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Décisions

CJUE, 4e ch., 6 juin 2024, n° C-441/21 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ryanair DAC

Défendeur :

Commission européenne, Royaume d’Espagne, République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lycourgos

Juges :

Mme Spineanu-Matei, M. Bonichot, M. Rodin (rapporteur), Mme Rossi

Avocat général :

M. Pitruzzella

Avocats :

Me Blanc, Me Laprévote, Me Vahida, Me Metaxas-Maranghidis, Me Pérez de Lamo, Me Rating

CJUE n° C-441/21 P

5 juin 2024

LA COUR (quatrième chambre),

1 Par son pourvoi, Ryanair DAC demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 19 mai 2021, Ryanair/Commission (Espagne ; Covid-19) (T 628/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:285), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C(2020) 5414 final de la Commission, du 31 juillet 2020, relative à l’aide d’État SA.57659 (2020/N) – Espagne – COVID-19 – Fonds de recapitalisation (JO 2020, C 269, p. 8, ci-après la « décision litigieuse »).

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2 Les antécédents du litige, tels qu’ils sont présentés dans l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

3 Le 20 juillet 2020, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, le Royaume d’Espagne a notifié à la Commission européenne une mesure d’aide sous la forme d’un régime (ci-après le « régime d’aides en cause ») visant à la création du Fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques (ci-après le « Fonds »), pour soutenir la solvabilité des entreprises viables, considérées comme étant systémiques ou stratégiques pour l’économie espagnole, qui connaissent des difficultés temporaires en raison de la pandémie de COVID-19.

4 Le Fonds était appelé à fournir un financement par l’achat d’instruments financiers et de titres émis par des entreprises non financières établies en Espagne, sans limitation de taille ou de secteur économique. Il était géré par un conseil d’administration qui devait prendre les décisions concernant les demandes d’aide et fixer les conditions du financement public accordé aux bénéficiaires. La Sociedad Española de Participaciones Industriales (société espagnole de participations industrielles, ci-après la « SEPI »), un holding public qui gère les participations de l’État espagnol, était chargée notamment de l’évaluation préalable des demandes d’aide, de l’utilisation des fonds et de l’enregistrement des titres acquis par l’État. Ce conseil d’administration soumettait, pour approbation, au conseil des ministres espagnol les décisions relatives à l’octroi du financement public. Ledit conseil d’administration était un comité interministériel présidé par le président de la SEPI et composé, en outre, de représentants des ministères de l’Économie, des Finances, de l’Industrie et de l’Énergie.

5 Le budget du régime d’aides en cause était fixé à 10 milliards d’euros, financés par le budget de l’État. Les interventions du Fonds devaient dépasser, en principe, 25 millions d’euros par bénéficiaire. Toutefois, les soutiens au-delà de 250 millions d’euros par bénéficiaire devaient être notifiés individuellement à la Commission. Les opérations temporaires de soutien financées par le Fonds étaient accordées jusqu’au 30 juin 2021.

6 Pour bénéficier du régime d’aides en cause, les entreprises devaient remplir plusieurs critères cumulatifs d’éligibilité, dont en substance :

– être des entreprises non financières établies et ayant leurs principaux centres d’activité en Espagne ;

– avoir une importance systémique ou stratégique du fait de leur appartenance à un secteur d’activité particulier, en raison de leurs liens avec la santé publique et la sécurité publique ou encore de leur influence sur l’ensemble de l’économie, de leurs activités d’innovation, du caractère essentiel des services fournis ou de leur rôle dans la réalisation des objectifs à moyen terme concernant la transition écologique, la numérisation, l’accroissement de la productivité et le capital humain ;

– être face à un risque de cessation de leurs activités ou éprouver de graves difficultés à rester en activité sans soutien public temporaire ;

– la cessation forcée de leurs activités aurait un impact négatif et élevé sur l’activité ou l’emploi au niveau national ou régional ;

– démontrer leur viabilité à moyen et à long terme en présentant un plan de viabilité indiquant la manière dont l’entreprise pourrait surmonter la crise et décrivant l’utilisation proposée de l’aide publique ;

– présenter un calendrier prévisionnel de remboursement du soutien de l’État par le Fonds, et

– ne pas être considérées comme étant déjà en difficulté au 31 décembre 2019.

7 En outre, les entreprises souhaitant bénéficier du régime d’aides en cause devaient démontrer, sur la base de preuves adéquates, qu’un financement privé par l’intermédiaire des banques ou des marchés financiers ne leur était pas accessible ou l’était à un coût qui aurait entravé leur viabilité.

8 Le 31 juillet 2020, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle, après avoir constaté que le régime d’aides en cause était constitutif d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et en avoir évalué la compatibilité avec le marché intérieur à la lumière de sa communication C(2020) 1863, du 19 mars 2020, intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 » (JO 2020, C 91 I, p. 1), telle que modifiée par ses communications C(2020) 2215, du 3 avril 2020 (JO 2020, C 112 I, p. 1), 2020/C 164/03, du 13 mai 2020 (JO 2020, C 164, p. 3), et 2020/C 218/03, du 29 juin 2020 (JO 2020, C 218, p. 3) (ci-après la « communication “encadrement temporaire” »), elle a décidé que ce régime d’aides était compatible avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et n’a, dès lors, pas soulevé d’objections à son égard.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 16 octobre 2020, Ryanair a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

10 À l’appui de ce recours, Ryanair a soulevé cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation des principes de non-discrimination en raison de la nationalité, de libre prestation des services et de liberté d’établissement, le deuxième, d’une violation de l’obligation de mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, le troisième, de la qualification erronée du régime d’aides en cause de « régime d’aides », le quatrième, d’une violation de ses droits procéduraux au motif que la Commission avait refusé d’ouvrir la procédure formelle d’examen en dépit de l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.

11 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les premier à troisième et cinquième moyens comme étant non fondés. S’agissant du quatrième moyen, il a notamment considéré que ce moyen reprenait les arguments invoqués dans le cadre des premier à troisième moyens, de sorte que, au regard des motifs l’ayant conduit à rejeter ceux-ci, il n’était pas nécessaire d’examiner le bien-fondé dudit quatrième moyen. Par conséquent, le Tribunal a rejeté ledit recours dans son ensemble, sans statuer sur la recevabilité de celui-ci.

 Les conclusions des parties au pourvoi

12 Par son pourvoi, Ryanair demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– de condamner la Commission et les parties intervenantes en première instance aux dépens ou, à titre subsidiaire ;

– d’annuler l’arrêt attaqué, et

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.

13 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

14 Le Royaume d’Espagne demande à la Cour :

– de déclarer le pourvoi irrecevable ;

– à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme étant non fondé, et

– en toute hypothèse, de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

15 À l’appui de son pourvoi, Ryanair soulève six moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit, de dénaturations des faits et d’un défaut de motivation que le Tribunal aurait commis dans le cadre de l’examen du premier moyen du recours en première instance en tant que celui-ci était tiré d’une violation du principe de non-discrimination. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits que le Tribunal aurait commises dans le cadre de l’examen du premier moyen de ce recours en tant que celui-ci était tiré d’une violation de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits que le Tribunal aurait commises en écartant l’application du critère de la mise en balance des effets bénéfiques et des effets négatifs du régime d’aides en cause. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que le Tribunal a qualifié ce régime de « régime d’aides ». Le cinquième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits que le Tribunal aurait commises en décidant de ne pas examiner le bien-fondé du quatrième moyen dudit recours. Le sixième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation manifeste des faits que le Tribunal aurait commises en jugeant que la Commission n’avait pas violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

16 Par son premier moyen, qui comprend deux branches et vise les points 24 à 52 de l’arrêt attaqué, Ryanair soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit et des dénaturations manifestes des faits en considérant que le régime d’aides en cause ne violait pas le principe de non-discrimination en raison de la nationalité.

