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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ., 30 mai 2024, n° 22/03040

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Trajectoire (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Blanchet, Me Pajeot, Me Laverriere, Me Lejard

TJ Alençon, du 8 nov. 2022

8 novembre 2022

Par acte sous seing privé du 18 juillet 2013, Mme [U] [N] et M. [F] [A], liés par un pacte civil de solidarité, ont constitué le groupement foncier agricole GFA Fly ayant pour objet social la propriété, la jouissance, l'administration de tous biens et droits immobiliers à usage agricole et de tous bâtiments d'habitation et d'exploitation nécessaires à leur exploitation.

Mme [N] et M. [A] sont co-associés égalitaires et cogérants du GFA Fly.

Par acte notarié du 20 août 2013, le GFA Fly a acquis par l'intermédiaire de la SAFER un ensemble immobilier situé lieudit '[Adresse 7], composé de deux maisons individuelles et de diverses parcelles agricoles.

Par acte sous seing privé du 13 septembre 2013, le GFA Fly a donné à bail à M. [F] [A] les parcelles agricoles.

Mme [N] et M. [A] ont mis fin au pacte civil de solidarité le 4 juin 2018.

Se prévalant de l'existence d'une relation conflictuelle entre les co-associés, Mme [N], ès qualités d'associée et de co-gérante du GFA Fly, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Alençon, lequel a, par ordonnance du 16 août 2018, désigné Me [S] en qualité de mandataire ad'hoc aux fins de gérer le GFA Fly, établir la comptabilité, percevoir les loyers et faire procéder le cas échéant aux travaux nécessaires.

Par ordonnance du 29 novembre 2019, Me [S] a été remplacé par la SELARL Trajectoire ès qualités de mandataire ad'hoc du GFA Fly.

Par actes d'huissier de justice des 23 et 24 mars 2022, Mme [U] [N] et le GFA Fly ont assigné M. [F] [A] et la SELARL Trajectoire en sa qualité de mandataire ad'hoc du GFA Fly devant le tribunal judiciaire d'Alençon, sollicitant principalement la dissolution anticipée du GFA Fly et la désignation d'un mandataire de justice en qualité de liquidateur du GFA Fly.

Par jugement contradictoire du 8 novembre 2022, le tribunal judiciaire d'Alençon a :

- dit que M. [F] [A] est irrecevable à soulever le défaut de qualité et d'intérêt à agir du GFA Fly devant le juge du fond ;

- déclaré recevable l'action de société GFA Fly ;

- prononcé la dissolution anticipée de la société GFA Fly ;

- désigné en qualité de liquidateur la SELARL Trajectoire, prise en la personne de Me [W] [P] avec mission de procéder aux opérations de liquidation de la société GFA Fly et aux formalités légales de publicité, dans les conditions des articles 1844-8 et 1844-9 du code civil ;

- dit que le liquidateur devra notamment :

* déterminer l'actif et le passif de la société,

* réaliser les actifs de la société,

* déterminer la valeur des comptes courants des associés,

* établir les comptes entre les parties et, le cas échéant, répartir le boni de liquidation entre les associés au prorata de leur participation au capital ;

- dit que la mission du liquidateur est fixée pour une durée de six mois et pourra être prorogée par ordonnance sur requête ou en référé ;

- dit qu'il sera dressé rapport de la mission du liquidateur ;

- dit que les frais et honoraires de la SELARL Trajectoire, prise en la personne de Me [W] [P] seront supportés par la société GFA Fly ;

- fixé la provision à valoir sur les frais et honoraires du liquidateur à la somme de 3.000 euros ;

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;

- débouté M. [F] [A] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes comme indiqué aux motifs ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 2 décembre 2022, M. [F] [A] a fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions déposées le 10 juillet 2023, M. [F] [A] demande à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris,

- débouter le GFA Fly et Mme [U] [N] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- Condamner Mme [U] [N] à lui payer la somme de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [U] [N] aux entiers dépens de première instance et d' appel et accorder à Me [B] [L] le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées le 11 mai 2023, Mme [U] [N] et le GFA Fly demandent à la cour de :

- Confirmer en toutes ces dispositions le jugement du tribunal judiciaire d'Alençon du 8 novembre 2022,

- Condamner M. [F] [A] à payer à Mme [U]-[D] [N] et au GFA Fly la somme de 2.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [F] [A] aux entiers dépens dont distraction au profit de Lexavoue Normandie en la personne de Me Jérémie Pajeot, avocat au barreau de Caen.

Par dernières conclusions déposées le 13 avril 2023, la SELARL Trajectoire, représentée par Maître [W] [P], ès qualités de mandataire ad'hoc du groupement foncier agricole Fly demande à la cour de :

- Statuer ce que de droit quant à la recevabilité et le bien-fondé de l'appel régularisé par M. [F] [A],

- Condamner tout succombant au paiement d'une indemnité de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 mars 2024.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

Sur la dissolution anticipée

Selon l'article 1844-7 5° du code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

M. [A] soutient que même en admettant une mésentente entre associés, celle-ci n'empêche nullement le fonctionnement de la société puisque le GFA continue à percevoir le fermage payé par M. [A] pour l'exploitation des terres et que les associés continuent à vivre chacun dans une maison, aucun élément ne permettant de retenir que les associés ont refusé de résoudre le problème du chauffage ou encore d'adopter un nouveau statut juridique alors que la mission de la SELARL Trajectoire ne prévoyait pas que celle-ci donne son avis sur le statut juridique du GFA et que le mandataire ad hoc n'a pas rempli sa mission qui consistait à faire la comptabilité, percevoir les loyers et fixer les travaux nécessaires.

