CA Rouen, 1re ch. civ., 22 mai 2024, n° 23/01350
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Enedis (SA)
Défendeur :
N
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wittrant
Conseillers :
Mme Deguette, Mme Bergere
Avocats :
Me Gautier, Me Poncet
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [Z] [E] [N] est propriétaire d'une maison individuelle située sur la commune de [Localité 5] laquelle est assurée auprès de la société d'assurance Maif.
Le 30 novembre 2018, l'incendie d'un poste de transformation situé à proximité du domicile de Mme [E] [N] a entraîné une coupure d'électricité laquelle a provoqué divers dommages à son appareillage électrique, qu'elle n'a pu constater que le 4 décembre 2018, lors de son retour à domicile après une hospitalisation.
Elle a régularisé une déclaration de sinistre auprès de son assureur.
Une première expertise amiable a été diligentée à l'initiative de la Sam Maif le 22 mars 2019, et réalisée par le cabinet Saretec, en l'absence de la Sa Enedis. Une deuxième expertise amiable a été réalisée le 23 décembre 2019 par le cabinet Cetelec mandaté par la Sa Enedis. Les expertises ont divergé quant à l'évaluation des dommages.
Par courrier du 12 mars 2020, la Sa Enedis reprenant ce dernier chiffrage a présenté une offre d'indemnisation à la Sam Maif.
Le 15 octobre 2022, la Sam Maif a saisi le médiateur de l'énergie qui a rendu sa recommandation le 4 février 2021.
Par exploit d'huissier du 17 mai 2022, Mme [E] [N] et la Sam Maif ont assigné la Sa Enedis devant le tribunal judiciaire d'Evreux, chambre de proximité de Louviers, aux fins d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis par Mme [E] [N] suite à l'incendie du poste de transformation électrique.
Par jugement du 7 avril 2023, le tribunal judiciaire d'Evreux, chambre de proximité de Louviers a notamment :
- débouté la Sa Enedis de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la compagnie d'assurance Maif au titre de la subrogation ;
- débouté la Sa Enedis de sa demande sur le fondement des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil ;
en conséquence,
- déclaré recevable l'action de Mme [E] [N] et la compagnie d'assurance Maif sur le fondement des dispositions de l'article 1231-1 du code civil ;
- condamné la Sa Enedis à payer à Mme [E] [N] la somme de
5 542,85 euros en réparation de son préjudice ;
- condamné la Sa Enedis à payer à la compagnie d'assurance Maif la somme de
1 177,20 euros ;
- condamné la Sa Enedis à payer à la compagnie d'assurance Maif la somme de
1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Sa Enedis aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 17 avril 2023, la Sa Enedis a interjeté appel de la décision en ses dispositions précitées.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 9 février 2024, la Sa Enedis demande à la cour, au visa des articles 1245 et suivants du code civil de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal de proximité de Louviers en date du
7 avril 2023, en ses dispositions critiquées ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
- dire et juger que la société d'assurance Maif est irrecevable à agir au titre de la subrogation légale de l'article L. 121-12 du code des assurances ;
- constater la prescription des demandes de la société d'assurance Maif et de Mme [E] [N] à l'égard de la Sa Enedis ;
- en conséquence, les déclarer irrecevables en leurs demandes, fins et conclusions ;
à titre subsidiaire,
- fixer le préjudice causé par l'évènement survenu sur le réseau basse tension alimentant le domicile de Mme [E] [N], situé à [Adresse 6] à [Localité 5], le 30 novembre 2018, à la somme de 1 004,70 euros, selon le détail suivant :
. remplacement carte mère motorisation portail : 453,20 euros
. diagnostic de la pompe à chaleur : 357,50 euros
. remplacement carte mère du four : 194,00 euros
- appliquer à ce préjudice une franchise de 500 euros en application de l'article 1245-1 du code civil ;
- débouter la société d'assurance Maif et Mme [E] [N] du surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;
en tout état de cause,
- condamner la société d'assurance Maif à payer à la Sa Enedis la somme de
3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de l'instance.