17 Par la première branche de son premier moyen, Ryanair fait valoir que le Tribunal n’a pas dûment appliqué le principe de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, qui serait un principe essentiel de l’ordre juridique de l’Union européenne. Bien que le Tribunal ait reconnu, au point 26 de l’arrêt attaqué, que la différence de traitement instituée par le régime d’aides en cause pouvait être assimilée à une discrimination au regard de l’un des critères d’éligibilité, à savoir celui relatif à l’établissement des bénéficiaires en Espagne et à la localisation de leurs principaux centres d’activité sur le territoire de cet État membre, il aurait à tort considéré qu’une telle discrimination ne devait être appréciée qu’au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, au motif que cette disposition constituait une disposition particulière, au sens de l’article 18 TFUE.

18 En outre, la requérante fait valoir que le Tribunal aurait dû examiner si une telle discrimination était justifiée pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, au sens de l’article 52 TFUE, ou, en tout état de cause, si elle était fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées.

19 Par la seconde branche de son premier moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits, outre un défaut de motivation, en considérant que le critère d’éligibilité visé au point 17 du présent arrêt était approprié, nécessaire et proportionné.

20 À cet égard, elle reproche au Tribunal, en premier lieu, d’avoir, notamment au point 27 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en considérant que ce critère d’éligibilité était approprié et nécessaire.

21 Premièrement, la justification globale fournie par le Tribunal sur ce point serait juridiquement erronée, dès lors qu’elle ne figurait pas dans la décision litigieuse.

22 Deuxièmement, la justification avancée par le Tribunal relative à la nature du régime d’aides en cause procéderait d’une erreur de droit et d’une mauvaise lecture de la communication « encadrement temporaire ». En particulier, le fait que l’aide concernée prenne la forme d’une recapitalisation, telle que définie à la section 3.11 de cette communication, ne saurait valablement justifier l’exigence de l’établissement en Espagne.

23 Troisièmement, le Tribunal aurait manifestement dénaturé les faits et commis une erreur de droit en assimilant la présence stable sur le territoire espagnol et le rattachement durable à l’économie espagnole au fait d’avoir son principal établissement en Espagne. À cet effet, le Tribunal aurait notamment considéré, au point 36 de l’arrêt attaqué, qu’exiger que les entreprises bénéficiaires soient principalement établies en Espagne assure « une certaine stabilité de la présence de [celles]-ci et de leur ancrage durable dans l’économie espagnole ». Or, ce rattachement causal serait purement conjectural, ne serait pas démontré et serait manifestement inexact.

24 Quatrièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit et n’aurait pas fourni de motivation lorsqu’il a, au point 37 de l’arrêt attaqué, considéré les compagnies aériennes qui ne remplissent pas l’exigence de l’établissement en Espagne comme étant de « simples prestataires de services », dont les activités en Espagne peuvent « cesser à très bref délai, pour ne pas dire immédiatement ».

25 Cinquièmement, au point 35 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait fourni aucune motivation et aurait commis une erreur de droit en justifiant cette exigence par la nécessité « de contrôler, de manière continue et efficace, la façon dont l’aide est utilisée ainsi que le respect des clauses de gouvernance et de toutes les autres mesures imposées pour limiter les distorsions de concurrence » ainsi que « d’intervenir, en cas de besoin, afin d’imposer le respect des conditions et des engagements entourant l’octroi du financement public en cause ». Selon Ryanair, cette explication ne figurait pas dans la décision litigieuse. En outre, il n’existerait aucun lien entre le lieu d’établissement d’un transporteur aérien basé dans l’Union et l’aptitude d’un État membre à contrôler la façon dont une aide est utilisée par ce transporteur.

26 Sixièmement, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant, au point 37 de l’arrêt attaqué, qu’« un éventuel financement public visant à soutenir [les] activités [des entreprises établies en Espagne, mais ayant leurs principaux centres d’activité en dehors du territoire de cet État,] est moins à même de contribuer à remédier à la perturbation grave de l’économie [dudit] État membre ». Par cette conclusion, le Tribunal aurait assimilé le lien d’une compagnie aérienne avec le territoire d’un État membre à son lien avec l’ensemble de l’économie de l’État membre concerné et, de manière encore plus inexacte, à son aptitude à remédier à une perturbation grave de cette économie.

27 Septièmement, le Tribunal se serait contredit et aurait commis une erreur de droit en affirmant, aux points 38 à 40 de l’arrêt attaqué, que l’exigence de l’établissement en Espagne était justifiée par les autres critères d’éligibilité au régime d’aides en cause. Au contraire, l’existence d’un critère spécifique d’éligibilité lié à l’importance systémique et stratégique des bénéficiaires ou d’une condition concernant la présentation d’un plan de viabilité ou d’un calendrier prévisionnel de remboursement de l’aide rendrait cette exigence tout à fait superflue et même contre-productive.

28 En second lieu, Ryanair soutient que l’appréciation du Tribunal, figurant aux points 44 à 52 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le régime d’aides en cause était proportionné à l’objectif poursuivi par celui-ci, est entachée d’erreurs de droit et de dénaturations des faits.

29 À cet égard, premièrement, le Tribunal aurait omis d’évaluer l’effet concurrentiel de ce régime d’aides dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de ce dernier. Or, une telle évaluation serait essentielle pour déterminer si ledit régime d’aides ne va pas « au-delà de ce qui est nécessaire » pour atteindre l’objectif qu’il poursuit.

30 Deuxièmement, selon Ryanair, l’affirmation du Tribunal, au point 46 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la nécessité d’un ancrage stable et durable des bénéficiaires de l’aide dans l’économie espagnole, qui sous-tend le régime d’aides en cause, « ferait défaut ou serait à tout le moins affaiblie » si le Royaume d’Espagne avait adopté un critère d’éligibilité autre que celui visé au point 17 du présent arrêt est erronée en droit, procède d’une dénaturation manifeste des faits et contredit sa propre description des autres critères d’éligibilité au régime d’aides en cause, en particulier celui lié à l’importance systémique et stratégique des bénéficiaires.

31 Troisièmement, aux points 47 et 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait rejeté à tort comme étant dénué de pertinence le fait que la requérante est la plus grande compagnie aérienne d’Espagne, détenant environ 20 % du marché dans cet État membre. Or, la sortie de Ryanair de ce marché aurait, sur l’« état général » de l’économie espagnole, incontestablement des conséquences plus importantes que celles d’autres compagnies bénéficiaires du régime d’aides en cause, qui contribuent moins à l’économie espagnole.

32 Quatrièmement, selon Ryanair, au point 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a refusé à tort d’examiner un autre scénario d’aide au motif que la Commission ne pouvait pas être chargée d’« examiner toute mesure alternative envisageable ». Le Tribunal se serait, à cet égard, erronément fondé sur son arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission (T 135/17, EU:T:2019:287), dont il ressortirait seulement que la Commission n’avait pas le devoir d’examiner toutes les mesures alternatives dans la motivation de sa décision.

33 Selon la Commission et le Royaume d’Espagne, il convient de rejeter le premier moyen comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

34 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 28 juin 2018, Allemagne/Commission, C 208/16 P, EU:C:2018:506, point 79 et jurisprudence citée).