Mme [N] et le GFA Fly font valoir que la mésentente entre les deux associés a persisté malgré la désignation d'un administrateur provisoire et que celle-ci paralyse le fonctionnement du GFA dès lors qu'il n'existe plus aucune vie sociale, aucune décision économique ou financière ne pouvant être prise, que les comptes 2020 et suivants n'ont pas été arrêtés et que l'absence de décision a un impact sur la situation financière du GFA qui enregistre des pertes importantes.

Le GFA Fly a pour objet selon ses statuts, 'la propriété, la jouissance, l'administration, par dation à bail ou mise en valeur directe, de tous biens et droits immobiliers à usage agricole et de tous bâtiments d'habitation et d'exploitation nécessaires à leur exploitation, ainsi que de tous immeubles par destination se rattachant à ces mêmes biens, dont le groupement aura la propriété par suite d'apport ou d'acquisition ;

et plus généralement de toutes opérations pouvant se rattacher directement ou indirectement à cet objet pourvu qu'elles ne modifient pas le caractère civil du groupement et ne soient pas incompatibles avec la législation régissant le présent goroupement foncier agricole.'

Le GFA a acquis par l'intermédiaire de la SAFER deux maisons d'habitation et diverses parcelles de terre d'une contenance de 8 ha 26 a 79 ca situées à [Localité 5].

Les parcelles de terre ont été données à bail rural à M. [A] par le GFA Fly par acte sous seing privé du 13 septembre 2013.

Le GFA Fly n'a pas d'autres biens.

Il ressort du rapport de fin de mission en date du 31 décembre 2019 de maître [S], désigné en qualité de mandataire ad hoc aux fins de gérer le GFA Fly, que les conflits de voisinage entre les associés, qui occupent chacun une maison appartenant au GFA, sont permanents, que l'occupation des maisons appartenant au GFA par les associés ne donne lieu à aucun versement de loyer ou indemnité d'occupation, aucune convention n'ayant été régularisée avec le GFA, que des travaux importants sont réalisés sur les biens immobiliers par chacun des associés en dehors de tout cadre et sans intervention du GFA, que les associés ne se sont jamais préoccupés de la personnalité morale du GFA et qu'ils ont agi sur le patrimoine de celui-ci comme s'il s'agissait de biens propres, qu'aucun des associés n'a voulu autoriser ce que l'autre demandait et le conflit a été en permanence entretenu , qu'il en résulte un blocage empêchant de trouver une solution pour le GFA.

La SELARL Trajectoire désignée en remplacement de maître [S] a rédigé un rapport de difficulté le 26 janvier 2022 dont il ressort que les associés ne sont pas d'accord sur les travaux nécessaires relatifs aux maisons, sur la prise en charge des frais liés au chauffage, que le blocage est persistant et ne permet pas l'exploitation optimale des biens par le GFA.

Il est ainsi établi l'existence d'un conflit important entre les deux associés du GFA FLY qui dure depuis plusieurs années et a perduré même après la désignation de deux administrateurs provisoires successifs qui ont tous les deux conclu au blocage de la situation et à l'impossibilité d'exercer leur mission.

Cette animosité entre associés rend impossible le fonctionnement normal du GFA FLY puisqu'aucune réunion de l'assemblée générale n'a pu avoir lieu pour prendre des décisions relatives à l'aménagement des maisons propriété du GFA pour les rendre indépendantes et habitables afin de les valoriser et de permettre leur exploitation dans l'intérêt de la société.

Contrairement à ce que soutient M. [A], ces décisions ne relèvaient pas du pouvoir des administrateurs provisoires mais bien d'une décision des associés devant être prise, au vu des statuts, pour les décisions ordinaires par un ou des associés représentant plus de la moitié du capital social et pour les décisions extraordinaires par un ou des associés représentant plus de 3/4 du capital social, ce qui explique le blocage constaté.

Cette absence de toute vie sociale du GFA soulignée par Mme [N] est bien constitutive d'un fonctionnement anormal de la société qui met en péril les intérêts de celle-ci qui est privée d'une valorisation de ses actifs et également de ressources puisqu'aucun des associés ne verse de contrepartie financière pour l'occupation des immeubles.

Maître [S], dans son rapport de fin de mission du 31 décembre 2019, précise que le loyer payé par M. [A] pour la location des terres est la seule ressource du GFA et qu'elle est modeste.

Il sera en outre relevé que les associés font réaliser de leur seule initiative des travaux d'aménagement dans leur propre intérêt sans se soucier des règles sociales et de l'intérêt du GFA.(Rapport de maître [S] et constat de commissaire de justice du 9 novembre 2023)

Il en résulte que les justes motifs visés par l'article 1844-7 5° du code civil sont établis et que c'est à bon droit que le tribunal a prononcé la dissolution anticipée du GFA Fly. Le jugement sera confirmé.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.

M. [A], qui succombe en son appel, sera condamné aux dépens d'appel et à payer à Mme [N] et au GFA Fly la somme de 3.000 euros et à la SELARL Trajectoire ès qualités la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

M. [A] sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Condamne M. [F] [A] à payer à Mme [U] [N] et au GFA Fly, unis d'intérêts, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne M. [F] [A] à payer à la SELARL Trajectoire ès qualités de mandataire ad hoc du GFA Fly la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Déboute M. [F] [A] de sa demande formée à ce titre ;

Condamne M. [F] [A] aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats constitués sur la cause qui en ont fait la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.