La Sa Enedis soutient que la Sam Maif est irrecevable en son action car elle ne justifie pas, au titre de la subrogation dans les droits de Mme [E] [N] dont elle se prévaut, avoir indemnisé son assurée d'une part, et ce en vertu d'obligations résultant d'un contrat d'assurance, d'autre part.
Elle expose que l'action de Mme [E] [N] est prescrite, car dès lors qu'il convient d'écarter son subsidiaire fondé sur la responsabilité contractuelle prévue à l'article 1231-1 du code civil en raison de l'absence de faute distincte du défaut de sécurité du produit électricité, le principal reposant, quant à lui, sur l'article 1245 du même code, portant sur la responsabilité des produits défectueux emporte effectivement prescription de l'action de ce chef.
Elle fait valoir que le point de départ du délai de prescription triennale du régime de la responsabilité des produits défectueux, applicable en l'espèce aux termes de l'article 1245-2 du code civil, dès lors que l'électricité est considérée comme un produit, se situe au 20 décembre 2018. Elle explique qu'à cette date, Mme [E] [N] avait eu connaissance de l'incendie et de ses conséquences sur ses appareils électriques, et que, de ses propres dires, elle avait tenté ce jour là de joindre la Sa Enedis afin d'obtenir des informations quant à la marche à suivre pour être indemnisée des dommages subis.
Elle soutient que la lettre d'acceptation d'indemnisation du 12 décembre 2020, adressée à la Sam Maif, n'a pas interrompu la prescription car elle n'était pas une reconnaissance de sa responsabilité ni d'un droit à indemnisation, elle ne prévoyait pas non plus une interruption de la prescription ni ne faisait état de la volonté de l'appelante de s'en prévaloir, mais portait seulement une offre transactionnelle en vue de trouver une solution amiable au litige en cours.
Elle ajoute que si la lettre devait être tenue pour la reconnaissance d'un droit à indemnisation, celle-ci devrait être limitée aux seuls dommages retenus dans l'offre, c'est-à-dire concernant le portail et le four à l'exclusion de la pompe à chaleur. Elle précise que la reconnaissance de responsabilité de la Sa Enedis ne peut se déduire du seul fait de reconnaître l'existence de l'événement électrique, mais bien de la reconnaissance de chacun des dommages et de leur lien de causalité direct et certain avec l'événement concerné, indiquant avoir toujours contesté le lien de causalité entre le dommage allégué de la pompe à chaleur et l'événement électrique du 30 novembre 2018.
Elle conclut que la suspension du délai de prescription résultant de la saisine du médiateur de l'énergie par la Sam Maif ne vaut qu'à l'égard de cette dernière. Elle indique que la Sam Maif ne serait éventuellement subrogée dans les droits de Mme [E] [N] qu'à hauteur de la somme de 1 177,20 euros correspondant à l'indemnisation des dommages subis par le portail, le four, ainsi que de la perte des denrées alimentaires et de son relogement. Elle fait valoir, en tout état de cause, que la suspension est sans incidence sur l'acquisition de la prescription, car le délai commencé le 20 décembre 2018, et suspendu trois mois et vingt jours, expirait le 10 avril 2022, tandis que l'assignation a été délivrée le 17 mai 2022.
La Sa Enedis conteste la possibilité que soit engagée sa responsabilité sur un autre fondement que l'article 1245 du code civil dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation que si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité reposant sur des fondements différents, la victime de la défaillance d'un produit ne peut se prévaloir d'un régime de responsabilité distinct que si elle établit que le dommage subi résulte d'une faute distincte du défaut de sécurité du produit en cause.
A ce titre, elle souligne l'absence de faute distincte du défaut du produit en cause, car si l'électricité délivrée par le poste avait effectivement provoqué les dommages rapportés à l'installation de Mme [E] [N], c'est qu'elle ne répondait pas à la sécurité attendue pour un tel produit. La Sa Enedis en déduit subséquemment que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est bien applicable. Elle ajoute que les intimées n'ont jamais invoqué de faute distincte du défaut de sécurité du produit.
Elle dit que le subsidiaire des intimées, fondé sur la responsabilité contractuelle, est irrecevable car elles ont admis que les désordres dont elles demandent réparation ont été causés par une surtension, écartant de fait la possibilité d'une origine indéterminée de l'accident électrique motivant précisément ledit subsidiaire.