35 C’est donc à l’égard de mesures présentant de telles caractéristiques et déployant de tels effets, en ce qu’elles sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence et de porter atteinte aux échanges entre les États membres, que l’article 107, paragraphe 1, TFUE énonce le principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur.

36 En particulier, l’exigence de sélectivité découlant de l’article 107, paragraphe 1, TFUE suppose que la Commission établisse que l’avantage économique, pris au sens large, découlant directement ou indirectement d’une mesure donnée profite spécifiquement à une ou à plusieurs entreprises. Il lui incombe, pour ce faire, de démontrer, en particulier, que la mesure concernée introduit des différenciations entre les entreprises se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation comparable. Il faut donc que l’avantage soit octroyé de façon sélective et qu’il soit susceptible de placer certaines entreprises dans une situation plus favorable que d’autres (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 103 et jurisprudence citée).

37 L’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE prévoit toutefois certaines dérogations au principe d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, évoqué au point 35 du présent arrêt, telles que celle énoncée à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, concernant les aides destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ». Sont, ainsi, compatibles ou susceptibles d’être déclarées compatibles avec le marché intérieur des aides d’État octroyées aux fins et dans les conditions prévues à ces dispositions dérogatoires, nonobstant le fait qu’elles présentent les caractéristiques et déploient les effets visés au point 34 du présent arrêt.

38 Il s’ensuit que, sauf à priver lesdites dispositions dérogatoires de tout effet utile, des aides d’État qui sont octroyées en conformité avec ces conditions, c’est-à-dire aux fins d’un objectif qui y est reconnu et dans les limites de ce qui est nécessaire et proportionné à la réalisation de cet objectif, ne sauraient être jugées incompatibles avec le marché intérieur au regard des seules caractéristiques ou des seuls effets visés au point 34 du présent arrêt, qui sont inhérents à toute aide d’État, à savoir, notamment, pour des raisons liées à ce que l’aide est sélective ou à ce qu’elle fausserait la concurrence (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 107 et jurisprudence citée).

39 Cela étant, s’agissant de la première branche de son premier moyen, par laquelle Ryanair invoque une erreur de droit tirée de ce que le Tribunal n’a pas appliqué, au point 27 de l’arrêt attaqué, le principe de non discrimination en raison de la nationalité consacré à l’article 18 TFUE, mais a examiné le régime d’aides en cause au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 109 et jurisprudence citée).

40 Toutefois, en ce qui concerne spécifiquement l’article 18 TFUE, il est de jurisprudence constante que cet article n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 110 et jurisprudence citée).

41 Dès lors que, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 du présent arrêt, l’article 107, paragraphes 2 et 3, TFUE prévoit des dérogations au principe, énoncé au paragraphe 1 de cet article, d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, et admet ainsi, en particulier, des différences de traitement entre les entreprises, sous réserve de remplir les exigences prévues par ces dérogations, ces dernières doivent être considérées comme étant des « dispositions particulières » prévues par les traités, au sens de l’article 18, premier alinéa, TFUE (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 111).

42 Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, au point 27 de l’arrêt attaqué, que l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE constituait une telle disposition particulière et qu’il convenait seulement d’examiner si la différence de traitement induite par le régime d’aides en cause était permise au titre de cette disposition.

43 Il en découle que les différences de traitement qu’entraîne le régime d’aides en cause n’ont pas davantage à être justifiées au regard des motifs énoncés à l’article 52 TFUE, contrairement à ce que soutient Ryanair.

44 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

45 Par la seconde branche de ce moyen, Ryanair invoque, en substance, une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce que le Tribunal a considéré, aux points 35 à 52 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aides en cause était proportionné.

46 Par le premier grief de cette seconde branche, Ryanair reproche au Tribunal, plus particulièrement, une erreur de droit et une dénaturation des faits au motif qu’il a considéré à tort, notamment aux points 27 et 36 à 40 de l’arrêt attaqué, que le critère d’éligibilité à ce régime d’aides relatif à l’établissement des bénéficiaires en Espagne et à la localisation de leurs principaux centres d’activité sur le territoire de cet État membre était approprié et nécessaire.

47 À cet égard, en ce que Ryanair fait valoir, par un premier argument, que, par la « justification globale » concernant ce critère d’éligibilité, le Tribunal a, notamment au point 27 de l’arrêt attaqué, avancé une justification qui ne figurait pas dans la décision litigieuse, de telle sorte qu’il a substitué ses propres motifs à ceux retenus par la Commission à l’appui de cette décision, il ressort, certes, de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal ne peuvent, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 117 et jurisprudence citée).

48 Toutefois, il y a lieu de constater que, au considérant 10 de la décision litigieuse, la Commission a fait état du critère d’établissement comme critère d’éligibilité et que, aux points 26 et 27 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est borné à se référer à ce critère dans sa réponse à l’argumentation de la requérante tirée du caractère discriminatoire et disproportionné du régime d’aides en cause, afin d’identifier la différence de traitement que ce régime d’aides opérerait, sans procéder pour autant à une substitution des motifs de cette décision. De surcroît, Ryanair reste en défaut de préciser par quelle motivation le Tribunal aurait ainsi remplacé celle de ladite décision.

49 Il convient, dès lors, d’écarter le premier argument du premier grief de la seconde branche du premier moyen.

50 Dans la mesure où, par le deuxième argument de ce premier grief, Ryanair soutient, en substance, que le fait que le régime d’aides en cause prend la forme d’une recapitalisation, telle que définie à la section 3.11 de la communication « encadrement temporaire », ne saurait valablement justifier l’exigence de l’établissement en Espagne des bénéficiaires de ce régime d’aides, il convient de constater qu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que le Tribunal ait justifié cette exigence par la seule forme dudit régime d’aides et, en outre, que cette section 3.11 ne s’oppose pas à une telle exigence en tant que critère d’éligibilité, quand bien même celle-ci n’y serait pas expressément prévue.

51 Ce deuxième argument doit, par conséquent, être écarté.

52 Par les troisième à sixième arguments du premier grief de la seconde branche du premier moyen, Ryanair conteste certaines considérations figurant aux points 35 à 37 de l’arrêt attaqué et visées aux points 23 à 26 du présent arrêt, que le Tribunal a énoncées pour juger, notamment au point 43 de l’arrêt attaqué, en substance, que, en limitant le bénéfice du régime d’aides en cause aux seules entreprises établies en Espagne et ayant leurs centres d’activités sur le territoire de cet État membre, en raison des liens stables et réciproques qui les attachent à son économie, ce régime d’aides était approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif de remédier à la perturbation grave de l’économie dudit État membre.

53 À cet égard, dans la mesure où la requérante fait grief au Tribunal de s’être livré à une dénaturation des faits qui lui étaient soumis, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 103 et jurisprudence citée).

54 Il s’ensuit que l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 104 et jurisprudence citée).

55 Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C 14/19 P, EU:C:2020:492, point 105 et jurisprudence citée).

56 En l’espèce, il y a lieu de constater que, à l’appui des troisième à sixième arguments du premier grief de la seconde branche du premier moyen, Ryanair ne précise pas les éléments de preuve que le Tribunal aurait dénaturés en effectuant les appréciations visées par ces arguments.

57 De surcroît, dans la mesure où la requérante allègue des erreurs de droit qui entacheraient ces appréciations, il convient de constater qu’elle conteste le bien-fondé desdites appréciations sans, toutefois, démontrer à suffisance que le Tribunal a commis des erreurs de droit.

