ;
- condamner M. [H] [C] au paiement de la somme de 3.000 euros en cause d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1. Sur l'indemnité d'éviction :
Aux termes de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Sur l'indemnité principale :
Le jugement déféré a approuvé à juste titre les conclusions de l'expert selon lesquelles, faute pour le preneur de communiquer les éléments comptables sollicités de nature à établir que son activité générait un chiffre d'affaires à la date du congé, on ne peut évaluer la perte du fonds de commerce en fonction de son chiffre d'affaires, de sorte que l'indemnité principale, qu'elle corresponde à la perte du fonds ou à son transfert, ne peut être égale qu'à la valeur du droit au bail qui constitue la valeur minimale pour évaluer un fonds de commerce.
Il est inopérant de la part de M. [C] de faire valoir qu'en cas de transfert du fonds, il perdrait sa clientèle puisqu'il ne donne aucun élément comptable permettant d'apprécier cette perte de clientèle et qu'en tout état de cause, en l'espèce, l'indemnité principale correspond à la valeur du droit au bail. L'expert a considéré à juste titre qu'au regard du caractère modeste de l'emplacement et de la faible spécificité des équipements, le fonds est transférable et que les frais propres au transfert doivent être pris en compte.
Il résulte des constatations de l'expert et des photographies jointes à son rapport que les locaux sont situés dans un secteur d'un intérêt commercial secondaire, dans un environnement d'habitation dont les quelques commerces sont des commerces de proximité fréquentés par une clientèle locale; que ces locaux, d'une surface utile de 18,70 m2 et pondérée de 15 m2, sont constitués d'une boutique sur rue suivie d'une arrière boutique comprenant un lavabo, avec droit aux WC communs; que le locataire y exerce l'activité de retoucheur ; qu'ils contiennent du matériel professionnel (comptoir, marchines à coudre, table à repasser...) ; qu'ils bénéficient d'un aménagement courant et propre ; que, cependant, l'immeuble dont ils dépendent est à l'état d'abandon, la totalité des accès étant murés, grillagés ou fermés, les parties communes sont en très mauvais état plusieurs carreaux étant brisés et des déchets jonchant le sol.
S'agissant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction, il est inopérant de la part de M. [C] de faire valoir que l'attitude de la SCI Papillon consistant à ne pas entretenir l'immeuble en cause aurait pour effet de faire baisser la valeur du fonds de commerce, puisque l'article L. 145-14 impose de fixer l'indemnité d'occupation en fonction de la valeur du fonds perdu tel qu'il existe. Au surplus, aucun élément comptable n'est produit pour démontrer la perte de clientèle alléguée.
M. [C] demande de fixer l'indemnité principale à 15.000 € mais n'apporte aucun élément pour justifier du bien fondé de cette demande.
La durée du bail étant supérieure à douze ans, conformément aux dispositions de l'article L. 145-34 du code de commerce, si le bail avait été renouvelé il n'aurait pas été plafonné mais fixé à la valeur locative. Compte tenu de la situation commerciale très secondaire des locaux et de leurs caractéristiques, la valeur du loyer en cas de renouvellement n'étant pas soumise au plafonnement, c'est à juste titre que le jugement déféré, reprenant les conclusions de l'expert, a considéré que la valeur du droit au bail calculée en fonction du différentiel entre la valeur locative de marché et celle de renouvellement est nulle.
Sur les indemnités accessoires :
Sur les frais de remploi
M. [C] demande de fixer ces frais à 3.000 €. Cependant, il ne produit aucun élément de nature à démontrer que son préjudice de ce chef correspondrait à ce montant supérieur à une année de l'actuel loyer.
En cas de perte de fonds de commerce, il est d'usage de fixer l'indemnité de remploi à 10 % du montant de l'indemnité principale. En l'espèce, le jugement déféré a considéré, comme l'expert, qu'au regard de la transférabilité du fonds, il convient de fixer l'indemnité de remploi à 900 €. Ce montant correspondant à 33 % de la valeur locative des locaux fixée ci-dessous est justifié et sera retenu.
Sur les frais de déménagement
Le montant de 500 € fixé à ce titre par le jugement déféré conformément à la proposition de l'expert, approuvée par les parties, sera retenue.
Sur le trouble commercial
Au regard de la rémunération perçue par M. [C] en 2013 et 2014, l'expert fixe à 2.000 € le trouble commercial correspondant au coût de la perte de temps consacrée à la recherche d'un nouveau local, au déménagement, à l'information de la clientèle et à la gestion des contraintes liées à ce déménagement.
M. [C] demande d'évaluer ce trouble à 5.000 € compte tenu de l'absence d'entretien des parties communes et du rez-de-chaussée de l'immeuble dont dépend le local en cause. Cependant, l'indemnité prévue par l'article L. 145-14 précité correspond au préjudice causé par le défaut de renouvellement, tel n'est pas le cas du préjudice de jouissance allégué résultant d'un défaut d'entretien des locaux qui n'a pas à être pris en compte dans l'indemnité d'éviction. En outre, elle ne produit aucun élément de nature à démontrer que son trouble commercial devrait être évalué à 5.000 €.