A titre subsidiaire, si la cour admettait la subrogation de la Sam Maif et écartait la prescription, la Sa Enedis conteste le lien direct et certain entre les dommages constatés sur la pompe à chaleur et l'événement du 30 novembre 2018. Elle argue de ce que l'expertise Cetelec a révélé que les compresseurs de cet équipement fonctionnent sous régime triphasé 400 volts et ne peuvent pas être endommagés par une surtension qui génère au maximum une tension équivalente. Elle ajoute par ailleurs que les protections internes existantes protègent les moteurs des compresseurs en cas de surintensité liée à une surcharge moteur provenant de l'absence d'une phase. La Sa Enedis soutient que les circonstances de l'endommagement de la pompe à chaleur restent incertaines, que le diagnostic a été réalisé plus de trois mois après l'évènement électrique, Mme [E] [N] ne faisant pas état d'un problème l'affectant dans sa déclaration de sinistre.
Elle rappelle, sur le fondement de l'article 1353 du code civil que la charge de la preuve des dommages allégués, et de leur lien de causalité avec l'événement électrique, repose sur les demandeurs qui en sollicitent réparation. Elle ajoute que son refus de prise en charge est bien motivé techniquement.
Par dernières conclusions notifiées le 26 septembre 2023, Mme [E] [N] et la Sam Maif demandent à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel dans les limites du chef suivant : 'déboute la Sa Enedis de sa demande sur le fondement des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil' ;
- déclarer recevable comme non prescrite, et fondée leur action à l'encontre de la société Enedis sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil, et ce à titre principal, et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun;
- confirmer les autres dispositions du jugement ;
à titre subsidiaire,
- confirmer en tous ses termes le jugement prononcé par le tribunal judiciaire d'Evreux, chambre de proximité de Louviers le 7 avril 2023 (RG n° 11-22- 000323) ;
en tout état de cause,
- condamner la Sa Enedis à payer à la société d'assurance Maif la somme de
3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;
- condamner la même en tous les dépens d'appel ;
- débouter la Sa Enedis de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre principal, Mme [E] [N] et la Sam Maif soutiennent que la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux prévues aux articles 1245 et suivants du code civil trouve à s'appliquer en l'espèce car, d'une part, l'électricité doit être considérée comme un produit, et d'autre part, la Sa Enedis a reconnu sa responsabilité dans le défaut de sécurité dont a résulté l'incendie du transformateur à l'origine des dommages subis par Mme [E] [N], précisant que le médiateur de l'énergie a admis l'extistence d'un lien de causalité entre ledit incendie et les dommages.
Elles déduisent du régime juridique dont elle revendiquent l'applicabilité, l'absence de prescription de leur action dès lors que le sinistre est survenu le 4 décembre 2018, et que la prescription a été interrompue par courrier du 12 mars 2020 dont la teneur a été reprise dans un second courrier du 1er octobre 2020, dans lequel Enedis a expressément reconnu le préjudice subi.
Selon les intimées, aux termes de l'article 2240 du code civil, ce courrier portant reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, a interrompu le délai de prescription et à fait courir un nouveau délai de trois ans. Mme [E] [N] et la Sam Maif ajoutent que les mêmes effets sont attachés à une reconnaissance de responsabilité partielle. Elles avancent que le courrier du 12 mars 2020 dès lors qu'il propose une indemnisation emporte reconnaissance par la Sa Enedis de sa responsabilité concernant partie du dommage, et que la discussion est donc encore ouverte quant aux dommages subis par la pompe à chaleur objets de contestation. Elles concluent que toute indemnisation complémentaire, non reconnue, bénéficie de l'interruption de prescription de sorte que l'action est recevable et non prescrite.
A titre subsidiaire, Mme [E] [N] et la Sam Maif soutiennent que la responsabilité de la Sa Enedis, en sa qualité de gestionnaire du service d'électricité est susceptible d'être engagée sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle de droit commun. Elles avancent que l'origine de l'accident électrique n'est pas déterminée nonobstant l'hypothèse selon laquelle il serait dû à une surtension résultant de l'incendie du transformateur électrique. Les intimées font valoir que la faute de la Sa Enedis est constituée car elle ne l'a jamais discutée et ne s'en est jamais expliquée, et qu'elle est caractérisée car elle a été reconnue sans pouvoir être exclusivement imputée ou rattachée au produit défectueux à savoir l'électricité.
