Décisions
CA Limoges, ch. civ., 30 mai 2024, n° 23/00389
LIMOGES
Arrêt
Autre
ARRET N° 196
N° RG 23/00389 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIONS
AFFAIRE :
M. [R] [Y] [B], Mme [J] [A] épouse [B]
C/
S.A.R.L. LEGGETT IMMOBILIER
CB/LM
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 30 MAI 2024
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Le TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [R] [Y] [B]
né le 29 Mars 1971 à [Localité 6] (ROYAUME-UNI), demeurant Lieudit '[Adresse 1]
représenté par Me Philippe CHABAUD de la SELARL CHAGNAUD CHABAUD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIMOGES
Madame [J] [A] épouse [B]
née le 30 Juillet 1973 à [Localité 3] (ROYAUME UNI), demeurant Lieudit '[Adresse 1]
représentée par Me Philippe CHABAUD de la SELARL CHAGNAUD CHABAUD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'une décision rendue le 16 MARS 2023 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
S.A.R.L. LEGGETT IMMOBILIER, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES, Me Louise HOUPPE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 Avril 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2024.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Mai 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure
Suivant acte reçu le 10 janvier 2020 par Maître [T] [Z] Notaire à [Localité 5] (Haute-Vienne), Monsieur [R] [B] et son épouse Madame [J] [A] ont acquis auprès de Monsieur [W] [F] et de Madame [N] [X] épouse [F], une maison d'habitation avec grange attenante et terrain sise à [Localité 4] ), sachant :
- que ladite vente conclue moyennant le prix de 89 000 €
* a été passée avec le concours de la SARL LEGGETT IMMOBILIER avec qui les époux [F] ont conclu un mandat de vente daté du 17 janvier 2019
* a été précédée d'un compromis de vente signé entre les parties le 29 août 2019
- l'acte authentique de vente contient en page 16 un paragraphe intitulé 'INFORMATION RELATIVE A LA CONSTRUCTION, AUX AMENAGEMENTS ET AUX TRANSFORMATION ', énonçant notamment
* que le vendeur déclare
° que des travaux ont été effectués depuis moins de 10 ans, à savoir : changement des fenêtres, de la porte et transformation d'une fenêtre en porte à l'arrière; implantation de deux VELUX en toiture pour création d'une chambre dans le grenier
° que ces travaux ont fait l'objet d'un permis de construire délivré le 29 janvier 2018 sous le numéro PC 08715318J5150
° ne pas avoir reçu d'attestation venant constater la conformité des travaux réalisés dans le délai de l'article R 462-6 du code de l'urbanisme
° avoir réalisé lui-même les travaux
* que l'acquéreur déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation.
Après avoir emménagé dans les lieux, les époux [B] ont mandaté Maître [S] [I], Huissier de Justice à [Localité 5], à l'effet de lui faire constater que différents travaux réalisés dans leur immeuble nouvellement acquis n'avaient pas été effectués dans les règles de l'art.
Au vu du procès-verbal de constat dressé par ce dernier le 28 septembre 2020 et mettant en lumière l'existence de divers désordres, les époux [B] ont sollicité l'organisation d'une expertise judiciaire.
C'est dans ce contexte :
- que par ordonnance du 26 mai 2021, le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de LIMOGES a désigné Monsieur [L] [V] en qualité d'expert, en luin donnant pour mission de visiter les lieux, de dire si l'ouvrage existant est affecté de vices, désordes ou de malfaçons, et dans l'affirmative de les décrire, de préciser quels travaux ont été réalisés par les époux [F], de dire si les désordres étaient préexistants à la vente, s'ils étaient ou non apparents pour un acquéreur non professionnel et s'ils rendent la chose vendue impropre à sa destination, de donner les moyens propres à y remédier et en chiffer le coût, et fournir tous éléments permettant à la juridiction saisie d'apprécier les responsabilités encourues et de chiffrer les préjudices subis
- qu'au vu du rapport d'expertise judiciaire déposé le 25 avril 2022 et ayant retenu que la maison acquise par les époux [B] avait été entièrement rénovée par les époux [F] sans respect des règles de l'art et de la construction en général, qu'elle était affectée de désordres présents lors de sa vente mais non décelables par un acquéreur non professionnel, que les travaux réparatoires desdits désordres s'élevaient à la somme de 113 182 € TTC, les époux [B] ont sur autorisation donnée le 22 septembre 2022, et par acte de commissaire de justice du 30 septembre 2022, assigné les époux [F] ainsi que la SARL LEGGETT IMMOBILIER devant le Tribunal Judiciaire de LIMOGES selon la procédure à jour fixe, et ce à l'effet de rechercher leur responsabilité et d'obtenir la réparation de leur divers postes de préjudice.