Au regard des éléments de l'espèce, c'est à juste titre que le jugement déféré a fixé ce préjudice à 2.000 €. Ce montant sera retenu.
Sur les frais de réinstallation :
Au regard des travaux réalisés par le preneur en 2011 et 2012 pour un montant total de 33.691,32 € TTC (maçonnerie, menuiseries, peinture, électricité et plomberie) et de la durée d'amortissement restante, l'expert a fixé à 10.106 € les frais de réinstallation.
M. [C] sollicite un montant de 30.000 € à ce titre mais ne justifie pas du bien fondé de cette réclamation correspondant au coût des travaux réalisés.
Le montant de 10.106 € proposé par l'expert et retenu par le jugement déféré est justifié au regard des travaux réalisés par le locataire et non amorti. Il sera retenu.
Sur les réfactions diverses :
Compte tenu des frais juridiques, de modification au registre du commerce, de résiliation des contrats d'abonnement et, l'expert a fixé à 1.500 € indemnité due à ce titre.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 15.000 € le montant de l'indemnité d'éviction.
2. Sur l'indemnité d'occupation :
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce l'indemnité d'occupation due par le locataire pouvant prétendre au maintien dans les lieux, est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII du chapitre de ce code relative au bail commercial compte tenu de tous éléments d'appréciation. Cette indemnité doit être fixée à la valeur locative de renouvellement déterminée en application de l'article L. 145-33 du même code.
M. [C] n'est donc pas fondé à demander, en contradiction avec ces dispositions, que l'indemnité d'occupation soit fixée à la valeur du dernier loyer payé annuellement, puisqu'il ne fait pas la démonstration que ce loyer contractuel correspondrait à la valeur locative de renouvellement des locaux. Par ailleurs, il est inopérant de faire valoir que l'indemnité d'occupation fixée constitue une importante augmentation au regard du loyer du bail expiré.
L'expert a estimé à 200 €/m2, soit 3.000 €/an (15m2P x 200), la valeur locative de renouvellement des locaux. Compte tenu de la précarité de l'occupation résultant de la situation de maintien dans les lieux, il a appliqué un abattement de 10 %, et proposé une indemnité d'occupation annuelle de 2.700 €. La bailleresse demande de retenir ce montant.
Tenant compte de l'état de l'immeuble dont l'aspect extérieur et les parties communes sont très dégradés et non entretenus, le jugement déféré a considéré à juste titre qu'il convenait de retenir pour la valeur locative de renouvellement un montant de 180 €/m2P, soit une valeur locative de renouvellement de 2.700 € et lui appliquer une minoration de 10 % pour tenir compte de la précarité de l'occupation, soit une indemnité de 2.430 €.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 2.430 € le montant de l'indemnité d'occupation annuelle due à compter du terme du bail, soit le 1er janvier 2018, jusqu'à la restitution des lieux.
3. Sur la demande de résiliation du bail et d'expulsion :
Dès lors que le bail a pris fin le 31 décembre 2017 par l'effet du congé signifié le 31 mai 2017, ainsi que l'a déjà constaté le jugement rendu le 24 octobre 2018 par le tribunal de grande instance de Bobigny, et qu'en application de l'article L. 145-28 du code de commerce le locataire pouvant prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité, ayant droit au maintien dans les lieux aux clauses et conditions du bail expiré, il n'y a pas lieu de solliciter la résiliation du bail. De plus, en l'absence de démonstration d'un manquement imputable au locataire, il n'y a pas lieu non plus de solliciter la résiliation du bail résiduel sans indemnité d'éviction.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SCI PAPILLON de sa demande aux fins de voir résilier le bail.
Par ailleurs, compte tenu du droit au maintien dans les lieux de la locataire jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction et du droit d'option dont bénéficie la bailleresse, c'est à juste titre que le jugement déféré a rejeté la demande de la bailleresse aux fins de voir d'ores et déjà ordonner l'expulsion du locataire. Il sera confirmé sur ce point.
4. Sur les autres demandes :
Compte tenu du droit d'option dont bénéficie la bailleresse, c'est à juste titre que le jugement déféré a dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire.
Ce jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l'exécution provisoire, aux dépens et aux frais irrépétibles.
La situation économique respective des parties et l'équité commandent de les débouter de leurs demandes fondées sur l'article 700 au titre de la procédure d'appel.
M. [C] qui succombe sera condamné aux dépens de la procédure d'appel dans les conditions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991.
Les autres demandes seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 4 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny (N° RG 18/3361),
Y ajoutant,
Déboute la SCI Papillon de sa demande aux fins de voir résilier le bail commercial,
Déboute la SCI Papillon de sa demande aux fins de voir ordonner l'expulsion de M. [C],
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes,
Condamne M. [C] aux dépens de la procédure d'appel dans les conditions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991.