58 En tout état de cause, la Cour a déjà eu l’occasion de reconnaître qu’un critère d’éligibilité lié à l’établissement des entreprises bénéficiaires d’une aide, visant à s’assurer d’un lien pérenne entre l’économie de l’État membre concerné et ces entreprises, pouvait être approprié pour atteindre l’objectif de remédier à la perturbation grave de l’économie de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, points 50 et 51).

59 Dans ces conditions, il convient d’écarter les troisième à sixième arguments du premier grief de la seconde branche du premier moyen comme étant non fondés.

60 Pour autant que le septième argument de ce grief est dirigé contre les points 38 à 40 de l’arrêt attaqué, il suffit de constater que, au lieu de justifier le critère relatif à l’établissement par les autres critères d’éligibilité au régime d’aides en cause, le Tribunal s’est, à ces points, sans contradiction avec ce qu’il a considéré en ce qui concerne la nécessité de ce critère, seulement prononcé sur ces autres critères afin de conclure, en substance, au point 42 de l’arrêt attaqué, que, par les critères d’éligibilité à ce régime d’aides, pris dans leur ensemble, le Royaume d’Espagne avait cherché à s’assurer de l’existence d’un rattachement stable et durable des bénéficiaires dudit régime d’aides à son économie.

61 Il résulte de ce qui précède qu’il convient d’écarter également ce septième argument et, par conséquent, le premier grief de la seconde branche du premier moyen dans son intégralité.

62 Par le second grief de la seconde branche de ce moyen, Ryanair reproche au Tribunal, en substance, une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qu’il a considéré, aux points 44 à 52 de l’arrêt attaqué, que le régime d’aides en cause était proportionné à l’objectif poursuivi par celui-ci.

63 À cet égard, en ce que la requérante conteste, par les deuxième et troisième arguments de ce second grief, certaines affirmations du Tribunal figurant, notamment, aux points 46 à 48 de l’arrêt attaqué et exposées aux points 30 et 31 du présent arrêt, il convient de constater, d’une part, que la requérante vise ainsi, en réalité, à remettre en cause l’appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve que le Tribunal a effectuée pour juger, en substance, au point 52 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en ce qui concerne le caractère proportionné du régime d’aides en cause, notamment en ce qui concerne les critères d’éligibilité de celui ci.

64 D’autre part, bien que, dans le cadre du deuxième argument dudit second grief, la requérante ait invoqué une dénaturation des faits que le Tribunal aurait commise en affirmant, au point 46 de l’arrêt attaqué, que la nécessité d’un ancrage stable et durable des bénéficiaires du régime d’aides en cause dans l’économie espagnole, qui sous-tend ce régime d’aides, « ferait défaut ou serait à tout le moins affaiblie » si le Royaume d’Espagne avait adopté un critère d’éligibilité autre que celui visé au point 17 du présent arrêt, il y a lieu de constater que la requérante n’a avancé aucune argumentation susceptible de démontrer une telle dénaturation, conformément à la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt.

65 Par conséquent, les deuxième et troisième arguments du second grief de la seconde branche du premier moyen doivent être écartés.

66 S’agissant du quatrième argument de ce second grief, dirigé contre le point 49 de l’arrêt attaqué, il convient de constater que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal a considéré, à ce point 49, que la Commission n’avait pas à se prononcer sur toutes les mesures alternatives au régime d’aides en cause. En effet, le Tribunal a jugé, au point 50 de cet arrêt, en substance que, en tout état de cause, le critère d’éligibilité proposé par la requérante, fondé sur les parts de marché des entreprises intéressées, ne tient pas suffisamment compte de l’objectif poursuivi par ce régime d’aides, qui visait à remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole, prise dans sa globalité, dans sa diversité et dans une perspective de développement économique durable, le législateur espagnol s’étant fondé sur des critères d’éligibilité plutôt qualitatifs que quantitatifs.

67 Ce quatrième argument devant, dès lors, être écarté comme étant inopérant, il y a lieu de rejeter le second grief de la seconde branche du premier moyen.

68 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’écarter la seconde branche du premier moyen et, par voie de conséquence, de rejeter ce moyen dans son intégralité, sous réserve de l’examen du premier argument du second grief de cette seconde branche, mentionné au point 29 du présent arrêt, qu’il convient d’examiner conjointement avec l’argumentation avancée dans le cadre du troisième moyen aux points 92 à 97 du présent arrêt.

Sur le deuxième moyen

Argumentation des parties

69 Par son deuxième moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a, aux points 56 à 63 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en rejetant les deux dernières branches du premier moyen de son recours en première instance, par lesquelles elle invoquait une violation des principes de libre prestation des services et de liberté d’établissement.

70 Par la première branche de son deuxième moyen, Ryanair fait valoir que, en affirmant, au point 61 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’avait pas établi en quoi son exclusion du régime d’aides en cause était « de nature à la dissuader de s’établir en Espagne ou d’effectuer des prestations de services depuis l’Espagne et à destination de l’Espagne », le Tribunal a choisi un critère erroné pour apprécier si ce régime d’aides entravait ou rendait moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. Selon Ryanair, conformément à la jurisprudence, le Tribunal aurait plutôt dû examiner si ledit régime d’aides était de nature à dissuader « un quelconque des opérateurs [intéressés par celui-ci] », à savoir, en l’espèce, des compagnies aériennes établies dans des États membres autres que le Royaume d’Espagne, de venir s’établir ou de fournir des services dans cet État membre.

71 Par la deuxième branche de ce moyen, Ryanair soutient que, au point 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé de manière contradictoire et erronée qu’elle n’établissait pas en quoi son exclusion du régime d’aides en cause était de nature à la dissuader de s’établir en Espagne et d’effectuer des prestations de services depuis l’Espagne et à destination de l’Espagne. Le fait que des compagnies aériennes soient exclues d’un avantage réservé aux compagnies ayant leur principal établissement en Espagne suffirait en effet à démontrer que l’exercice de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement est découragé, sans qu’aucune autre démonstration soit requise. Par ailleurs, même en considérant comme étant correct le critère plus étroit retenu par le Tribunal, Ryanair aurait démontré que les effets restrictifs de ce régime d’aides sur son droit à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement allaient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction édictée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

72 Le Tribunal aurait, en outre, dénaturé des éléments de preuve en omettant d’examiner les éléments importants fournis par la requérante quant à ces effets restrictifs.

73 Par la troisième branche du deuxième moyen, Ryanair soutient que, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 61 de l’arrêt attaqué, elle a démontré que la restriction alléguée à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement n’était pas justifiée. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que cette restriction était justifiée lorsqu’elle était conforme à l’article 107 TFUE. En réalité, le Tribunal, et avant lui la Commission, auraient dû examiner si ladite restriction était justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle était non discriminatoire, nécessaire et proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi. Or, la requérante aurait identifié des éléments de fait et de droit démontrant que le régime d’aides en cause a eu des effets restrictifs sur la libre prestation des services et la liberté d’établissement qui n’étaient ni nécessaires, ni appropriés, ni proportionnés au regard de l’objectif poursuivi par ce régime d’aides, à savoir remédier à une perturbation grave de l’économie espagnole. De plus, dans ce contexte, elle aurait identifié un critère alternatif d’éligibilité audit régime d’aides, fondé sur les parts de marché, qui aurait été moins préjudiciable à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement. En « niant cette réalité », le Tribunal aurait commis une erreur de droit et manifestement dénaturé les faits.