Par jugement en date du 16 mars 2023 rendu au contradictoire des époux [B] demandeurs et de la SARL LEGGETT IMMOBILIER défenderesse, mais sans que les époux [F] ne soient représentés par un avocat, le Tribunal Judiciaire de LIMOGES a notamment :
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B] la somme de 113 282 € TTC au titre de leur préjudice matériel, et ce après avoir retenu la responsabilité décennale des époux [F] sur le fondement de l'article 1792 du Code Civil du fait des désordres afefctant travaux qu'ils avaient personnellement réalisés sur l'immeuble vendu aux époux [B]
- dit que sur cette somme de 113 282 € TTC, la Société LEGGETT IMMOBILIER est condamnée in solidum avec les époux [F], à payer aux époux [B] la somme de 10 000 €, et ce après avoir retenu la responsabiité de ladite société pour avoir fait preuve d'une négligence fautive, 'en ne signalant pas aux acquéreurs les travaux réalisés par les époux [F] afférents à l'escalier, et qui ne pouvaient avoir échappé à son attention puisqu'ils avaient changé de localisation dans la pièce '
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B]
* la somme de 3764 € au titre de leur préjudice de jouissance
* la somme de 2360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouté les époux Monsieur [B] de leur demande au titre de leur préjudice moral
- condamné in solidum les époux [F] à supporter les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.
Selon déclaration reçue au greffe de cette Cour le 15 mai 2023 et exclusivement dirigée à l'encontre de la SARL LEGGETT IMMOBILIER, Monsieur [R] [B] et Madame [J] [A] épouse [B] ont interjeté appel de ce jugement.
La procédure devant la Cour a été clôturée par ordonnance du 28 février 2024.
Prétentions des parties
Dans le dernier état de leurs conclusions déposées le 26 décembre 2023, Monsieur [R] [B] et Madame [J] [A] épouse [B] ( ci-après dénommés les époux [B] ) demandent en substance à la Cour :
- de faire droit à leur appel
- de réformer partiellement le jugement rendu le 16 mars 2023 par leTribunal Judiciaire de LIMOGES, et statuant à nouveau
* de dire que la Société LEGGETT IMMOBILIER a commis un dol au sens des articles 1137 et suivants du Code Civil, et subsidiairement que la Société LEGGETT IMMOBILIER a manqué à son devoir de conseil sur le fondement de la responsabilité délictuelle, au sens des articles 1240 et suivants du Code Civil
* en toute hypothèse, de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER (in solidum avec les époux [F], à l'égard desquels le jugement est définitif) à leur payer
° la somme de 113 182 € TTC, en réparation du préjudice matériel
°la somme de 3764 € en réparation de leur préjudice de jouissance
° la somme de 2.360,09 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, au titre de leurs frais irrépétibles de première instance
* subsidiairement, si la réparation de leur préjudice ne devrait être intégrale, de condamner la Société LEGGET IMMOBILIER à leur payer la somme de 104600 € au titre de la perte de chance
- en toute hypothèse, de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER
* à leur verser une indemnité de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, au titre de leurs frais irrépétibles d'appel
* in solidum avec les époux [F], aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise et de constat d'huissier, de frais de délivrance d'assignation et de signification, et de condamner ladite société aux dépens d'appel.
En l'état de ses dernières conclusions datées du 10 octobre 2023, la SARL LEGGET IMMOBILIER demande en substance à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec les Consorts [F] à hauteur de 10 000 € sur la somme globale de 113 282 € au titre du préjudice matériel des époux [B]
- statuant à nouveau,
* à titre principal, de débouter les époux [B] de l'ensemble de leurs demandes formulées à son égard, et de les condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens
* à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 10 000 € telle que retenue par le jugement entrepris, de débouter les époux [B] du surplus de leurs demandes, et de les condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens
* à titre très subsidiaire, de rejeter toute solidarité avec les vendeurs, de réduire largement à de plus justes proportions les quantum des préjudices invoqués par les époux [B], et de débouter ces derniers de leur demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LADECISION :
Le litige soumis à la Cour se trouve circonscrit à l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER, ceux-ci ayant fait le choix d'acquiescer au jugement de première instance dans ses dispositions :
- ayant retenu la responsabilité décennale de leurs vendeurs les époux [F], en raison des désordres ayant impacté les travaux par eux réalisés sur leur immeuble avant de le mettre en vente
- ayant condamné in solidum les époux [F] à leur payer la somme de 113 282 € TTC au titre de leur préjudice matériel, ainsi que celle de 3 764 € au titre de leur préjudice de jouissance, outre une indemnité de 2 360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
I) Sur l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER :
Les époux [B] recherchent la responsabilité de la Société LEGGETT IMMOBILIER à titre principal pour cause de dol, et à titre subsidiaire pour manquement à son obligation d'information.