Sur la recevabilité de l'action engagée par la Sam Maif, il est soutenu qu'elle est subrogée aux droits de Mme [E] [N] en application des dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances, pour la somme de 1 177,20 euros, en exécution des dispositions du contrat d'assurance passé avec son assurée. La Sam Maif précise que si elle n'a pas contribué à l'indemnisation de la pompe à chaleur, c'est en application de ses conditions contractuelles prévoyant un abattement de
10 % par année d'âge sur les appareils de régulation de température. Au regard de ses préjudices, Mme [E] [N] sollicite donc que lui soit allouée la somme de 5 542 euros, déduction faite de l'indemnité versée par son assureur.
Sur la prise en charge du préjudice relatif à la pompe à chaleur, Mme [E] [N] et la Sam Maif exposent que le cabinet d'expertise Saretec a, depuis le début de sa mission, considéré que les dommages constatés sur les compresseurs de cet équipement étaient partie intégrante du préjudice subi. Mme [E] [N] se prévaut de ses déclarations de sinistre des 1er février et 8 février 2019 pour démentir l'affirmation selon laquelle ce problème n'aurait pas été invoqué dès l'origine des dommages. Elle se fonde également sur deux attestations pour établir un lien entre la panne de la pompe à chaleur et l'incident survenu sur le réseau électrique.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action de Mme [E] [N] et de la Sam Maif
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non- recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer son adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, d'intérêt ou la prescription.
Sur le défaut de subrogation légale de la Sam Maif
L'article L. 121-12 du code des assurances prévoit que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
La Sa Enedis argue de l'absence de subrogation légale de la Sam Maif dans les droits de Mme [E] [N] en l'absence de la preuve rapportée du paiement, effectué en vertu du contrat d'assurance, de l'indemnité d'assurance à l'assurée.
La Sam Maif et Mme [E] [N] produisent une quittance subrogatoire du 18 septembre 2019 : 'Je soussignée [E] [N] [Z] [...] reconnais avoir reçu de la Maif [...] la somme de 1177,20 € représentant l'indemnité due en application de la garantie 'Dommage' de mon contrat, suite au sinistre survenu le 4/12/2018.
En application du Code des assurances, la MAIF est libre, le cas échéant, d'agir par subrogation contre tout tiers tenu à réparation'.
L'authenticité du document, attestant paiement d'une indemnité d'assurance en vertu du contrat liant la Sam Maif et Mme [E] [N], ne fait l'objet d'aucune contestation.
En outre, la Sa Enedis est mal fondée à contester, sans se contredire, la validité de la quittance en ce qu'elle ne démontre pas l'existence d'une subrogation légale, alors que dans un courrier adressé à la Sam Maif elle lui réclame 'la quittance acquittée par votre assurée', comme étant un justificatif préalable nécessaire, avant de pouvoir lui adresser une proposition d'indemnisation; laquelle proposition intervenant ensuite par courrier du 12 mars 2020, emporte reconnaissance de ladite quittance comme preuve de la subrogation.
La preuve de la subrogation de la Sam Maif dans les droits de Mme [E] [N] étant rapportée, le jugement sera, sur ce point, confirmé, et la demande d'irrecevabilité de la Sa Enedis rejetée.
Sur la prescription de l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux
En vertu de l'article 1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
L'article 2240 du code civil dispose que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
En l'espèce, la Sa Enedis soutient que l'action formée par les intimées, sur le fondement des produits défectueux, est prescrite car engagée le 17 mai 2022, soit postérieurement à l'écoulement du délai triennal de prescription dont elle situe le point de départ au 20 décembre 2018. Elle ajoute que la lettre d'acceptation d'indemnisation adressée à la Sam Maif le 12 décembre 2020, d'un montant de
1 004,70 euros, ne contient aucune reconnaissance expresse de responsabilité de sa part, mais constitue une offre transactionnelle destinée à mettre un terme amiable au litige en cours, dès lors la lettre n'a pas interrompu le délai de prescription.