74 La Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

75 En ce que, par la première branche de son deuxième moyen, Ryanair soutient que, à la première phrase du point 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a eu recours à un critère erroné pour apprécier si le régime d’aides en cause entravait ou rendait moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, en visant la situation de la requérante, il convient de constater que cette première branche repose sur une lecture inexacte de ce point. En effet, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si, comme le soutient Ryanair, le Tribunal a commis une erreur de droit quant à la portée de la charge de la preuve qui aurait pesé sur elle, il ressort de la seconde phrase dudit point, qui renvoie à l’examen des deux premières branches du premier moyen du recours en première instance, effectué aux points 24 à 53 de l’arrêt attaqué, auxquels le Tribunal a analysé la proportionnalité du régime d’aides en cause au regard de la situation de l’ensemble des compagnies aériennes présentes en Espagne, que le Tribunal a visé l’existence d’effets restrictifs en général, et donc des effets qui se produiraient à l’égard non pas exclusivement de Ryanair, mais bien de l’ensemble des compagnies aériennes opérant ou voulant opérer en Espagne.

76 Dès lors, ladite première branche doit être écartée comme étant non fondée.

77 Par les deuxième et troisième branches de son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner ensemble, Ryanair fait valoir, en substance, que le point 61 de l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit, en ce que le Tribunal y a examiné le fait que le régime d’aides en cause ne bénéficiait qu’aux compagnies ayant leur principal établissement en Espagne uniquement au regard de l’article 107 TFUE, au lieu de vérifier si ce régime d’aides était justifié au regard des motifs visés par les dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services ou à la liberté d’établissement. Or, Ryanair aurait soumis au Tribunal des éléments de fait et de droit démontrant une violation de ces dispositions.

78 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 39 du présent arrêt, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité FUE. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur.

79 Toutefois, d’une part, les effets restrictifs qu’une mesure d’aide déploierait sur la libre prestation des services ou sur la liberté d’établissement ne constituent pas pour autant une restriction interdite par le traité FUE, dans la mesure où il peut s’agir d’un effet inhérent à la nature même d’une aide d’État, tel que son caractère sélectif (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 132).

80 D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque les modalités d’une aide sont à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide dans son ensemble avec le marché intérieur doit nécessairement être apprécié au moyen de la procédure prévue à l’article 108 TFUE (arrêts du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, EU:C:1977:51, point 14, ainsi que du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 133).

81 En l’occurrence, l’exigence tenant au principal établissement en Espagne constituait en soi non pas l’objectif du régime d’aides en cause, mais un critère d’éligibilité à ce régime d’aides. Toutefois, ce critère était, en tant que tel, indissolublement lié à l’objet dudit régime d’aides, qui consistait, de façon générale, à remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole occasionnée par la pandémie de COVID-19. Il s’ensuit que l’effet résultant dudit critère sur le marché intérieur ne peut pas faire l’objet d’un examen séparé de celui de la compatibilité du même régime d’aides, dans son ensemble, avec le marché intérieur au moyen de la procédure prévue à l’article 108 TFUE.

82 Il résulte des motifs qui précèdent et de la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 61 de l’arrêt attaqué, en substance, que, pour établir que le régime d’aides en cause constituait, en raison du fait que l’aide en question ne bénéficiait qu’aux compagnies ayant leur principal établissement en Espagne et non pas, notamment, à Ryanair, une entrave à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement, la requérante aurait dû démontrer, en l’espèce, que ce régime d’aides produisait des effets restrictifs qui allaient au-delà de ceux qui sont inhérents à une aide d’État octroyée conformément aux exigences prévues à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (voir, par analogie, arrêts du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 135, et du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 75).

83 Or, l’argumentation avancée par Ryanair à l’appui des deuxième et troisième branches du deuxième moyen vise, dans son ensemble, à critiquer, d’une part, le régime d’aides en cause en ce que seules les compagnies aériennes ayant leur principal établissement en Espagne étaient éligibles à ce régime d’aides et, d’autre part, les effets restrictifs d’un tel critère d’éligibilité sur la libre prestation des services et la liberté d’établissement, alors même que de tels effets sont inhérents au caractère sélectif dudit régime d’aides.

84 En outre, quant aux éléments de preuve qu’elle aurait présentés devant le Tribunal, il y a lieu de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que celui-ci aurait dénaturé ces éléments de preuve.

85 Il s’ensuit que les deuxième et troisième branches du deuxième moyen doivent être écartées comme étant non fondées.

86 Il ressort de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

87 Par son troisième moyen, Ryanair reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et d’avoir dénaturé les faits en considérant, aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’est pas contrainte par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE de procéder, lorsqu’elle examine la compatibilité d’une aide, à une mise en balance des effets bénéfiques de cette aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée.

88 À cet égard, elle fait valoir que le Tribunal a retenu une interprétation excessivement large des points 20 et 39 de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C 594/18 P, EU:C:2020:742), pour juger que la condition tenant à ce que l’aide n’affecte pas de manière excessive les conditions des échanges s’appliquerait aux aides visées à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, mais non à celles visées au paragraphe 3, sous b), de cet article. Premièrement, l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, dont la Cour a fait application dans cet arrêt, ne ferait référence qu’à l’effet d’une aide sur les conditions des échanges, et non pas à la protection de la concurrence non faussée, laquelle, ainsi que le Tribunal l’a admis, doit également être prise en compte dans la mise en balance des effets positifs et des effets négatifs d’une aide. Deuxièmement, dans cette affaire, la Cour n’aurait pas examiné de manière approfondie l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Troisièmement, l’obligation de mettre en balance les effets positifs d’une aide et ses effets négatifs sur les conditions des échanges et le maintien d’une concurrence non faussée résulterait également de principes qui s’appliquent de manière générale à toutes les aides relevant de l’article 107, paragraphe 3, TFUE.

89 Ce serait précisément pour cette raison que tant le Tribunal, aux points 138 à 143 de l’arrêt du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission (T 447/93 à T 449/93, EU:T:1995:130), que la Cour, aux points 54, 57 et 58 de l’arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C 526/14, EU:C:2016:570), auraient considéré que la Commission pouvait subordonner l’octroi d’une aide au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE au respect de certaines conditions. Or, cela ne serait pas possible sans une telle mise en balance.

90 De plus, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 67 de l’arrêt attaqué, l’existence d’une perturbation grave de l’économie d’un État membre ne devrait pas permettre de présumer que les effets positifs d’une aide l’emportent sur ses effets négatifs, mais devrait, au contraire, donner lieu à une vigilance particulière dans la mise en balance de ces effets, afin d’apprécier la compatibilité de cette aide.

91 La Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que le troisième moyen doit être rejeté comme étant dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

92 Il convient de relever que, au point 20 de l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (C 594/18 P, EU:C:2020:742), la Cour a mis en exergue les différences entre les libellés de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, et a relevé, en particulier, que seule la première de ces dispositions énonçait la condition selon laquelle l’aide en cause devait poursuivre un objectif d’intérêt commun. La Cour en a déduit que l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ne subordonnait pas la compatibilité avec le marché intérieur d’une aide accordée au titre de cette disposition à une telle condition.