1) sur le bien-fondé de l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol :
L'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol pose difficulté :
- en ce que la Société LEGGETT IMMOBILIER n'était pas le cocontractant des époux [B], alors qu'en principe le dol n'est sanctionnable que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation a été contractée
- en ce que le dol que la Société LEGGETT IMMOBILIER se voit reprocher, ne peut être considéré comme émanant d'un tiers de connivence avec les époux [F] cocontractants des époux [B], dès lors que la responsabilité de ces derniers a été retenue par la décision de première instance ayant acquis sur ce point un caractère définitif, sur un fondement juridique totalement différent du dol, à savoir en leur qualité de constructeurs ayant réalisé des travaux affectés de désordres de nature décennale
- en ce que la Société LEGGETT IMMOBILIER ne peut se voir reconnaître la qualité de représentant des époux [F], et ce eu égard à la nature du contrat qu'ils ont conclu avec cette dernière le 17 janvier 2019 dont la teneur révèle que ledit contrat, bien qu'intitulé ' MANDAT DE VENTE '
* ne confèrait pas à l'agence immobilière LEGGETT IMMOBILIER désignée comme mandataire, le pouvoir d'engager son mandant en la personne des époux [F] en l'absence de clause donnant à ladite agence pouvoir de représenter ces derniers pour conclure la vente projetée
* confiait seulement à l'agence immobilière LEGGETT IMMOBILIER une mission d'entremise consistant dans la recherche d'acquéreurs pour les biens concernés, tel que cela ressort clairement des stipulations du mandat énonçant expressément en sa page 1 que ' le mandant confère au mandataire, qui accepte, mandat SANS EXCLUSIVITE de rechercher un acquéreur, les biens c-après désignés aux prix, charges et conditions suivants...'.
De l'ensemble de ces observations, il s'évince que les époux [B] sont mal fondés à rechercher la responsabilité de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol ayant consisté dans le fait pour cette dernière de leur avoir dissimulé l'ampleur des travaux réalisés par les époux [F] eux-mêmes.
Il seront donc déboutés :
- de leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol commis à leur préjudice
- de leurs demandes indemnitaires dirigées à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER, à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 113 182 €, de 3764 €, et de 2360,09 € mises à la charge des époux [F] par le jugement querellé, en revendiquant le bénéfice d'une condamnation in solidum avec leurs vendeurs les époux [F], définitivement condamnés à leur verser lesdites sommes en vertu du jugement rendu le 16 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de LIMOGES.
2) sur le bien-fondé de l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information :
A cet égard, il convient :
- à titre liminaire, de rappeler que l'agent immobilier est tenu d'une obligation générale de conseil et d'information
* de nature contractuelle à l'égard de son mandant
* de nature extracontractuelle à l'égard des potentiels acquéreurs
- à l'examen du dossier,
* de constater que la Société LEGGETT IMMOBILIER s'est abstenue de signaler aux époux [B] la totalité des travaux réalisés par les époux [F], en ce que compromis de vente établi le 29 août 2019 avec le concours de cette dernière se borne à indiquer que l'immeuble mis en vente a fait l'objet de travaux depuis moins de dix ans selon Permis de Construire N° PC 08715318J5150 pour la création de fenêtres et des portes existantes, alors
° que ledit permis de construire a concerné des travaux plus importants à savoir l'implantation de deux vélux en toiture pour la création d'une chambre dans le grenier
° qu'il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que les travaux qui ont été visités sont beaucoup plus conséquents que ceux qui sont notés dans le permis de construire ainsi que dans l'acte de vente, l'expert ajoutant qu'il n'est nulle part fait mention de la création de plusieurs pièces complémentaires sous les combes (une seule chambre est mentionnée), ni de la profonde modification apportée à l'organisation du rez-de-chausée par changement de place de l'escalier (page 4 du rapport d'expertise)
° qu'il est constant que la Société LEGGETT IMMOBILIER avait servi d'intermédiaire lors de l'acquisition par les époux [F] de l'immeuble litigieux selon acte authentique dressé le 12 décembre 2017, faisant état d'un prix de 43 500 €
* de considérer que pour avoir négocié la précédente vente passée sur le même immeuble, la Société LEGGETT IMMOBILIER
° connaissait nécessairement l'état antérieur du bien litigieux en termes de distribution des pièces et d'aménagement intérieur, l'expertise judiciaire ayant mis en lumière l'importance des travaux efefctués dont ceux au titre de l'aménagement complet du grenier avec création de pièces supplémentaires et de l'installation des fenêtres de toit
° se devait lors de la revente dudit bien, de communiquer avec précision aux candidats acquéreurs, la nature des travaux dont il avait fait l'objet postérieurement à son acquisition par les époux [F], et ce d'autant que ladite agence immobilière savait que le bien avait fait l'objet de travaux de rénovation tel que mentionné dans l'annonce commerciale diffusée par ses soins, sans ignorer que lesdits travaux de rénovation avaient pour particularité d'avoir été effectués non pas par des professionnels de la construction, mais par les vendeurs eux-mêmes
* de relever que la Société LEGGETT IMMOBILIER ne justifie pas avoir fourni aux époux [B] la totalité des informations qu'ils étaient en droit d'obtenir quant à l'état réel de l'immeuble des époux [F] s'agissant notamment de la nature exacte des divers travaux de rénovation et d'aménagement dont il avait fait l'objet et qui leur étaient impossible de déceler lors des différentes visites dudit bien, et ce avant de pouvoir décider en toute connaissance de cause, de procéder ou non à son acquisition.
Une telle attitude chez la Société LEGGETT IMMOBILIER est caractéristique d'un manquement à l'obligation d'information dont elle était débitrice envers les époux [B] candidats acquéreurs, manquement de nature à engager sa responsabilité extracontractuelle à l'égard de ces derniers.