Néanmoins, dans un courrier du 30 janvier 2020, adressé par Total Direct Energie à la Sam Maif qui avait d'abord sollicité la société pour indemnisation, Total Direct Energie informe l'assureur du retour de la Sa Enedis en sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution, après qu'elle l'ait contacté relativement au dossier. Total Direct Energie cite la réponse obtenue le 24 janvier 2020 : 'Bonjour, Nous vous informons avoir procédé à l'ouverture d'un dossier [...]. Nous avons pris bonne note que Madame [E] [Z] avait confié la gestion de son dossier à son Assurance (MAIF). Nous attendons la quittance afin de chiffrer l'indemnisation'. Ce premier courrier adressé par la Sa Enedis à un tiers, avant toute prise de contact avec l'assureur subrogé, la Sam Maif, mentionne, sans le questionner un droit à indemnisation, laquelle doit être alors seulement chiffrée.
Par courrier du 12 mars 2020, la Sa Enedis adresse à la Sam Maif une 'lettre d'acceptation d'indemnisation d'un montant de 1 004,70 euros', considérant le montant des dommages établi par leur expert en valeur de remplacement. La proposition est ensuite réitérée par deux fois les 26 juin et 1er octobre 2020. Il convient de relever que le rapport d'expertise Cetelec dont la Sa Enedis accepte expressément le chiffrage reconnaît en point 6.1 de son analyse : 'Selon les circonstances développées précédemment, la responsabilité d'Enedis nous apparaîtrait engagée'.
En outre, le rapport du médiateur de l'énergie rendu le 4 février 2021 indique : 'Enedis n'a pas contesté sa responsabilité dans l'incendie survenu le 30 novembre 2018 sur le réseau'. Dans ses observations figurant en annexe du rapport, la Sa Enedis consigne : 'un rapport d'expertise a permis de constater que les dommages étaient consécutifs à l'incendie du poste de transformation voisin alimentant le réseau, survenu le 30/11/2018. Le montant des dommages a été évalué à
1 004,70 euros TTC'.
Dès lors, il apparaît des éléments produits, d'une part, la reconnaissance par la Sa Enedis de sa responsabilité dans la survenance de l'incendie du poste de transformation alimentant le réseau, d'autre part, la reconnaissance par la Sa Enedis d'un lien existant entre certains des dommages électriques subis par Mme [E] [N] et l'incendie dudit poste de transformation voisin de son domicile, enfin, la reconnaissance non équivoque de la Sa Enedis du droit à indemnisation de Mme [E] [N]. La reconnaissance de son droit est explicitement formulée avant toute discussion amiable engagée avec l'assureur, la Sam Maif, dans un courrier adressé à un tiers, Total Direct Energie. Elle est répétée dans trois courriers à la Sam Maif, qui s'appuient sur le chiffrage réalisé par le propre expert de la Sa Enedis, lequel tend à admettre avec l'emploi d'un conditionnel de précaution, que la responsabilité de la société est engagée.
L'ensemble de ces éléments implique sans équivoque la reconnaissance par la Sa Enedis de l'existence du droit de Mme [E] [N] à indemnisation.
Aussi, la lettre d'acceptation d'indemnisation du 12 mars 2020 emporte reconnaissance partielle de sa dette par la Sa Enedis, nonobstant sa contestation portant sur l'avarie de la pompe à chaleur.
Or, la reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, entraîne pour la totalité de la créance un effet interruptif qui ne peut se fractionner.
En conséquence, la Sa Enedis ne peut se prévaloir de la prescription, un nouveau délai triennal ayant commencé à courir, à compter dudit courrier interruptif de prescription, jusqu'au 12 mars 2023. L'action formée par les intimées le 17 mai 2022, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, n'est pas prescrite.
Sur la responsabilité du fait des produits défectueux de la Sa Enedis
Par application des dispositions de l'article 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L'article 1245-2 du code civil prévoit qu'est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.