93 Pour un motif similaire fondé sur la comparaison de ces libellés, ainsi que le Tribunal l’a, en substance, jugé au point 66 de l’arrêt attaqué, en l’absence de référence, à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, à la démonstration d’une absence d’altération des conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun et, donc, à la nécessité d’effectuer une mise en balance des effets bénéfiques et des effets négatifs de l’aide concernée, cette disposition ne saurait être interprétée comme requérant que la Commission procède à une telle mise en balance afin d’apprécier la compatibilité avec le marché intérieur d’une aide visée à ladite disposition, à la différence de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 85).

94 Cette différence d’appréciation de la compatibilité des aides visées à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE et de celles visées à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE s’explique par la nature particulière des aides visées à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, qui poursuivent des objectifs de caractère exceptionnel et d’un poids particulier consistant soit à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun, soit à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre. Les mesures d’aide qui concourent à la réalisation de l’un de ces objectifs, sous réserve qu’elles soient nécessaires et proportionnées, peuvent donc être considérées comme assurant un juste équilibre entre leurs effets bénéfiques et leurs effets négatifs sur le marché intérieur ainsi que comme répondant, par conséquent, à l’intérêt commun de l’Union (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 86).

95 Dès lors, puisque l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE reflète la mise en balance des effets des aides d’État visées à cette disposition à laquelle les auteurs du traité FUE ont procédé, la Commission n’est pas tenue d’opérer une nouvelle mise en balance de ces effets lorsqu’elle examine la compatibilité d’une aide dont l’octroi est envisagé sur le fondement de ladite disposition (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 87).

96 Par ailleurs, si la dérogation au principe d’incompatibilité des aides d’État prévue à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE doit faire l’objet d’une interprétation stricte, les termes utilisés pour définir cette dérogation ne doivent cependant pas être interprétés d’une manière qui restreindrait indûment sa portée ou qui la priverait de ses effets. Une dérogation doit, en effet, être interprétée de manière conforme aux objectifs qu’elle poursuit (arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C 209/21 P, EU:C:2023:905, point 88 et jurisprudence citée).

97 Eu égard à ce qui précède, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que la Commission n’était pas contrainte, par l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, de procéder à une mise en balance des effets bénéfiques du régime d’aides en cause avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée.

98 Pour le surplus, il y a lieu de constater que le grief de dénaturation des faits formulé dans le cadre du présent moyen n’est nullement étayé.

99 Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le quatrième moyen

Argumentation des parties

100 Par son quatrième moyen, Ryanair reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en ayant qualifié, aux points 81 à 111 de l’arrêt attaqué, le régime d’aides en cause de « régime d’aides ».

101 Par la première branche du quatrième moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit et appliqué d’une manière incorrecte sa propre jurisprudence en ce que, afin d’apprécier si le régime d’aides en cause constituait un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), le Tribunal a, aux points 81 à 94 de l’arrêt attaqué, appliqué un test en deux étapes sans tenir compte du fait que la marge d’appréciation des autorités nationales est un élément constitutif de ce test.

102 Par la deuxième branche de ce moyen, Ryanair reproche au Tribunal d’avoir, aux points 96 et 97 de l’arrêt attaqué, jugé à tort que les autorités espagnoles octroyant l’aide étaient « indépendantes ». Cette appréciation reposerait sur une série d’affirmations erronées. Ainsi, le Tribunal aurait erronément présumé, d’une part, que la SEPI et les experts qui lui apportent leur assistance étaient foncièrement indépendants et, d’autre part, que le conseil d’administration et le conseil des ministres étaient tenus de suivre l’évaluation de la SEPI.

103 Par la troisième branche dudit moyen, Ryanair fait valoir que, contrairement à ce que le Tribunal a considéré aux points 103 et 104 de l’arrêt attaqué, dès lors que le Real Decreto-ley 25/2020, de medidas urgentes para apoyar la reactivación económica y el empleo (décret-loi royal 25/2020, relatif aux mesures urgentes de soutien à la reprise économique et à l’emploi), du 3 juillet 2020 (BOE no 185, du 6 juillet 2020, p. 47684), et l’Acuerdo del Consejo de Ministros sobre el funcionamiento del Fondo de Apoyo a la Solvencia de las Empresas Estratégicas (accord du conseil des ministres sur le fonctionnement du Fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques, ci-après l’« ACM ») ne régissaient que certaines caractéristiques du Fonds, les autorités chargées de l’application du régime d’aides en cause disposaient d’une marge d’appréciation quant à l’octroi des aides concernées. En effet, premièrement, contrairement à ce que le Tribunal aurait affirmé au point 106 de cet arrêt, la liste des treize critères d’éligibilité figurant à l’article 2 de l’annexe II de l’ACM ne serait pas exhaustive. Deuxièmement, contrairement à ce que le Tribunal aurait considéré au point 107 dudit arrêt, le critère de l’« importance stratégique ou systémique de l’entreprise en cause » serait extrêmement ouvert et partant intrinsèquement discrétionnaire, comme en témoigne la nature des facteurs que le Fonds est appelé à examiner en application de cet article.

104 Par la quatrième branche du même moyen, Ryanair reproche au Tribunal d’avoir, au point 109 de l’arrêt attaqué, violé ses droits de la défense en rejetant comme étant irrecevable son grief selon lequel les autorités espagnoles jouissaient d’une large marge d’appréciation pour déterminer le montant et la forme des aides concernées, au motif qu’il n’avait pas été invoqué dans la requête en première instance. Or, ce grief constituerait une ampliation du troisième moyen de cette requête, dans la mesure où celui-ci contenait l’affirmation plus générale selon laquelle « le conseil d’administration et le conseil des ministres sont des organes purement politiques ».

105 La Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que le quatrième moyen doit être rejeté.

Appréciation de la Cour

106 Pour autant que, par la première branche de son quatrième moyen, Ryanair soutient que le Tribunal a, aux points 81 à 94 de l’arrêt attaqué, appliqué des critères erronés pour déterminer si l’aide en cause constituait un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, en particulier en ce qu’il n’aurait pas examiné la marge d’appréciation des autorités nationales, il convient de rappeler qu’il ressort de cette disposition que la qualification d’une mesure étatique en tant que régime d’aides présuppose la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises sur le fondement d’une disposition. Deuxièmement, aucune mesure d’application supplémentaire n’est requise pour l’octroi de ces aides. Troisièmement, les entreprises auxquelles les aides individuelles peuvent être octroyées doivent être définies « de manière générale et abstraite » (arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International, C 337/19 P, EU:C:2021:741, point 60).

107 À cet égard, au point 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé qu’il envisageait de vérifier si, en premier lieu, les dispositions du droit espagnol identifiées par la Commission dans la décision litigieuse comme constituant la base juridique du régime d’aides en cause permettaient à elles seules, c’est-à-dire sans qu’il fût besoin de mesures d’application supplémentaires, l’octroi individuel d’aides à des entreprises en ayant fait la demande et si, en second lieu, ces dispositions définissaient d’une manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’aide. Or, malgré le fait que le Tribunal ait ainsi envisagé une vérification portant sur deux éléments, force est de constater, d’une part, que le premier de ces éléments comprend les deux premières des trois conditions rappelées au point précédent du présent arrêt, le second desdits éléments correspondant à la troisième de ces conditions.

108 D’autre part, il ressort de l’examen auquel le Tribunal a procédé aux points 81 à 92 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a tenu compte de l’ensemble desdites conditions.