Il s'ensuit que les époux [B] seront jugés bien fondés :
- en leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information
- en leur demande indemnitaire dirigée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER à l'effet d'obtenir réparation du préjudice que leur a occasionné la faute extracontractuelle de ladite agence immobilière.
II) Sur l'indemnisation du préjudice occasionné aux époux [B] en lien avec la faute extracontractuelle commise par la Société LEGGETT IMMOBILIER :
La faute extracontractuelle commise par la Société LEGGETT IMMOBILIER envers les époux [B] a eu pour conséquence directe de priver ces derniers de la possibilité d'apprécier en toute objectivité s'ils avaient intérêt à acquérir l'immeuble des époux [F], et dans l'affirmative à quelle condition de prix.
Il s'ensuit que ladite faute a généré au détriment des époux [B] un préjudice qui est constitutif d'une perte de chance, laquelle sera équitablement indemnisée :
- par référence à la plus-value enregistrée par l'immeuble litigieux, dont le prix est passé d'un montant de 43 500 € en décembre 2017 à un montant de 89 000 € en janvier 2020, soit une différence de 45 500 € s'expliquant notamment par la réalisation avant la revente dudit bien d'importants travaux de rénovation
* qui se sont révélés affectés de désordres graves ayant engagé la responsabilité décennale des époux [F] vendeurs
* dont l'ampleur et la nature exacte n'ont pas été révélées aux époux [B] notamment lors de leurs différents contacts avec la Société LEGGETT IMMOBILIER
- par l'allocation d'une somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts.
En conséquence, il convient de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] la somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de leur préjudice constitutif d'une perte de chance de ne pas acquérir l'immeuble litigieux ou de l'acquérir à un prix moindre, et de réformer en ce sens le jugement déféré.
III) Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
Pour avoir succombé en ses prétentions et s'être vu reprocher une faute extracontractuelle génératrice d'un préjudice envers les époux [B], la Société LEGGETT IMMOBILIER sera condamnée à supporter les entiers dépens de la présente instance d'appel, ce qui exclut par ailleurs qu'elle puisse bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il serait par contre inéquitable de laisser les époux [B] supporter la totalité des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer dans le cadre de la présente instance d'appel pour assurer la défense de leurs intérêts, de sorte que la Société LEGGETT IMMOBILIER sera condamnée à leur verser de ce chef une indemnité d'un montant de 3000 €.
Enfin, il y a lieu de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER à supporter le coût de l'expertise judiciaire de Monsieur [L] [V], et ce :
- dans les mêmes termes que la condamnation mise à la charge des époux [F] à ce titre par le jugement querellé, ence que ladite expertise s'est révélée utile à la solution du litige ayant opposé les époux [B] aux époux [F] d'une part, et à la Société LEGGETT IMMOBILIER d'autre part
- à l'exclusion des dépens de première instance qui resteront à la seule charge des époux [F].
PAR CES MOTIFS
LA COUR D'APPEL statuant publiquement, par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Déclare recevables l'appel interjeté par les époux [B], et l'appel incident formé par la Société LEGGETT IMMOBILIER ;
Constate le caractère définitif du jugement rendu le 16 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de LIMOGES en ce qu'il a :
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B]
* la somme de 113 282 € au titre de leur préjudice matériel
* la somme de 3764 € au titre de leur préjudice de jouissance
* la somme de 2360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouté les époux Monsieur [B] de leur demande au titre de leur préjudice moral
- condamné in solidum les époux [F] à supporter les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;
Réforme ledit jugement en ce :
- qu'il a évalué à 10 000 €, la perte de chance occasionnée aux époux [B] par la négligence fautive de la Société LEGGETT IMMOBILIER
- qu'il a dit que sur cette somme de 113 282 € TTC, la Société LEGGETT IMMOBILIER est condamnée in solidum avec les époux [F], à payer aux époux [B] la somme de 10 000 € ;
Statuant à nouveau,
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] la somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de leur préjudice constitutif d'une perte de chance de ne pas acquérir l'immeuble litigieux ou de l'acquérir à un prix moindre ;
Y ajoutant,
Déboute les époux [B] de leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol commis à leur préjudice ;
Juge les époux [B] bien fondés en leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information ;
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] une indemnité de 3000 € pour leurs frais irrépétibles d'appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à supporter les entiers dépens de la présente instance d'appel, et ce :
- en ce compris le coût de l'expertise judiciaire de Monsieur [L] [V], et dans les mêmes termes que la condamnation mise à la charge des époux [F] à ce titre par le jugement querellé
- à l'exclusion des dépens de première instance qui resteront à la seule charge des époux [F].
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.