En l'espèce, la Sa Enedis, producteur du produit électricité, ne conteste pas le principe de sa responsabilité, mais soutient à titre subsidiaire que le chiffrage du préjudice retenu en première instance doit être réformé.
Le premier juge a alloué la somme totale de 6 420,05 euros qui correspond à l'évaluation faite par le médiateur de l'énergie et qui se décompose comme suit :
- remplacement de la carte mère de la motorisation du portail : 453,20 euros,
- remplacement de la carte mère du four : 194 euros,
- diagnostic de la pompe à chaleur : 357,50 euros,
- remplacement compresseurs de la pompe à chaleur : 5 135,35 euros,
- perte de denrées alimentaires deux congélateurs : 280 euros.
L'appelante accepte le principe et le montant visant l'indemnisation des dommages suivants :
- remplacement de la carte mère de la motorisation du portail : 453,20 euros,
- remplacement de la carte mère du four : 194 euros,
- diagnostic de la pompe à chaleur : 357,50 euros,
pour un total de 1 004,70 euros TTC.
Elle conteste devoir indemniser les autres dommages et frais dont il est soutenu par les intimées qu'ils résultent de l'incendie du poste de transformation à savoir :
- la perte des denrées alimentaires contenues dans deux congélateurs,
- les dépenses nécessaires au relogement de Mme [E] [N] d'une durée de six jours,
- la réparation de la pompe à chaleur.
Sur la perte des denrées alimentaires, le rapport d'expertise Saretec du 22 mars 2019 affirme que : 'L'électricité ayant été interrompue durant plusieurs jours, les denrées en congélateur de Mme [N] sont devenues avariées'. Il retient la somme de
500 euros au titre de l'évaluation du dommage. Le rapport Cetelec du 23 décembre 2019 propose quant à lui d'écarter le poste en l'absence de justificatifs. Quant aux recommandations du médiateur national de l'énergie du 4 février 2021, elles concluent : 'Il est donc vraisemblable que des denrées aient été perdues pendant l'interruption.
Madame [E] [N] a transmis un récapitulatif des denrées alimentaires contenues dans un congélateur 'coffre' situé au sous-sol du logement.
Je n'ai toutefois pas de tickets de caisse, bien qu'il soit compréhensible de ne pas les conserver, ni de photographies des denrées perdues.
La perte de denrées alimentaires peut être évaluée forfaitairement par référence à différents indicateurs. A titre d'exemple, l'Observatoire des prix de l'association Familles Rurales a évalué le panier moyen d'un ménage à 140 euros TTC environ.
Dans ces conditions, au vu des deux équipements de froid dont la présence a été constatée sur place par l'expert, je considère qu'ENEDIS devrait accorder une indemnisation de 280 euros TTC à ce titre'. Mme [E] [N] produit la liste évoquée en pièce de son dossier.
En l'absence de justificatifs plus précis, considérant la présence constatée des deux congélateurs au domicile de Mme [E] [N], il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a validé l'analyse du médiateur national de l'énergie.
Sur les frais de relogement de Mme [E] [N], cette prétention n'a pas été retenue par le premier juge et le dispositif des conclusions des intimés ne contient aucune demande d'infirmation de ce chef de jugement. La cour n'est donc pas saisie de ce chef de préjudice.
Sur la remise en état de la pompe à chaleur, le rapport Saretec du 22 mars 2019, retient le remplacement de deux compresseurs dans son évaluation des dommages imputables au sinistre, pour un montant de 5 135,35 euros, et 1 540,60 euros après déduction de 70 % pour vétusté. Il ne fournit aucune explication quant au choix de retenir le remplacement desdits compresseurs.
Le rapport Cetelec du 23 décembre 2019, écarte la remise en état de la pompe à chaleur des dommages à indemniser, expliquant : 'Selon nos recherches, les compresseurs fonctionnent sous régime triphasé 400 volts. Dans notre cas, une surtension délivrant 400V au maximum ne peut endommager les compresseurs.
Un document de l'intervenant en date du 7 mars indique que les compresseurs ont subi une dégradation suite à l'absence d'une phase sur le réseau. Nous rappelons que la pompe à chaleur dispose de protections internes, protégeant les moteurs des compresseurs dans le cas d'échauffement lié à une perte de phase. De plus l'installation électrique alimentant la pompe à chaleur est calibrée en conséquence et doit déclencher en cas de surintensité liée à une surcharge moteur provenant de l'absence de phase.