109 Ainsi, après avoir, en premier lieu, aux points 82 à 85 de l’arrêt attaqué, considéré que les dispositions du droit espagnol identifiées par la Commission dans la décision litigieuse comme étant la base juridique du régime d’aides en cause, à savoir celles du décret-loi royal 25/2020 et de l’ACM, permettaient d’octroyer des aides individuelles, en ce que ces dispositions régissaient, notamment, la forme de l’aide, son montant, la période de son applicabilité, les critères d’éligibilité des bénéficiaires ainsi que les organes chargés de son application et la procédure à suivre, le Tribunal a, aux points 86 à 90 de cet arrêt, vérifié, en deuxième lieu, si lesdites dispositions étaient susceptibles de former, à elles seules, la base pour l’octroi individuel d’aides à des entreprises en ayant fait la demande, c’est-à-dire sans qu’il fût besoin de mesures d’application supplémentaires, et a conclu, au point 90 dudit arrêt, que tel était le cas. En troisième lieu, le Tribunal a jugé, aux points 91 et 92 du même arrêt, que les mêmes dispositions définissaient d’une manière générale et abstraite les bénéficiaires de l’aide.

110 En outre, s’agissant, plus particulièrement, du grief tiré de ce que le Tribunal n’aurait pas tenu compte de la marge d’appréciation des autorités nationales, il suffit de constater que le Tribunal a, aux points 99 à 110 de l’arrêt attaqué, examiné en détail l’argumentation de Ryanair tirée de la marge d’appréciation des autorités espagnoles compétentes, tout en distinguant les circonstances de l’espèce de celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T 131/16 et T 263/16, EU:T:2019:91).

111 Il y a lieu, dès lors, d’écarter la première branche du quatrième moyen comme étant non fondée.

112 Par les deuxième et troisième branches de ce moyen, Ryanair conteste certaines considérations du Tribunal par lesquelles celui-ci a rejeté, d’une part, aux points 96 et 97 de l’arrêt attaqué, les arguments de Ryanair tirés de ce que les autorités espagnoles chargées de l’application du régime d’aides en cause octroyaient les aides concernées selon des considérations d’opportunité politique et, d’autre part, notamment aux points 106 et 107 de cet arrêt, l’argument tiré de ce que ces autorités disposaient d’une large marge d’appréciation quant à l’octroi de ces aides.

113 Or, ce faisant, Ryanair vise, en réalité, à remettre en question l’appréciation souveraine des faits que le Tribunal a effectuée à ces points de l’arrêt attaqué sans démontrer qu’il aurait procédé à une appréciation manifestement erronée qui constituerait une dénaturation des faits ou des éléments de preuve, au sens de la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt.

114 Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter les deuxième et troisième branches du quatrième moyen comme étant irrecevables.

115 Pour autant que, par la quatrième branche de ce moyen, Ryanair conteste le point 109 de l’arrêt attaqué, au motif que le Tribunal y a rejeté comme étant irrecevable son argument, avancé lors de l’audience, selon lequel les autorités espagnoles disposaient d’une large marge d’appréciation quant à la détermination du montant et de la forme de l’aide, il y a lieu de relever que le Tribunal a, à juste titre, qualifié cet argument comme étant irrecevable. En effet, d’une part, dans le cadre du troisième moyen de sa requête en première instance, la requérante a uniquement fait référence à l’identification des bénéficiaires, ainsi qu’il ressort du titre de ce dernier moyen et des points 101 à 105 de cette requête. La requérante ne saurait donc valablement alléguer que rien, dans ladite requête, n’indique que la marge d’appréciation qui y est mentionnée se limite aux conditions d’éligibilité des bénéficiaires.

116 D’autre part, la requérante se limite à affirmer que l’argument selon lequel les autorités espagnoles jouissent d’une large marge d’appréciation pour déterminer le montant et la forme de l’aide était « sous-entendu » dans l’affirmation plus générale selon laquelle le conseil d’administration du Fonds et le Conseil des ministres sont des organes purement politiques. Or, une telle affirmation n’apparaît pas suffisante pour démontrer que l’argument de la requérante, visé au point précédent, constituait une ampliation du troisième moyen de sa requête devant le Tribunal.

117 Cette quatrième branche doit, dès lors, être écartée comme étant non fondée.

118 Il ressort de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

Sur le cinquième moyen

Argumentation des parties

119 Par son cinquième moyen, Ryanair fait valoir que, en considérant, aux points 112 et 113 de l’arrêt attaqué, que le quatrième moyen de son recours en première instance, relatif à une violation de ses droits procéduraux au motif que la Commission a refusé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, se trouvait privé de sa finalité affichée du fait du rejet des premier à troisième moyens de ce recours et était dépourvu de contenu autonome par rapport à ces premier à troisième moyens, le Tribunal a commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits.

120 En effet, contrairement à ce que le Tribunal a considéré, ce quatrième moyen aurait présenté un contenu autonome par rapport auxdits premier à troisième moyens. Le contrôle juridictionnel portant sur l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire à l’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE différerait de celui portant sur une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission lors de l’examen au fond du régime d’aides en cause. L’existence de telles difficultés sérieuses pourrait ainsi être constatée alors même que, contrairement à ce que la requérante avait soutenu par les mêmes premier à troisième moyens, l’examen par la Commission de ce régime d’aides ne serait entaché ni d’une erreur manifeste d’appréciation ni d’une erreur de droit.

121 De même, le quatrième moyen du recours en première instance n’aurait pas été privé de sa finalité affichée, dès lors que la démonstration de l’existence de telles erreurs serait totalement différente de celle de l’existence de ces difficultés sérieuses. En outre, Ryanair aurait soulevé des arguments autonomes à cet effet, démontrant, notamment, que la Commission n’avait vérifié ni le respect des principes de non discrimination, de libre prestation des services et de liberté d’établissement ni la contribution des entreprises non établies en Espagne à la fourniture de services essentiels en Espagne, et qu’elle n’avait pas appliqué le « critère de la mise en balance ». Devant le Tribunal, Ryanair aurait ainsi identifié des lacunes précises dans l’information de la Commission et aurait mis en évidence des difficultés sérieuses conférant à son moyen un contenu autonome par rapport à celui des premier à troisième moyens de ce recours.

122 La Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que le cinquième moyen doit être rejeté.

Appréciation de la Cour

123 Lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une aide d’État, il met en cause essentiellement le fait que cette décision a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, violant, ce faisant, ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, le requérant peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être apportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 143 et jurisprudence citée).

124 Ainsi, il appartient à l’auteur d’une telle demande de démontrer que des doutes sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur existaient, de telle sorte que la Commission était tenue d’ouvrir cette procédure formelle d’examen. Une telle preuve doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de cette décision que dans son contenu, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 144 et jurisprudence citée).

125 En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de ce que cette institution a été confrontée à des difficultés sérieuses pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur, ce qui aurait dû la conduire à ouvrir ladite procédure formelle d’examen (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 145 et jurisprudence citée).

126 À cet égard, s’agissant, tout d’abord, du grief tiré de ce que le Tribunal a jugé, au point 113 de l’arrêt attaqué, que le quatrième moyen du recours en première instance était dépourvu de contenu autonome, il convient de relever que, ainsi que Ryanair l’a fait valoir dans son pourvoi, il est exact que si l’existence de difficultés sérieuses, au sens de la jurisprudence de la Cour visée au point précédent du présent arrêt, avait été démontrée, la décision litigieuse aurait été susceptible d’être annulée pour ce seul motif, quand bien même il n’aurait pas été établi, par ailleurs, que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 146 et jurisprudence citée).