N° RG 23/00389 - N° Portalis DBV6-V-B7H-BIONS
AFFAIRE :
M. [R] [Y] [B], Mme [J] [A] épouse [B]
C/
S.A.R.L. LEGGETT IMMOBILIER
CB/LM
Grosse délivrée aux avocats
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 30 MAI 2024
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Le TRENTE MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE la chambre civile a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe :
ENTRE :
Monsieur [R] [Y] [B]
né le 29 Mars 1971 à [Localité 6] (ROYAUME-UNI), demeurant Lieudit '[Adresse 1]
représenté par Me Philippe CHABAUD de la SELARL CHAGNAUD CHABAUD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIMOGES
Madame [J] [A] épouse [B]
née le 30 Juillet 1973 à [Localité 3] (ROYAUME UNI), demeurant Lieudit '[Adresse 1]
représentée par Me Philippe CHABAUD de la SELARL CHAGNAUD CHABAUD & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LIMOGES
APPELANTS d'une décision rendue le 16 MARS 2023 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LIMOGES
ET :
S.A.R.L. LEGGETT IMMOBILIER, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Mathieu PLAS, avocat au barreau de LIMOGES, Me Louise HOUPPE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 Avril 2024. L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2024.
La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Madame Line MALLEVERGNE, Greffier. A cette audience, Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a été entendu en son rapport, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 30 Mai 2024 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure
Suivant acte reçu le 10 janvier 2020 par Maître [T] [Z] Notaire à [Localité 5] (Haute-Vienne), Monsieur [R] [B] et son épouse Madame [J] [A] ont acquis auprès de Monsieur [W] [F] et de Madame [N] [X] épouse [F], une maison d'habitation avec grange attenante et terrain sise à [Localité 4] ), sachant :
- que ladite vente conclue moyennant le prix de 89 000 €
* a été passée avec le concours de la SARL LEGGETT IMMOBILIER avec qui les époux [F] ont conclu un mandat de vente daté du 17 janvier 2019
* a été précédée d'un compromis de vente signé entre les parties le 29 août 2019
- l'acte authentique de vente contient en page 16 un paragraphe intitulé 'INFORMATION RELATIVE A LA CONSTRUCTION, AUX AMENAGEMENTS ET AUX TRANSFORMATION ', énonçant notamment
* que le vendeur déclare
° que des travaux ont été effectués depuis moins de 10 ans, à savoir : changement des fenêtres, de la porte et transformation d'une fenêtre en porte à l'arrière; implantation de deux VELUX en toiture pour création d'une chambre dans le grenier
° que ces travaux ont fait l'objet d'un permis de construire délivré le 29 janvier 2018 sous le numéro PC 08715318J5150
° ne pas avoir reçu d'attestation venant constater la conformité des travaux réalisés dans le délai de l'article R 462-6 du code de l'urbanisme
° avoir réalisé lui-même les travaux
* que l'acquéreur déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation.
Après avoir emménagé dans les lieux, les époux [B] ont mandaté Maître [S] [I], Huissier de Justice à [Localité 5], à l'effet de lui faire constater que différents travaux réalisés dans leur immeuble nouvellement acquis n'avaient pas été effectués dans les règles de l'art.
Au vu du procès-verbal de constat dressé par ce dernier le 28 septembre 2020 et mettant en lumière l'existence de divers désordres, les époux [B] ont sollicité l'organisation d'une expertise judiciaire.
C'est dans ce contexte :
- que par ordonnance du 26 mai 2021, le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de LIMOGES a désigné Monsieur [L] [V] en qualité d'expert, en luin donnant pour mission de visiter les lieux, de dire si l'ouvrage existant est affecté de vices, désordes ou de malfaçons, et dans l'affirmative de les décrire, de préciser quels travaux ont été réalisés par les époux [F], de dire si les désordres étaient préexistants à la vente, s'ils étaient ou non apparents pour un acquéreur non professionnel et s'ils rendent la chose vendue impropre à sa destination, de donner les moyens propres à y remédier et en chiffer le coût, et fournir tous éléments permettant à la juridiction saisie d'apprécier les responsabilités encourues et de chiffrer les préjudices subis
- qu'au vu du rapport d'expertise judiciaire déposé le 25 avril 2022 et ayant retenu que la maison acquise par les époux [B] avait été entièrement rénovée par les époux [F] sans respect des règles de l'art et de la construction en général, qu'elle était affectée de désordres présents lors de sa vente mais non décelables par un acquéreur non professionnel, que les travaux réparatoires desdits désordres s'élevaient à la somme de 113 182 € TTC, les époux [B] ont sur autorisation donnée le 22 septembre 2022, et par acte de commissaire de justice du 30 septembre 2022, assigné les époux [F] ainsi que la SARL LEGGETT IMMOBILIER devant le Tribunal Judiciaire de LIMOGES selon la procédure à jour fixe, et ce à l'effet de rechercher leur responsabilité et d'obtenir la réparation de leur divers postes de préjudice.