Nous constatons que la pompe à chaleur date de 2008, une surtension ne peut aucunement endommager les compresseurs. L'absence d'une phase doit être normalement détectée et reconnue par les protections installées selon la norme NF C 15-100 pour éviter l'endommagement des compresseurs.
Le diagnostic préconise le remplacement d'un purgeur automatique fuyard, une fuite sur le circuit de la pompe à chaleur était donc présente avant le sinistre. Le rendement de la PAC étant bas, les compresseurs ont forcément été sollicités anormalement pour maintenir les performances de l'équipement. Dans le cas présent nous privilégions l'hypothèse de la défaillance interne des compresseurs du fait de l'usure normale des choses pour ces éléments âgés de 10 ans. [...]
Concernant les vannes et le purgeur, ces éléments sans rapport électrique ne peuvent avoir subi un dommage provenant du réseau. Nous les excluons de la réclamation. Les compresseurs ne peuvent être endommagés par une surtension et sont protégés intrinsèquement par les protections de la PAC en cas d'absence de phase. Nous repoussons donc cette réclamation concernant leur remplacement'.
Les recommandations du médiateur national de l'énergie du 4 février 2021 concluent quant à elles : 'Je note que d'autres équipements ont été endommagés, ce qui rend moins vraisemblable une défaillance interne de la pompe à chaleur. Les pièces endommagées sont sensibles aux variations de tension (cartes électroniques). [...]
Selon la notice, la pompe à chaleur fonctionne dans une plage de tension jusqu'à 253 volts, soit la tension maximale que doit fournir ENEDIS en triphasé selon la réglementation. Sa facture d'installation mentionne la pose d'un tableau électrique triphasé comprenant disjoncteur de protection, contacteur de commande, protection différentielle. Ceci présume que la pompe a été bien installée et protégée et celle-ci a depuis été entretenue. Le représentant d'Enedis ne rapporte quant lui aucun élément précis démontrant un défaut de protection de la pompe à chaleur. En tout état de cause, j'estime que les normes actuelles ne peuvent être opposées à un consommateur qui avait acquis un équipement en 2007.
Dans ces conditions, je considère qu'ENEDIS devrait prendre à sa charge la réparation de la pompe à chaleur, conformément au devis de remise en état du 5 mars 2019 '.
Il ressort de ces éléments que les rapports et recommandations cités n'établissent pas de lien de causalité direct entre l'incendie du poste de transformation et les dommages subis par la pompe à chaleur, lequel demeure conjectural, et ce nonobstant les attestations de Mme [T], de M. [C], et de la Sarl Bina Energies, procédant par voie d'affirmation aux fins de démontrer l'existence d'un tel lien.
De plus, il convient de relever que dans sa déclaration de sinistre à la Sam Maif du 1er février 2019, et sa relance du 8 février 2019, Mme [E] [N] ne mentionne pas de panne de la pompe à chaleur au titre des dommages subis consécutivement à l'incendie du poste de transformation, laquelle, d'après les éléments fournis, est survenue en mars 2019, plus de trois mois après l'événement.
Dès lors, la Sa Enedis ne sera pas tenue d'indemniser le dommage touchant la pompe à chaleur de Mme [E] [N].
En conséquence, par jugement infirmatif, il convient de ramener la condamnation de la société Enedis au profit de Mme [E] [N] à la somme de 107,50 euros
(1 284,70 '1 177,20).
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.
La Sa Enedis succombant sera condamnée aux dépens d'appel, outre le paiement à la Sam Maif d'une somme pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à
2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la Sa Enedis à payer à Mme [E] [N] la somme de
5 542,85 euros en réparation de son préjudice ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, y ajoutant,
Condamne la Sa Enedis à payer à Mme [Z] [E] [N] la somme de
107,50 euros,
Condamne la Sa Enedis à payer à la Sam Maif la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties pour le surplus,
Condamne la Sa Enedis aux dépens d'appel.