127 En outre, l’existence de telles difficultés peut être recherchée, notamment, dans ces appréciations et peut, en principe, être établie par des moyens ou des arguments avancés par un requérant afin de contester le bien-fondé d’une décision de ne pas soulever d’objections, même si l’examen de ces moyens ou de ces arguments n’aboutit pas à la conclusion que lesdites appréciations sont erronées en fait ou en droit (arrêt du 28 septembre 2023, Ryanair/Commission, C 320/21 P, EU:C:2023:712, point 147 et jurisprudence citée).

128 En l’espèce, il y a lieu de constater que le quatrième moyen du recours en première instance de Ryanair était tiré, en substance, du caractère incomplet et insuffisant de l’examen effectué par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire du régime d’aides en cause et de l’appréciation différente de la compatibilité de ce régime d’aides avec le marché intérieur à laquelle la Commission serait parvenue si elle avait décidé d’ouvrir une procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Or, il ressort également de ce recours que, à l’appui de ce quatrième moyen, la requérante a, pour l’essentiel, soit repris de manière condensée des arguments développés dans le cadre des premier à troisième moyens dudit recours, relatifs au bien-fondé de la décision litigieuse, soit directement renvoyé à ces arguments.

129 Dans ces conditions, le Tribunal a pu, à bon droit, considérer, au point 113 de l’arrêt attaqué, que le quatrième moyen du recours en première instance était « dépourvu de contenu autonome » par rapport aux premier à troisième moyens de celui-ci, en ce sens que, après avoir examiné au fond ces derniers moyens, y compris les arguments tirés du caractère incomplet et insuffisant de l’examen mené par la Commission, il n’était pas tenu d’apprécier le bien-fondé de ce quatrième moyen de manière séparée, d’autant que, ainsi que le Tribunal l’a, également à bon droit, relevé à ce point 113, par ce dernier moyen, Ryanair n’avait pas mis en évidence d’éléments spécifiques susceptibles de démontrer l’existence d’éventuelles difficultés sérieuses rencontrées par la Commission pour apprécier la compatibilité du régime d’aides en cause avec le marché intérieur.

130 Il s’ensuit que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 113 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le bien-fondé du quatrième moyen du recours en première instance. À cet égard, il n’est pas nécessaire d’examiner, par ailleurs, si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 112 de cet arrêt, que ce moyen présentait un caractère subsidiaire et qu’il se trouvait privé de sa finalité affichée.

131 Enfin, il y a lieu de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que le Tribunal a dénaturé des faits, au sens de la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, dans le cadre de son examen dudit moyen.

132 Il ressort de ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le sixième moyen

Argumentation des parties

133 Par son sixième moyen, Ryanair reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et une dénaturation manifeste des faits en ce qu’il a jugé, aux points 115 à 125 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

134 Selon la requérante, le Tribunal aurait admis que le contexte dans lequel a été adoptée la décision litigieuse, marqué par la survenance de la pandémie de COVID-19 et les difficultés que cette pandémie a pu susciter pour la rédaction des décisions de la Commission, pouvait justifier que certains éléments cruciaux fassent défaut dans la motivation de cette décision, alors même que ces éléments auraient été nécessaires afin de lui permettre de comprendre le raisonnement qui sous-tendait les conclusions de la Commission figurant dans ladite décision. L’interprétation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, à laquelle se serait livré le Tribunal dans l’arrêt attaqué, serait contraire à la jurisprudence de la Cour et priverait l’obligation de motivation prévue à cette disposition de tout effet utile.

135 La Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que le sixième moyen doit être rejeté comme étant irrecevable ou, en tout état de cause, comme étant dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

136 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 198 ainsi que jurisprudence citée).

137 Lorsqu’il s’agit, plus particulièrement, comme en l’espèce, d’une décision, prise en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de ne pas soulever d’objections à l’égard d’une mesure d’aide, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur et que même une motivation succincte de cette décision doit être considérée comme étant suffisante au regard de l’exigence de motivation que prévoit l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, pour autant qu’elle fasse apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de telles difficultés, la question du bien-fondé de cette motivation étant étrangère à cette exigence (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 199 ainsi que jurisprudence citée).

138 C’est au regard de ces exigences qu’il convient d’examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.

139 À cet égard, d’une part, dans la mesure où Ryanair fait grief au Tribunal, en substance, d’avoir assoupli les exigences relatives à l’obligation de motivation au regard du contexte de la pandémie de COVID-19 dans lequel la décision litigieuse avait été adoptée, il convient de constater que, en se référant, au point 120 de l’arrêt attaqué, au contexte dans lequel cette décision avait été adoptée, à savoir celui de cette pandémie et de l’urgence extrême dans laquelle la Commission avait adopté la communication « encadrement temporaire », examiné les mesures que lui avaient notifiées les États membres, notamment en application de cette communication, et adopté les décisions se rapportant à ces mesures, dont ladite décision, le Tribunal a, à juste titre, ainsi que l’exige la jurisprudence mentionnée aux points 136 et 137 du présent arrêt, pris en considération des éléments pertinents pour déterminer si, par l’adoption de la même décision, la Commission s’était conformée à son obligation de motivation.

140 D’autre part, en ce que Ryanair fait état d’éléments spécifiques sur lesquels la Commission, en méconnaissance de cette obligation ne se serait pas prononcée ou qu’elle n’aurait pas appréciés dans la décision litigieuse, tels que la conformité du régime d’aides en cause au principe d’égalité de traitement, à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement ainsi que les raisons précises pour lesquelles les entreprises « stratégiques » établies en Espagne devaient être favorisées par rapport à d’autres entreprises tout aussi touchées par la pandémie de COVID-19, il ressort des points 122 et 123 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que ces éléments soit n’étaient pas pertinents aux fins de cette décision, soit qu’il était, à suffisance de droit, fait référence à ceux-ci dans ladite décision pour que le raisonnement de la Commission soit compris à cet égard.

141 Or, il n’apparaît pas que, par ces considérations, le Tribunal aurait méconnu les exigences de motivation d’une décision de la Commission, prise en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, de ne pas soulever d’objections, telles qu’elles découlent de la jurisprudence rappelée aux points 136 et 137 du présent arrêt, une telle motivation permettant, en l’espèce, à Ryanair de connaître les justifications de la décision litigieuse et au juge de l’Union d’exercer son contrôle à son égard, ainsi qu’il ressort d’ailleurs de l’arrêt attaqué.

142 En outre, dans la mesure où l’argumentation avancée dans le cadre du sixième moyen vise en réalité à démontrer que la décision litigieuse a été adoptée sur le fondement d’une appréciation insuffisante ou juridiquement erronée de la Commission, cette argumentation a trait au bien-fondé de cette décision plutôt qu’à l’exigence de motivation en tant que formalité substantielle, de telle sorte qu’elle doit être écartée au regard de la jurisprudence rappelée au point 137 du présent arrêt.

143 Il ressort de ce qui précède que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant, aux points 115 à 125 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit.

144 Enfin, il y a lieu de constater que Ryanair n’a avancé aucun argument susceptible de démontrer que le Tribunal a dénaturé des éléments de fait, au sens de la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, en examinant le cinquième moyen du recours en première instance.

145 Il ressort de ce qui précède que le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

146 Aucun des moyens invoqués par la requérante n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

 Sur les dépens

147 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

148 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission.

149 Conformément à l’article 184, paragraphe 4, dudit règlement, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. Le Royaume d’Espagne, partie intervenante en première instance, ayant participé à la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider qu’il supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Ryanair DAC supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3) Le Royaume d’Espagne supporte ses propres dépens.