Par jugement en date du 16 mars 2023 rendu au contradictoire des époux [B] demandeurs et de la SARL LEGGETT IMMOBILIER défenderesse, mais sans que les époux [F] ne soient représentés par un avocat, le Tribunal Judiciaire de LIMOGES a notamment :
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B] la somme de 113 282 € TTC au titre de leur préjudice matériel, et ce après avoir retenu la responsabilité décennale des époux [F] sur le fondement de l'article 1792 du Code Civil du fait des désordres afefctant travaux qu'ils avaient personnellement réalisés sur l'immeuble vendu aux époux [B]
- dit que sur cette somme de 113 282 € TTC, la Société LEGGETT IMMOBILIER est condamnée in solidum avec les époux [F], à payer aux époux [B] la somme de 10 000 €, et ce après avoir retenu la responsabiité de ladite société pour avoir fait preuve d'une négligence fautive, 'en ne signalant pas aux acquéreurs les travaux réalisés par les époux [F] afférents à l'escalier, et qui ne pouvaient avoir échappé à son attention puisqu'ils avaient changé de localisation dans la pièce '
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B]
* la somme de 3764 € au titre de leur préjudice de jouissance
* la somme de 2360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouté les époux Monsieur [B] de leur demande au titre de leur préjudice moral
- condamné in solidum les époux [F] à supporter les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire.
Selon déclaration reçue au greffe de cette Cour le 15 mai 2023 et exclusivement dirigée à l'encontre de la SARL LEGGETT IMMOBILIER, Monsieur [R] [B] et Madame [J] [A] épouse [B] ont interjeté appel de ce jugement.
La procédure devant la Cour a été clôturée par ordonnance du 28 février 2024.
Prétentions des parties
Dans le dernier état de leurs conclusions déposées le 26 décembre 2023, Monsieur [R] [B] et Madame [J] [A] épouse [B] ( ci-après dénommés les époux [B] ) demandent en substance à la Cour :
- de faire droit à leur appel
- de réformer partiellement le jugement rendu le 16 mars 2023 par leTribunal Judiciaire de LIMOGES, et statuant à nouveau
* de dire que la Société LEGGETT IMMOBILIER a commis un dol au sens des articles 1137 et suivants du Code Civil, et subsidiairement que la Société LEGGETT IMMOBILIER a manqué à son devoir de conseil sur le fondement de la responsabilité délictuelle, au sens des articles 1240 et suivants du Code Civil
* en toute hypothèse, de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER (in solidum avec les époux [F], à l'égard desquels le jugement est définitif) à leur payer
° la somme de 113 182 € TTC, en réparation du préjudice matériel
°la somme de 3764 € en réparation de leur préjudice de jouissance
° la somme de 2.360,09 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, au titre de leurs frais irrépétibles de première instance
* subsidiairement, si la réparation de leur préjudice ne devrait être intégrale, de condamner la Société LEGGET IMMOBILIER à leur payer la somme de 104600 € au titre de la perte de chance
- en toute hypothèse, de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER
* à leur verser une indemnité de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, au titre de leurs frais irrépétibles d'appel
* in solidum avec les époux [F], aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise et de constat d'huissier, de frais de délivrance d'assignation et de signification, et de condamner ladite société aux dépens d'appel.
En l'état de ses dernières conclusions datées du 10 octobre 2023, la SARL LEGGET IMMOBILIER demande en substance à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec les Consorts [F] à hauteur de 10 000 € sur la somme globale de 113 282 € au titre du préjudice matériel des époux [B]
- statuant à nouveau,
* à titre principal, de débouter les époux [B] de l'ensemble de leurs demandes formulées à son égard, et de les condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens
* à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 10 000 € telle que retenue par le jugement entrepris, de débouter les époux [B] du surplus de leurs demandes, et de les condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens
* à titre très subsidiaire, de rejeter toute solidarité avec les vendeurs, de réduire largement à de plus justes proportions les quantum des préjudices invoqués par les époux [B], et de débouter ces derniers de leur demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LADECISION :
Le litige soumis à la Cour se trouve circonscrit à l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER, ceux-ci ayant fait le choix d'acquiescer au jugement de première instance dans ses dispositions :
- ayant retenu la responsabilité décennale de leurs vendeurs les époux [F], en raison des désordres ayant impacté les travaux par eux réalisés sur leur immeuble avant de le mettre en vente
- ayant condamné in solidum les époux [F] à leur payer la somme de 113 282 € TTC au titre de leur préjudice matériel, ainsi que celle de 3 764 € au titre de leur préjudice de jouissance, outre une indemnité de 2 360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
I) Sur l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER :
Les époux [B] recherchent la responsabilité de la Société LEGGETT IMMOBILIER à titre principal pour cause de dol, et à titre subsidiaire pour manquement à son obligation d'information.
1) sur le bien-fondé de l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol :
L'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol pose difficulté :
- en ce que la Société LEGGETT IMMOBILIER n'était pas le cocontractant des époux [B], alors qu'en principe le dol n'est sanctionnable que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation a été contractée
- en ce que le dol que la Société LEGGETT IMMOBILIER se voit reprocher, ne peut être considéré comme émanant d'un tiers de connivence avec les époux [F] cocontractants des époux [B], dès lors que la responsabilité de ces derniers a été retenue par la décision de première instance ayant acquis sur ce point un caractère définitif, sur un fondement juridique totalement différent du dol, à savoir en leur qualité de constructeurs ayant réalisé des travaux affectés de désordres de nature décennale
- en ce que la Société LEGGETT IMMOBILIER ne peut se voir reconnaître la qualité de représentant des époux [F], et ce eu égard à la nature du contrat qu'ils ont conclu avec cette dernière le 17 janvier 2019 dont la teneur révèle que ledit contrat, bien qu'intitulé ' MANDAT DE VENTE '
* ne confèrait pas à l'agence immobilière LEGGETT IMMOBILIER désignée comme mandataire, le pouvoir d'engager son mandant en la personne des époux [F] en l'absence de clause donnant à ladite agence pouvoir de représenter ces derniers pour conclure la vente projetée
* confiait seulement à l'agence immobilière LEGGETT IMMOBILIER une mission d'entremise consistant dans la recherche d'acquéreurs pour les biens concernés, tel que cela ressort clairement des stipulations du mandat énonçant expressément en sa page 1 que ' le mandant confère au mandataire, qui accepte, mandat SANS EXCLUSIVITE de rechercher un acquéreur, les biens c-après désignés aux prix, charges et conditions suivants...'.
De l'ensemble de ces observations, il s'évince que les époux [B] sont mal fondés à rechercher la responsabilité de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol ayant consisté dans le fait pour cette dernière de leur avoir dissimulé l'ampleur des travaux réalisés par les époux [F] eux-mêmes.
Il seront donc déboutés :
- de leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol commis à leur préjudice
- de leurs demandes indemnitaires dirigées à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER, à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 113 182 €, de 3764 €, et de 2360,09 € mises à la charge des époux [F] par le jugement querellé, en revendiquant le bénéfice d'une condamnation in solidum avec leurs vendeurs les époux [F], définitivement condamnés à leur verser lesdites sommes en vertu du jugement rendu le 16 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de LIMOGES.
2) sur le bien-fondé de l'action en responsabilité exercée par les époux [B] à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information :
A cet égard, il convient :
- à titre liminaire, de rappeler que l'agent immobilier est tenu d'une obligation générale de conseil et d'information
* de nature contractuelle à l'égard de son mandant
* de nature extracontractuelle à l'égard des potentiels acquéreurs
- à l'examen du dossier,
* de constater que la Société LEGGETT IMMOBILIER s'est abstenue de signaler aux époux [B] la totalité des travaux réalisés par les époux [F], en ce que compromis de vente établi le 29 août 2019 avec le concours de cette dernière se borne à indiquer que l'immeuble mis en vente a fait l'objet de travaux depuis moins de dix ans selon Permis de Construire N° PC 08715318J5150 pour la création de fenêtres et des portes existantes, alors
° que ledit permis de construire a concerné des travaux plus importants à savoir l'implantation de deux vélux en toiture pour la création d'une chambre dans le grenier
° qu'il ressort clairement du rapport d'expertise judiciaire que les travaux qui ont été visités sont beaucoup plus conséquents que ceux qui sont notés dans le permis de construire ainsi que dans l'acte de vente, l'expert ajoutant qu'il n'est nulle part fait mention de la création de plusieurs pièces complémentaires sous les combes (une seule chambre est mentionnée), ni de la profonde modification apportée à l'organisation du rez-de-chausée par changement de place de l'escalier (page 4 du rapport d'expertise)
° qu'il est constant que la Société LEGGETT IMMOBILIER avait servi d'intermédiaire lors de l'acquisition par les époux [F] de l'immeuble litigieux selon acte authentique dressé le 12 décembre 2017, faisant état d'un prix de 43 500 €
* de considérer que pour avoir négocié la précédente vente passée sur le même immeuble, la Société LEGGETT IMMOBILIER
° connaissait nécessairement l'état antérieur du bien litigieux en termes de distribution des pièces et d'aménagement intérieur, l'expertise judiciaire ayant mis en lumière l'importance des travaux efefctués dont ceux au titre de l'aménagement complet du grenier avec création de pièces supplémentaires et de l'installation des fenêtres de toit
° se devait lors de la revente dudit bien, de communiquer avec précision aux candidats acquéreurs, la nature des travaux dont il avait fait l'objet postérieurement à son acquisition par les époux [F], et ce d'autant que ladite agence immobilière savait que le bien avait fait l'objet de travaux de rénovation tel que mentionné dans l'annonce commerciale diffusée par ses soins, sans ignorer que lesdits travaux de rénovation avaient pour particularité d'avoir été effectués non pas par des professionnels de la construction, mais par les vendeurs eux-mêmes
* de relever que la Société LEGGETT IMMOBILIER ne justifie pas avoir fourni aux époux [B] la totalité des informations qu'ils étaient en droit d'obtenir quant à l'état réel de l'immeuble des époux [F] s'agissant notamment de la nature exacte des divers travaux de rénovation et d'aménagement dont il avait fait l'objet et qui leur étaient impossible de déceler lors des différentes visites dudit bien, et ce avant de pouvoir décider en toute connaissance de cause, de procéder ou non à son acquisition.
Une telle attitude chez la Société LEGGETT IMMOBILIER est caractéristique d'un manquement à l'obligation d'information dont elle était débitrice envers les époux [B] candidats acquéreurs, manquement de nature à engager sa responsabilité extracontractuelle à l'égard de ces derniers.
Il s'ensuit que les époux [B] seront jugés bien fondés :
- en leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information
- en leur demande indemnitaire dirigée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER à l'effet d'obtenir réparation du préjudice que leur a occasionné la faute extracontractuelle de ladite agence immobilière.
II) Sur l'indemnisation du préjudice occasionné aux époux [B] en lien avec la faute extracontractuelle commise par la Société LEGGETT IMMOBILIER :
La faute extracontractuelle commise par la Société LEGGETT IMMOBILIER envers les époux [B] a eu pour conséquence directe de priver ces derniers de la possibilité d'apprécier en toute objectivité s'ils avaient intérêt à acquérir l'immeuble des époux [F], et dans l'affirmative à quelle condition de prix.
Il s'ensuit que ladite faute a généré au détriment des époux [B] un préjudice qui est constitutif d'une perte de chance, laquelle sera équitablement indemnisée :
- par référence à la plus-value enregistrée par l'immeuble litigieux, dont le prix est passé d'un montant de 43 500 € en décembre 2017 à un montant de 89 000 € en janvier 2020, soit une différence de 45 500 € s'expliquant notamment par la réalisation avant la revente dudit bien d'importants travaux de rénovation
* qui se sont révélés affectés de désordres graves ayant engagé la responsabilité décennale des époux [F] vendeurs
* dont l'ampleur et la nature exacte n'ont pas été révélées aux époux [B] notamment lors de leurs différents contacts avec la Société LEGGETT IMMOBILIER
- par l'allocation d'une somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts.
En conséquence, il convient de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] la somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de leur préjudice constitutif d'une perte de chance de ne pas acquérir l'immeuble litigieux ou de l'acquérir à un prix moindre, et de réformer en ce sens le jugement déféré.
III) Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
Pour avoir succombé en ses prétentions et s'être vu reprocher une faute extracontractuelle génératrice d'un préjudice envers les époux [B], la Société LEGGETT IMMOBILIER sera condamnée à supporter les entiers dépens de la présente instance d'appel, ce qui exclut par ailleurs qu'elle puisse bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il serait par contre inéquitable de laisser les époux [B] supporter la totalité des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer dans le cadre de la présente instance d'appel pour assurer la défense de leurs intérêts, de sorte que la Société LEGGETT IMMOBILIER sera condamnée à leur verser de ce chef une indemnité d'un montant de 3000 €.
Enfin, il y a lieu de condamner la Société LEGGETT IMMOBILIER à supporter le coût de l'expertise judiciaire de Monsieur [L] [V], et ce :
- dans les mêmes termes que la condamnation mise à la charge des époux [F] à ce titre par le jugement querellé, ence que ladite expertise s'est révélée utile à la solution du litige ayant opposé les époux [B] aux époux [F] d'une part, et à la Société LEGGETT IMMOBILIER d'autre part
- à l'exclusion des dépens de première instance qui resteront à la seule charge des époux [F].
PAR CES MOTIFS
LA COUR D'APPEL statuant publiquement, par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Déclare recevables l'appel interjeté par les époux [B], et l'appel incident formé par la Société LEGGETT IMMOBILIER ;
Constate le caractère définitif du jugement rendu le 16 mars 2023 par le Tribunal Judiciaire de LIMOGES en ce qu'il a :
- condamné in solidum les époux [F] à payer aux époux [B]
* la somme de 113 282 € au titre de leur préjudice matériel
* la somme de 3764 € au titre de leur préjudice de jouissance
* la somme de 2360,09 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- débouté les époux Monsieur [B] de leur demande au titre de leur préjudice moral
- condamné in solidum les époux [F] à supporter les entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;
Réforme ledit jugement en ce :
- qu'il a évalué à 10 000 €, la perte de chance occasionnée aux époux [B] par la négligence fautive de la Société LEGGETT IMMOBILIER
- qu'il a dit que sur cette somme de 113 282 € TTC, la Société LEGGETT IMMOBILIER est condamnée in solidum avec les époux [F], à payer aux époux [B] la somme de 10 000 € ;
Statuant à nouveau,
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] la somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de leur préjudice constitutif d'une perte de chance de ne pas acquérir l'immeuble litigieux ou de l'acquérir à un prix moindre ;
Y ajoutant,
Déboute les époux [B] de leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour cause de dol commis à leur préjudice ;
Juge les époux [B] bien fondés en leur action en responsabilité exercée à l'encontre de la Société LEGGETT IMMOBILIER pour manquement à son obligation d'information ;
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à verser aux époux [B] une indemnité de 3000 € pour leurs frais irrépétibles d'appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la Société LEGGETT IMMOBILIER à supporter les entiers dépens de la présente instance d'appel, et ce :
- en ce compris le coût de l'expertise judiciaire de Monsieur [L] [V], et dans les mêmes termes que la condamnation mise à la charge des époux [F] à ce titre par le jugement querellé
- à l'exclusion des dépens de première instance qui resteront à la seule charge des époux [F].
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Line MALLEVERGNE. Corinne BALIAN.